The X-Mas Files : Trust no Onna
RÉSERVE DE CASPAR WHITSTRAUM, 23 DECEMBRE, FIN DE MATINÉE
Grossie par les rangs des hommes ramenés par Walter Skinner, la battue eut lieu le plus prudemment possible sur les cendres encore fumantes. Le Directeur adjoint du Service des affaires non-classées avait l’air particulièrement sur les dents. L’existence avérée d’une « huile rouge » pouvait l’expliquer amplement, dans la mesure où un autre virus alien noir et poisseux leur causait bien assez de sueurs froides. Complètement à l’unisson des températures, sa mauvaise humeur refroidit encore l’atmosphère dès ses premiers échanges avec le shérif – qui n’aimait toujours pas qu’on vienne sur son territoire faire comme s’il n’était pas là.
Grâce à un quadrillage bien coordonné, deux corps humains calcinés furent retrouvés au bout de quarante-minutes. Ils étaient étendus à proximité des décombres d’un refuge de pierre et de bois connu des habitants du coin. Il se dégageait de cette vision sinistre une impression poignante car l’un semblait avoir pris l’autre dans une étreinte protectrice. Sur les os, des prélèvements furent recueillis avec la plus grande précaution. En effet, quelques minces lambeaux fibreux inhabituels, d’un rouge vermillon intense, frappaient le regard car ils contrastaient fortement avec les os brûlés.
Ils n’avaient aucun moyen de savoir s’il s’agissait pour de bon d’un champignon inconnu ou de l’huile rouge qui aurait changé de couleur une fois chauffée à blanc. Après quelques commentaires sur la disposition radiale de ces traces autour des squelettes, Mulder poussa Scully du coude et pointa du doigt un tronc encore miraculeusement debout à quelques mètres de là. Plus haut sous les branches maîtresses, les tristes vestiges d’une caméra de surveillance toute noircie se distinguaient à peine. Un pompier de Talkeetna monta la décrocher. Au passage, il fit tomber un morceau d’étiquette plastifiée un peu fondue qui révéla tout de même sans équivoque le nom de l’association de défense des animaux.
Skinner voulut l’embarquer d’autorité mais, apparemment, il ne suffisait pas de se montrer encore plus intimidant que Scully pour l’obtenir. Il se heurta à un manque de coopération complet de la part du maire Dogherty. Jusque-là, ce dernier avait brillé par son absence. La raison officielle était qu’il passait les fêtes en famille à Anchorage. Dès qu’on l’avait informé de la situation, il était rentré aussitôt et avait tenu à participer aux recherches. Maintenant qu’il était là, lui aussi montrait les dents en faisant bloc avec le shérif. Il argua que l’objet serait enregistré et examiné comme pièce à conviction dans l’enquête préliminaire mais… pas sans l’aval d’un juge. « Une formalité » assura-t-il, juste avant de passer un coup de fil pour faire le nécessaire.
D’ordinaire, Skinner n’en serait pas resté là mais en cette période de l’année, obtenir ces autorisations immédiatement aurait relevé de la gageure. Il fit mine de capituler, tout en enjoignant à ses agents de tâcher de visionner le contenu de cette caméra, sans coercition, tandis que lui-même rentrait à Washington avec les échantillons.
Sur son visage impénétrable, il y avait tant de froideur que Scully crut bon de lui demander s’il avait quelque chose à leur reprocher. Le Directeur adjoint esquissa un sourire très bref et secoua la tête pour dire non. Avant d’y aller, il ajouta comme avec réticence, qu’elle devait toutefois s’attendre à une convocation par ses supérieurs au FBI, pour un complément d’information, et qu’il lui conseillait de s’y préparer.
— Il a peur pour nous, murmura Mulder en voyant son patron s’éloigner. Imagine qu’on ait encore fourré notre nez dans une de ces expériences ignobles de l’Homme à la cigarette ?
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COMMISSARIAT DE TALKEETNA
Consciente qu’il faudrait rentrer le jour même ou le lendemain, Scully se présenta au poste de police, deux heures plus tard. D’un commun accord avec son partenaire et pour tenter de trouver le fil rouge de ce sac de nœuds, elle avait décidé de retourner voir Hurley Lupenstein pour lui commenter le rapport d’autopsie de Presley Wendicott, et le bilan des analyses toxicologiques, obligeamment rapporté de la capitale par le maire.
Face à l’incendie et aux deux nouveaux morts qui accaparaient dorénavant l’attention, son cas était au placard. Mais les mêmes questions demeuraient toujours.
Wendicott avait été noyé par un procédé inexplicable. Rien n’avait été trouvé près de lui. Il était loin de la neige sur sa terrasse, et dans un espace complètement sec. Les blessures qu’il avait au ventre avaient été faites ensuite et par on-ne-savait quel animal. Sans doute pas des lutins.
Mais avait-t-il tué Lenny Krassluk ? On ne pouvait plus l’affirmer si catégoriquement puisqu’aucun examen du cadavre momifié du jeune homme n’avait encore été possible. Si Mulder avait été ici, il lui aurait sans doute dit que Lenny était peut-être simplement mort par le fait de l’huile rouge, le soir où il était allé voler le jeu vidéo… Et que Wendicott s’était peut-être contenté de le trouver mort et de l’enterrer à la va-vite pour cacher le corps. Sauf que… les pelles étaient propres. Et pourquoi creuser alors qu’il lui aurait suffi de le trainer dans son garage, surtout s’il attendait une visite ? Fox avait demandé pourquoi le garçon n’était pas dans le congélateur. Cette vraie bonne question n’avait toujours pas de réponse. Un cannibale récupère un mort encore frais et l’enterre au lieu de le garder ? Cela n’avait rien de logique.
Dès que Mulder aurait fini de son côté, ils devraient suivre la piste donnée par le jeune Popovici qui plaçait Mme Onna sur les lieux, peu de temps avant l’heure estimée du décès.
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Le shérif l’avait fait entrer dans son bureau sans attendre et avait fermé la porte pour plus de confidentialité, avant de la faire asseoir. Il avait écouté silencieusement et à présent qu’elle avait repassé tous les points médicaux en les traduisant, il restait sur son siège, le regard vide.
— Shérif, excusez-moi de vous reposer la question mais est-ce que vous tenez, oui ou non, à ce que ce décès brutal et parfaitement inhabituel soit élucidé ?
Il cligna des yeux avec un petit soupir. De toute évidence, il avait peu dormi lui aussi. Un monumental gobelet de café trônait près de son téléphone.
— Bien sûr que je le souhaite ! grogna-t-il en se frottant la figure. C’est juste que la situation est très compliquée et que le maire compte sur moi pour maintenir le calme. Entre quatre décès, un empoisonnement chimique, un incendie catastrophique et la ruée de vos « cosmonautes », les gens sont déjà nerveux. Mais ce n’est pas fini. Hart a raison sur un point : privés de leur habitat naturel, des animaux sauvages risquent de se rapprocher des habitations. Si c’est déjà un seul animal qui a ravagé le bide de Big Wendy, eh bien, avec plusieurs hectares de forêt de foutus, ça promet de joyeuses Fêtes ! Vous imaginez le cirque, avec des wapitis de cinq cent kilos qui vont bouffer les haies ? Des loups ou des lynx blancs qui vont rôder et fouiller les poubelles ? Quand saura-t-on ce qu’est cette chose qui a décimé les bêtes de ce pauvre Whitstraum ?
— Qui vous en a parlé ?
— Votre exécrable patron... Mon légiste vient d’identifier formellement les corps brûlés comme étant ceux de Caspar et de son rejeton, grâce à leur dossier dentaire et au petit orteil qui manquait à Caspar. Donc, si votre question est en réalité : « Est-ce que je peux vous aider à quelque chose ? », je ne suis pas opposé à l’idée, mais pour l’instant, je ne vois pas à quoi... Où est votre collègue ?
— Il essaie d’obtenir un rendez-vous avec M. Hart. Ce dernier ne comprend pas combien son attitude peut lui valoir de gros ennuis s’il contrecarre une enquête fédérale qui intéresse la direction du FBI.
— « Qui intéresse la direction du FBI », singea-t-il. Vous vous payez ma tête ? Qu’est-ce qu’il y a d’intéressant ? Franchement, je pensais que le FBI avait mieux à faire de ses journées que de compter les terriers de lapins et les nids de hiboux… Depuis les ennuis de Caspar, Hart a simplement placé des caméras pour suivre les déplacements de la faune. Il cherche si les grands prédateurs sont responsables de la mort des cervidés et veut aussi s’assurer que ces carnassiers ne tombent pas malades eux-mêmes en consommant leur viande contaminée.
— Mais raison de plus ! S’il n’y a rien, ce sera vite fini ! Mais le Bureau considère que c’est une question de sécurité sanitaire d’une extrême importance.
— Il faut voir. Onayé a dit que c’était un genre de champignon… Ce n’est pas de ça dont il s’agit ?
Scully le considéra en silence, sans rien répondre d’abord. Les yeux clairs du shérif se plissèrent en fulminant.
— Shérif Lupenstein, répondit-elle calmement, l’agent Mulder et moi ne sommes ni aveugles ni stupides. Nous voyons bien que vous avez vos petits secrets et ne coopérez qu’avec réticence. Libre à vous. Mais il ne faut pas vous étonner si vous vous retrouvez ensuite avec mes supérieurs sur le dos. Si vous voulez faire cavalier seul, pourquoi serions-nous tenus de révéler nos informations ? Cette cascade d'événements étranges, vous voulez y voir une simple malchance. J’espère pour vous que c’est bien le cas…
Elle lui accorda un bref hochement de tête et tourna les talons. Resté seul, Hurley attrapa son café d’un air sombre. Il fit la grimace en le goutant puis appela le standardiste tout fort à travers la cloison parce que personne ne répondait.
— Non mais il y a quelqu’un qui peut m’apporter le double burger que j’ai demandé, à la fin ?
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LYCÉE DE SUSITNA VALLEY
— Fox… Je peux vous appeler Fox ? commença le proviseur Hart pour tenter de se montrer conciliant.
— Non, personne ne m’appelle ainsi. Sauf ma mère.
— Ok, M. Mulder. Voilà ce qu’il en est : la caméra et la cassette sont endommagées, les données sont pour ainsi dire inexploitables. C’est un matériel cher, que j’ai payé de ma poche, et je sais bien que vos services ne daigneront pas me la restituer. Donc je la garde et j’essaierai de voir si je peux la faire réparer.
— Soit. Alors pourquoi ne pas me montrer l’enregistrement ? Si la bande est si endommagée que vous le dites, cela ne devrait pas prendre longtemps.
Serrant les mâchoires, Hart ouvrit un tiroir de son bureau et en sortit l’appareil noirci pour le poser devant lui d’un geste lent.
— Vous ne pourrez rien en faire, insista-t-il en le regardant dans les yeux.
Mulder inclina la tête pour le remercier. Il se saisit de l’objet en le manipulant avec précaution pour commencer la lecture en avance rapide. Le proviseur se leva en annonçant qu’il le laissait le temps d’aller se chercher un café.
La cassette était en effet très abîmée. L’audio était plus ou moins fichue mais en pleine nuit, la caméra passait en infrarouge avec une définition qui restait acceptable. Après dix bonnes minutes à contempler des extraits brouillés et des écureuils curieux venant renifler l’objectif, il commença à penser que Hart n’avait pas menti… Ténacité étant son deuxième prénom, Mulder fit défiler l’enregistrement plus rapidement, avant de stopper, croyant avoir vu des silhouettes bouger. Il rembobina pour repasser les scènes à vitesse normale.
Il reconnut d’abord M. Whitstraum qui parlait à quelqu’un hors champ. Au bord du cadre, le profil d’un cerf se découpa alors ; l’éleveur s’ingéniait à le chasser à grands renforts de gestes larges. Caspar fut interrompu par quelque chose ou quelqu’un. Ses traits tendus et effrayés, le cri qu’il eût l'air de pousser ne laissèrent guère de place au doute : il se sentait menacé. Un nouveau venu venait d’entrer dans le cadre, tournant le dos à la caméra. Sa stature moyenne et sa corpulence ne livraient guère d’indices.
Qui que ce fût, il devint vite manifeste que c’était loin d’être un ami. Sur le côté de la clairière, l’animal hésitant conservait une attitude étrange. Même si sa harde était plus ou moins habituée aux présences humaines, celui-ci semblait semi-domestiqué. Alors qu’il aurait dû fuir dans les taillis, tout au contraire, il cherchait à s’interposer entre les deux hommes, sans se soucier de sa sauvegarde. En vain, car l’assaillant avait contourné l’animal et s’était jeté à la gorge de l’éleveur.
Leur pugilat désordonné n’était visible qu’en pointillés. Sur les images, le cerf piétinait de droite et de gauche en brâmant, puis il chargea à son tour, les bois en avant, dans le but manifeste de repousser ou d’embrocher l’agresseur. Ce dernier se battait hargneusement, mais on ne pouvait entrapercevoir guère plus que son profil de trois quarts, maculé de boue.
L’image suivante la plus nette montrait Caspar Whitstraum immobile, tête basse et les épaules voûtées. Puis il s’accroupit pour être à niveau de l’autre homme par terre et lui toucha l’épaule, comme pour vérifier son état. A ce moment, le blessé sursauta et essaya de se remettre debout. Son mouvement brusque fit reculer l’éleveur qui ne s’y attendait pas.
Mulder essaya de zoomer. L’image sauta encore. Un genou à terre, Caspar regardait avec effroi la paume de sa main ensanglantée. Son air n’était pas celui d’un vainqueur qui avait réussi à sauver sa peau.
Et quelques secondes plus tard, l'homme encorné était de nouveau sur pieds.
L’enregistrement alterna entre friture neigeuse et distorsions zébrées. Ensuite, quelques images nettes montraient Whitstraum, l’anorak en feu, qui lançait le briquet allumé vers le cerf. La bête, criait devant les flammes, sans plus pouvoir s’approcher. Au travers des fumées qui commençaient à opacifier les scènes, Mulder put distinguer brièvement Caspar, transformé en torche humaine, réussissant à faire tomber son agresseur et à se coucher délibérément sur lui, en l’emprisonnant étroitement dans une prise d’ours. Semblant toujours en vie, le blessé ruait furieusement pour se dégager de sa prison et des flammes qui le gagnaient. Cette position n’était pas un geste de protection mais… de rétention !
Le feu se répandait. Mulder zooma le plus possible sur les corps embrasés, ce qui lui permit de réaliser qu’en un clin d’œil, le visage du supplicié était redevenu propre. Cela avait été si rapide qu’il dût faire avancer la bande image par image… La boue qui couvrait son masque de souffrance avait glissé d’un seul coup, révélant ses joues glabres et blanches. Deux interrogations venaient d’être répondues d’un coup. Cette boue n’en était pas une, et l’agresseur mystère était identifiable sans difficulté : il s’agissait de Beaver Whitstraum.
Ensuite, il n’y eut plus que des flammes.
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Inspirant profondément, Mulder éteignit le caméscope et le garda entre ses mains quelques instants, ressassant ce qu’il venait de voir, cherchant les implications de ce dont il venait d’être témoin et ce qu’il allait en faire. En parler à son copain le shérif ? Sûrement… ?
Comme s’il guettait ce moment, Hart le rejoignit, son café à la main, et il s’assit sur un coin de sa table en poussant ce qui s’y trouvait.
— Alors ? Vous avez trouvé quelque chose dans ce drame social qui puisse intéresser vos services ?
— Un meurtre.
— Certes. Mais bon courage pour mettre le coupable en prison…. Agent Mulder, c’est une tragédie atroce. Un homme respecté de notre communauté a été pris de folie, à force d’assister impuissant à la mort de son cheptel. Ses années de travail foutues en l’air en quelques saisons. Des dettes qu’il ne pourrait jamais rembourser. Sa femme morte trois mois plus tôt… Whitstraum n’a pas tenu le choc. Il s’est suicidé et a tué son garçon avec lui alors qu’il tentait de l’empêcher de se supprimer. Caspar est peut-être le meurtrier mais c’est aussi une victime.
— Comme Presley Wendicott…
— C’est ça, parlons-en de celui-là ! Wendicott était un monstre vivant sous notre nez. J’ai parlé avec les parents d’élèves, ils sont très choqués. Big Wendy s’est fait dévorer par des charognards sans doute attirés par le corps de Lenny. Vous voulez que je vous répète ce que disent les parents ? Pardonnez, mais ça relève plutôt du « Bien fait pour sa sale gueule à ce pourri, il le méritait ». Plusieurs ont déjà demandé à Lupenstein de faire retourner tout le jardin pour voir si d’autres ossements de disparus ne se trouveraient pas dessous. Ces affaires sont sordides et désolantes, mais elles relèvent de la police pas du FBI... Alors si votre patron est obsédé par un champignon visqueux, grand bien lui fasse ! Mais pour nous, cette famille que nous connaissions et que nous aimions bien, est réduite à néant. Ils étaient importants pour nous. Votre patron va regarder la cassette et tout ce qu’il verra, c’est : pas de champignons rouges et un bouseux qui a tué son môme. Alors pour moi, la vérité qui sera bonne à dire, ce sera que les Whitstraum ont péri tous les deux dans un dramatique incendie. En soi, c’est déjà suffisamment horrible sans en rajouter.
Mulder grimaça. Il s’était fait une profession de ne pas se contenter des vérités qui arrangeaient (ou n’arrangeaient pas) tout le monde.
— M. Hart, la vérité est la seule chose au monde qui ne peut être embellie sans qu’elle périsse[1]...
— Oh, je sais ce que vous pensez. Vous vous dites que je préfère me raconter une belle histoire pour éviter de regarder la vérité en face. Mais c’est normal, agent Mulder. Si vous perdiez un proche et dans des circonstances violentes – ce que je ne vous souhaite évidemment pas – vous allez vous aussi faire la même chose, et vous vous cramponnerez à cette invention pour survivre à ce non-sens. Quand vous serez prêt, vous réaliserez alors que cette fable que vous vous racontiez, ce n’était en réalité que le voile pudique masquant la vérité. On dit qu’elle est toute nue, mais il faut bien voir, par contre, qu’elle est souvent sacrément laide…
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DENALI OVERLOOK INN
La chaleureuse lumière du soleil déclinant illuminait les murs pâles du salon du lodge. Les deux agents s’y étaient retrouvés, après avoir fait chou blanc, chacun de leur côté. Rêveusement allongé sur l’un des voluptueux canapés de cuir bleu qui s’y trouvaient, Mulder avait dénoué sa cravate, et il reposait sa nuque sur l’accoudoir, perdu dans la contemplation inattentive du plafond gansé de frisette en érable ciré. En réalité, il se repassait en boucle les mots du proviseur. Il n’aurait su le contredire sur le fond. Il voyait bien où l’avait conduit sa quête de vérité concernant l’enlèvement de sa sœur cadette… Hart avait parlé juste mais au hasard. Comment aurait-il pu savoir ? Il chassa ces pensées pour se réintéresser au monde extérieur.
— C’était pas mal finalement cet endroit, commenta-t-il en jetant des yeux appréciateurs sur le mobilier de noyer clair.
La vaste pièce était percée de nombreuses fenêtres larges qui mettaient en valeur les solives en bois.
— Tu veux dire que tu regrettes de ne pas y avoir passé plus de temps ?
Jambes croisées sur un pantalon chaud, Scully feuilletait distraitement un guide touristique sur le canapé d’en face, histoire de prendre connaissance des activités qu’elle avait ratées. Avec un peu de chance, elle en mémoriserait assez pour raconter de petits mensonges à « sa famille qui s’inquiétait ». Posée sur la table basse entre eux deux, une tasse fumante embaumait l’Earl Grey.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
Elle nota ses doigts nerveux qui jouaient avec son bracelet-montre depuis qu’ils s’étaient installés là, dix minutes plus tôt.
— Tu as un rendez-vous quelque part ?
— Non, avec qui ?
— Yuki Onna ?
Il sourit en coin et secoua la tête.
— Pas du tout. Ma question était : qu’est-ce qu’on fait de cette affaire ? Pas de preuves, pas de témoins fiables… Le shérif et le maire ne voient pas que tout est lié. Mais on a vu ce qu’on a vu. Cette chose rouge, sur Lenny et aussi sur Beaver, elle existe. Voilà ma théorie. Les deux ados sont rentrés en contact avec l’huile rouge sur le domaine du père de Beaver. Après avoir essayé sans succès sur les animaux, elle a trouvé ce qu’il lui fallait avec des humains. Quand Lenny va chez Wendicott, il essaie d’en faire également un nouvel incubateur. En se défendant, ce dernier tue Lenny puis, mort de trouille après avoir vu la substance vivante – et l’appétit complètement coupé –, Wendicott se débarrasse du corps vite et mal. Pendant ce temps, Beaver sous influence va se cacher. Son père le retrouve et réalise que son fils n’est plus son fils mais quelque chose d’autre qui le terrifie. Lui aussi se défend, plus ou moins bien… Ils se disent quelque chose sur la cassette mais je n’ai pas pu entendre. Mais Caspar est désespéré. Tout se tient s’il a réalisé qu’il avait tout perdu. La substance a été trouvée sur son domaine, elle a tué ses bêtes, elle a pris son fils unique… En réalisant ce qu’il a fait à son enfant, en voyant l’huile bouger sur sa propre main, il préfère alors s’immoler et détruire toute sa forêt pour tenter d’empêcher ce mal insidieux de se répandre davantage.
— La découverte d’une telle espèce inconnue intelligente et agressive, à elle seule justifierait le maintien de notre service… Les pontes n’ont pas besoin de savoir qu’on l’a trouvée par hasard. Mais je ne pense pas qu’on va pouvoir faire grand-chose de plus car j’imagine que c’est une question d’heure avant que Skinner nous rappelle pour nous demander de rentrer immédiatement...
— Je m’en doute. Mais on ne sait toujours pas de quoi est mort Wendicott ? Hart fait circuler l’idée que c’était des charognards.
— Avec cette pagaille, j’ai oublié de te dire que j’ai enfin reçu les résultats de ses analyses. C’est regrettable à dire mais M. Wendicott était en parfaite santé. Par contre, on a retrouvé dans son sang un cocktail d’alcaloïdes qu’on trouve en général dans le datura, la belladone et l’hellébore. On appelle ces plantes les belles vénéneuses du jardin. En quantité suffisante, ça peut tuer un homme adulte en quelques heures.
— Wendicott aurait été empoisonné ?
— J’aurais bien dit oui, mais le problème, c’est qu’il n’y en avait justement pas assez. Ça aurait été intéressant de savoir dans quels jardins de la ville on peut en trouver. Le faux hellébore par exemple, est appelé la rose de Noël parce qu’il fleurit l’hiver. La question que je me pose, c’est quel est le rapport entre ces poisons et l’eau dans ses poumons ? Car il est bien mort noyé…
— S’il nous faut repartir vers la civilisation bitumée avant même d’avoir eu le fin mot de l’histoire, il faut remédier à ça…
Avec un petit sourire malin, Fox se retourna à demi pour s’appuyer sur un coude. D’un ton de gamin plaintif, largement en dessous de son âge, il demanda :
— C’est mon cadeau de Noël, Scully. Raconte-moi une histoire loufoque expliquant le funeste destin du cannibale…
— Mulder… soupira-t-elle.
— Allez, tu dois t’entraîner pour ton neveu. « Il était une fois, dans un village perdu au fond d’une vallée enneigée, un jeune garçon téméraire qui s’était approché trop près de la tanière d’un Ogre des montagnes… »
— Mon neveu est beaucoup trop petit.
— Scully, s’il te plait, c’est ta dernière occasion…
Son téléphone sonna. Avec l’air de penser qu’elle était sauvée par le gong, elle dégagea ses cheveux derrière l’oreille pour prendre l’appel, en souriant un peu à son tour. Son partenaire lui fit la grimace.
— Directeur Adjoint Skinner, rebonjour, vous avez fait vite… Bien sûr… Naturellement... Je lui transmets… Est-ce que ça souffre d’attendre le 26 ou je dois dire à ma famille qu’ils ne me verront pas ?
Mulder ricana tout bas en entendant le ton culpabilisateur qu’elle venait de prendre. Redoutable.
(suite et fin dans l'Épilogue)
[1] Citation de Jean Rostand.