The X-Mas Files : Trust no Onna
CLINIQUE médicale SUNSHINE HEALTH CENTER, TALKEETNA
Pendant que Mulder informait M. Mendelson Père que son fils était en état d’arrestation au commissariat, Scully retournait voir Tracker Popovici. Légèrement sédaté, le jeune homme n’était pas en état de parler pour l’instant, les mains entourées de bandelettes montant assez haut jusqu’au coude.
Pas désireuse de le déranger, elle chercha le médecin de garde. Celui-ci lui confirma qu’il s’agissait d’une réaction allergique à un fongicide puissant, absorbé en quantité suffisante pour produire de tels effets secondaires et irritations cutanées. Tracker Popovici était le plus fortement touché, parce qu’il s’était trouvé en contact direct du produit, alors que les autres jeunes gens en avaient ingéré de faibles quantités et sur lesquelles la cuisson avait pu jouer. Le médecin lui assura également que les échantillons de peau et flacons de sang avaient bien été envoyés à l’hôpital le mieux équipé de la région pour obtenir les meilleurs résultats, mais qu’on ne connaîtrait la composition très précise que dans plusieurs heures. D’ici là, les enfants les plus atteints et dont la vie n'était pas menacée, était soignés selon les procédures classiques de décontamination.
Quand elle retrouva Mulder, elle l’informa un peu froidement de ce qu’elle venait d’apprendre, et qu’elle descendait à la morgue pour s’occuper du cas de Wendicott. S’il n’avait pas peur d’être impressionné par la « puissance médicale » en action, il pouvait la rejoindre.
Comme cette dernière réplique indiquait qu’elle était toujours en rogne, il lui avoua qu’il avait un coup de barre et qu’il allait d’abord avaler un café et un des cookies restés dans la boîte à gants. Et comme il ne lui en proposa pas, elle jeta ce même regard impatienté et fâché pendant qu’elle allait d’un pas très altier exécuter son travail important.
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Quand il redescendit au sous-sol un peu plus tard, avec un gobelet fumant et une part de cake pour elle, il la trouva en train de scruter un poumon qu’elle venait de sortir du plateau d’une balance.
— Tu as trouvé quelque chose d’intéressant ? demanda-t-il en tenant le petit goûter à distance de toute éclaboussure.
— Oui on peut dire ça. Figure-toi que Presley Wendicott est mort noyé.
Elle disait ça très sérieusement, clignant des yeux pensifs derrière ses grandes lunettes en plastique et ses gants rougis en l’air.
— Et comment tu expliques ça ?
— Je ne fais que le constater. Il a de l’eau plein les poumons.
— D’abord un ogre des montagnes, des morsures de non-Dracula, des bonhommes de pain d’épice tueurs, c’est moi ou cette enquête devient de plus en plus bizarre ? Il n’y a aucune autre cause de décès ?
— En l’état, non. Mais Il reste à savoir s’il prenait des médicaments et s’il avait mangé quelque chose qui aurait pu interagir. J’ai repéré sur sa jambe droite une griffure, mais comme il travaillait dans son jardin, il a pu se blesser avec un épineux dans sa haie. C’est très frustrant. Écoute, puisqu'on est là, laisse-moi jeter un bref coup d'œil à Lenny Krassluk… Et après, je m’arrête pour aujourd'hui.
Elle retira ses gants souillés pour se saisir du gobelet que Mulder tenait toujours. Elle but le café d’une traite. Pendant qu’elle se restaurait, il alla lire les noms inscrits sur les tiroirs réfrigérés. Pour l’heure, il n’y en avait guère. Il ouvrit la porte de celui qui correspondait à Lenny, et recula immédiatement avec un hoquet.
Pris à la gorge par une puanteur surprenante, Mulder fit plusieurs pas en arrière. Malgré la réfrigération, le corps du jeune homme ressemblait à une momie dégoulinante, baignant dans un liquide visqueux et rouge sombre qui se mit à couler aussitôt comme s’il était animé d’une vie propre.
— Mulder, recule !
Leurs regards se rencontrèrent immédiatement. Ce liquide ressemblait bien trop à un virus alien auquel ils avaient eu le malheur d'être confrontés plusieurs fois. Très agressive et toxique, cette entité consciente désignée le plus souvent sous l’appellation « d’huile noire », cherchait à prendre le contrôle de corps humains ou aliens, afin de se reproduire et d’asseoir sa domination sur l’univers.
Profitant de leur stupeur momentanée, le fluide épais glissa rapidement le long du caisson réfrigéré, en abandonnant la dépouille momifiée de Lenny. Anticipant une attaque imminente, les deux agents fébriles cherchèrent partout autour de la pièce de quoi les aider à se protéger les yeux et la bouche, qui étaient l’habituel point d’entrée, et de quoi se défendre ou faire reculer la chose. En désespoir de cause, il leur fallu se contenter du contenu d’un extincteur et d’un détergent hospitalier puissant. Mais contre toute attente, la substance les évita et s’enfuit prestement, par l’évacuation d’un bac de lavage intégré à une table d’autopsie voisine.
Assommés par la découverte d’une entité toxique de cet ordre, la réalisation qu’ils auraient pu mourir ici-même en contribuant à propager ce nouveau « virus », et par un sentiment de honte de se sentir toujours en vie, ils demeurèrent un petit instant atones, les yeux fixés là où avait disparu la dernière goutte dans le syphon. En rejoignant le tout à l’égout pour se disperser dans la nature, la chose pourrait engendrer des conséquences désastreuses.
— Scully, comme tu sais, les personnes infectées par l’huile noire émettent des radiations mortelles. Est-il possible que les brûlures sur les mains de Tracker viennent plutôt de là ? Leur pote Beaver qu’on ne retrouve pas, a-t-il été investi par ce variant ? Il lui aurait suffi de déclencher le boost radioactif qu’on connait…
Elle respira profondément pour tenter de faire revenir les battements de son cœur à la normale.
— Non. Tracker s’en souviendrait. Le plus logique est qu’il ait hérité du fongicide que préparait M. Onayé en pensant avoir affaire à un champignon. On se retrouve maintenant avec la possibilité d’une infection directe pour les deux garçons qui restent, Wallie et Beaver, plus Whitstraum et Onayé lui-même ; et si c’est le cas, il faut l’empêcher de venir ici...
Mulder s’approcha de sa coéquipière quand il vit que ses mains sûres de chirurgienne tremblaient encore un peu sous un violent pic d’anxiété qu’il ressentait lui-même. Sans un mot, il l’enlaça une dizaine de secondes avant de prononcer l'évidence qu’ils auraient aimé ne pas avoir à gérer ici et maintenant, privés des ressources du Bureau :
— J’appelle ton soupirant le shérif. Lui et l’infirmière ont des chances d’y rester ou de servir d’incubateurs. Dans tous les cas, il faut retrouver Beaver et tous ceux qui ont pu être touchés.
— Vas-y, je prends contact avec Skinner pour qu’il déclenche la quarantaine.
Ce qui ne devait être qu’une petite escapade farfelue venait de basculer dans l’horreur. Ils avaient mis le doigt par hasard sur une possible variante. D’un air las, elle lui dit qu’elle retournait voir le jeune Popovici pour finir de l’interroger et savoir s’il pouvait livrer la moindre bribe d’information sur ce qu’il avait vu d’autre.
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Le garçon l’accueillit en ouvrant un œil, puis voyant que c’était elle, il se redressa et remonta haut les draps sur lui, tâchant de cacher qu’il était en train d’essayer de se gratter les poignets. Il demanda anxieusement :
— Alors, il a trouvé un truc, Mendelson ?
Elle parvint à se souvenir que le petit était focalisé sur les nains de jardin.
— Non, il n’a pas pu. Le shérif l’a mis en cellule quand il a appris que vous êtes entrés par effraction chez M. Onayé. Et comme vos biscuits ont rendu très malades des dizaines de personnes, il va être traité comme un petit délinquant.
— Moi aussi ?
— Très probablement. Mais je pense toutefois que le shérif va avoir de plus gros problèmes à gérer…
— Et Beaver, lui, il va s’en tirer comme ça ? s’agaça le garçon. C’est lui qui voulait le Diablo du gros Wendicott. C’est lui qui a tout manigancé pour qu’on lui vende des gâteaux, à lui et d’autres gens pour noyer le poisson, et il a obligé Lenny à aller le voler en passant par l’arrière de sa maison.
— Tracker, je suis navrée d’avoir à t’apprendre une très mauvaise nouvelle. Lenny est en réalité mort il y a plusieurs jours, possiblement le jour même où il a essayé de voler ce jeu. On l’a retrouvé enterré dans le jardin de M. Wendicott. On suppose que c’est lui qui a tué Lenny mais l’enquête n’est pas finie. Ton ami Beaver ne va pas s’en tirer « comme ça », non. Mais pour le moment, il est introuvable. As-tu une idée d’où il pourrait être ?
Les larmes aux yeux, le garçon secoua tristement sa tête bouclée et elle annonça qu’elle reviendrait un peu plus tard, pensant qu’il n’aimerait pas pleurer devant elle. Au lieu de ça, il sembla se souvenir de quelque chose et fronça les sourcils.
— Mais alors… personne ne fait rien pour les lutins de jardin ?!
— Écoute, tu as vu des choses, ou tu crois en avoir vu, à cause de substances toxiques avec lesquelles tu as été en contact dans la cuisine de M. Onayé. On ne sait pas encore pourquoi il y en avait. As-tu touché de la poudre que tu aurais prise pour du sucre ? Des granulés ? Ou… un sirop d’érable épais peut-être ?
— Ah ça je sais pas. La cuisine, c’est vrai qu’elle était pas hyper propre mais c’est Mental qui a fait le ménage… Mais pour les lutins, tenez, vous allez voir si je mens ! s’échauffa-t-il. Regardez, ils ont essayé de me mordre au mollet et ils m’ont griffé !
Il exhiba sa maigre jambe poilue de sous les draps et essaya de la tourner sans perdre sa dignité dans l’opération.
— C’est une hallucination qui m’a fait ça, peut-être ?
Scully se pencha pour regarder, sans le toucher au cas où la fine entaille aurait été douloureuse. Elle sortit la petite lampe de poche qu’elle avait sur elle en permanence, pour scruter la marque qu'il avait dans la partie charnue.
— C’est une belle griffure que tu as là. Et j’en ai déjà vu une comme celle-là sur M. Wendicott. Pourquoi personne ne t’a-t-il soigné ?
— Bizarrement, les gens ont tendance à pas vouloir m'écouter et me faire taire quand je dis que j’ai vu des lutins maléfiques et qu'ils m’ont fait ça…
— Quand est-ce arrivé ?
— Le lendemain soir où on devait faire le coup.
— Ça te fait mal ?
— Non, je ne sentais rien. Mais genre plus rien. Quand j’appuyais, c’était comme si je touchais un bout de bois, vous voyez. C’était engourdi, ça faisait bizarre.
— Raconte-moi, demanda-t-elle de sa voix la plus apaisante, en s’asseyant sur la chaise près du lit. Comment ça s’est passé exactement ?
Par la porte ouverte, elle vit Mulder au téléphone et lui fit signe de revenir. Ce dernier continua quelques instants avant de raccrocher avec un « D’accord, shérif » qui la surprit.
— Quand j’ai vu que Lenny ne revenait pas ce jour-là, j’ai essayé de l’appeler, commença le jeune garçon. Je pensais que son bipeur était foutu parce qu’il ne répondait pas. Alors je suis passé chez lui, il y était pas. Je suis allé chez Beaver au cas où il aurait voulu essayer le jeu tout de suite, il y était pas. Ça m’a inquiété alors j’ai voulu aller dans le jardin chez Wendicott. J’ai vu la boîte de jeu dans l’allée et ça m’a étonné qu’elle soit là, à traîner dans l’herbe pleine de neige. Je trouvais ça nul qu’il l’ait laissée tomber mais c’était peut-être pour pas se faire choper… J’aurais bien voulu aller la chercher mais j’ai vu Mme Yuki qui remontait l’allée, furax encore, à cause des plantations et décorations pas réglementaires d’après le cahier décharge du quartier. Je ne sais pas ce que ça veut dire, c’est quand même pas si pourri. Pourquoi dire que c’est une décharge ? Bref, ils pouvaient me voir, je suis parti.
— Tu n’as pas entendu ce qu’ils se disaient ?
— Oh ils s’engueulent tout le temps, et pour rien. Mme Yuki, elle disait : « C’est terminé, c’est terminé. Tu dégages ! » ou un truc comme ça. Et lui il disait « Dans tes rêves, pétasse, je suis chez moi, t’as aucun droit de me faire partir et ton règlement de mes deux, tu peux te le mettre au cul ! » Et bla bla bla. Grosse fight, quoi. Comme ça pouvait durer longtemps, je suis reparti en me disant que je reviendrais plus tard.
— Tu l’as fait ?
— Bah ouais, Lenny n’avait recontacté personne, alors je suis allé voir et surtout écouter. Il y en a qui disent que le gros enferme des gens à la cave et fait des trucs dégueu avec. Moi j’avais peur pour Lenny parce que ça faisait plusieurs jours qu’il le regardait bizarrement quand on passait devant chez lui. On parlait fort, tout ça, pour bien montrer qu’il avait des amis.
— Quand tu y es retourné, c’était environ quelle heure ?
— Oh je sais pas trop. Avant dix heures, parce que l'éclairage de la rue était encore allumé. Mais bon, je savais qu’il y avait la lune, donc ça allait, s’il fallait se planquer et rentrer plus tard, on y verrait un peu clair.
— Tu as vu Lenny ?
— Toujours pas. Par contre, j’ai vu Mme Yuki et Big Wendy qui s’embrassaient du côté de sa terrasse. J’ai failli vomir et je suis encore reparti faire un tour. Quand je suis revenu pas très longtemps après, tout était calme. Le jeu était toujours dans l’allée. J’étais au niveau de la boîte aux lettres et c’est là que j’ai vu un tas de lutins-nains tous alignés à l’envers. Je me souviens avoir pensé que c’était une déco bien naze. Mais quand je me suis approché pour chercher le jeu, j’ai marché sur un truc qui a craqué. Ils se sont tous retournés et j’ai vu leurs yeux et leurs dents et ils ont commencé à me courser !
— D’accord, Tracker. Donc ce que tu dis, c’est qu'entre neuf et dix heures, Presley Wendicott était en vie et avec Yuki Onna ?
— Oui et quand je me suis repointé, des lutins regardaient tous quelque chose vers la haie. Et après, ils ont essayé de m’attraper pour me mordre. Notez bien ça, dans votre carnet.
Sans rien dire, Mulder agita son calepin comme pour sous-entendre que c’était fait et le salua d’un hochement de tête.
Scully sortit de la chambre pour le laisser se reposer et débriefer avec son équipier. La première chose qu’il voulut savoir, c’était ce qu'avait dit Skinner et quand est-ce qu’il débarquerait. La réponse était sans surprise : dès le lendemain.
— J’ai réussi à joindre le shérif et j’ai appris des choses édifiantes. Il est en train d’arriver. Onayé est en vie, le shérif l'a trouvé en parfaite santé et l’a fait parler. Il a raconté que c’était Caspar Whitstraum qui lui avait demandé de l’aide pour son troupeau. Il pensait à un virus mais avait remarqué que les bois de ses bêtes étaient enduits d’une chose poisseuse et qu’ils tombaient malades et mouraient dès qu’ils en avaient ; et que les femelles avaient mis bas des petits difformes. Quand Whitstraum a fini par trouver où ses animaux allaient se frotter, il a apporté un échantillon de ce qui lui semblait être, je cite « un genre de pétrole brun rouge » pour qu’il l’analyse. Onayé en a déduit que ça pouvait être une sorte de champignon parasite d’une espèce inconnue, et il a essayé de mettre au point différents pesticides pour en venir à bout. Il a affirmé ne pas avoir encore testé ces produits.
— Il travaillait dans sa cuisine ?
— De temps à autre, mais à sa décharge, comment aurait-il pu deviner que des gamins allaient s’introduire chez lui ? Le shérif le ramène actuellement pour qu’il puisse discuter avec les médecins et leur donner la composition plus rapidement. A propos, « Beaver » de son vrai nom Robert, s’avère être le fils de Whitstraum.
— Et il sait où pourrait être son fils ?
— Il a parlé d’un refuge dans la forêt et est parti vérifier s’il y était.
— Tu n’as pas encore alerté le shérif à propos de ce qu’on a vu dans la morgue ?
— Hey, je ne suis pas dans l'équipe Popovitch, moi ! Ce qui reste de Lenny est « normal » si ce n’est qu’il a l’air mort depuis beaucoup plus de temps. Tu me vois parler d’une entité alien liquide à Lupenstein ? Ce n’est pas le genre réceptif à ce qu’on vit tous les jours. On n’a aucune preuve tangible à présenter, il m’aurait pris pour un demeuré... Je laisse Skinner lui trouver un bobard justifiant la quarantaine.
Elle n’était pas loin de penser que cette nuit n'en finirait jamais. Mulder savait, sans qu’elle ait besoin de le dire, qu’elle était très inquiète pour les Whitstraum. En admettant qu’elle parvienne à convaincre les autorités que Caspar et son fils couraient un grand danger et qu’il fallait organiser dès le matin des recherches pour les retrouver, ils pourraient être déjà morts tous les deux depuis des heures. Et même si Skinner venait au plus tôt, ça risquait toujours d'être trop tard.
La connaissant, il se figurait qu’elle aurait dû mal à fermer l’œil pendant qu’une menace terrifiante avait tout le temps de se déployer. Sans surprise donc, elle refusa d’aller dormir quelques heures en disant qu’elle avait déjà enchaîné bien des gardes en faisant médecine. Elle l’avertit qu’elle sortait juste prendre l’air quelques instants, arguant que le froid lui donnerait un coup de fouet. Il la laissa aller, non sans ajouter pour la faire sourire un peu :
— Ouais, mais fais attention à tes mollets, les lutins de Noël sont agressifs dans le coin !
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Près de la porte d’accès de l’hôpital, Scully trouva l’infirmière Adine qui fumait. Par courtoisie, elle éteignit aussitôt sa cigarette et lui posa des questions sur l’état des enfants et ce qui l’inquiétait à propos du chercheur bougon. Alors qu’elles allaient regagner le hall car il faisait franchement froid, elles virent soudain un cerf de grande taille sortir de la haie masquant le parking attenant. Prudente, la bête resta en lisière sans bouger.
— Mais qu’est-ce qu’il fait en pleine ville ? Il n’a pas peur ? questionna-t-elle.
— Cela arrive assez souvent. Quand c’est un cerf, ça va ; un loup, on peut l’attirer plus loin avec un morceau de viande en faisant bien attention. Mais quand il y a un ours, non. Il ne faut pas exagérer. On appelle le vétérinaire qui amène des tranquillisants pour l’endormir et pouvoir le redéposer dans la forêt.
— Est-ce que ce serait l’une des bêtes de M. Whitstraum, qui aurait pu s’échapper de son enclos ? J’ai cru comprendre que les terres où ils vivent sont… moins hospitalières. Il cherche de la nourriture ?
— Ce n'est pas vraiment un enclos. Il y a une barrière mais le domaine s'étend plutôt dans la partie boisée, bien que les caribous ne dédaignent pas les prairies. C’est un crève-cœur de voir ces splendides animaux dépérir les uns après les autres. J’étais amie avec Helgë Whitstraum, elle m’en parlait souvent. Je pense qu’il y a un autre problème. Une source polluée peut-être. Oh, regardez, il vient vers vous.
Le cerf s’approcha et d’instinct, elles restèrent tranquilles car il était très imposant. Aucune ne tenait à se faire embrocher en cas de geste trop brusque.
— Qu'est-ce que tu veux, toi ? lui demanda Scully. Je n’ai rien à manger pour toi… Est-ce que vous pensez qu’il peut chercher Caspar ?
— C’est peu probable. C’est bizarre, son regard est particulier, on dirait qu'il nous comprend. Qu’est-ce qu’il peut bien penser trouver ici ?
L’animal la poussa légèrement deux fois du bout de son museau sur son manteau.
— Mme Adine,[1] ce serait peut-être le moment de prévenir le vétérinaire. Avec M. Whitstraum parti chercher son fils dans la montagne, Dieu sait quand il va revenir pour le ramener au domaine. Cet animal sera mieux dans son environnement familier.
Le cerf pencha la tête de côté comme s’il s'étirait la nuque ployant sous son impressionnante ramure et puis fit simplement demi-tour, pour s’en repartir exactement comme il était venu.
L’expérience de cette rencontre avec ce regard brillant d’intelligence et de compassion la bouleversait. Cette scène lui avait donné l’impression qu’elle avait rencontré un grand esprit de la forêt. Puis la rationalité reprit le dessus pour chasser le conte de fée, mais non sans reconnaître que l’intelligence des animaux ou leur sensibilité n’avait rien de surnaturel.
A peine quelques heures plus tard, au matin, Mulder et elle s'étaient enfin assoupis dans leurs chambres de l’agréable lodge pour lequel elle avait cassé sa tirelire. Ils furent tirés du sommeil en fanfare par les sirènes des pompiers.
La forêt du domaine Whitstraum était en feu.
(à suivre)
[1] Dernière apparition de l’infirmière Beth Adine. Mais j’aurais tout aussi bien pu vous présenter son collègue Arnie Khan.