The X-Mas Files : Trust no Onna
Chapitre 6 : Epilogue : la vérité était ailleurs
5599 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour il y a 4 mois
Épilogue : la vérité était ailleurs
DOMICILE DE PRESLEY WENDICOTT, SOIR DU 18 DÉCEMBRE
Enveloppée dans un chaud kimono blanc finement ouvragé, plantée au milieu de son salon qui avait tout d’une cabane de rondins cosy, la brune Yuki écarquillait les yeux sur les lutins d’un air courroucé. Aucun d’entre eux ne paraissait pourtant manifester la moindre malice. Dans leurs petits souliers, ils s’étaient poliment décoiffés et tenaient leur bonnet devant eux alors qu’elle les interrogeait. En les apercevant furtivement entrer chez elle, le facteur avait interrompu sa tournée et s’était invité de lui-même à leur suite. Il s’avança d’un pas, un colis encore sous le bras.
— Dame Yukionna, abonda-t-il, les lutins ne mentent probablement pas. J’étais à côté des quatre gamins à faire ma tournée quand je les ai entendus parler de leur plan. Le fils du Castor est une tête brûlée et il faut l’empêcher à tout prix de s’approcher de la maison du Wendigo. Cet imbécile nous met tous en danger. Quelqu’un va finir par additionner deux et deux et venir fouiner…
— Je sais, Klaus, répondit-elle d’un ton sec et glacial.
— Vous savez, vous savez, mais vous ne faites rien ! Vous attendez quoi ? Un énième sacrifice de trop ?
— J’ai les mains liées, et tu le sais bien. Je ne peux pas agir sans l’autorisation expresse des morphiques. S’affranchir des règles, c’est justement ce que fait ce Presley de malheur. Je ne vais pas me mettre à faire la même chose, si ?
Le chef des lutins, le plus grand et le plus fort – celui dont l’uniforme de travail copiait l’image d’Epinal du Père Noël – se racla la gorge pour demander la parole.
— Tout de même... Nous vivons sur vos terres du Nord et vous nous hébergez gratuitement. La Charte de conduite est une bonne chose, mais nous pensons que votre voix devrait avoir plus d’importance. Les humains-garous, là… Ils considèrent qu’ils doivent être en charge de tout, parce que soi-disant qu’ils peuvent se fondre parmi les habitants. Mais… vous aussi, non ? Vous êtes un yokai particulièrement ressemblant. Nous autres, dès qu’on ouvre la bouche, on se fait repérer avec nos dents…
L’Esprit des Neiges soupira et de la vapeur blanche sortit de ses lèvres. La tête penchée sur le côté, elle débattit avec elle-même de la meilleure attitude à adopter, ce qui fit pleuvoir quelques flocons sur ses cheveux longs.
— Très bien. Quel était le plan de l’enfant-Raton ?
— Il veut envoyer le Nouveau dans la gueule du loup. Enfin, pas… du Loup-du Loup, hein ? Vous voyez ce que je veux dire.
— Le nouveau, il a un nom il s’appelle Piotr, indiqua-t-elle. Beaver comprendra quand il connaîtra son héritage dans quelques années. Mais en attendant, je vais encore essayer d’aller parler au wendigo. Honnêtement, je pense qu’il se fichera bien de ce que je peux dire. Klaus, tu m’accuses de ne rien faire, mais est-ce que les anthropomorphes ont pris l’ombre d’une décision ? Presley pense que Lups ne lui fera rien sous prétexte qu’il a déjà mangé des petits à capuche rouge autrefois. Mais de quoi on aurait l’air si des immigrants se font tuer si peu de temps après leur arrivée ?
— Euh, je crois que les humains-garous ne sont pas tous bien au courant pour les dérives de l’Ogre, risqua le Grand Lutin.
— Quoi ?? s’indigna Yuki Onna.
— Ok, moi je vous laisse, je ne peux pas rester. J’ai une tonne de colis à livrer et avec tout ça, la carriole n’a plus de rennes. Je vais devoir ressortir le traîneau et trouver un autre animal volant pour le tracter. A deux jours de Noël, merci bien ! Je vois d’ici que ça va me couter une fortune. Je vais devoir augmenter les frais de port, ronchonna Klaus Dos Santos.
— Allez-y, M. le facteur, allez-y. On va se débrouiller. Écoutez dame Yukionna, reprit le Maître Lutin, nous on est avec vous. Si vous voulez, on part devant et on essaie de retenir l’Ogre. A force de faire le pied de grue statufiés dans les jardins, on a ramassé des plantes. Avec un petit cocktail bien dosé, il sera ralenti, un peu paralysé peut-être, et il ne pourra pas courir vite. On ne sait pas, ça suffirait pour que le nouveau soit en sécurité ?
— Je l’espère. Le Loup n’est pas encore rentré de sa traque avec le Limier. Il paraît que les lycanthropes ont migré au sud et sont devenus intenables. Ils n’étaient pas trop de deux.
— Bon, on inocule l’ogre et on se place en surveillance. S’il y a le moindre truc de travers, je vous fais prévenir…
— Faites. Mais si Big Wendy s’en prend encore à un cheveu d’un petit, ou au nouveau qui fait tous les efforts pour s’intégrer de son mieux, cet impudent, je vais lui souffler dans les bronches !
.
JARDIN DE PRESLEY WENDICOTT, PLUS TARD DANS LA SOIRÉE
— Presley, sors immédiatement, j’ai à te parler !
— Va-t-en ! Je n’ai rien à te dire !
Yuki Onna jeta un regard désolé sur le corps du jeune homme qui reposait par terre, un peu plus loin dans l’herbe couverte de neige crouteuse. Serrant les dents, elle frappa de nouveau plus fort du plat de la paume contre la porte toujours close.
— Comment ça, « rien à dire » ! Et celui qui est mort sur ton gazon ?
— Shhhhh ! J’y suis pour rien. Je l’ai chopé à fouiner chez moi et je l’ai foutu dehors avec mon pied au cul. Et parce que j’étais dans un bon jour ! Il est tombé tout seul, il s’est rompu le cou. Dommage pour lui, mail il n’avait qu’à pas rentrer chez moi ! Maintenant va-t-en, tu me fatigues.
— Tu mens. Voilà des jours que tu as arrêté ton choix sur lui. Même les écoliers t’ont vu avec tes gros sabots. Je vais appeler Lupenstein, parce que ça va bien maintenant. On a été trop tolérants. Tu ne respectes plus le cahier des charges, alors tu dégages !
— Casse-toi, pétasse, je suis chez moi !
— Chez toi ? Celle-là, elle est bien bonne ! JE suis chez moi et vous autres, vous êtes accueillis. Je peux décider de vous mettre à la porte quand je veux !
— Bien sûr, va me chercher une injonction du Clébard… Oh oups, bah non, pas possible, il n’est pas en ville. Très bien, je me contenterai de celle du Loup. Oh oups, bah non, pas possible, c’est la putain de pleine lune et il est trop occupé. Hé hé hé.
Yuki Onna leva les bras au ciel et une petite bourrasque d’exaspération tournoya dans le jardin. Les décorations volèrent et un sapin tomba.
— Ce que tu oublies, parce que tu ne lis pas le règlement, c’est que c’est un cas de force majeure. Je n’ai pas besoin de la totalité des quatre morphiques. Klaus a voté, les lutins ont voté, le Cerf te déteste, il votera aussi. Tu as eu l’intention de tuer un autre enfant humain moins de cinq ans avant le dernier.
— Vos règles stupides sont irréalistes. Un wendigo a des besoins !
— On en a tous ! Moi j’ai besoin de prendre un nouvel époux et d’engendrer, mais j’attends la date prévue. Loup a besoin d’un successeur, mais il attend pour ne pas attirer l’attention. Les lutins n’ont que douze jours par an pour se dégourdir les jambes… Et toi tu viens chouiner que tu ne peux pas te retenir ? Tu veux que je te dise, on n’aurait jamais dû te laisser venir dans la communauté. Tu es un faible qui n’a aucun empire sur lui-même !
Presley Wendicott leva les yeux au ciel et s’apprêta à refermer sa porte.
— Bla bla bla. Si tu veux. Allez, pars maintenant. Qu’est-ce qu’un gamin de plus ou de moins ?
La longue chevelure de la yokai se fit menaçante et dansa derrière elle comme celle d’une sirène dans l’eau. Elle mit son pied en travers de l’ouverture pour l’empêcher de fermer et l’attrapa vivement par le bras pour le trainer dans le jardin droit en direction du corps.
— Pas que « un gamin », imbécile ! Tu as tué l’un d’entre nous ! Et ça, c’est un cas de force majeure !
Wendicott s’énerva et chercha à récupérer son bras.
— L’un d’entre-nous mais tu racontes n’imp… wo wo wo qu’est-ce que c’est que ça ?!!
Yuki inclina la tête en direction de celui qui avait été Leonard Krassluk, il n’y avait pas si longtemps.
— Tu peux sortir, tu ne crains rien, chuchota-t-elle.
Au début, il ne se passa rien, puis une flaque sombre de plus en plus grande s’amassa sur le haut de la poitrine du garçon et se mit à clapoter. Bientôt une masse blob plus distincte se mit à pousser verticalement jusqu’à prendre partiellement l’apparence de son hôte précédent. Ses yeux n’étaient pas bien formés, ni son nez, et sa bouche n’était qu’un trou. Mais son regard montrait son désarroi.
— Piotr, est-ce bien l’homme qui t’a privé de ton support humain ?
— O… Oui.
— Voilà ce que tu as fait, wendigo ! Voilà des mois que Piotr fait de son mieux pour survivre, en causant le moins de dommages possibles. Il a tenté à tout prix d’épargner des humains, en se tournant vers la forêt et ses animaux sauvages. Mais ça n’a pas marché. Il y a eu un espoir avec les élans. Mais il n’a pas pu s’y maintenir, sa présence était nocive pour les bêtes. Et là il avait trouvé le malheureux Leonard qui ne voulait plus de cette solitude…
— Oui bon bah, c’est bien dommage pour lui, mais chacun sa merde. Tout le monde n’est pas apte…
Yuki se mit à cracher de dépit en projetant des grosses paillettes de givre. Ses yeux noirs s’agrandirent et perdirent toute séduction.
— Non, sombre crétin ! Nous nous serrons les coudes ! Cet émissaire qui est là, il n’est pas « seul » ! Sous nos pieds des centaines de milliers d’hectolitres gisent depuis des millions d’années. Ils sont plus anciens que nous ! Et il y en a partout, autour du monde. En tuant le support de Piotr, tu as agressé ses semblables qui ont ressenti ce qui lui est arrivé comme si ça leur était arrivé. Et ils sont en colère, parce que nous leur avions affirmé qu’ils seraient en sécurité. Et parce que tu ressembles à un humain, le collectif de notre ami ici présent, va partir en guerre contre l’humanité. Bravo, le wendigo !
— Pff… Quelle merde ! Mais vous n’aviez qu’à pas faire venir cette bouillasse aussi !
Le visage déformé par la colère, Yuki écarta les lèvres et ouvrit la bouche pour laisser passer des dents effrayantes avant de lui sauter au col.
— Mais tu ne comprends donc rien ? Ce n’est pas nous qui les avons accueillis ! C’est eux les autochtones qui nous ont laissé être là !! Nous vivions en paix dans cette région reculée du monde et…
Entendant un bruit, elle se retourna vivement.
— Lutins, allez jeter un œil, ordonna-t-elle. Quant à toi, dit-elle en faisant blanchir ses yeux noirs, tu vas recevoir ce que tu mérites !
Elle poussa durement l’ogre contre le mur et approcha sa large bouche effrayante si vite qu’il n’eut pas le temps de réagir. Plaquant ses lèvres avec dégoût contre les siennes, elle exhala de longues goulées de vapeur froide avant de commander leur cristallisation immédiate une fois qu’elles furent inhalées par réflexe. Les yeux du wendigo s’écarquillèrent lorsqu’il s’étouffa car ses poumons étaient encombrés de givre. En suffoquant, il dardait pourtant des regards furieux sur elle avant de tomber comme une masse.
Yuki se pencha sur lui et souffla pour sécher sa figure car le givre réchauffé avait en partie coulé de son nez et de sa bouche, pendant qu’il essayait de recracher. Quand tout fut sec, elle se retourna vers « Piotr » qui ondulait doucement en regardant la scène d’un air triste.
Un craquement discret au cœur des buissons se fit entendre, laissant apparaître quelques lutins.
— Dame Yukionna, il y avait un garçon humain. Nous l’avons mis en fuite mais je crois qu’il en a vu beaucoup trop…
— Ne lui faites pas de mal. Aucun humain ne sera assez malin pour croire qu’il dit la vérité.
— Il nous a vus, il vous a vus. Le Loup viendra nous poser des questions et exercer des sanctions.
— On verra, on verra.
Elle se tourna vers le corps de Lenny.
— Piotr du peuple Oleom, acceptes-tu de te cacher un jour ou deux ? Est-ce possible dans ce corps dévitalisé ? Nous allons revenir pour t’aider.
La créature gélifiée rouge ondula en se rapetissant. Sur elle, le vent piquant qu’émettait la yokai créait de petites vaguelettes bordées de givre. Tanguant un peu, elle s’amenuisa encore et se liquéfia, ne conservant qu’une bouche qui murmura :
— Je peux mais… c’est tard, murmura-t-elle. Notre colère est allée vivre dans un autre garçon. Et elle n’écoute rien.
— Les quatre Hommes-Garous vont être informés. Ils vont agir et nous protéger. Lutins, éteignez les lumières de la rue ! Je rentre pour voir si je peux joindre l’un d’eux, peut-être que l’Oberon est là. Faites ce qu’il faut pour notre ami, rassurez vos congénères, et sitôt fait, reprenez vite vos déguisements de nains de jardin et postes de surveillance habituels.
Ils opinèrent en la regardant partir avec dévotion, sa longue silhouette blanche se découpant nettement dans l’ombre.
L’air de la nuit était piquant et âpre. Une lune pâle étendait ses rayons blafards sur le visage de Presley Wendicott, allongé par terre, il gardait les yeux rivés sur elle. Le froid avait rapidement gagné ses membres mais il n’en avait cure.
Car même s’il avait l’air estomaqué et furieux, il n’en était pas moins mort.
.°.
DENALI BREW PUB, TALKEETNA, 23 DÉCEMBRE, 10H15
Le shérif Lupenstein et le maire Dogherty affichaient des trombines lugubres en touillant machinalement leurs cafés serrés. La gorge nouée, le proviseur Hart qui leur faisait face n’avait pas le cœur d’avaler quoi que ce soit.
— J’ai essayé de l’aider comme j’ai pu, plaida-t-il en secouant son énorme chevelure, mais rien à faire. Caspar ne me laissait pas approcher. Il est mort et Beaver aussi. Qui va reprendre le flambeau après lui ?
Yuki Onna souffla sur son thé.
— Forrest, dit-elle après une gorgée trop chaude. Ce n’est pas de ta faute. C’est Big Wendy et son avidité qui ont causé tout ce merdier. Piotr ne nous en veut pas, je crois qu’il a compris, au moins un petit peu, combien nous sommes tous « individuels ». Ce n’est pas naturel pour lui. Il a promis d’essayer d’aller expliquer à l’Oleom, mais il ne semble pas avoir beaucoup d’espoir. C’est déjà un assez grand bouleversement pour lui de constater qu’à présent, il existe une disparité de vues chez son collectif, chose qui ne semble avoir jamais eu lieu, ou alors, il y a énormément de temps.
Pas dans un meilleur état émotionnel que les autres, elle chipota un morceau dans sa salade, pourtant riche en poisson exotique sudaméricain, et puis reposa sa fourchette. Le moment était venu. Elle déglutit et murmura :
— Je dois vous dire que j’ai tué le wendigo.
Le maire lui jeta un regard indigné.
— Ah d’accord ! Comme ça ? De ta propre autorité ?
— Eh bien, moi je suis ravi ! souffla Hart. Je sais que ce n’est pas correct, mais depuis le temps qu’il considérait mon lycée comme une supérette ! Lups, combien de fois as-tu dû détourner les soupçons de ma tête depuis vingt ans, tout ça parce que monsieur était infoutu de se réfréner ?
— Trop de fois… Trop de fois, soupira le loup. Je suis claqué. Je passerais bien prendre un burger chez Shirley mais j’ai tellement de taf, avec ces deux étrangers qui mettent leur nez dans nos affaires. La rouquine, elle ne me lâche pas. Elle est toujours après moi, avec ses foutues autopsies, ses résultats, ses grands airs, « gnagnagna, je suis du FBI », « gnagnagna, je suis médecin légiste »… Cinq contre un qu’elle va redébarquer dans mon bureau avant la fin de la journée.
Dogherty et Hart échangèrent un sourire complice.
— Ouhh, mon pauvre vieux, c’est vrai que c’est pas de bol, commenta le maire en masquant son sarcasme avec une gorgée de bière.
— Peut-être que tu l’aimerais mieux si tu étais sous ta forme naturelle. Moi je l’ai vue hier soir, je voulais des infos et elle m’en a donné. Je l’ai trouvé très empathique. Compréhensive. Elle s’en faisait pour Caspar et son rejeton. C’est grâce à elle que je les ai trouvés.
— Quoi ? Tu t’es montré à elle ? s’égosilla Yuki Onna en recrachant un peu de thé. Mais c’est très dangereux !
— Peuh. Mais non. Comment aurait-elle pu faire le lien ? De toutes façons, je n’avais pas le temps de me changer et je suis parti dès que j’ai eu l’info, ça n’a duré qu’une ou deux minutes. Elle était impressionnée par mes bois, je crois. Ne vous en faites pas, elle est trop rationnelle pour écouter son intuition. Par contre, l’autre là, il n’a l’air de rien mais il ne faut pas la lui raconter.
— Je peux pas le sentir !
— Quelle surprise ! ricana le maire en lui piquant un bout de gâteau. Tiens, Yuki, toi qui l’as vu aussi de près, est-ce que tu as eu l’impression qu’il était… comme nous ? Son prénom-là… Fox, c’est un peu gros, non ?
— Non non pas anthropo. Fouineur oui, mais cent pour cent humain. Par contre, sa très belle collègue – qui trouble tant Hurley – elle, je ne sais pas trop.
Lupenstein fit la grimace en montrant les dents. Dogherty posa une main apaisante sur son épaule dure.
— Là, calme. C’est juste mignon de te voir comme ça, comme un petit louveteau avec la langue qui pend et voudrait bien se faire gratouiller derrière les oreilles… Qu’est-ce que tu veux dire par là, Yuki ? questionna-t-il avec curiosité en ignorant le grondement du shérif.
— Je sais pas. Il y a quelque chose en elle. C’était froid… Oui, non… pas mon froid à moi… c’était comme du… métal mais bizarre. Désolée, je ne peux rien dire d’autre.
La serveuse, qui leur avait apporté leurs assiettes dix minutes plus tôt, s’approcha timidement pour les interrompre.
— Shérif, c’est le poste qui vous appelle. Mendelson veut vous parler.
— Le père ou le fils ?
— On ne m’a pas dit, shérif.
Il soupira et se leva en leur accordant un petit signe de tête, contemplant la place vide au bout de leur table.
Encore une fois dans l’univers, un loup, un chien et un cerf restaient à nouveau seuls après avoir perdu leur ami rat.
.°.
BOEING 737 ANCHORAGE-WASHINGTON, UNITED AIRLINES, 24 DÉCEMBRE
Mulder mâchonnait des graines de tournesol en contemplant l’épais tapis cotonneux de nuages. Dans le siège passager qui voisinait le sien, Scully immobile avait la tête droite, les yeux recouverts d’un masque.
— Tu ne dors pas ?
— Non je n’y arrive pas ! grinça-t-elle en enlevant le bandeau qui ne servait à rien contre son horloge interne déréglée. A quoi penses-tu donc ? Tu n’as pas dit un seul mot depuis notre arrivée à l’aéroport.
Il rangea son paquet de graines dans la poche interne de sa canadienne et croisa les mains.
— Alors, d’après toi, qui a fait le coup ? questionna-t-il d’un ton léger.
Elle le regarda avec surprise réalisant qu’il était toujours en train d’y réfléchir depuis tout ce temps, alors qu’elle-même était plutôt inquiète de cette entrevue qui les conduirait bientôt à parler de « l’huile rouge ». Elle leva un sourcil et dit lentement :
— Dans la littérature, en général, c’est une personne qui semble au-dessus de tout soupçon.
— Ils étaient tous suspicieux !
— C’est pourquoi il faut envisager le personnage le moins soupçonnable : Presley Wendicott lui-même.
— Ah oui. Il s’est planté un couteau dans le dos, s’est pendu avant d’aller se jeter dans la rivière avec les pieds lestés. Tu ne fais pas le moindre effort. Je suis un peu déçu. Une affaire est une affaire.
— Mhh d’accord. J’ai mieux ! Walter Skinner. Il fait croire qu’il n’était pas là mais… comment a-t-il pu arriver si vite ? Quelques heures à peine alors qu’il nous aura fallu presque une demi-journée avec escale ? Non, il est venu, a tué Wendicott pour nous empêcher de rester résoudre trop lentement l’énigme des enfants disparus et des rennes extraterrestres.
— Pourquoi diable ?
— Elémentaire mon cher Sherlock ! Pour nous obliger à rentrer assister au pot de Noël du FBI ! Mais il s’est fait démasquer par les Whitstraum, ce qu’il l’a obligé à les tuer aussi, et à couvrir son méfait dans un grand incendie. Comme les meurtriers reviennent toujours sur les lieux du crime, il fait mine d’apparaître providentiellement avec toute une équipe et le matériel pour couvrir ses traces et, d’ailleurs, son premier réflexe a été de débarrasser le plancher aussi vite qu’il était venu.
Il sourit pendant qu’elle pinçait les lèvres comiquement.
— Je vois que tu progresses. Moi, je sais qui a tué Presley Wendicott. Quelqu’un que nous avons vu. Pas un quidam, quelqu’un qui était proche de l’enquête.
— Donc tu ne crois pas en un coupable discret ? Dis-moi que tu ne penses pas à Tracker Popovici… Oh, ça y est j’ai trouvé. Il avait raison depuis le début. Ce sont les nains de jardin, bien sûr !
Mulder secoua la tête et, avec bien trop de sérieux, il débouta la proposition :
— Je ne les crois pas coupables. Essaie encore.
— Le maire ? Il a débarqué d’on ne sait où et bien sûr comme toute la ville est à sa botte, il a payé Mendelson et le shérif pour les faire taire ; cédant à la pression de ses administrés lui demandant des comptes pour leurs enfants qui disparaissaient. Ou bien…
Il tourna les yeux vers elle avec espoir.
— Ou bien, c’est comme tu l’as dit : Lenny Krassluk. L’autre mort de l’affaire.
— Scully, tu n’es pas très concentrée. Et tu ne fais pas confiance à ton intuition. Quelle est la seule personne qui t’ait fait une impression négative à la seconde où tu l’as vue ?
Elle resta pensive avec son bandeau à la main, répétant « une impression négative, une impression négative ? ».
— Je ne vois pas. Le shérif m’a semblé avoir des choses à cacher. Je le trouvais bizarre. Mais, je n’aurais pas été jusqu’à dire négative. D’autant que tu as eu la bonté de m’expliquer les raisons de son attitude.
— Pas le shérif, mais tu brûles.
Elle soupira.
— Ecoute Mulder, je suis désolée mais je suis trop inquiète pour avoir le cœur à participer à tes fantaisies. Je dois encore aller chez ma famille et ça m’angoisse moitié moins que l’entrevue avec les supérieurs de Skinner… Et crois-moi, ceux-là me font une impression bien plus négative, pour le coup… Si tu as trouvé, pourquoi n’as-tu pas communiqué tout de suite tes soupçons au shérif ?
Il secoua la tête.
— Tout le temps où on a été là, il n’y a que trois personnes qui ont tenu à nous convaincre de quelque chose ou nous dire ce qu’on devait penser.
— Tu penses que Onayé mentait ?
— Assurément. Comment aurait-il pu faire des tests sur les animaux malades par l’huile rouge sans jamais être contaminé lui-même ? Et Caspar qui lui a « apporté des échantillons » sans être le moins du monde affecté ? Non… Mais je ne pense pas que ce soient eux qui aient tué M. Wendicott. Ils avaient d’autres problèmes à régler.
— Qui donc ne mentait pas ?
— Popovici et probablement Mendelson Jr. Mais tous les adultes, et les parents qui répétaient les mêmes choses en boucle…
Il fit claquer sa langue.
— Ils mentaient tous. Sans que ça les empêche d’être sincères le moins du monde.
— Peut-être avaient-ils une sorte de pacte secret. J’ai senti, quand j’ai parlé à Lupenstein, une obstination butée défiant la logique. Pourtant, il n’était pas idiot. Dans ses propres propos, quelque chose ne le convainquait pas lui-même. Je pensais qu’il avait les mains liées. C’est pour ça que je plaisantais à moitié sur le fait que le maire l’avait payé. On va bientôt atterrir, si tu veux me faire part de tes déductions, c’est maintenant…
Il acquiesça en la regardant avec un sourire.
— Je pense que tu as raison pour le pacte. Tu avais raison aussi sur le fait que le meurtrier revienne toujours sur les lieux de son crime. La seule personne qui était sur les lieux et que tu as instantanément détestée était… Yuki Onna. Tu le savais. Et avant qu’on parte, tu as encore redit son nom. C’est à ça que je réfléchissais.
— Mais pas du tout ! Si je me méfiais d’elle, c’était parce que le shérif a insinué que c’était une croqueuse d’hommes.
— Oh, tu veux dire que tu voulais me sauver de ses griffes ? Je suis très touché. Mais tu as bien fait.
Il se tourna vers les passagers juste derrière eux et s’adressa à une petite fille qui lisait sagement dans le fauteuil trop grand pour elle.
— Eh, bonjour petite. Je m’appelle Fox, et voici mon amie Dana. Voudrais-tu me prêter ton livre cinq minutes ? Je promets que je te le rends. C’est pour lui montrer l’histoire de la dame des neiges, elle ne la connait pas…
Méfiante, la petite refusa et referma le livre en le serrant contre elle. Mulder pointa du doigt la couverture. Scully lut le titre « Yukionna, la femme des neiges ». Elle leva un sourcil, ne sachant si elle devait être inquiète ou impatiente de ce qu’il allait probablement lui développer maintenant.
— Quand on était à l’hôpital, pendant que tu essayais d’en savoir plus auprès de Tracker, j’ai trouvé une salle d’attente et j’ai vu cette petite fille qui lisait. Je n’y faisais pas attention mais à un moment donné, tu m’as appelé et elle a sursauté. Son livre est tombé par terre et j’ai vu ce titre. La première chose à laquelle j’ai pensé c’était qu’un M. et une Mme Onna avaient nommé leur fille en référence à un mythe du folklore japonais. Yukionna est un yokai, un esprit, qui peut être monstrueux et beau, bizarre ou… paranormal aux yeux des mortels. Cela m’avait amusé mais après tout, le pays est très au nord, et de la neige, ils en ont à revendre… Mais comme tu peux l’apercevoir sur cette couverture, les représentations de la femme des neiges sont relativement unanimes : il s’agit d’une belle femme au teint pâle, et aux yeux noirs ensorcelants, toujours vêtue de blanc et portant une immense chevelure d’un noir de jais. On dit qu’elle est inamicale et cruelle, qu’elle est capable de se transformer en nuage ou en vapeur et peut se fondre dans un paysage de neige. Elle est la personnification de l’hiver et de ses tempêtes. Au gré de ses sautes d’humeur, elle gèle les innocents ou aspire leur énergie vitale. Et d’autres fois, elle est clémente lorsque ses victimes sont belles et elle les laisse en vie…
Elle le regarda d’un air réprobateur tandis qu’il semblait un peu trop content de lui.
— Et tout ceci nous conduit à… ?
— Scully, tu m’as dit que Wendicott est mort noyé. Et de son côté Popovici a affirmé que Yuki et lui se sont « embrassés ». Et si la dame des neiges avait simplement soufflé de l’air glacé, ou lui avait fait inspirer de la neige ou du givre ? Suffisamment pour qu’il s’étouffe ? Au contact de son corps plus chaud, la neige a fondu, est devenue de l’eau qui s’est retrouvée dans ses poumons… Théoriquement, ça se tient, non ?
— Théoriquement, il faudrait que les yokai existent.
— Scully… après tout ce qu’on a vu d’incroyable toi et moi, tu serais prête à affirmer qu’il n’existe pas des choses qui dépassent notre compréhension ? « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Dr Scully, que n'en rêve toute votre philosophie. »
Elle resta silencieuse, à triturer le masque qui lui semblait si symbolique de ce qu’il essayait de lui dire. Était-elle celle qui ne voulait pas voir ? Et Mulder celui qui l’empêchait de garder les yeux fermés ?
— Peut-être. Quand je suis sortie prendre l’air, j’ai vu quelque chose d’inhabituel. Un cerf gigantesque est venu quémander quelque chose et m’a touchée avec son museau. Son regard était intelligent, presque humain. C’était troublant. L’infirmière était là, elle n’en menait pas large non plus.
— Et pourquoi me dis-tu ça ?
— Parce que tu as dit avoir vu un cerf tenter de défendre Caspar Whitstraum sur la vidéo que tu as extorquée à… M. Hart.
Mulder se figea une seconde et puis farfouilla à ses pieds pour tirer sa mallette de dessous son siège.
— Qu’est-ce que tu fabriques ?
Avec un sourire arrogant, il sortit une enveloppe kraft et la tourna vers elle pour lui montrer la cassette à l’intérieur. Il la fit glisser pour qu’elle atterrisse dans sa paume. Dans l’emballage soigneux, une carte de visite avait été glissée.
« Propriété de Forrest Hart, Talkeetna, Alaska »
— Forrest. Hart. Le cerf de la forêt.
— Mulder, qu’est-ce que tu essaies de dire ? Que ce directeur d’école et cet animal ne faisaient qu’un ? Ce serait quoi… un cerf-garou ? Ce serait une première.
— Bien sûr que non. Selon les légendes autour du monde, il existe bien d’autres animaux-garous… Des ours, des sangliers, des renards…
— Ce serait le moment idéal de m’annoncer que tu es l’un d’entre eux. Mais j’ai assez avec Qweeqweg…
— Dommage qu’on doive rentrer. Je t’ai dit que le facteur s’appelait « Klaus Dos Santos » ?
Amusée, Scully remit le masque sur ses yeux et se laissa aller sur le dossier.
— Contente que tu aies aimé ton cadeau, Mulder.
FIN