Une courbure de l'espace-temps (saison 1)
Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 1, épisode 1, autour de 17:00 (après la conversation d'Allison et Luther, et juste avant que Klaus se fasse sermonner par Pogo).
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25 mars 2019, 09:45
Finalement, hier soir, Klaus n'a pas regardé le Rocky Horror Picture Show avec moi, et il a encore moins rapporté de gaufres. Lorsque je suis revenue du boulot à Hargreeves Mansion - bien trop tard, je dois le reconnaître - je l'ai trouvé éclaté sur le sofa du salon de réception, portant seulement un horrifique slip léopard arc-en-ciel. Est-ce qu'il a tenu sa promesse à Allison de rester sobre hier ? Évidemment que non. J'ai instantanément tourné les talons, et je suis allée pioncer dans la chambre 33. J'espère juste que c'est la seule connerie qu'il ait faite.
J'ai su par Allison que le discours funèbre pour Réginald Hargreeves avait finalement bien eu lieu hier. Malgré la pluie. J'ai su que Pogo s'en était chargé. Et également que rien ne s'était passé comme prévu. Enfin. J'imagine qu'il était 'prévisible que rien ne se passe comme escompté'. Et j'étais loin de m'imaginer à quel point.
De façon intéressante, ce n'est que ce matin que j'ai compris : quand j'ai croisé un autre Hargreeves à la sortie de la salle de bain. Sans aucun doute celui de la fratrie que personne n'aurait attendu. ~Cinq~. Nos regards se sont croisés, mais aucun d'entre nous n'a dit quoi que ce soit, à ce moment. Il a grimpé l'escalier quatre à quatre en direction du dernier étage où sa chambre se trouve près du grenier, et me voici dans la chambre prêtée par Diego, à ranger mes affaires. Malgré moi, je ne peux pas m'empêcher de penser que ce moment serait le bon pour me présenter... avant qu'il ne disparaisse à nouveau.
Je range ma brosse, je referme mon sac, et je sors dans le couloir, jusqu'à l'escalier vert grimpant à l'étage. Les marches sont usées, parcourues tant de fois, mais elles ne craquent pas. Et je trouve Cinq dans sa chambre, en train d'organiser de vieilles affaires, essentiellement des vêtements. D'une façon ou d'une autre, il repère ma présence, car il cesse de farfouiller dans ses uniformes et me lance un regard par dessus son épaule.
"Salut", pose-t-il, avec un air à la fois indifférent et pressé, avant d'écarter l'un des uniformes, jugé clairement trop grand.
Je vois bien qu'il m'ignore délibérément, mais il le fait dorénavant tourné vers moi. Je me doute bien du fait qu'Allison, Diego - et possiblement Klaus - l'auront mis au courant de mon existence : pour des raisons très pratiques d'une part, comme le risque de se croiser à la salle de bain. Mais ils l'auront aussi possiblement informé quant à 'ce que je peux faire'. Et à présent, je le vois, ce quart de sourire sur son expression trop âgée pour un môme : oui, manifestement, ~il sait~.
"Je m'appelle Rin", lui dis-je, mais ça aussi, il le sait possiblement déjà.
"Qu'est-ce que tu veux ?"
Il vient de lancer ça en inspectant les boutonnières d'une veste, et moi je croise les bras.
"On dirait bien qu'on est voisins".
Il y a un double sens, à cette parole, et il finit par enfin me regarder plus attentivement. ~Très~ attentivement. Au point que - d'un coup - je me demande s'il n'est pas en train d'analyser la couleur et la nature de mes yeux. Étrangement, il semble finalement les trouver ordinaires et se détend un peu. Alors il en revient aux boutonnières et m'adresse :
"On m'appelle Cinq".
"Oui, je me disais bien que tu n'étais pas Luther".
Il laisse échapper un vague souffle amusé.
"Tu m'as l'air perspicace".
Je n'ai pas encore rencontré Luther, en revanche je l'ai entendu parler avec Allison ce matin, dans sa chambre à l'autre bout du couloir. J'ai surtout toujours du mal à croire que c'est bien Cinq que j'ai sous les yeux, même si Klaus était à peu près certain qu'il n'était pas mort. Comme Allison l'a dit avant-hier : plus rien ne devrait me surprendre. Et peut-être que Cinq est légitimement revu pour l'éloge funèbre, lui aussi ?
"Donc, tu es nouvelle", me dit-il, son attention tournée vers moi, mais pas ses yeux.
'Nouvelle' ? Je me demande ce qu'il entend par là. D'un coup, j'ai l'impression d'avoir à nouveau cinq ans, face à ma nouvelle classe, sur un nouveau continent. Je contemple les uniformes qu'il brosse, tous de l'ère de l'Umbrella Académie, tout comme celui qu'il porte en ce moment. Il a du bol qu'ils soient en si bon état, et que tous les placards de cette barraque soient fourrés à l'antimites. Je le vois commencer à vider les poches d'une veste, en retirant des mouchoirs potentiellement vieux de quinze ans, et alors, il me demande ce qui lui brûlait probablement la langue depuis un moment :
"Tu 'sautes' dans l'espace, alors. Le temps ?"
Je penche ma tête de côté, annonçant une assertion.
"Je ne saute pas dans le temps. Je ne l'ai fait qu'une fois, et je me suis fichu une belle trouille. Aucune chance que je le refasse".
Cinq arque un sourcil, intrigué.
"Mais tu l'as fait une fois, alors tu peux. Dans l'espace alors ?"
Il me regarde avec une expression appuyée et quelque peu défiante.
"Montre m-"
Je ne lui laisse pas l'occasion de le demander. Je décroise mes bras, je fais un pas en avant, et *Crac!*, je suis déjà à la fenêtre, dans une déchirure bleutée. Là, je regarde à travers le carreau dans la ruelle arrière, puis j'avise le sourire en coin qu'il étire, à l'endroit où il est resté.
"Intéressant", dit-il. "Tu es un autre moi".
Je pourrais rétorquer que c'est lui, qui est 'un autre moi', mais je me retiens : ce ne serait d'aucune utilité. Il considère pour la première fois réellement mon apparence, au delà de mes yeux, de la frange aux bottes.
"Est-ce que ton pouvoir fonctionne comme le mien ?"
À présent, je suis tournée face à lui, et je constate qu'il n'est pas très grand. Même pour treize ans.
"On dirait. Je n'en sais rien : je ne te connais pas. Ma seule référence, c'est ce que Klaus m'en a dit : à toi de décider si c'est fiable ou pas".
Sa bouche se plisse en une moue sceptique.
"Effectivement, tirons plutôt nos propres conclusions".
Sur cette parole, il juxtapose deux uniformes, comme pour choisir le plus approprié des deux pour une occasion. À mes yeux de profane, toutefois, ces deux vieilleries semblent parfaitement identiques. Soudain, un peu soudainement, il relève le nez vers moi.
"Qu'est-ce que tu dirais d'un marché ?"
"Quel marché ?"
Comme cette proposition sort de nulle part, elle m'intéresse assez.
"Enfin, c'est sans doute plutôt un échange d'informations qu'un marché, mais pourquoi pas ? Tu me dis ~exactement~ comment ton pouvoir fonctionne... et je te dis comment fonctionne le mien. J'ai dix minutes devant moi".
Je place mes mains dans mes poches, et je le vois faire exactement la même chose en miroir. Je cligne des yeux.
"Ok. Marché conclu. Je peux m'asseoir ?"
Mieux vaut se mettre à l'aise, parce que dix minutes, ça pourrait bien sembler très long. Il déplace une pile de pulls jaquards et désigne l'endroit ainsi laissé vaquant, où je m'assois sans plus de formalités, en tailleur, avant de lui dire :
"Vas-y, commence, plutôt".
Il se penche brièvement sur ses talons.
"Bien sûr. L'espace en premier, dans ce cas. J'imagine que Klaus t'aura dit que je peux basiquement le courber pour me retrouver n'importe où, dans le périmètre accessible. Pour peu de le voir ou d'y être déjà allé. A toi".
Il plisse les yeux. Autant, je peux lire à travers Klaus comme un livre ouvert, autant Cinq, vraiment pas du tout.
"D'accord. C'est assez similaire pour moi, alors je vais plutôt essayer de te dire 'comment'".
Je cherche les mots justes. Quitte à s'adonner à l'exercice, autant le faire bien.
"Comme toi, ça m'est plus facile si je vois l'endroit, mais ce n'est pas nécessaire. Si je ne vois pas la destination, je dois y avoir déjà été. J'ai besoin - en tout cas... - d'une image mentale claire".
Il acquiesce, et ajoute :
"J'ai déjà essayé de me faire une image mentale à partir d'une photographie. C'est risqué. La marge d'erreur est substantielle : c'est un coup à se retrouver à l'intérieur d'un mur ou partiellement sous terre".
Cette fois, c'est moi qui opine du chef. Et j'aime assez ce jeu de ping-pong.
"Je n'ai pas besoin de me concentrer longtemps sur la cible", dis-je, "un quart de seconde, surtout si c'est proche". Et puis je sens... cette fenêtre de tir... comme un besoin d'éternuer. Pardon pour l'analogie, je n'en ai pas de meilleure. Et là... je laisse juste le saut arriver".
"Verrouiller. Déclencher. Tu as raison".
Cinq a l'air agréablement surpris, et je perçois un changement dans le ton qu'il m'adresse. Non pas qu'il me parle d'égal à égal, non, ça certainement pas, mais au moins il semble me porter un brin de considération. Il soulève un sourcil, semblant tout à fait s'amuser.
"Est-ce que ton champ d'action est illimité ?"
Sa question me fait réfléchir.
"Je ne pense pas. Le plus proche est le plus facile. J'ai déjà essayé de traverser des distances plus longues, mais c'est crevant. Je mets un moment avant de pouvoir le faire de nouveau. Donc non, je dirais que ce n'est pas sans limite, à moins de me vider pour longtemps".
Cette remarque lui en amène une autre.
"Je ne peux pas sauter plus d'une douzaine de fois d'affilée, pour les mêmes raisons".
J'acquiesce, et nous restons tous les deux silencieux un instant, chacun à la recherche d'autres détails. Et enfin, je dis :
"Oh. j'ai besoin de bouger pour l'accomplir. Même juste un peu. Je ne peux pas sauter si je reste... juste immobile. C'est comme..."
"... accomplir un mouvement".
S'il commence à terminer mes phrases, alors... Mais il continue.
"Tu peux emmener quelqu'un avec toi ?"
Je secoue la tête.
"Je n'ai jamais essayé".
"Je peux le faire. Tu peux peut-être aussi".
Son expression est tissée de contemplation et d'une forme de choc, à présent qu'il réalise ces similitudes. Il a même arrête d'arpenter sa piaule dans tous les sens, ce qui m'a tout l'air de ne pas être habituel pour lui. Pourtant, au bout d'un moment, il se remet à marcher dans l'espace vide de l'endroit.
"Le temps, maintenant. Jusqu'où tu crois que tu pourrais aller dans le futur ?"
Je secoue la tête.
"Je ne suis pas très audacieuse. Je t'ai dit, je n'ai essayé qu'une fois. Pour repasser une foutue interro. J'ai visé deux jours dans le passé, je me suis retrouvée huit jours dans le futur. Ma mère avait déjà appelé les flics et ma tronche était sur toutes les bouteilles de lait. Je me suis prise un sacré savon..."
Et, dans mon malheur, j'ai eu de la chance que ça n'ait pas été huit semaines, huit mois ou huit ans. Je passe ma main sur ma joue.
"C'est pas possible de fixer la destination aussi bien que pour l'espace. Avoir une image mentale d'un endroit, c'est une chose, mais épingler un moment précis dans le temps... non, c'est trop imprévisible. Je ne le referai pas".
Cinq ne dit rien, mais à en juger par l'expression basse tombée sur ses petits yeux bleus, je devine que mes mots trouvent un lourd écho. Il hoche la tête amplement, puis répond avec une expression quelque peu distante.
"Ça me parle".
Je ne sais pas quelle est la lourdeur de la dette derrière cette parole, mais le silence qui entoure chaque mot est épais. Il garde encore un peu le silence, puis ajoute :
"Aller vers le futur, c'est bien plus facile et glissant, je ne suis pas étonné que tu aies manqué le passé. Tout le monde est capable de voyager vers l'avant, au minimum seconde après seconde. Nous on y va juste plus vite. Mais revenir en arrière... Descendre dans les profondeurs, c'est une chose. Encore faut-il pouvoir remonter".
Il incline la tête, comme si ces derniers mots n'étaient pas de lui, puis lâche comme un sac trop lourd :
"Tu veux savoir le plus loin où je sois allé ?"
"Dans l'espace ou le temps ?"
Je passe mon index dans la poussière de la table de nuit, et je le regarde avec des yeux qui s'attendent déjà à la réponse.
"Le temps. Et la réponse est exactement seize ans, quatre mois et vingt-deux jours".
Tout à coup, je le sens comme soulagé d'énumérer ceci, alors que je souffle sur la poussière de mon doigt. Seize ans... A partir de l'année de ses treize ans... Je ne suis pas très bonne en maths, mais ceci a dû l'amener... pas beaucoup plus loin que le temps dans lequel nous sommes à présent. Il me fixe.
"Tu as parfaitement raison au sujet des aléas des sauts temporels. Il n'y a pas de moyen de les calibrer avec précision, et la marge d'erreur peut se compter en années, avant comme après. En vérité... tu ne sais jamais vraiment quant tu vas arriver".
Ses yeux errent dans cette pièce qu'il a quitté il y a si longtemps.
"C'est un coup à se planter. A se retrouver sans rien. A regretter, parfois, de ne pas avoir écouté".
Je ne suis pas certaine d'avoir toutes les clés pour comprendre, mais son expression me fait froncer les sourcils. Quand je me suis 'plantée' huit jours au devant de mon interro, j'ai mis une autre semaine avant de pouvoir utiliser de nouveau mon pouvoir. Alors seize ans ? Et en risquant de se replanter en essayant de revenir vers le passé ?
"Combien de temps tu es resté coincé ? Tu n'as pas à répondre si tu ne veux pas".
Mais il ne cligne même pas, et il répond :
"A peu près quarante ans".
Sa réponse sonne comme un coup porté au visage, et pourtant, il semble de nouveau éprouver une forme de soulagement. Je le soupçonne même d'avoir espéré que je demanderais. Mes yeux s'écarquillent quelque peu, et mes lèvres se pincent.
"Je crois que tu as achevé de me convaincre de ne jamais réessayer".
L'expression "se retrouver sans rien" qu'il a utilisée prend une autre couleur, et elle m'en ficherait le vertige. Toutefois, quand Cinq s'adresse de nouveau à moi, c'est avec un sourire en coin revenu.
"Pour pousser plus loin notre marché... Est-ce que tu veux discuter ~vraiment~ de la façon dont ça marche ? Au niveau de la mécanique de l'espace-temps et à l'échelle quantique ? Si t'as déjà des bases au sujet de la relativité restreinte, ça sera facile pour toi de-"
"Ah, Cinq..."
Je suis navrée de l'interrompre.
"Je n'ai pas dépassé le lycée, tu sais".
Je soulève mes épaules avec une certaine impuissance.
"Peut-être qu'à la place je pourrais te dire ce que je peux faire... d'autre".
Son expression se fige immédiatement, puis se pare d'une certaine confusion, et pour une raison simple : de son côté à lui, nous avons fait le tour de la question. Il penche légèrement la tête, un oeil plissé.
"Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu as d'autres capacités que celles-là ?"
Son intérêt semble prendre le pas sur sa déception de ne pas discuter d'équations.
"Dis-moi".
Il y a une forme d'urgence dans cette demande. Un besoin de savoir, dépassant clairement la simple curiosité. Cette fois, il me sera plus facile de lui montrer que de lui expliquer. Alors j'attends qu'il baisse le regard, et - quand il le relève - il ne me voit simplement plus : seulement l'empreinte de ma personne à l'endroit où je m'assois sur le lit. Alors, depuis cette invisibilité, je lui dis :
"Je peux me rendre invisible, intangible ou les deux".
La surprise qui le traverse alors serait difficile à exprimer avec des mots, mais - clairement - ses frères et soeurs avaient laissé ce morceau pour moi.
"Comment tu fais ça, explique !"
"Je..."
Finalement, il va bien falloir que j'essaye.
"C'est comme... quand tu laisses reposer tes yeux dans le vague, parfois. Mon état ordinaire, c'est de faire le focus, ça ne me fatigue pas, mais je peux juste aussi... me laisser partir, si je me détends. Et ce n'est pas épuisant comme les sauts dans l'espace ou le temps. Je suis désolée, c'est encore vraiment une comparaison pourrie".
"Non. Non pas du tout".
Il respire plusieurs fois, comme pour saisir de l'air au vol, puis il murmure.
"C'est hallucinant".
Et ceci sont les mots les plus purs et honnêtes que je l'ai entendu prononcer depuis le début de notre petit marché.
"Je t'ai dis, je ne suis pas allée à l'université", lui dis-je, toujours depuis mon invisibilité. "Et j'ai pas mal râté de cours au lycée. Je serais bien incapable de t'expliquer plus que ça. Mais c'est même ce que j'ai su faire en premier : c'est l'invisibilité qui est venue en premier quand j'étais enfant".
Five déglutit, comme saisit, et il pince la base de son nez, entre ses yeux, comme pour rassembler ses pensées profondes. Mais il les rouvre bientôt, et largement, comme traversé par une soudaine et violente compréhension.
"Tu agis sur ta matière pour te rendre intangible. Et possiblement sur l'énergie, pour te rendre invisible. L'espace-temps n'existe pas sans le couple matière-énergie. Ça fait sens... tellement de sens..."
Si j'étais visible, Cinq me verrait cligner des yeux comme une andouille. Mais lui, je le vois à deux doigts de prendre un carnet pour noter des trucs.
"Moi je courbe directement l'espace-temps, j'en suis pour ainsi dire certain. Toi... tu courbes probablement la matière et l'énergie, et - seulement par extension - l'espace et le temps. Tes sauts ne seraient qu'une aptitude collatérale de -"
"Eh, Cinq, je suis toujours là".
Je me rends de nouveau visible, toujours assise en tailleur sur le lit. Cinq est parti dans son charabia, et il en a oublié que je n'étais pas bilingue dans ce qui semble être la première langue de son petit hobby. En dépit des variables et inconnues qui dansent devant ses yeux, toutefois, il s'arrête et semble prendre en compte mon besoin de vulgarisation. Et il me regarde, comme s'il était témoin d'un rare passage de comète.
"Tu n'es pas un autre moi. Tu es... quelque chose au delà".
"Cinq, ce n'est pas juste parce que tu n'as pas essayé ?"
Plus j'observe les Hargreeves, et plus je réalise qu'ils ont encore fort à explorer au sujet d'eux-mêmes, en dépit d'avoir été poussés toujours plus loin. Toutefois, Cinq est sans conteste le plus accompli d'entre eux, et je vois sa certitude, quand il se met à rire doucement et quelque peu sarcastiquement.
"Si seulement tu savais tout ce que j'ai essayé de faire. Je suis d'accord, on n'aurait pas assez de plusieurs durées de vie pour tout découvrir de nous-mêmes, mais... Non. Pour moi, c'est différent".
Figé, il continue de me regarder un moment. Puis soudain, comme s'il semblait se réveiller, il regarde sa montre et sursaute.
"Bon sang, je dois y aller".
J'acquiesce.
"Pas de problème. Je vais descendre et... aller voir si Klaus a fini par se réveiller. Je l'ai trouvé sur le canap du salon hier soir..."
Je soupire.
"Je n'attendais rien de lui, et je suis quand même déçue".
"Si t'as du mal à le bouger, demande à Luther".
Cinq est déjà en train d'ajuster sa cravate, prêt à partir. Je ne sais pas où il va, mais ça a l'air important.
"Tu vas faire une promenade matinale ?"
Clairement pas. Cinq expire, comme s'il le gonflait de revenir à la réalité, puis il se met à jouer avec quelque chose de rond dans sa poche.
"Non, je vais..."
Il s'arrête, reconsidérant sa réponse.
"Peu importe".
Je ne lui demanderai pas plus de détails. Après tout, ce sont ses affaires, et moi j'ai besoin de café. Oh, j'aurais dû lui parler du café. Pour savoir si - lui aussi - ça décuplait ses aptitudes. L'effet opposé, quelque part, de toutes les drogues que Klaus consomme pour entraver son pouvoir à lui. Mais c'est trop tard : Cinq est déjà à la fenêtre, en train de passer sur l'escalier extérieur d'évacuation incendie. Je me lève aussi.
"Eh, Cinq", lui dis-je, et il se retourne depuis le bord de la fenêtre.
"C'est cool que tu sois de retour".
Je vois passer une ombre étrange sous ses sourcils, à ces simples mots. Sous d'autres auspices, notre petit 'marché' de ce matin aurait très certainement illuminé sa journée. Mais à la façon dont il me regarde en retour, je comprends que j'ignore encore beaucoup. Il me sourit malgré tout avant de dire avec une ironie peinée :
"Oui, vraiment cool".
Et dans une courbure de l'espace-temps, il disparaît.
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Notes :
J'espère que vous aurez supporté les explications de physique de Cinq. Non, Rin n'est pas "un autre lui". Mais leurs similitudes relèvent-elles d'une simple coïncidence ? Le temps (même s'il faut s'en méfier) nous le dira. Et avec quel objet rond Cinq joue-t-il, dans sa poche ? Qui sait.
Tout commentaire fera ma journée ! ♡