Orgueil, préjugés et Vulcains
La quatrième fois, Uhura avait essayé d’arranger les choses.
Comme si c’était possible. Comme s’il y avait encore quelque chose à arranger.
Spock y avait pourtant presque cru, pendant quelques minutes, lorsque McCoy était venu s’asseoir à côté de lui, de lui-même, et avait entamé une discussion cordiale. Oui, il y avait cru. Il faisait preuve, parfois, d’une incroyable naïveté – pour un Vulcain, s’entend.
Uhura était donc passée chez lui, soi-disant à l’improviste, mais il était presque certain qu’en réalité elle avait attendu, peut-être pendant plusieurs heures, au pied de son immeuble, qu’il daignât enfin rentrer chez lui (il n’avait de toute façon plus accès au laboratoire après 20:00, il n’avait donc pas le choix), et avait sonné quelques minutes après. Il n’avait pas pu faire autrement que de lui ouvrir.
La conversation qui s’était ensuivie n’avait pas été spécialement agréable, du moins au début. A peine entrée, Uhura s’était répandue en reproches. Pourquoi ne l’appelait-il pas ? Pourquoi fuyait-il systématiquement toute compagnie ? Pourquoi s’obstinait-il à rester tout seul dans son coin ? Spock avait rétorqué qu’il n’avait jamais été spécialement sociable et qu’il avait toujours préféré la solitude. S’étaient ensuivies dix minutes d’une contre-argumentation parfaitement préparée et impossible à interrompre, qu’Uhura avait illogiquement conclue par un « Et puis vous êtes trop maigre », prononcé sur un ton inquiet. A cela, le Vulcain n’avait rien à répondre, si bien qu’il n’avait rien répondu.
Puis, comme sur un coup de tête (mais, là encore, Spock était presque certain qu’elle avait parfaitement calculé son moment et répété son discours, Uhura ayant toujours été quelqu’un de méthodique, qui n’aimait pas laisser les choses au hasard), elle lui avait proposé de venir passer quelques jours chez elle, afin qu’il se repose un peu. Il travaillait trop, il avait besoin de faire une pause. Il s’apprêtait à décliner poliment l’invitation, mais elle ne l’avait pas laissé faire :
– Ecoutez, Spock, ces derniers mois ont été difficiles pour nous tous. D’abord Jim, ensuite Scotty (sa voix avait vacillé un peu, mais elle s’était reprise)… Vous êtes épuisé, ça se voit, vous avez besoin de repos. Je sais qu’ici, chez vous, à San Francisco, dans les locaux de Starfleet, il est difficile de faire abstraction des souvenirs. C’est la même chose pour moi, vous savez, avait-elle ajouté avec vivacité, prévoyant son objection. Il se trouve que j’ai une petite maison perdue en pleine campagne, une maison où aucun membre de l’équipage à part moi n’a jamais mis les pieds. C’est là que je vous propose de venir passer quelques jours. Juste pour… faire le point, vous éloigner un peu de Starfleet, prendre du recul.
La proposition l’avait touché plus qu’il ne voulait l’avouer, mais il hésitait encore. Les derniers mots d’Uhura, prononcés en Vulcain, l’avaient emporté :
– Tushah nash-veh k'odu, hi ri tor aitlun tor pak-tor du isha. [1]
Lui, Spock, s’était laissé fléchir par des sentiments.
Décidément, il vieillissait.
Lorsqu’Uhura était partie, après lui avoir arraché une promesse solennelle, il s’était donné des raisons rationnelles : en effet, il était épuisé, son corps était prêt à lâcher s’il ne s’accordait pas quelques jours de repos, il n’était que logique de s’arrêter alors qu’il en était encore temps. Dans le fond de son esprit, sa moitié humaine ricanait, mais il ne l’écouta pas. Il était de plus en plus difficile de l’écouter ces derniers temps. Il avait besoin de toutes ses facultés vulcaines pour lutter, jour après jour, contre ce que le médecin qu’il avait consulté avait appelé un « syndrome d’épuisement professionnel ».
Une semaine après, il arrivait chez Uhura, avec l’intention d’y rester trois jours.
A la fin du troisième jour, il accepta de prolonger un peu son séjour. Loin de San Francisco, loin de Starfleet, il lui était en effet plus facile de « prendre du recul », comme elle le disait. Il parvint à méditer plus profondément, à dormir plus de deux heures d’affilée. Uhura était une hôtesse parfaite, possédant à la fois la gentillesse et le tact nécessaires pour que le Vulcain se sentît chez lui dès les premières minutes. Elle savait, instinctivement, quand parler et quand se taire. Elle était présente lorsqu’il recherchait, sans même se l’avouer, sa compagnie, et plus distante lorsqu’il avait besoin d’être seul.
Comment sentait-elle ces choses ? Il s’émerveillait de sa capacité à le lire si facilement, comme Jim et le docteur McCoy l’avaient fait avant elle. Lorsqu’il aborda prudemment le sujet avec elle, elle se contenta de sourire et de lui dire sur un ton taquin « Laissez-nous nos petits secrets humains, M. Spock ! ».
Le soir du cinquième jour, ils abordèrent des sujets intimes, dont il n’aurait jamais cru pouvoir parler avec qui que ce fût. Ce fut elle qui, la première, mentionna les noms de Jim et de Scotty. Prudemment, prête à faire demi-tour si jamais son invité s’en trouvait incommodé. Mais Spock ne détourna pas la conversation. Parler du capitaine avec Uhura, dans cette maison isolée du monde, était étrangement réconfortant. Il se rendit compte qu’il n’avait pas prononcé, ni entendu, le nom de Jim depuis que McCoy l’avait prié de partir de chez lui pour ne plus jamais revenir.
Au moins, la mort de Jim aura eu ça de bon : je serai débarrassé de votre présence définitivement !
Ils ne parlèrent pas de Leonard. Uhura devait sentir que ce sujet était encore plus sensible que celui de la mort de leur capitaine. Cependant, le matin du septième jour, alors que Spock venait de lui annoncer son départ pour le surlendemain, elle lui proposa d’inviter chez elle quelques membres de l’équipage à boire un verre. Plusieurs d’entre eux s’étaient inquiétés à son sujet, lui expliqua-t-elle (et elle cita, entre autres, Chekov, Sulu, Christine Chapel, Helen Noel, Estéban Rodriguez et Iohann Kelowitz) [2], et auraient aimé le voir. Mais s’il ne le souhaitait pas, il n’avait qu’à le dire, et elle ne ferait rien.
Il avait dit oui, pour des raisons qu’il n’avait pas essayé d’approfondir. L’idée que ces gens eussent envie de le revoir le troublait. Lui-même ne savait pas très bien ce qu’il souhaitait. Il avait essayé, pendant plus d’un an, de se replier sur lui-même, et le résultat n’avait pas été concluant. Peut-être Uhura avait-elle raison. Peut-être sa moitié humaine avait-elle raison.
La suite, cependant, prouva qu’elles avaient tort toutes les deux. Peut-être le proverbe humain « c’était trop beau pour durer » possédait-il un fond de vérité, après tout. Comme si quelques jours de répit devaient immédiatement, nécessairement, être suivis par une catastrophe.
Le terme catastrophe, cependant, était excessif. Déconvenue semblait plus approprié.
La soirée, pourtant, commença étonnamment bien. Sitôt arrivé, Chekov se précipita vers son ancien mentor, apparemment sincèrement ravi de le voir (du moins, Spock n’avait pas de raison d’en douter), et l’accapara pendant deux heures, évitant les questions personnelles pour aborder immédiatement des sujets compliqués qui les avaient toujours passionnés tous deux. Le Vulcain ne vit pas le temps passer. Deux ou trois anciens membres du département scientifique se joignirent à eux, participant timidement d’abord, puis, l’alcool aidant, ils se jetèrent dans la conversation.
Spock se sentait détendu pour la première fois depuis… longtemps. Trop longtemps, aurait probablement dit Uhura. Il éprouvait cependant, par moments, une sensation étrange et désagréable, qui se traduisait physiquement par une douleur sourde dans l’estomac, une sueur froide ou un léger vertige. Autant de symptômes importuns, mais avec lesquels il avait appris à vivre.
Vers minuit, après quatre heures d’une intensité sociale à laquelle il n’était plus habitué, il éprouva le besoin de se retrouver un peu seul. Fatigué, oppressé, pressentant une de ces brusques baisses de tension qui faisaient à présent partie de son quotidien et qu’il arrivait à gérer sans trop de dégâts, il se leva discrètement pour aller faire quelques pas dehors.
Il avait peut-être présumé de ses forces, se dit-il lorsqu’il sentit la tête lui tourner. S’asseyant sur le banc de pierre au milieu du jardin, il ferma les yeux et respira profondément, basculant sans trop de difficulté dans le Wh’ltri.
– Je peux ?
La voix familière le ramena brutalement à la réalité. Il ouvrit les yeux pour voir, planté devant lui, le docteur McCoy, qui désignait du menton la place vide à côté du Vulcain un demi-sourire plaqué sur les lèvres. Depuis le début de la soirée, le médecin avait soigneusement ignoré Spock, et ce dernier en avait été à la fois soulagé et déçu. Il acquiesça sans prononcer un mot, et Leonard se laissa tomber à côté de lui avec un soupir.
– Alors, Spock, comment allez-vous ? Pas trop d’humains émotionnels réunis en un même lieu ? Vous allez tenir le coup ?
Spock coula vers son voisin impromptu un regard presque méfiant (pourquoi McCoy se montrait-il soudainement si aimable, après ces mois de silence et d’hostilité ?), tout en plaquant sur son visage une expression parfaitement neutre.
– S’agit-il d’une vraie question, docteur ? demanda-t-il prudemment.
McCoy ricana en levant les yeux au ciel.
– Je pose rarement de « fausses » questions, fit-il remarquer.
Sagement, Spock choisit de s’abstenir de tout commentaire. Il lui aurait pourtant été facile d’énumérer une centaine de « fausses » questions que posait régulièrement le médecin.
– Je vais très bien. J’avais juste besoin de prendre l’air et d’être seul un moment.
– S’agit-il d’une vraie réponse ? demanda McCoy avec un clin d’œil qui ramena son interlocuteur plusieurs années en arrière.
Spock hésita à répondre. Devait-il rétorquer sur le même ton, comme si rien ne s’était passé, comme s’ils n’avaient pas passé près d’un an et demi à s’ignorer, comme si Leonard n’avait rien dit ce fameux soir qui avait entériné leur « rupture », comme si lui-même ne s’était pas montré odieux lors de leur dernière entrevue ? Était-ce ainsi que les humains fonctionnaient ? L’idée que McCoy avait peut-être, de son côté, également « pris du recul », était positive. Spock se surprit presque à espérer un retour à la normale.
De l’espoir, M. Spock ? Je croyais que c’était une émotion humaine. [3]
– Spock, poursuivit McCoy, ce n’est pas très difficile. Vous me dites n’importe quoi et je vous réponds. Ne me dites pas que vous n’êtes pas capable de tenir une conversation à peu près normale avec moi pendant une dizaine de minutes ?
Le Vulcain haussa un sourcil.
– Oh, soit vous êtes obtus, soit vous faites délibérément semblant de ne pas le remarquer, mais c’est pour nous rabibocher tous les deux qu’Uhura a invité tous ces gens chez elle. Ça fait suffisamment longtemps qu’elle me dit d’aller vous parler, m’expliquer avec vous. Donc c’est ce que je fais, comme ça elle me fichera peut-être la paix.
– Vous voulez dire, demanda Spock qui n’était toujours pas certain de bien comprendre, que vous êtes venu me parler uniquement pour la rassurer ?
– Evidemment, qu’est-ce que vous croyez ? Si vous pensez que ça m’amuse d’être là, vous vous fourrez le doigt dans l’œil jusqu’à la clavicule ! Elle a insisté, insisté, insisté pour que je vienne, et je n’ai pas pu faire autrement. Mais si on arrive à la persuader que tout va bien entre nous, elle me lâchera peut-être la grappe par la suite.
Spock fut tenté, l’espace d’un instant, de se lever et de partir. Comment avait-il pu être, en effet, assez naïf pour imaginer que McCoy avait pris du recul et souhaitait un retour à la normale ? Au lieu de cela, il ravala la nausée qui montait en lui et prit un ton neutre pour rétorquer :
– Je crains que vous n’ayez oublié le caractère d’Uhura, docteur, si vous pensez qu’une discussion de dix minutes la convaincra de nous « lâcher ».
Le médecin eut un petit rire amusé en entendant le « nous ».
– Alors elle vous a harcelé vous aussi ? Remarquez, ça part plutôt d’un bon sentiment. Après tout, elle est vraiment inquiète pour nous. Elle cherche à bien faire.
Spock hocha la tête. Evidemment, Uhura cherchait à bien faire. Elle avait compris depuis longtemps ce que lui-même venait tout juste de réaliser : maintenant que Jim était mort, ils avaient besoin l’un de l’autre. C’était une chose tellement sentimentalement humaine à penser que le Vulcain en lui tenta de se rebeller. Il n’avait évidemment besoin de personne, et certainement pas d’un vieux médecin alcoolique !
Vraiment ? Les Vulcains ne peuvent pas mentir, paraît-il. Mais ils ont l’air particulièrement doués pour se mentir à eux-mêmes.
Sa moitié humaine avait raison, évidemment. Et s’il ne parlait pas maintenant, il n’aurait probablement plus jamais l’occasion de le faire.
– Ecoutez, Leonard… Peut-être… Peut-être Uhura a-t-elle raison de s’inquiéter pour vous. (Il était même prêt à admettre qu’elle avait aussi raison de s’inquiéter pour lui, s’il le fallait.) La dernière fois que vous m’avez appelé, je vous ai retrouvé ivre mort dans un fossé, sous une pluie battante, à quinze kilomètres de chez vous, avec une cheville cassée.
Le souvenir lui était encore douloureux. Il avait passé deux heures à suivre le médecin à la trace, convaincu qu’il était déjà mort (la communication s’était brusquement interrompue), et lorsqu’il l’avait enfin retrouvé, au lieu du soulagement qu’il aurait dû éprouver, il n’avait ressenti qu’une intense colère, qui avait balayé sur son passage toutes les autres émotions. Ce soir-là, McCoy aurait probablement été disposé à parler, à s’épancher, mais lui-même n’avait pas réussi. Il s’était montré odieux et avait fini par endormir le blessé à l’aide d’un puissant anesthésiant, parce qu’il était incapable de lui répondre sincèrement.
Ça vous est vraiment égal que je me foute en l’air, du moment qu’il n’y a pas de dommage collatéral ?
Comment avait-il pu ne pas répondre à une telle question ? Comment avait-il pu se contenter de soigner le médecin, comment avait-il pu être assez cruel (indifférent, insensible, aurait probablement dit l’intéressé) pour s’en aller comme un voleur, sans répondre ?
– Franchement, Spock, je vous trouve un peu gonflé de me faire des reproches, le coupa McCoy, pâle de colère. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !
Le Vulcain cligna des yeux, pris au dépourvu. Il ne s’agissait absolument pas de reproches – c’était tout simplement sa façon d’exprimer sa propre inquiétude, en relayant celle d’Uhura. Sans doute était-ce maladroit, parce qu’il n’avait pas pour habitude de laisser ainsi s’exprimer ses sentiments, mais il ne s’agissait pas de reproches.
– Vous ne m’avez pas compris, essaya-t-il d’expliquer, je…
– Parce que si on commence sur ce terrain, j’ai largement de quoi répondre. Il me semble, par exemple, que vous assistants vous ont viré de votre propre laboratoire parce qu’ils se sont rendu compte que vous y passiez vos nuits à vous épuiser à la tâche au lieu de dormir. Vous trouvez que c’est très intelligent comme comportement ?
Spock, qui s’apprêtait à s’excuser, resta pétrifié, les mots bloqués dans sa gorge. S’il avait été humain, il aurait probablement fixé son interlocuteur avec des yeux ronds. Au lieu de cela, il rassembla tout son contrôle vulcain et demanda calmement :
– Comment êtes-vous au courant ?
– Oh, vous êtes vraiment naïf ! ironisa le médecin. Figurez-vous que j’ai gardé contact avec Franck Brent. [4] Et lorsque ce brave garçon m’a fait part de ses… inquiétudes vous concernant, j’ai joué mon rôle de médecin traitant et je lui ai conseillé d’en parler à son supérieur hiérarchique. C’est la procédure, après tout, ça devrait vous plaire.
– Vous voulez dire, dit lentement Spock, qui n’en croyait pas ses oreilles, que vous avez gardé contact avec un de mes assistants au laboratoire ?
– Où est le problème ? répondit sèchement McCoy. Je n’ai pas le droit de voir qui je veux ?
– Et, poursuivit le Vulcain comme s’il n’avait pas été interrompu, vous l’avez poussé à parler à l’amiral Stew afin qu’il me fasse subir une visite médicale et me retire l’accès de nuit au laboratoire ?
Leonard haussa les épaules, comme si tout cela était non seulement évident, mais également sans importance. Spock sentait que le sens de cette conversation lui échappait, que tout lui échappait. Il était, pour l’heure et peut-être pour la première fois de sa vie, désolé de ne pas posséder cette qualité totalement humaine appelée intuition. Il ne comprenait ni le raisonnement, ni les émotions à l’œuvre dans l’attitude changeante de son ancien ami.
Et il avait mal à la tête. Très mal.
– Docteur, pourquoi m’avez-vous… espionné de la sorte ? Pour quelle raison vous êtes-vous ingéré dans ma vie ?
Il avait essayé de conserver le ton le plus neutre possible, afin que le médecin n’y perçût pas le moindre reproche – d’ailleurs, il n’y en avait aucun. Spock devinait que l’homme avait agi ainsi, tout comme lui, par inquiétude, pour lui venir en aide, et si c’était le cas, alors peut-être pourraient-ils repartir sur la base d’une nouvelle compréhension mutuelle…
Mais c’était compter sans l’irascibilité et la tendance à la surinterprétation de son interlocuteur.
– Merde, Spock, vous ne pouvez pas me reprocher ça ! Je ne l’aurais pas fait si vous n’aviez pas commencé !
– Commencé quoi ? demanda faiblement le Vulcain.
– Vous vous êtes privé, vous, peut-être, pour regarder à l’intérieur de ma tête ? Je sais très bien que depuis que vous y avez mis votre foutu katra, il vous suffit d’une dizaine de seconde de contact avec moi pour savoir tout ce que je pense. [5] Quand vous êtes venu me tirer de mon fossé, vous m’avez touché, à deux reprises, juste avant de me faire remarquer que je passais ma vie aux urgences – ce que personne à part moi ne savait. Je ne vois pas très bien comment vous l’auriez appris. A partir du moment où vous commencez à trifouiller dans mon esprit, je ne vois pas pour quelle raison j’aurais à me justifier pour m’ingérer dans votre vie !
Spock sentit le sol se dérober brutalement sous ses pieds. Il aurait voulu protester, dire qu’il était incapable de faire une chose pareille, qu’il s’agissait d’une des lois les plus sacrées de son peuple, qu’il l’avait déjà violée une fois et qu’il ne commettrait pas la même erreur, même si sa vie en dépendait – mais il ne parvint pas à articuler un seul mot, parce que tout cela, McCoy le savait déjà. Ils en avaient parlé, longuement, après toute l’affaire Genesis. McCoy savait que Spock était incapable de violer à nouveau son esprit. Car c’eût été non seulement un acte d’espionnage (comme il l’avait fait en piratant le système informatique de l’hôpital), mais également un viol, au regard des lois de son peuple. McCoy le savait, et pourtant il venait de porter son accusation avec certitude…
Il avait raison, maintenant que Jim n’était plus là, il n’y avait plus de communication, plus de compréhension possible entre eux. Après tout, même sur l’Enterprise, se souvint-il brusquement, les choses se passaient ainsi : lorsque Jim n’était pas là, McCoy s’emportait après lui et lui reprochait d’être trop Vulcain (et Spock lui-même renforçait en effet son côté Vulcain, accusant le médecin en chef de ne pas savoir contrôler ses émotions). [6] Comment avait-il pu être assez naïf pour croire que tout pourrait s’arranger ? Il n’y avait rien à arranger, puisqu’il n’y avait jamais rien eu.
Spock se leva et se sentit chanceler. La main du médecin saisit la sienne, mais il la repoussa comme si elle le brûlait.
– Ne me touchez pas, s’entendit-il dire froidement. Ne me touchez plus jamais. Je ne veux pas vous laisser la possibilité de me reprocher de m’être introduit dans votre esprit.
Si McCoy lui répondit quelque chose, Spock ne l’entendit pas.
Il parvint jusqu’à la maison, monta les escaliers, s’étendit sur son lit, et perdit connaissance.
Enfin.
[1] Je ne parle pas Vulcain, j’ai utilisé un traducteur en ligne, c’est censé vouloir dire « Je partage votre peine, mais je ne veux pas vous perdre aussi ». Je pense qu’Uhura y serait allée cash, sentimentalement, parce qu’en effet elle n’a pas envie de perdre un autre membre de l’équipage et qu’elle voit bien que les deux zozos se laissent totalement sombrer chacun de son côté.
[2] Autant de membres de l’équipage dont j’ignore totalement, à l’exception de Chekov et Sulu, s’ils sont morts ou vivants à ce moment de la time-line…
[3] Dans « The Gamster of Triskelion », Bones prononce cette phrase, à laquelle Spock répond qu’un certain degré d’exposition (à l’espoir) aboutit nécessairement à une certaine contamination… J’aime bien. :-D
[4] Un gars absolument pas canon, que j’ai imaginé pour cette histoire, tout comme l’amiral Stew un peu plus loin.
[5] Ce n’est qu’à moitié canon. Spock a bien mis son katra dans la tête de McCoy à la fin de « The wrath of Khan », mais il n’est ensuite jamais mentionné que ça ait eu un quelconque effet télépathique sur l’un ou l’autre. Mais je me dis que ça n’est quand même pas anodin, et que probablement Spock et McCoy ont maintenant un lien télépathique particulier qui fait qu’il est difficile pour Spock de « bloquer » les émotions provenant de McCoy. Canon tout personnel, évidemment.
[6] Dans TOS, quand Spock et McCoy se retrouvent sans Kirk pour « faire tampon » entre eux, McCoy est souvent odieux avec Spock, au point de lui contester le commandement et de souhaiter pouvoir le lui retirer. C’est le cas dans « The Galileo Seven » (un épisode que je devrais aimer car il est centré sur Spock, mais que je n’aime pas) ou dans « The Tholian web », mais ça apparaît dans d’autres extraits. Autant les échanges habituels, parfois pourtant pas très tendres, entre ces deux-là, ne me dérangent pas et me font même souvent sourire, autant les reproches de McCoy sur les décisions, déjà très dures à prendre, prises par Spock me gênent aux entournures. J’ai remarqué que ça arrive toujours quand Jim est absent (logique, sinon ce serait lui qui commanderait !) et j’en ai déduit que c’est précisément parce qu’il ne peut pas jouer les arbitres et désamorcer la situation (dans laquelle aucun des deux, pour des raisons diverses, ne parvient à contrôler ses angoisses) que McCoy est aussi infect avec Spock, ce dernier étant juste super-Vulcain et très pénible mais pas odieux comme Bones. Je voulais rentre ça ici, accentué car Jim ne reviendra évidemment pas pour les empêcher de faire n’importe quoi.