Le détective agonisant

Chapitre 5 : I wonder how a battery feels when it pours electricity into a non-conductor

1125 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 18 jours

Chapitre 5 : I wonder how a battery feels when it pours electricity into a non-conductor [1]

 

 

JEUDI


Ce soir-là, alors qu’il introduisait sa clef dans la porte de sa chambre d’hôtel, John se sentit inexplicablement contrarié. La journée s'était pourtant déroulée de façon presque parfaite : Isabelle s'était excusée pour son absence de la veille et lui avait proposé un autre rendez-vous le soir même, le congrès était particulièrement intéressant, il avait trouvé sans difficulté le docteur Ainstree, l'avait interrogé sur la mort de Savage, et était rentré à temps à l'hôtel pour prendre une douche et contacter Sherlock avant de retrouver Isabelle au restaurant. Cependant, quelque chose, à un moment donné de la journée, lui avait laissé une étrange impression, ce qui était d'autant plus frustrant qu'il était incapable de savoir d'où venait le problème.

19:36. Tu peux te connecter maintenant ?

19:40. Envoie-moi les infos par SMS. Je suis occupé.

John fronça les sourcils. Faire passer au détective par texto tout ce qu'il avait découvert dans l'après-midi serait bien trop fastidieux. Il n'avait pas le temps pour cela : il devait être dans le hall de l'hôtel à 20h.

19:42. Pourquoi par SMS ? Je viens d'allumer mon ordi.

19:43. Par SMS, John.

La brièveté du message et l'emploi de son prénom déclencha dans l'esprit du médecin une sonnette d'alarme, qui ne sonnait pas encore trop fort, mais trop désagréablement pour être totalement ignorée. John choisit le ton de la plaisanterie.

19:45. Pourquoi, tu ne veux pas que je te voie en petite tenue ?

19:47. Ne sois pas ridicule et fais ce que je te dis.

John retint un nouveau soupir de frustration. Pourquoi par texto ? Ca n’avait aucun sens, sauf si Sherlock ne voulait pas être vu ou entendu. Parce qu’il était malade, et qu’il n’avait pas envie que John « s’inquiète pour lui » (non, vraiment, ce message n’était pas passé). Parce qu’il voulait garder le contrôle sur tout, tout le temps. Rien d’alarmant là-dedans. Vis ta vie et laisse ton coloc vivre la sienne, aussi étrange et tordue qu’elle soit.

Il hésita, jeta un coup d’œil vers la salle de bain, reprit son téléphone et appuya sur l’écran. Une sonnerie. Deux. Trois. Messagerie vocale.

Sherlock Holmes. Ne laissez pas de message, je ne l'écouterai pas. Envoyez-moi plutôt un texto.

Le médecin leva les yeux au ciel. Pourquoi le destin s’amusait-il à le martyriser ainsi ? Quelqu’un avait-il tracé en lettres aussi invisibles que pesantes « Baby-sitter de Sherlock Holmes » sur son front ?

19:50. Pourquoi tu ne me réponds pas ?

19:52. Pourquoi tu es si pénible ?

John se mordit machinalement l’intérieur de la joue. Hésita. Posa le téléphone. Le reprit. Son agacement lui soufflait « laisse tomber et va te préparer pour ton rendez-vous », alors que son instinct de médecin lui hurlait « vérifie que tout va bien d’abord ».

De toute façon, avec toutes ces conneries, il n’avait plus le temps de prendre une douche…

19:54. Si tu n'allumes pas ton ordinateur maintenant, je prends le prochain avion pour Londres.

La minute de silence qui suivit sembla s’étirer indéfiniment, puis le petit bruit caractéristique de Skype vint rompre le charme. John plissa les yeux devant son écran qui restait d’un noir d’encre.

– Je ne te vois pas.

– Et alors ? répondit Sherlock.

Sa voix était très faible, presque un murmure, alors que sa respiration, lourde et sifflante, résonnait au contraire dans les oreilles de son interlocuteur, accompagnée d’un crépitement que John jugea aussitôt de mauvais augure.

– Tu es dans ta chambre, non ? Allume la lumière.

– Pourquoi ? chuchota le détective.

– Merde, allume la lumière !

Sherlock poussa un soupir exaspéré qui dégénéra vite en toux.

– Sherlock ! cria le médecin. La lumière, ou je viens l'allumer moi-même, et te botter le cul par la même occasion !

– Ca va, pas la peine d’être mélodramatique.

Un léger cliquetis, puis la faible lueur d'une lampe de chevet éclairant la pièce. Son colocataire était allongé dans son lit, l'ordinateur sur les genoux. John inspira brusquement. Il s’attendait à… il ne savait pas à quoi il s’était attendu, mais certainement pas à un Sherlock livide, le visage ruisselant de sueur, les yeux injectés de sang et tremblant de manière incontrôlable.

– Mélodramatique ? s'écria John, partagé entre la colère et l'inquiétude. Mélodramatique ? répéta-t-il, incrédule. Tu t’es regardé dans une glace récemment ?

– La grippe, je te dis. Ou plutôt, c’est toi qui l’as dit. Je ne sais plus.

– Peut-être, mais il faut que tu te soignes, Sherlock. Au moins que tu appelles un médecin pour vérifier que c’est bien la grippe et pas une autre saleté que tu aurais chopée je ne sais où. Si tu ne le fais pas, j’appelle Molly.

– Non, attends, ce n'est pas...

Une brusque quinte de toux empêcha Sherlock d’achever sa phrase. Prenant un des nombreux mouchoirs sales posés sur la table de nuit, il se couvrit la bouche pour essayer d’atténuer la violence de l’accès, sans y parvenir. Après une ou deux minutes qui parurent à John une éternité, la crise finit par passer d’elle-même. Sherlock se redressa en frissonnant, les yeux rouges et emplis de larmes, et tenta de sourire. Il échoua lamentablement, ses lèvres s’entrechoquant de façon convulsive, et sembla renoncer totalement à maintenir une contenance devant son colocataire. Haletant, il ferma les yeux se laissa aller contre les oreillers placés derrière sa tête. L’ordinateur glissa sur les draps et John, qui s’apprêtait à adresser au détective une engueulade d’autant plus forte que son inquiétude avait monté d’un cran, vit avec horreur une large tache rouge qui s’élargissait sur le mouchoir que Sherlock tenait dans la main quelques secondes auparavant.

– Sherlock, qu’est-ce que c'est que ça ?

 

 

[1] Oui, c’est une vraie citation de Conan Doyle. « Je me demande ce que peut bien ressentir une batterie quand elle déverse de l’énergie dans un non-conducteur. » C’est Sherlock qui dit ça à un Watson horrifié dans « Le détective agonisant » justement, alors qu’il n’est… disons pas au mieux de sa forme. 

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