Le détective agonisant

Chapitre 3 : I am a brain; the rest of me is a pure appendix

1195 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 20 jours

Chapitre 3 : I am a brain; the rest of me is a mere appendix [1]

 

 

MARDI


– Sherlock ? Tu es là ?

John ne distinguait, sur l’écran, que les motifs faiblement éclairés de la tapisserie du salon. L’appartement était étrangement silencieux – généralement, lorsque Sherlock s’y trouvait, le silence ne durait pas…

– Sherlock ?

Un bruit de pas traînant lui parvint.

– J’arrive, répondit la voix de son colocataire, plus rauque que d’habitude.

L’écran fut brusquement tourné vers la lumière et tangua tandis que Sherlock prenait l’ordinateur sur ses genoux pour s’installer dans le canapé. John détourna le regard, craignant que le détective ait négligé d’enfiler un pyjama, comme lui arrivait régulièrement. Une quinte de toux ramena toute l’attention du médecin vers l’ordinateur. Sherlock, emmitouflé dans sa robe de chambre (c’était toujours mieux que rien), semblait peiner à reprendre son souffle.

– Tu es malade ? demanda John.

Sherlock haussa les épaules et lança à son colocataire le regard « dis-moi-vite-ce-que-tu-as-trouvé-sans-poser-de-questions-stupides ». John enchaîna avec le récit de ses (peu excitantes) aventures.

– Si tu ne demandes pas à ton frère de me donner accès à tous les dossiers, j’ai bien peur qu’on ne soit très vite dans une impasse.

– Pas question que Mycroft vienne fourrer son gros nez là-dedans. Tu as pu aller interroger la famille de Savage ? Tu les as trouvés ?

– Tu sais, je ne sais peut-être pas faire grand-chose, mais me servir d’un plan fait encore partie de mes capacités, répondit John, vexé.

Sherlock se détourna un instant pour dissimuler un nouvel accès de toux dans sa manche. Lorsqu’il revint vers l’écran, John ne put s’empêcher de remarquer que ses pommettes étaient plus rouges et ses yeux plus brillants qu’à l’ordinaire.

– Tu es sûr que ça va ?

John n’avait jamais vu son ami montrer le moindre signe de maladie auparavant. (Bien sûr, il y avait la fois où il avait avalé une tablette entière de laxatifs « pour vérifier un alibi », mais cela ne comptait pas vraiment pour une maladie. [2]) Sauf lorsqu’il s’ennuyait, il semblait toujours débordant d’énergie, au mieux de sa forme et prêt à passer trois jours sans dormir, ni boire, ni manger – ce qu’il faisait réellement, parfois, mais même après cela, il n’avait pas l’air ne serait-ce que vaguement fatigué.

– Evidemment que ça va, répondit Sherlock d’un ton agacé. Dis-moi ce que tu as trouvé.

John laissa de côté ses confuses préoccupations médicales pour revenir à l’affaire en cours.

– Je suis allé chez Mrs Curling, l’ancienne maîtresse de Savage. Elle déclare ne rien savoir sur les activités de son amant, et je crois qu’elle dit la vérité. Il l’emmenait souvent en voyage à l’autre bout du monde, il était riche, mais il disparaissait de temps en temps, pour un mois ou deux, sans lui dire où il allait. Elle soupçonnait qu’en plus d’elle-même et de son épouse, il fréquentait une autre femme.

– Qui ?

– Aucune idée. Quant à sa mort, elle n’en sait rien parce qu’elle ne l’avait pas vu depuis un mois lorsqu’elle a appris son décès. Jamais elle n’a imaginé qu’il aurait pu être assassiné. Mrs Savage était absente, j’ai laissé un message, je repasserai demain. Pour le frère, Jack Savage, Victor est mort parce qu’il était stupide : parti à l’étranger sans se faire vacciner, mort d’une maladie exotique dont il a oublié le nom. Il n’y a rien là-dessus dans le dossier. Tu es sûr qu’il y a eu assassinat ?

– Est-ce que quelqu’un l’a vraiment vu malade avant sa mort ?

– Ni Mrs Curling, ni son frère, en tout cas. Savage est apparemment mort une semaine après son retour d’un voyage en Afrique. Sa femme pourrait sans doute nous en dire plus.

– Oui, et n’oublie pas le médecin qui a signé le permis d’inhumer. Il n’y a pas eu de procès, et donc probablement pas d’autopsie. Le médecin de la famille est le plus...

Une nouvelle quinte de toux, plus forte que la précédente, secoua le corps du détective. Il ouvrit la bouche pour continuer sa phrase, mais ne parvint qu’à tousser à nouveau. Esquissant vers l’écran un vague signe qui signifiait « attends », il se leva et se dirigea d’un pas mal assuré vers la cuisine. John entendit le bruit de l’eau qui coulait du robinet et, après quelques secondes, le bruit de la toux s’arrêta.

– Je disais : le médecin de la famille est le plus probable. Demain, n’oublie pas de demander son nom à Mrs Savage.

Sherlock réprima un frisson et resserra contre lui les pans de sa robe de chambre. John perçut un léger sifflement dans sa respiration et remarqua que son front brillait à la lumière de la lampe.

– Tu ne crois pas que tu as de la fièvre ? demanda-t-il, vaguement inquiet.

Sherlock haussa les épaules.

– Non, sérieusement, prends une tisane avec du miel et va te coucher. Et dors. Tu sais, comme le font les êtres humains normaux, à peu près toutes les nuits.

– Très drôle. A demain.

John eut juste le temps de voir Sherlock se plier en deux, en proie à une nouvelle crise, avant que son écran devienne noir. Son ami avait fermé son ordinateur. John, de plus en plus troublé, prit son téléphone. Les quintes de toux que Sherlock cherchait visiblement à lui dissimuler étaient d’autant plus inattendues que l’avant-veille, il avait laissé son colocataire en parfaite santé.

23 :16. Sérieusement, repose-toi. Appelle un médecin si ça ne va pas mieux.

23 :18. Bien sûr. A demain.

23 :19. Non, sérieusement, Sherlock. Va au moins voir Mrs Hudson.

23 :22. Elle est partie rendre visite à sa sœur.

23 :23. Alors, appelle-moi.

23 :26. Je vais bien, John.

23 :27. Excuse-moi de ne pas prendre pour argent comptant tout ce que tu dis.

23 :28. Arrête de t’inquiéter tout le temps pour moi, c’est pénible.


[1] Cette citation (« Je suis un cerveau avant tout ; le reste de ma personne n’en est que l’appendice ») est extraite de « La pierre de Mazarin », une nouvelle relativement oubliable à mon sens, mais dans laquelle Holmes prononce la phrase « Vous m’avez déjà vu en vieille dame, Watson ? Jamais je n’ai été plus séduisant. » et ça me fait toujours rire.

[2] Oui, j'avoue, je fais de l’auto-pub pour une de mes fics que je n'ai pas encore publiée ici mais que je mettrai probablement sur fanfictions fr après celle-ci, et qui est aussi une reprise d’une nouvelle d’ACD.

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