Sanctuary's songs
Le soleil couchant colorait le ciel de rouge et d’orange. La plage bordant le Sanctuaire était déserte, hormis une silhouette solitaire qui se découpait sur l’horizon. Kanon profitait de la fraîcheur bienfaitrice apportée par le crépuscule. Seuls le flux et le reflux des vagues sur le sable troublaient la tranquillité du lieu.
À peine quelques jours auparavant, ils auraient été deux à se promener main dans la main et les pieds dans l’eau, tout en faisant des projets d’avenir.
Mais aujourd’hui cela n’avait plus aucune importance. Idril était partie et il savait très bien qu’elle ne reviendrait pas.
Ce terrible jour qui ne s’effacerait pas de sa mémoire, Kanon s’était entraîné avec son frère de l’aube au coucher de l’astre solaire. Quand il était rentré chez lui, le chevalier avait compris que quelque chose n’allait pas. Idril l’attendait assise dans la cuisine, son sac de voyage posé à ses pieds. Elle prononça alors la phrase qui briserait la vie du second Gémeaux.
- Kanon, je m’en vais ! J’ai besoin de me retrouver seule pour un temps et je ne reviendrai pas !
Elle s’était levée, avait pris sa valise et le reste de ses affaires, puis avait quitté le cabanon en refermant la porte. Le jeune homme aurait voulu la rattraper, lui demander d’expliquer son geste mais son corps avait refusé de lui obéir. Il était resté figé dans la cuisine désormais vide tandis qu’une douleur insidieuse et lancinante lui broyait le cœur. Quand enfin il avait repris pied dans la réalité, il était sorti à son tour. Il avait longtemps erré sans but sur la plage, tout s’était écroulé autour de lui et il avait eu l’impression de succomber sous les décombres d’un amour qui l’avait consumé entièrement.
Aujourd’hui, rien n’avait changé et cette sensation qu’un vide immense avait élu domicile dans sa poitrine ne lui laissait aucun répit. Sans s’en rendre compte, Kanon avait quitté la plage et pris le chemin du village de Rodorio. Les badauds le regardèrent passer du coin de l’œil. Il faut dire que l’absence d’Idril à ses côtés étonnait un grand nombre de villageois qui les avaient cru inséparables.
D’une des petites maisons de pierres s'élevait une chanson.
- Voilà qui est de circonstance ! pensa Kanon en écoutant plus attentivement les paroles.
Désormais
On ne nous verra plus ensemble
Désormais
Mon cœur vivra sous les décombres
De ce monde qui nous ressemble
Et que le temps a dévasté
Cela faisait maintenant deux semaines que Kanon avait trouvé refuge chez son frère et celui-ci était de plus en plus inquiet pour son jumeau. Saga trouvait que Kanon depuis sa rupture était devenu l’ombre de lui-même et qu’il s’enfonçait un peu plus chaque jour dans un état proche de la dépression à force de ressasser sans cesse les souvenirs d’un passé désormais révolu.
La nuit dernière le cadet des Gémeaux lui avait longuement parlé d’elle sans pour autant arriver à tourner la page.
- Jamais plus je ne dirai « Je t’aime », j’en serai incapable, elle seule compte pour moi !
- Ne dis pas n’importe quoi ! avait répondu Saga. Laisse faire le temps, tu verras il y a beaucoup d’autres filles sur la planète !
Kanon avait esquissé un triste sourire mais n’avait pas répondu, préférant aller se coucher. Il n’avait pas trouvé le sommeil et dans son esprit les images de leur premier rendez-vous s’étaient mises à défiler. Il se revoyait assis à l’ombre d’un vieil olivier ; il lui avait caressé la joue puis effleuré les lèvres du bout des doigts. Idril n’avait pas bougé. Il s’était alors rapproché d’elle et l’avait embrassée timidement d’abord, puis plus passionnément lorsqu’elle lui avait rendu son baiser. Quand le soir fut tombé, ils étaient rentrés main dans la main jusque chez eux. Mais désormais seul dans son grand lit, la main de Kanon ne serrait plus que du vide.
Désormais
Ma voix ne dira plus je t’aime
Désormais
Moi qui voulais être ton ombre
Je serai l’ombre de moi-même
Ma main de ta main séparée
Kanon ne pouvait s’empêcher de songer à tous les bons moments qu’il avait partagés avec Idril. Leurs fous rires quand ils faisaient le même geste au même moment. La douceur des caresses qu’ils échangeaient, la fraîcheur de la peau d’Idril et son parfum de vanille si enivrant. Il pouvait presque entendre ses gémissements quand il lui donnait du plaisir. Il se rappelait en détail leurs nuits d’amour. Il laissait ses mains vagabonder sur le corps rendu brûlant par le désir et du bout de la langue il titillait les boutons roses de sa poitrine avant de se frayer un passage entre ses cuisses.
Ils se blottissaient ensuite l’un contre l’autre pour dormir et elle lui confiait ses angoisses à la pensée qu’il puisse un jour la quitter. Quelle ironie puisque c’était elle qui était partie !
Jamais plus
Nous ne mordrons
Au même fruit
Ne dormirons au même lit
Ne referons les mêmes gestes
Jamais plus
Ne connaîtrons la même peur
De voir s’enfuir notre bonheur
Et du reste désormais
Kanon savait qu’il ne pourrait pas continuer à vivre ainsi. Il devait réapprendre à vivre seul et oublier les habitudes prises à deux.
Après avoir assuré à son frère qu’il pouvait se débrouiller seul, il était rentré chez lui. Le cabanon était resté tel que le chevalier l’avait laissé, hormis quelques araignées qui y avaient élu domicile en son absence.
Après avoir jeté les intruses à huit pattes dehors, Kanon rangea rapidement ses maigres affaires dans la vieille commode. Il prit sur celle-ci un cadre à l’intérieur duquel souriait son ancienne compagne. Tout en fixant la photo Kanon murmura :
- As-tu déjà un autre amant ? Lui dis-tu les mêmes mots, ceux que tu me chuchotais quand nous faisions l’amour ?
Désormais
Les gens nous verront l’un sans l’autre
Désormais
Nous changerons nos habitudes
Et ces mots que je croyais nôtres
Tu les diras dans d’autres bras
Cela fait trop longtemps que Kanon ne vit plus, enfermé entre quatre murs qui semblent vouloir se refermer sur lui. Beaucoup d’objets, beaucoup de meubles lui rappellent la présence d’Idril : ce petit chat de porcelaine qu’elle affectionnait tant, ce miroir devant lequel elle passait des heures à tenter en vain de discipliner ses boucles rebelles et ce lit où ils avaient échangé tant de passion et de tendresse.
Désormais
Je garderai ma porte close
Désormais
Enfermé dans ma solitude
Je traînerai parmi les choses
Qui parleront toujours de toi
Kanon décida de jeter tout ce qui pourrait raviver ses souvenirs. Le tri sera long mais c’est la seule manière de pouvoir passer à autre chose et il s’en rend bien compte. Pour l’instant son cœur est encore trop fragile, Kanon le sait, mais son frère a raison, il faut laisser faire le temps.
Jamais plus
Nous ne mordrons
Au même fruit
Ne dormirons au même lit
Ne referons les mêmes gestes
Jamais plus
Ne connaîtrons la même peur
De voir s’enfuir notre bonheur
Et du reste désormais