Le Prince & L'Idiot

Chapitre 21 : PROMESSES (Partie I)

4604 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 18:29

 

PROMESSES

(Partie I)

 

 

Il faut du temps pour qu'ils s'habituent à l'absence de Lancelot.

Le souvenir de sa présence est partout dans le château.

Le râtelier vide dans l'armurerie, sa longue écriture raffinée sur tellement de rapports, son cheval qui piaffe dans les écuries, la grande fenêtre géminée au rez-de-chaussée sur laquelle il s'asseyait pour lire ses livres de poésie épique.

A chaque détour de couloir, quand ils se tournent vers le banc sur le terrain d'entraînement, au bout de la table des banquets, ils s'attendent à croiser son sourire, à entendre sa voix grave et chaleureuse, à le voir s'avancer vers eux.

Il n'est plus là et cependant la vie continue.

Ils ne l'oublient pas, mais petit à petit la douleur devient plus sourde, plus tendre, plus lointaine.

Jusqu'à ce qu'ils se remettent à rire, à faire des projets – et c'est ainsi qu'ils honorent sa mémoire.

C'est pour Guenièvre que c'est le plus difficile et Arthur comprend lorsqu'elle lui demande si elle peut quitter la cour pendant quelques temps. Il lui propose de l'envoyer au bord de la mer, chez son oncle Agravaine, et la jeune femme accepte avec reconnaissance. Elle s'y occupera de Morgane dont elle était proche comme d'une sœur, avant le siège de Camelot. Ce sera un lien avec le passé, sans la souffrance de lui rappeler constamment la perte de son époux. L'occasion de se rendre utile, mais aussi de soigner sa peine.

Merlin et Mithian la serrent très fort dans leurs bras, promettent de lui écrire souvent et restent sur le chemin jusqu'à ce que la petite escorte disparaisse dans le lointain.

Les jours passent, la neige fond.

Sir Léon a repris les fonctions de commandant en chef et c'est Gwaine, étonnement, qui s'installe peu à peu à la place de second, prouvant qu'il peut être sage et discipliné lorsqu'il s'applique. Arthur pensait que Perceval hériterait naturellement du poste, mais le géant a trouvé quelque chose d'autre à faire.

Quelque chose dont lui seul peut s'occuper.

Numéro Quatre.

Arthur a beaucoup hésité.

Il sait la haine farouche qu'entretiennent ses hommes envers l'Ombre Blanche. Gwaine refuse d'aborder le sujet de l'ancien assassin. Ses conseillers désapprouvent la présence du prisonnier dans les geôles de Camelot et Sir Léon a dit tout net qu'il démissionnerait si le roi l'obligeait à interagir avec l'homme de Caerleon.

Mais Perceval a penché la tête de côté, pensif, quand Arthur a expliqué sa théorie – et les progrès que fait Merlin pour communiquer avec le guerrier du Dorocha. Le géant est le seul à croire que Numéro Quatre veut vraiment changer de camp – le seul à imaginer ce que le roi devine indistinctement lorsqu'il observe son serviteur accroupi dans la cellule devant le monstre.

Celui qui tuait pour ceux qui ont fait de lui une bête deviendra un homme prêt à mourir pour ceux qui le traitent avec bonté.

Perceval a juré allégeance à Arthur et il fait confiance aux instincts de Merlin comme aux signes que donnent les étoiles. Mais plus que tout, il croit en Lancelot, et il sait que celui-ci approuverait.

Alors il s'est porté volontaire pour accompagner Merlin dans la cellule, puis pour surveiller le prisonnier lourdement enchainé quand le serviteur a demandé s'il pouvait l'emmener dehors. Numéro Quatre n'a pas cherché à s'échapper une seule fois. Il est resté stoïque quand ils ont traversé la cour sous l'œil hostile des gardes, a levé la tête une fois debout dans le pré à l'extérieur des remparts et laissé le soleil caresser son visage inexpressif.

Merlin babillait en pointant du doigt les nuages dans le ciel bleu et, à un moment, le géant a aperçu quelque chose qui ressemblait à un éclat amusé dans le coin de l'œil du soldat ennemi.

C'est ce qui l'a décidé. Il en a parlé d'abord avec le roi puis, le jour suivant, il a emmené deux bâtons d'entraînement, fixé le bout de la chaîne dans un anneau au bord des douves, et proposé à Numéro Quatre un match contre lui.

Merlin s'est perché sur un coin de murette.

L'Ombre Blanche a longtemps observé Perceval, comme pour sonder ses intentions – il serait si facile de tuer le prisonnier par accident et certains ont déjà essayé. Parfois on ne lui apporte pas son repas, d'autres jours un coup de pied sournois s'enfonce dans ses côtes alors qu'il est assis, toujours au même endroit, sur la paille de la cellule. Ses geôliers crachent au sol en refermant les grilles, on lui souffle qu'il ne s'écoulera pas longtemps avant qu'il n'aille rejoindre les autres âmes damnées de l'autre côté du voile.

Il ne s'en préoccupe guère. Les mauvais traitements sont tout ce qu'il a connu.

Il ne bronche pas.

Tout ce qui compte, c'est le moment où viendra le jeune homme fragile avec ses grands yeux bleus sincères.

Les longs doigts de Merlin effleurent sa gorge noueuse et Numéro Quatre ronronne en réponse.

Comme lorsqu'il était enfant, il y a de cela si longtemps. Comme lorsqu'avec ses frères il vivait dans la bauge, couvert de sang, de boues, de larmes, et que chaque jour il devait tuer ou mourir. Lorsque la porte grinçait, poussée par celui qui apportait leur repas, les chiots humains se redressaient et couinaient doucement. Le vieux gardien aux yeux d'enfant caressait leurs têtes hirsutes en racontant des histoires de licornes, de quêtes magiques, d'un monde où ils seraient libres.

Puis le maître d'armes a surpris le simplet en train de panser la blessure d'un des jeunes soldats, un jour. Et il l'a tué.

Alors ils ont juré, de toute la force de leurs cordes vocales mutilées.

Et ils ont grandi. Ils ont massacré, déchiré, tranché, sans se sentir humains comme ceux qui tombaient sous leurs coups. Mais jamais ils n'ont touché à ceux qui avaient le même regard perdu dans un rêve.

Lorsqu'on les a envoyés par-delà la frontière, ils ont très vite entendu parler de l'étrange souverain de Camelot. Un roi-chevalier, dont la force et l'habileté dans tous les arts de la guerre était inégalée. Un étrange monarque, plus préoccupé du bien-être de son peuple que de l'étiquette et des convenances.

Mais ils n'ont pas cru ceux qui racontaient qu'Arthur Pendragon était suivi partout par un grand idiot maigrichon et qu'il le traitait comme un frère.

Ce que font les humains n'a pas d'importance à leurs yeux.

Mais cette nuit-là, au bord du lac gelé, le cri du roi a résonné dans la nuit.

- "Epargnez mon serviteur ! Ce n'est qu'un simple d'esprit... Il ne mérite pas de mourir comme ça…"

L'histoire était vraie.

Alors Numéro Quatre a décidé d'y croire.

Il mourra plus tard.

Il mourra si c'est son destin.

Mais il veut voir. Il veut comprendre. Il veut suivre et peut-être servir le roi qui n'aurait jamais lâchement frappé le vieil homme aux yeux d'enfant et privé les chiots de leur ange gardien.

Le roi qu'aime Merlin.

Quand il accepte le bâton que lui tend Perceval, ses yeux sombres examinent le géant. S'il faut le tuer pour survivre, il le fera.

- Il ne te fera pas de mal, promet Merlin.

- Il dit vrai, ajoute Perceval avec bonté. "Je pensais juste que tu devais te sentir rouillé après toutes ces semaines dans les cachots et que tu aimerais peut-être te dégourdir les muscles."

Il recule, se met en position de combat. Le guerrier Dorocha incline la tête et attend.

Quand Perceval l'attaque, il l'envoie rouler au sol d'un seul mouvement de bras. Les chaînes cliquètent à ses chevilles et une goutte de sueur coule sur le long de son visage.

Le géant se relève et, après un instant, lui adresse un large sourire amical.

- Pas mal, lance-t-il.

Et il revient à la charge.

Au bout d'une heure, ils sont haletants et endoloris, mais Perceval a l'air satisfait et l'assassin de Caerleon ne le montre pas, mais il a apprécié la joute.

Au bout d'une semaine, le match au pied des remparts est devenu quelque chose de régulier.

Arthur y assiste les bras croisés et hoche le menton.

- C'est bien, Perceval, dit-il sobrement.

Il tapote l'épaule de Merlin en repartant et, à partir de ce jour, laisse le géant gérer les sorties du prisonnier.

Son serviteur continue de visiter Numéro Quatre régulièrement. Il a beaucoup réfléchi et lui a trouvé un nom – un vrai nom – qu'il lui a donné avec solennité.

Derian.

Perceval a approuvé et il s'est interposé le jour où Merlin a mentionné sa trouvaille dans l'armurerie et reçu à la tête en guise d'approbation une douzaine de commentaires plus blessants les uns que les autres, ainsi que plusieurs paires de bottes et gantelets lancés en travers la salle.

- Ce n'est pas lui qui a tué Lancelot ! a protesté le jeune homme à mi-voix, son regard bleu effrayé par l'animosité générale.

Sir Léon a fait cesser le tumulte avec des yeux sévères et prévenu le serviteur qu'il n'était pas question que l'Ombre Blanche soit mentionnée une seule autre fois dans son armurerie.

Gwaine n'a rien dit, mais il est venu assister au match entre Perceval et le guerrier Dorocha, le lendemain. Et plus tard, pendant qu'ils surveillaient Merlin en train de polir l'armure du roi, assis en tailleur à côté de l'assassin enchaîné qui faisait la sieste dans l'herbe, l'ancien clochard a lâché un grognement désapprobateur.

- Tu sais que ce n'est qu'une bête sauvage. Un jour, il nous trahira, comme il a trahi Caerleon. Et ce jour-là, c'est Merlin qui souffrira le plus…

- Ne peux-tu pas y croire, Gwaine ? a soufflé doucement son ami.

- Non. J'ai les yeux ouverts, Perceval. Le monde que construit Arthur est trop beau pour qu'il n'y ait pas un millier de raisons pour vouloir le détruire. Je ne laisserai pas cela arriver. Quand le jour viendra où ce chien montrera de nouveau les crocs, je serai là et je le tuerai.

Il est parti et le géant est resté seul.

Peut-être que Gwaine a raison.

Peut-être qu'ils sont fous.

Le royaume dont rêve Arthur est une utopie.

Mais est-ce si mal d'y croire ? D'y travailler ? D'espérer alors que les choses changent, que les gens deviennent différents ?

Ils n'ont jamais été aussi proches d'y arriver.

Le roi Lot a succédé à Cenred et se soumet à l'autorité de Camelot. La fidélité de Nemeth leur est acquise, bien évidemment. Bayard a renouvelé envers Arthur les alliances établies entre son père et le royaume de Mercia. La reine Annis a signé un traité de paix à Ismere.

Sur les cinq grands royaumes, il ne reste qu'Odin, au sud-est.

Cette allégeance-là sera la plus difficile à obtenir. Le roi de Cornouailles hait Arthur profondément parce que celui-ci a tué son fils en duel, il y a des années. Odin n'attend qu'un signe de faiblesse pour bondir sur Camelot comme sur une proie.

Et puis il y a toutes les autres principautés du nord, les domaines des seigneurs de guerre qui ne sont soumis à aucune autorité, les mercenaires qui sont au coude à coude avec les nobles.

Parmi les plus puissants, Tir Mor, Tregor, Elmet, Gawant se sont déjà ralliés à la couronne de Camelot.

Albion est presque là, presque visible, presque palpable.

Arthur contemple les cartes chaque jour, il caresse du plat de la main les noms des états qui lui appartiennent, marmonne pour lui-même en réfléchissant à ses prochaines stratégies.

Il en rêve la nuit et Mithian se moque gentiment de lui quand il ouvre les yeux, un peu égaré, et s'aperçoit qu'il n'est pas en train de signer son dernier traité au sommet d'une colline coiffée de menhirs, mais dans ses appartements à Camelot.

Il tourne la tête et elle est là, alanguie au creux du grand lit moelleux, son opulente chevelure châtaine répandue sur les oreillers brodés.

Le soleil entre timidement par la fenêtre et une brise un peu fraîche agite les longs rideaux. Il entend le gazouillis des oiseaux, des cloches au loin, les voix des serviteurs dans la cour. Les roses embaument sur la table à côté des parchemins qu'il a étudiés la nuit dernière.

Il est chez lui.

Il se tourne sur le côté, tend la main pour caresser la joue de sa femme, écarter une mèche ondulée qui lui tombe sur le front.

- Parlez-moi d'Albion, réclame-t-elle. "Que ferons-nous lorsque vous aurez la loyauté de toutes les terres ?"

Il ne se lasse pas de le lui raconter.

- Nous irons au-delà des Grandes Mers de Meredor, sur de grands bateaux…

- … avec une proue en forme de dragon, interrompt la reine.

- Des bateaux majestueux, avec des voiles rouges et des bannières d'or, acquiesce Arthur. "Nous voyagerons partout, plus loin encore que Lancelot n'est allé. Nous irons à la rencontre des gens au-delà de nos frontières, nous apprendrons leurs traditions et leurs usages…"

Il a découvert en s'asseyant aux tables des paysans pour déjeuner avec eux à quel point rassembler différents esprits et connaissances pouvait s'avérer enrichissant. Un chevalier féru de mécanique s'est trouvé un jour en sandwich entre un forgeron et un fermier, et ces trois-là ont révolutionné le système d'irrigation des propriétés fermières à l'ouest de Camelot.

Geoffroy de Monmouth s'est laissé entraîner sous le chêne où Arthur s'assoit pour donner ses audiences au petit peuple quand il fait beau (s'il pleut, il se réfugie dans une grange et il n'y a rien de plus étrange que de juger des héritages ou de départager des disputes sous les yeux de velours d'une paire de vaches). Le conseiller a aperçu un groupe d'enfants en train de loucher sur les notes prises par Sir Léon. L'un des gamins retraçait les arabesques dans la poussière et le vieil homme s'est demandé ce qu'il adviendrait si on donnait un peu d'éducation aux roturiers. Il s'est aperçu qu'il le savait déjà – il a passé plus de temps que n'importe qui à débattre avec Lancelot des projets de lois qu'Arthur ne cesse d'inventer.

Peut-être que si d'autres comme le chevalier étaient enseignés dès leur enfance, ils pourraient améliorer leur condition, développer des valeurs propres à la culture et à la bienséance, écarter la pauvreté causée souvent leur ignorance et ainsi le royaume serait d'autant plus florissant…

C'était une idée révolutionnaire et elle n'était pas sans lui rappeler un certain jeune homme banni par Uther, mais le vieux bibliothécaire s'est laissé emporter par l'enthousiasme d'Arthur.

Il a convaincu – avec difficulté – les autres membres du conseil et, avec l'accord du roi, instauré une classe deux fois par semaine dans la ville basse. Elle compte de plus en plus d'élèves, de tous âges, et lorsqu'il visite le maître d'école, il se retrouve parfois en train de déchiffrer des dettes de jeu ou de faire répéter l'abc à des bambins aux nez qui coulent – lui, l'homme le plus lettré de Camelot.

Le monde change.

Le vent souffle et Arthur est celui qui les entraîne dans cette direction, avec sa passion pour le peuple et son goût de l'aventure.

- Jusqu'où irons-nous ?

- Jusqu'au bout de la terre, voir l'endroit où les flots se jettent hors de l'assiette, répond le roi avec des yeux brillants.

Merlin y croit dur comme fer.

- Le monde est rond, pouffe Mithian.

- Alors nous marcherons la tête en bas, et nous verrons des lions et des palanquins portés par des créatures étranges. Vous porterez des pantalons bouffants qui montreront vos chevilles, et des voiles accrochés avec des sequins, comme les danseuses de cette gravure que les marchands de soie nous ont montrée.

- Ceci, Arthur Pendragon, est hautement inconvenant ! glousse la reine en cachant son visage rougissant sous le drap.

Il glisse ses mains sous les couvertures, la chatouille et elle se tortille en riant.

Sa chemise de nuit blanche se dérange et une de ses épaules nues émerge des volants de dentelle. Il suit la courbe de son cou gracieux du bout des doigts, effleure sa poitrine qui palpite d'émoi, se penche pour embrasser les douces lèvres entrouvertes.

- Nous ferons de ce monde un endroit où tous auront le droit de vivre et d'être heureux, promet-il dans un murmure.

Mithian passe ses bras autour du cou du roi et l'attire contre elle, ses yeux d'ambre remplis d'amour.

Le soleil de mai entre à flots par la fenêtre. La brise fait onduler les rideaux clairs du lit à baldaquin. Les pétales des roses s'émiettent sur le bois mordoré de la table. Au-dessus des tours blanches, le ciel bleu est immense.

La vie est faite de petites joies et de grands chagrins, de travail dur et de poursuite de vos rêves, d'amitié et de regrets, et parfois de moments de pur bonheur.

Il s'est écoulé presque six mois depuis le retour d'Ismere, lorsque la lettre de Guenièvre arrive en annonçant qu'elle rentre à Camelot.

Mithian et Merlin passent la journée à guetter sur les remparts, le jour où elle doit arriver. Lorsqu'ils aperçoivent sa cape lilas et ses cheveux bruns frisés en bas de la rue principale, ils dévalent les escaliers et traversent la cour en courant jusqu'au pont-levis où ils s'arrêtent enfin, haletants, sous la grande arche qui marque l'entrée du château.

Guenièvre est là, debout dans la rue, avec son sac à la main comme une simple servante et un sourire timide qui éclaire son visage quand elle les voit.

Merlin l'attrape dans ses bras avec un cri de joie et la soulève en faisant un tour sur lui-même. Elle rit et se débat doucement pour qu'il la repose au sol.

- Tu as encore grandi, s'exclame-t-elle. "Est-ce que tu comptes dépasser Perceval un jour ?"

Merlin rayonne.

- Et je suis aussi presque aussi fort qu'Arthur, maintenant, dit-il fièrement. "Gwaine m'apprend l'épée."

Il a changé, mais il est toujours pareil.

Grand sourire, grandes oreilles, grand cœur.

Guenièvre se tourne vers la reine et n'a pas le temps de faire la révérence, car celle-ci se jette à son cou.

- Tu m'as tellement manquée ! chuchote la reine en la serrant dans ses bras avec émotion. "Je suis si heureuse que tu sois enfin revenue..."

Guenièvre se laisse étreindre en fermant les yeux.

Elle pensait que rentrer serait si douloureux qu'elle le regretterait à l'instant où elle mettrait le pied à Camelot, mais ce n'est pas vrai.

En fait, elle est ici à sa place.

- Ne pleure pas, Guenièvre, dit Merlin d'un ton un peu inquiet.

Mithian fait un pas en arrière et ses yeux d'ambre scrutent le visage de sa dame de compagnie.

Guenièvre essuie rapidement le coin de son œil et leur sourit.

- Je ne pleurerai pas, promet-elle. "Je vais bien. Je vais mieux."

Ils hochent le menton, la prennent chacun par une main et l'emmènent d'un pas décidé. Merlin porte son sac, Mithian lui raconte les dernières nouvelles.

Elle n'est plus seule.

Les chevaliers viennent juste de rentrer de l'entrainement, crottés et fatigués comme des garçons qui ont longtemps joué dehors, et lui font une haie d'honneur le long des escaliers. Perceval et Sir Léon sourient de toutes leurs dents, Gwaine exécute une révérence extravagante.

Arthur lui presse gentiment l'épaule quand elle passe la porte.

- Tu n'aurais pas dû rentrer sans escorte, les routes sont dangereuses, dit-il simplement. "Mais c'est bien que tu sois de retour."

Elle répond en inclinant la tête brièvement.

- Merci, Sire.

Merlin dépose le sac de voyage dans les appartements qu'elle a partagé avec Lancelot pendant leurs deux années de mariage et elle prend une grande respiration pour refouler les milliers d'images qui l'accueillent.

- ça ira ? demande Mithian avec sollicitude.

- Oui, dit fermement Guenièvre.

Elle accroche ses robes à côté des chemises dans l'armoire, puis se tourne vers la reine.

- A quelle heure souhaitez-vous être réveillée demain, ma Dame ?

Merlin fait la grimace.

- Le matin, 'faut pas les déranger, marmonne-t-il d'un ton boudeur.

Mithian s'empourpre et Guenièvre a du mal à retenir le rire qui éclot dans sa gorge malgré elle.

- Très bien, dit-elle. "Je préparerai votre déjeuner dans la petite salle à manger, à moins que vous ne souhaitiez le prendre au jardin. Irez-vous chasser avec le roi dans l'après-midi ?"

- Arthur a décidé avant-hier qu'elle n'avait plus le droit, grogne Merlin.

La dame de compagnie penche la tête de côté et fronce un sourcil étonné.

Mithian se mordille les lèvres en tortillant un pli de sa robe.

- Je… on… ce n'est pas… Merlin, tu ne veux pas aller chercher ton nouveau chat ? Tu sais, celui que le palefrenier a trouvé dans la sellerie ?

Le serviteur obéit promptement et Mithian referme soigneusement la porte derrière lui.

- C'est encore un secret, dit-elle précipitamment en se retournant. "Arthur… il veut faire l'annonce officielle dimanche prochain. G-Gaius a dit… je… on est…"

Elle rougit de nouveau, ses yeux débordent de bonheur et son expression demande presque pardon.

Guenièvre sourit avec chaleur.

- Félicitations, Votre Majesté, dit-elle doucement.

Pendant une fraction de seconde, son cœur s'est gonflé d'envie et de regret, puis le sentiment a disparu pour faire place à une joie sincère.

Et lorsque quelques jours plus tard les souverains, debout sur le balcon, reçoivent les acclamations du peuple en liesse, elle est parmi ceux qui applaudissent le plus fort.

Merlin saute littéralement de joie. Gwaine lance des œillades chargées de sous-entendus salaces. Perceval, tout en tapant des mains, donne des coups de coude à son ami pour qu'il se calme.  Sir Léon rayonne de fierté, sa fillette sur les épaules. Gaius se montre tout ému et Geoffroy de Montmouth lui tapote amicalement l'épaule.

A l'automne prochain, la reine donnera naissance à l'héritier de Camelot.

 

 

A SUIVRE

 

 

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