La première Eve
Chapitre 15 : Le contrat
.
AMENADIEL
Un déplacement d'air ténu suivit les derniers mots précédant le départ de Lucifer. Aussitôt qu'il resta seul, Amenadiel récita la fin du sort dans sa gracieuse langue natale. Sous ses yeux confiants, l'obéissant gantelet d'armure de Caliel régressa vers la forme qu'il adoptait au repos et l'ange le détacha délicatement du poignet de Chloé. La pierre du large bracelet d'argent brilla d'un éclat fugace avant de paraître perdre toute « vie ».
Debout à la porte, Azrael attendait gentiment que son frère la rejoigne. En lui tendant le bijou, il pouvait voir combien l'ange de la Mort était soulagée de le récupérer. Le moment était certainement venu de lui faire ses adieux.
— Passe le bonjour à tout le monde de ma part.
— Ce sera fait, promit Azrael avant d'ajouter un peu précipitamment : Vous me manquez tous les deux, les gars.
Le Premier-Né opina solennellement mais retint un petit rire lorsqu'il admit ensuite :
— Enfin, moi je ne peux pas dire que les sempiternelles blagues que vous faisiez à mes dépens, Luci et toi, me manquent réellement…
Azrael inclina la tête avec un sourire en coin et dès qu'elle quitta l'hôpital d'un coup d'aile pour rentrer immédiatement à la Cité d'Argent avec le précieux artefact, le temps recommença à s'écouler normalement. Linda termina la fin de son mantra apaisant et Dan lâcha la main gauche de Chloé pour demander avec surprise :
— Hey, mais où est parti le truc ?
Scannant suspicieusement les environs, Linda vit l'air un peu étrange d'Amenadiel. Elle se doutait que son silence insistant signifiait qu'il avait trouvé un moyen d'arranger la situation mais ne pouvait pas vraiment en parler devant Dan… Pourtant, aucun d'eux n'eut l'occasion d'ajouter le moindre mot parce que Pierce venait d'entrer en courant presque.
— Est-ce que tout le monde va bien ?
Amenadiel resta où il était, essayant simplement de se faire à l'idée qu'il venait juste de reperdre ses pouvoirs. Il n'aurait su dire où cela le situait, entre l'espoir et la dépression.
.
MARCUS et CHLOÉ
Mû par la discipline, Daniel se releva immédiatement pour faire son rapport à son supérieur.
— Chloé va bien, elle se repose et nous devrions la laisser dormir davantage. Je veux être affecté à la recherche de ma fille, maintenant.
Sans prêter la moindre attention aux autres, Marcus Pierce jeta un regard oblique vers la porte en une invitation muette à parler plutôt à l'extérieur, pour ne pas perturber Chloé qui respirait paisiblement. Dès qu'ils furent seuls dans le couloir, ils restèrent un moment à se toiser jusqu'à ce que Dan rompe le silence.
— Y a-t-il quelque chose que je devrais savoir ?
— Oui, nous avons trouvé la femme. Elle a pris votre petite fille en otage mais nous savons où elle se trouve. Au moment où nous parlons, le périmètre devrait être sécurisé par deux patrouilles et j'ai réclamé un négociateur pour traiter ses exigences. Il devrait arriver en même temps que le SWAT.
— Okay, où est-elle ?
— Vous ne pouvez pas y aller, Espinoza. L'affaire vous touche de trop près.
— C'est noté, capitaine. Où est-elle ? réitéra-t-il froidement.
Les yeux bleus du « flic ripou » se plantèrent droit dans ceux de son patron et, pour une raison qui lui échappa, Marcus Pierce perdit le duel de regards et lui donna l'adresse. Il considéra toutefois que l'homme avait été largement prévenu.
.
Puis sans perdre un instant, le capitaine revint dans la chambre de Chloé et réalisa que deux personnes se trouvaient près d'elle. La petite blonde dodue était la thérapeute de Morningstar, Linda Martin. Il avait pensé qu'elle pourrait lui être utile pour construire un dossier contre l'infirmière Naaji. Cette opportunité rare lui fit négliger le grand homme chauve à ses côtés. Ce dernier lui semblait vaguement familier mais comme il était très concentré sur des problèmes beaucoup plus urgents, il laissa cette impression de côté.[1]
Une autre infirmière anonyme, qu'il vit à peine, entra à son tour pour vérifier les constantes de la patiente.
Il attendit un petit moment que le Dr Martin soit disponible et alla se présenter sous couvert de poser des questions sur l'état de Chloé. La thérapeute expliqua qu'elle était là en tant que simple amie, pour offrir un soutien moral. Il acquiesça et n'en poursuivit pas moins :
— J'ai cru comprendre que vous aviez déjà apporté vos lumières à la Police de Los Angeles, dans le cadre de votre activité, est-ce que c'est exact ?
Elle cligna des yeux derrière sa monture de lunettes surdimensionnée.
— En effet.
— Seriez-vous intéressée de donner votre appréciation professionnelle sur un profil de suspect très délicat avec lequel nous avons quelques difficultés ?
— Bien sûr… Si je puis être d'une quelconque aide… répondit-elle avec un prudent sourire de façade.
Chloé s'étira un peu dans le lit et à sa surprise, tout était calme autour d'elle. Son bras était lisse et normal, Pierce discutait boulot avec Linda, elle se sentait lessivée mais à part ça…
— Euh, salut, je suis réveillée… Où est passé tout le monde ?
L'infirmière lui répondit immédiatement de ne pas essayer de se lever.
Dès qu'il entendit le son de sa voix, Marcus tourna aussitôt la tête vers elle, Il s'approcha au bord du lit avec son air fermé habituel mais Chloé pouvait affirmer qu'il jouait simplement les durs. Elle était un peu surprise qu'il puisse s'être inquiété pour elle au point de chercher à le cacher de cette façon. Ça devait être un type un peu macho et vieux-jeu. Comme tous les flics qu'elle connaissait, soufflait cette petite voix en elle qu'elle avait presque oubliée. Elle ne fit cependant aucune remarque en se contentant d'écouter sa réponse.
— J'ai de très bonnes nouvelles. Les tireurs isolés sont neutralisés. Nous avons trouvé votre fille et déjà envoyé quelqu'un pour négocier sa libération et comme vous vous en doutez votre mar… – enfin je veux dire Espinoza – a dit que ce n'était pas la peine d'essayer de l'écarter de cette affaire…
Elle se permit un minuscule sourire mais sa question suivante resta étrangement professionnelle.
— Pensez-vous qu'il me faille une quelconque forme de protection ? Est-ce qu'on sait si les snipers sont reliés d'une façon ou d'une autre à l'infanticide ?
— Je n'en ai encore aucune confirmation. Je ne veux pas vous inquiéter mais il se pourrait qu'il y ait un troisième joueur dans cette partie. En attendant d'en savoir plus, il serait prudent que vous quittiez momentanément les opérations de terrain… Simplement pour nous assurer que vous n'êtes pas désormais une cible privilégiée…
— Vous plaisantez ? Je suis inspectrice ! Pas une poule mouillée ! En plus, qui pourrait bien m'en vouloir ? Ce n'est pas comme si j'avais mis… des dizaines de criminels sous les verrous, finit-elle dans un soupir.
— Ouais, certains pourraient se montrer assez peu reconnaissants pour ça ! plaisanta-t-il avec l'un de ses étranges petits sourires cyniques qu'il affichait parfois. Bon, je vous trouverai quelqu'un pour garder l'œil sur vous…
— Eh bien si vous ne voulez pas me dire qui est ce « troisième joueur » ni m'expliquer la nature exacte de la menace, je ne vais certainement pas accepter d'être confinée chez moi avec un planton à la porte après avoir déjà été coincée déjà trop de temps ici… En plus…
Il était sur le point de rétorquer vertement d'un ordre direct mais il repensa hélas à la façon dont Lilith avait prouvé juste un peu plus tôt qu'il n'était bon qu'à grogner autoritairement sur des personnes trop volontaires pour que ça fonctionne sur elles… Pendant un petit instant de fragilité, il se laissa tenter par l'idée idiote qu'il pourrait être cet homme-là, qui veillerait sur elle et la protégerait des initiatives malvenues de Damian… Mais c'était vraiment une pensée ridicule. Chloé était un flic expérimenté, et lui avait une double-vie aux accointances très troubles… L'issue était prévisible : elle se retournerait contre lui aussitôt qu'elle comprendrait qu'il jouait un double jeu… Si l'on en croyait ce qui s'était passé avec son ex, seul l'amour pourrait peut-être l'aveugler un peu plus longtemps. Mais rien que le mot le fit grimacer intérieurement. Il y avait des années qu'il n'avait plus essayé de vivre une vraie relation. De toute façon, les belles histoires, ça n'avait jamais été pour lui.
— En plus… ? répéta-t-il, inconscient de la note d'espoir sous-jacent qui perçait dans son ton.
— J'ai déjà un partenaire qui se précipiterait dans une maison en feu pour moi et – tenez-vous bien – qui ne coûte pas un sou au contribuable. D'ailleurs, où est-il à propos ?
.
.°.
LILITH ET CASTIEL
Castiel prit place sur l'assise d'un banc de bois à côté de Lilith et inclina la tête en avant, à la recherche de la formule parfaite qui pourrait la convaincre. De son côté, elle attendait sans trop d'impatience qu'il fasse le premier pas. De bien des façons, il lui avait déjà prouvé qu'il n'était pas une menace.
De plus, ce n'était pas vraiment à lui qu'elle voulait parler. Elle avait une furieuse envie d'écharper quelqu'un, de préférence cette femme Decker. Elle savait aussi que l'orgueil de Lucifer adorerait les voir se battre bec et ongles pour lui. Sur un ring. En mini-short.
En principe, les anges n'étaient ni exclusifs ni sélectifs lorsqu'ils aimaient. Il leur avait été demandé de porter assistance au genre humain et ainsi, les anges-gardiens avaient sous leur protection plusieurs humains. Homme ou femme, cela n'avait aucune importance. Ils devaient prendre soin de chacun avec le même cœur…
Mais Lilith n'était qu'une moitié d'ange et Lucifer, délibérément engagé dans un processus tout aussi audacieux, consistant à vivre des émotions humaines – et ce même s'il n'était fondamentalement pas vraiment équipé pour… Probablement en raison de son entêtement à essayer quand même, une part d'elle était vraiment fière de lui. Tant Lilith que Lucifer expérimentaient à bras le corps l'amour sur un versant humain – avec passion, jalousie, et un désir avide d'être le Seul et Unique – et tout cela était, ironiquement, en train de les séparer au lieu de les rapprocher.
C'était la première leçon qu'elle avait reçue d'Abel et Caïn. Partager n'était pas naturel pour eux. Elle ne pouvait pas coucher avec les deux. Cette notion lui avait d'abord paru difficile à saisir. Elle s'était d'abord figurée qu'ils étaient complètement idiots, mais à présent, elle comprenait bien mieux. Le sentiment de trahison très net qui s'était emparé d'elle quand elle avait vu Lucifer dans les bras de Chloé était un enseignement suffisant…
Pour le meilleur et pour le pire, des milliers d'années plus tôt, Samael avait éveillé son côté humain. Adama s'y était pris pour sa part complètement de travers. Il avait réussi à la rendre inférieure. Plus vraiment un ange et pas une vraie humaine… Mais le tout jeune Samael, si beau et si perdu, qui avait tellement besoin d'attention et d'amour… elle lui avait tout donné.
Hélas, Samael n'était plus.
Quand il avait partagé son lit avec elle, et malgré les apparences, Lucifer n'avait fait qu'agir avec une absence d'égoïsme toute… angélique. Le terme était à relativiser étant donné l'intensité sexuelle de la chose mais à la base, il ne faisait que répondre au besoin qu'elle exprimait.
Mais lorsqu'il avait essayé de lui dire qu'il avait grandi et changé, Lilith n'avait pas voulu comprendre… Mais comment aurait-elle su ?
.
Castiel se demandait toujours de quels arguments il pourrait bien user pour faire valoir sa cause avec succès et tenter de remporter sa propre bataille contre un sort contraire. Elle dut perdre patience parce que lorsqu'elle parla, ce fut pour plaisanter un peu afin de l'encourager :
— Alors nous revoilà… enfin seuls. Ton imper commençait à me manquer, au fait.
Il leva brièvement les yeux au ciel comme pour prendre le Grand Absent à témoin, et ce fut sans aucune trace d'humour qu'il poursuivit avec un grand sérieux :
— Lilith, je sais que tu as emmené l'enfant pour faire pression sur l'Inspectrice et qu'elle accepte de te rendre Lucifer. Cela ne marchera pas.
— Ça vaut quand même la peine d'essayer. J'ai tellement besoin de lui, au point que je ne suis pas sûre d'avoir envie de vivre plus longtemps si c'est sans lui.
— As-tu conscience que tu fais partie de son passé, alors que tout ce qui l'intéresse maintenant, c'est son futur ?
— Oui, mais je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas en faire partie moi aussi.
— Parce qu'il est amoureux d'une autre.
Elle secoua obstinément ses boucles ondulées.
— Je suis sûre que Samael est toujours là, fragile sous la surface. Il pourrait changer d'avis. Je pourrais changer pour lui. Nous avons déjà été heureux ensemble et ici sur Terre, nous pourrions aussi être libres. Il n'aurait pas à me convaincre qu'il est digne de moi. Je le connais et je lui dois tant…
— Ah, aucun de vous ne semble réaliser que ce que vous éprouvez, c'est de la gratitude et pas de l'amour. Mais même en laissant cela de côté, vous avez de plus gros problèmes à gérer. Comment allez-vous vous sortir de tes grossesses ? Comment allez-vous prendre en compte les lois humaines ? Seras-tu assez brave pour arrêter de te cacher derrière tes ordres et de tuer des bébés ? Est-ce que tu ne comprends pas que si tu continues dans cette voie, tout va très mal finir entre vous et vous risquez de détruire tout ce qui vous liait ? Quels que soient ses sentiments, il ne te laissera pas éliminer des innocents au gré de ta fantaisie. Il aime toujours punir les coupables.
Elle soupira tout bas. De toute évidence, l'ange n'avait aucune intention d'édulcorer ses propos. C'était dur à entendre mais c'était également vrai. Plutôt pour se convaincre elle-même, elle répéta :
— Lucifer et moi nous trouverons une solution. Je pourrais accepter n'importe quoi si ça pouvait signifier que nous resterions ensemble – même être courageuse et faire face à la colère de Dieu, si je n'ai pas le choix. Et si je ne peux pas vivre pour lui, alors je peux mourir pour lui.
.
Castiel lui adressa rien moins qu'un sourire tendre. Par bien des aspects, elle n'était qu'une enfant comme Trixie. Tous les êtres célestes d'ici semblaient pourvus d'une étrange sagesse mêlée d'immaturité. Dans son propre monde, Lilith avait déjà fait le dernier choix qu'elle évoquait.
— Et si… moi je pouvais vraiment faire quelque chose pour toi ?
En réponse instinctive, Lilith morpha pour retrouver son aspect de beauté brune au teint pâle qui ressemblait à Lucifer en beaucoup plus féminin.
— Je dirais que tu espères déguiser en offre irrésistible ton espoir que je t'accorde une faveur…
Il étouffa un rire. Il avait beau essayer de conserver une expression résolue parce qu'il voulait qu'elle le croie, il n'y parvenait pas. Il lui adressa un large sourire et répondit spontanément :
— Je pense qu'on a un mot de grand trop stylé pour ça, et c'est : un contrat.
En terrain familier, elle répondit à son sourire par un autre de son cru, bien plus entendu. Oh Seigneur, qu'elle était jolie !
Lui laissant tout le temps de fuir s'il le souhaitait, elle s'approcha tout doucement, prête à plonger dans ses yeux bleus tétanisés, pour la douce vengeance de le mettre mal à l'aise, grâce à sa seule proximité.
— Eh bien, je n'ai pas tellement l'habitude des hommes subtils…
— Je ne suis pas un…
Elle attrapa sa cravate pour l'amener à elle, l'empêcha de finir sa phrase en réduisant à néant la distance qui les séparait encore pour effleurer ses lèvres des siennes, et conclut à sa place :
— Oui, oui, je sais. Tu es un ange du Seigneur. Tu me l'as déjà dit.
Il se sentait idiot parce que son cœur battait à tout rompre alors qu'elle relâchait sa prise sur son pauvre attribut vestimentaire qu'elle réajusta. Pourtant ça n'était là que la façon très régulière dont les Démons des Croisements signaient leurs pactes : d'un simple baiser. Cela n'aurait pas dû le rendre si nerveux, surtout si l'on considérait la façon dont il avait déjà embrassé Meg ! Jamais il n'avait autant repensé à Meg la démone que depuis qu'il connaissait cette Lilith…
Pourtant, au fond de lui, il sentait qu'elle venait d'accepter sans broncher quelque chose qu'il n'avait pas encore expliqué en détail. Il s'éclaircit la gorge.
— C'est pourtant la vérité. Et ça signifie que de temps à autres, je suis autorisé à me trouver en Sa présence. Alors… et si je te promettais de te ramener dans mon monde ? Il n'est pas là très souvent mais je pourrais demander à mon Père de guérir tes souffrances… Par exemple parce que tu nous aurais aidés au Paradis ? Ou la Cité d'Argent comme vous dites ici ?
Elle s'écarta de lui pour s'asseoir plus normalement, à distance, avant de répondre :
— Tu ne peux pas me promettre une telle chose. Dieu n'est pas quelqu'un à qui on peut demander de faire ceci ou cela.
— Je peux au moins promettre d'essayer de faire en sorte qu'Il m'écoute. Ou de laisser des consignes dans ce sens, parce que je ne suis pas sûr de sortir vivant de la bataille pour laquelle je me prépare.
Il semblait sincère. Pleine de curiosité, elle inclina la tête cherchant à comprendre :
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Écoute, je suis un guerrier et les guerriers meurent à la guerre, c'est banal. Mais je ne veux pas que tu t'imagines que tu ne seras pas, toi, en sécurité. La bataille aura lieu dans une autre dimension, ailleurs. Si tu venais avec moi, tu pourrais rester au Paradis. Mes frères et sœurs sont si peu nombreux que nous avons à peine de quoi faire en sorte qu'il reste debout. Notre Lucifer a tué presque l'intégralité des nôtres… Je suis venu ici pour le trouver et le forcer à se battre contre Michael, en espérant qu'ils s'entretueraient une fois pour toutes, sur une Terre parallèle déjà dévastée. Si tu étais dans mon monde, cela pourrait faire une très grosse différence pour les anges qui restent, parce que tu es aussi puissante qu'un Nephilim. Et en plus, si tu ne veux pas être dérangée ou parler à qui que ce soit, ce serait possible. Nous pourrions t'allouer un espace où tu serais heureuse et revivrais uniquement tes plus beaux souvenirs. Tu pourrais te reposer, trouver la paix, tu serais bien accueillie et ta présence désirée… Cela doit bien compter pour quelque chose, non ? [2]
Elle tiqua d'un claquement de langue, en murmurant avec un petit mouvement de tête incrédule :
— C'est trop beau pour être vrai. Il doit y avoir un piège.
— Non, c'est la pure vérité, plaida-t-il. Mon monde a grand besoin d'anges pour empêcher le Paradis de s'effondrer. S'il n'y en a plus, toutes les âmes que nous y gardons retomberont sur Terre. Des milliards d'entre elles, depuis le début des temps. Fais tes comptes… Nous n'avons plus que deux archanges, aucun des deux n'est vraiment fiable et nous avons pourtant besoin d'eux dans la bataille. La menace que nous essayons de contrer est sans précédent et je pense que nous ne nous en sortirons pas tous. Mes amis et moi nous sommes prêts à mourir pour sauver ce qui peut l'être… C'est vrai que mon monde est un peu difficile mais je l'aime quand même. Parce qu'il y a des gens bien qui y vivent. Si tu étais au Paradis, tu pourrais même avoir des enfants plus sûrs parce que c'est un environnement où il n'y a que de bonnes âmes. Tes nouveaux enfants pourraient apporter leur aide par le simple fait de se trouver là. Tu pourrais reprendre des forces, tu ne serais pas un danger pour quiconque. Et j'imagine que si tu voulais revivre les plus beaux souvenirs de ta vie avec le Lucifer d'ici… ça ne regarderait que toi et personne ne viendrait s'en mêler.
Lilith ouvrit la bouche et ses yeux laissèrent échapper encore quelques larmes tant elle se sentait submergée d'émotion. Elle les cacha dans le creux de son coude. C'était donc là la vraie transaction qu'il était en train d'essayer de lui proposer ? Lui donner une cellule au Paradis où elle pourrait imaginer qu'elle vivrait avec Lucifer éternellement ? Comment se pouvait-il que l'Enfer d'ici et le Paradis de là-bas puissent se ressembler autant dans leur principe ?
— Je voudrais… poser une question avant.
— Tout ce que tu veux, vas-y…
L'expression de l'hybride se fit plus timide.
— Est-ce que je saurai que ce n'est pas réel ? Est-ce que j'aurai conscience que tout sera faux ?
Castiel pencha la tête, presque honteux, et répondit sans oser la regarder :
— Puisque tu es à moitié humaine, je suppose que je pourrais effacer ta mémoire pour une courte période… Mais au bout d'un moment tu finiras par recouvrer la mémoire.
Elle le dévisagea avec un désespoir avide.
— Combien de temps ?
— Au Paradis, le temps s'écoule différemment… On a l'impression qu'il passe plus lentement. Quelques années… ?
Elle retint son souffle et lui aussi. Il n'allait pas la supplier bien sûr, mais elle tenait tous ses espoirs dans sa jolie petite main tremblante maintenant.
— Peut-être… que j'ai été bien inspirée de ne pas te manger tout de suite, finalement…
En entendant sa réponse moqueuse, il laissa le soulagement se déverser sur lui comme une lame de fond puissante. Il essaya de ne pas avoir l'air trop désespéré quand il chercha à lui faire confirmer :
— Donc tu serais prête à venir avec moi ?
Elle acquiesça gravement.
— Est-ce que tu viendras me voir ? voulut-elle savoir.
— Est-ce que ça fait partie des termes de notre accord ?
Elle soupira avec impatience mais ses yeux noirs dardèrent sur lui une œillade séductrice.
— Non, tu m'as déjà dit que tu pourrais mourir bientôt. Mais j'aimerais bien que tu puisses venir.
— Accordé. Si je survis, je viendrai vérifier si tu vas bien et si tu as envie de rentrer ou de rester.
— Je suis sûre que tu vas vivre.
La moue de l'ange fut amusante tant elle était dubitative.
— Et bien pas moi ! Mes chances sont minces contre un archange vicieux. J'ai déjà essayé avant et pour info, j'ai toujours perdu.
Elle sentit que c'était là le moment idéal de saisir l'occasion d'apporter quelque chose de valable dans cette négociation. Peut-être le faisait-elle par simple calcul intéressé.
— Et si je t'obtenais de quoi tricher un peu au jeu de la mort ? proposa-t-elle.
— Merci, mais j'ai ma propre botte secrète.
— Genre quoi ?
— Tellement énerver le Gardien du Vide qu'il me flanquerait dehors ? essaya-t-il en feignant l'innocence.[3]
Avec un sourire appréciateur, elle décida de marcher dans sa combine. Après tout, son talent d'imitatrice était la racine même de sa survie.
— Ou alors… Samael pourrait te donner une récompense spéciale s'il pensait qu'il t'en devait une, pour la vie de la toute petite humaine… Un peu de sa « grâce ». Pas sûr qu'elle puisse ouvrir un portail mais en tous cas, ça peut guérir de blessures fatales… Tu pourrais l'utiliser pour tenir ta promesse.
Plutôt pour dissimuler ce qu'il ressentait, Castiel regarda ses pieds. Il se sentait passablement déchiré d'être obligé de faire cela… Il pouvait mentir bien sûr mais...
— Je ne suis pas sûr de pouvoir attendre son arrivée. Si tu veux venir avec moi, c'est maintenant. Mon monde me rappelle à lui. Je suis en train de lutter depuis plusieurs minutes. Je ne vais pas pouvoir tenir plus longtemps…
Avec un peu de tristesse, elle acquiesça pour donner son consentement et puis alors qu'elle paraissait résignée, elle se leva soudain avec une expression différente.
— Attends. Lucifer est déjà là. Peux-tu tenir encore un tout petit peu ? J'ai besoin de lui dire juste un mot d'adieu. S'il te plaît ?
Les deux portes de l'église furent ouvertes avec une force agressive, un souffle de vent éteignit d'un coup toutes les petites bougies à mesure que Lucifer remontait d'un pas décidé l'allée de bancs de bois, avec des lueurs rouges dans le regard qui auguraient de sa fureur. Dans ces ténèbres, Lilith leur sourit avec un désir déjà nostalgique…
Pourtant, elle chercha près d'elle la main de Castiel qu'elle trouva et serra. Elle avait besoin de puiser dans sa force pour faire face à ce qui allait arriver.
.
.
(à suivre)
.
Notes de l'auteur
[1] Plus tard en saison 3, Pierce (Caïn) se rappellera d'Amenadiel comme étant celui qui lui a laissé sa fameuse marque, le symbole de la malédiction qui le condamnait à vivre éternellement sur Terre sans jamais trouver le repos.
[2] Tout ce que je raconte à propos de Castiel est largement vrai, en tous cas confirmé par le canon de sa propre ligne temporelle dans Supernatural (fin de la saison 13 avant la bataille du Monde de l'Apocalypse). Que ce soit l'état dans lequel se trouve son Paradis. Ses sentiments plus que mitigés envers ses frères archanges. Le nombre incroyable de fois où il est mort et ressuscité… C'est également vrai qu'un Nephilim (son neveu, le fils de Lucifer) est parvenu également à le tirer de son dernier sommeil éternel, dans le Vide. Supernatural est un fandom où la mort est une notion assez relative. :-D Même s'il a l'air d'un Deus ex machina apportant une issue bien trop pratique pour ma fanfiction Lucifer, c'est pourtant parfaitement canon à ce moment précis de l'autre série.
[3] Dans Supernatural, les anges ne vont ni au Paradis ni en Enfer lorsqu'ils meurent. Ils vont dans le Rien (ou le Vide) où ils sont, du reste, inconscients.