Au-delà des Mers

Chapitre 15 : Plan de bataille

3806 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/05/2021 10:27

La Comtesse Elizabeth de Messy tendit le sauf-conduit au Capitaine du Nazaré avec cette grâce qui lui était propre. Mendoza s’en saisit sans brusquerie et le parcourut posément.

C’était effectivement un document des plus officiels, de la main de sa Majesté Charles V, Roi d’Espagne et du Saint Empire Germanique. La Comtesse lui expliqua qu’elle était l’épouse d’un certain Comte de Valezco, cousin de Charles Quint qui fut envoyé sur le Nouveau Continent en tant que conseiller du Vice Roi de Nouvelle Espagne. Malheureusement son époux était décédé voici deux ans et La Comtesse avait émis le souhait de s’en retourner dans son pays natal, l’Angleterre.

Elle était aussi en possession d’un second document émanant cette fois de Catherine d’Aragon, fille de ses Majestés Isabelle et Ferdinand et épouse d’Henri VIII, Roi d’Angleterre et d’Irlande, dont elle avait été dame de compagnie.

Pourvue de ces deux missives, il ne faisait aucun doute que la Comtesse pourrait regagner son pays sans encombre et trouver sur le chemin les gens qui pourraient l’escorter.

Alors pourquoi avait-elle jeté son dévolu sur Mendoza ?

Cette question ne cessait de le tarauder même si, il fallait l’admettre, ça l’arrangeait plutôt bien.

-Nous n’avons pas encore vraiment eu l’occasion de nous entretenir pour fixer les modalités et… vos honoraires, Don Mendoza, engagea l’aristocrate après que l’Espagnol lui ait rendu les deux documents et qu’elle les ait rangés précieusement.

-Il est vrai, consentit le Navigateur.

-Alors ? Dites-moi. Quelles sont vos conditions ?

Mendoza y avait réfléchit à plusieurs reprises déjà et il lui apparaissait clairement un dilemme.

Contourner l’Europe par la mer et rejoindre les îles Silly et ensuite les côtes du sud de la Grande-Bretagne avant de poursuivre par la terre ou alors passer par les terres des Royaumes d’Espagne, de France, et de Bourgogne avant de pouvoir rejoindre l’Angleterre  ?

Ce chemin était beaucoup plus long voir même plus dangereux, mais… il offrait l’avantage d’être inattendu et si la Comtesse voulait « échapper » à quelqu’un, il y avait fort à parier que personne n’imaginerait qu’ils aient décidé de prendre cette route.

Il fallait donc que Mendoza sache où il mettait les pieds. Une Comtesse anglaise désireuse de retrouver son pays après la mort d’un époux, de toute évidence jouissant d’une excellente situation, qui avait besoin de deux sauve-conduits royaux pour assurer sa sécurité et qui voulait s’adjoindre les services à n’importe quel prix d’une sorte de mercenaire… ça sentait l’histoire louche.

La logique aurait voulu que cette dame de qualité fasse route sur un navire royal aux couleurs du Roi de Nouvelle Espagne et que son rapatriement soit entièrement pris en charge et pensé avant son départ. Alors que là, elle semblait voyager le plus discrètement possible, avec seulement trois dames de compagnie, une quantité de bagages grotesque et rien ne semblait avoir été préparé à l’avance, on aurait dit qu’elle était partie dans la précipitation et qu’elle improvisait pour la suite.

Et il entendait bien essayer d’y voir plus clair.

-Et bien, commença le Navigateur, mes honoraires dépendront de l’itinéraire que nous déciderons d’emprunter.

Il laissa sa phrase finir de s’évanouir complètement sans poursuivre, comme la laissant s’imprégner dans l’esprit de la Comtesse, espérant que celle-ci réagisse et donne son assentiment, mais elle n’en fit rien, restant en apparence à l’écoute de l’Espagnol.

Il continua donc.

-Et cet itinéraire dépend en grande partie de… il prit soin de bien choisir ses mots, l’idée étant d’essayer d’en savoir plus sans trop lui laisser l’impression qu’il avait des doutes quant à sa bonne foi,… des éventuels ennuis que nous pourrions avoir à éviter… ?

La Comtesse resta beaucoup trop sereine quant à cette phrase, qui aurait du au minimum la pousser à s’inquiéter de savoir à quels « ennuis » le Navigateur faisait allusion.

Mais elle demeura le visage inchangé, à la fois calme et altier.

Puis un ravissant rictus vint soulever le côté gauche de ses lèvres délicates.

-Peut-être faudrait-il envisager un voyage sous le sceau de la discrétion, admit-elle.

Et elle le gratifia d’un sourire doux et glacial à la fois.

Mendoza comprit que les choses étaient bien telles qu’il avait craint : compliquées, et que La Lady n’était pas l’oie blanche qu’elle laissait paraître.

Le Navigateur croisa les bras.

-D’éventuels poursuivants auront tendance à penser que nous avons pris la mer, c’est pourquoi je préconise de traverser le territoire à cheval sous le couvert d’un petit convoi banal, sans attirer l’attention. Nous arrêtant dans des auberges peu fréquentées et sans faire montre de nos identités.

La Comtesse hocha la tête en silence.

-C’est aussi ce que j’avais envisagé et c’est pourquoi la présence de votre « Atlante » à l’allure si particulière m’inquiète un peu, il ne nous aidera pas à passer inaperçus.

Mendoza fut surpris d’entendre la Comtesse parler de Calmèque en tant qu’Atlante, bien que ce fut parfaitement exacte, il avait tellement pris l’habitude qu’il soit pour lui un « Olmèque » que cette dénomination lui faisait bizarre.

Mais il chassa ce détail sans grande importance de son esprit avant de répondre.

-Il est vrai, mais je pense avoir une idée à ce propos.

-Je vous laisse régler ce genre de détails, Don Mendoza, assura-t-elle. C’est en tout état de cause que j’ai accepté sa présence, qui au vu de son savoir peut nous être d’une grande utilité, et je ne compte pas revenir sur ma parole. Je sais que vous ferez ce qu’il faut. Quant à vos honoraires. Votre prix sera le mien.

Et elle planta ses yeux de biche dans ceux de l’Espagnol avec un aplomb impressionnant.



Le Navigateur avait rejoint le pont où il prit quelques instants pour faire le point, la moue aux lèvres.

Absorbé par ses pensées, il ne vit pas arriver le petit Olmèque et il ne le découvrit que peu après, se tenant debout un peu en retrait.

Il le détailla rapidement.

« Oui, va falloir faire quelque chose. »

-Tu tombes bien, lui lança le Navigateur.

Dans un premier temps, Calmèque se tut. Il n’était pas obligé de mettre sur la table le jour-même le problème de la « Progéniture surprise », mais plus tôt serait sans doute le mieux et si l’Espagnol voulait lui parler, peut-être fallait-il qu’il saisisse la balle au bond.

-Un souci ? demanda-t-il simplement.

-Je ne sais pas encore, hasarda le Navigateur toujours un peu pensif.

Puis Mendoza se tourna en direction de la poupe où Jiménez tenait la barre.

-Va demander à Jiménez de mettre Montoya à la barre une heure ou deux et retrouvez-moi dans ma cabine. On doit discuter.

Calmèque inclina très légèrement la tête en signe d’approbation tandis que Mendoza faisait volte-face en se dirigeant vers la cabine qui dominait le château arrière du navire.

Quand il fut éloigné, l’Olmèque laissa échapper un profond soupir. La tâche s’annonçait funambulesque. Ca lui rappelait les situations peu enviables qu’il avait eu à désamorcer plus d’une fois quand il était sous les ordres de Menator. Il courait, certes, moins de danger avec Mendoza, mais il n’avait pas encore parfaitement cerné le taiseux conquistador et il savait qu’il pouvait avoir ses « humeurs » et qu’il faudrait amener les choses avec beaucoup de diplomatie. 

Sans attendre d’avantage, il se dirigea vers la barre où Jiménez l’accueillit de sa plus parfaite inexpressivité.

L’homme taillé au couteau cilla à peine à son arrivée, ce qui chez lui était signe de bonne humeur. Calmèque avait pu remarquer qu’en ses rares cas d’humeur contrariée visibles, l’Espagnol adoptait un petit tic faciale en serrant les dents, ce qui donnait à sa mâchoire une ligne plus tendue encore qu’à l’accoutumée.

Mais là, il était bien.

-Mendoza voudrait nous parler, fit l’Olmèque sans s’encombrer de salamalecs.

L’Espagnol hocha simplement la tête. Et la seconde d’après, il héla l’un de ses homme pour qu’il aille lui chercher Montoya.

Le grand marin à la tignasse en broussaille apparut moins de cinq minutes plus tard et monta les rejoindre.

Un regard, un lâcher de barre, un pointage de menton et sans échanger un mot, Montoya comprit instantanément ce que son supérieur attendait lui, et il attrapa l’épaisse roue de bois alors que Jiménez et Calmèque descendaient vers la cabine en contrebas.

Par politesse, Jiménez frappa trois coups sonores sur la porte sombre et la voix de Mendoza les invita à entrer.

Sans les regarder, Mendoza leur montra deux chaises vides. Il était pour sa part debout, les yeux braqués au travers de la fenêtre de sa cabine, sur les flots et l’écume en bataille que le Nazaré délaissait derrière lui à chaque seconde. Songeur.

Jiménez et Calmèque attendirent patiemment en prenant place.

-Jiménez, fit Mendoza au bout d’un assez long moment. Quels sont tes projets une fois que nous auront atteint Barcelone ?

L’homme prit son temps pour répondre.

-En principe, j’avais envisagé de regagner mes terres près de Valence. Mon père, poursuivit-il, est mort voici quelques années et ma mère qui commence à se faire vieille, désire que je reprenne les rennes du domaine. Nous possédons de très belles vignes et notre vin a su trouver sa place sur les plus grandes tables d’Espagne et même à la cours, conclut l’Espagnol avec une pointe de fierté dans la voix.

-Je vois, fit Mendoza.

-Quelle est le fond de ta pensé ? interrogea Jiménez qui se doutait bien que son Capitaine ne lui demandait pas ça innocemment.

-Le fond de ma pensé, c’est que je me demandais si moyennant un confortable dédommagement, tu accepterais de nous accompagner les quelques mois nécessaires à notre voyage en Angleterre ? J’aurais besoin de toi.

Le visage de Jiménez se fendit d’un sourire discret.

-J’avoue Mendoza, que je ne me suis jamais senti l’âme d’un cultivateur…

Le Navigateur ne cacha pas sa satisfaction. Voilà qui allait simplifier les choses.

Sur la table, une carte d’Europe avait été déroulée et était maintenue en place par deux objets lourds à chaque extrémité. Mendoza se mit à la regarder, l’air absent.

-Notre Comtesse, commença-t-il, semble devoir échapper à des poursuivants.

Et le Navigateur jeta nonchalamment une besace de cuire contenant quantité de pierres précieuses vertes au milieu de la table.

Voilà un argument qui, à n’en pas douter, devait avoir beaucoup de poids auprès des Européens, se dit Calmèque.

-Voici un maigre acompte qui m’a été remis ce matin par notre fuyarde.

-Qui est à ses trousses ? demanda Calmèque.

-C’est pas encore très clair, avoua Mendoza. Mais il fallait se douter qu’une aristo voulant s’adjoindre nos services à n’importe quel prix pour rejoindre sa patrie, devait forcément cacher quelque chose.

Jiménez n’avait pipé mot, un peu comme à son habitude, mais il regardait le tas de pierres avec suspicion.

-Moins facile d’écouler de la verroterie que de l’or, affirma-t-il. Mais je connais quelqu’un de confiance à Valence qui nous en offrira un bon prix. Si on paye avec ça à nos différentes escales, on va vite se faire remarquer et attiser les convoitises de bandits. Et puis… va remettre la monnaie sur une émeraude, ironisa-t-il.

Mendoza acquiesça silencieusement.

-En combien de temps penses-tu que ta connaissance puisse réunir l’argent ?

-Ca ne devrait pas être très long, il a les réseaux qu’il faut, assura Jiménez.

-Très bien. Ca, c’est réglé, fit Mendoza, content d’avoir déjà résolu deux problèmes en peu de temps.

Il écarta la besace d’émeraudes sans grand ménagement et s’appuya avec ses deux mains sur la carte. Prêt à entrer dans le vif du sujet.

-Barcelone, fit-il en pointant la ville du doigt sur la côte nord-est de l’Espagne. On ne s’y arrêtera pas.

Le doigt de l’Espagnol continua de descendre le long des courbes ibériques pour s’arrêter à mi-hauteur.

-Valence tombe très bien. On y jettera l’ancre.

Calmèque observa la carte un moment.

-Valence est un port important ? demanda-t-il.

-Pas énorme, admit Jiménez.

L’Olmèque fit la moue.

Mendoza se mit à sourire en détaillant son air sceptique. Cette petite expression, cet air « de pas y toucher », il commençait à la connaître.

-A quoi penses-tu ?

Le petit homme pointa un chapelet d’îles en regard de Valence.

-Je me rends pas bien compte, c’est éloigné de combien ces îles-là par rapport aux côtes espagnoles ?

-Les Baléares ? s’étonna Mendoza.

-Une centaine de kilomètres, répondit Jiménez sans comprendre où l’Olmèque voulait en venir.

-Ok. Bon, on peut imaginer que notre aristo doit être coursée par quelqu’un d’influent, sans quoi avec le pognon qu’elle a, il ne lui serait pas bien compliqué de faire disparaître le problème.

Mendoza et Jiménez hochèrent la tête de concert, parfaitement d’accord sur ce point.

-Donc, je me disais qu’en se pointant avec une caravelle en provenance du Nouveau Monde dans un port peu important, on risquait d’attirer l’attention et c’est justement ce qu’on voudrait éviter, non ?

Les deux autres, le laissèrent poursuivre même s’ils commençaient à comprendre.

-Du coup, si on jetait l’ancre plutôt sur une de ces îles, on serait moins exposé.

-Et ensuite affréter un petit bateau plus passe-partout pour rejoindre Valence en toute discrétion ? continua Mendoza. Oui… admit-il. C’est pas bête. 

Le Navigateur parut absorbé par la carte une longue minute.

-Un proche ami de mon père est un marchand influent basé à Minorque, conclut-il en guise d’approbation et pointant la seconde plus grande île de l’archipel. On y sera en sécurité.

Jiménez approuva en opinant du chef.

S’en suivit l’exposition du plan de Mendoza pour couvrir leurs arrières et brouiller les pistes. Il comptait remonter par les terres à partir de Valence, histoire de se faire remarquer un minimum et de semer les assaillants de la Comtesse.

Mendoza demanda si Jiménez pouvait leur fournir des chevaux. Il sembla que ce ne fut pas un problème.

On s’attendait à ce qu’ils contournent l’Europe en bateau et il fallait éviter toute prévisibilité. De plus, par les terres, ils pouvaient louvoyer sur des centaines de kilomètres et se fondre plus facilement dans le décor.

Jiménez fit remarquer que la donzelle devrait, à un moment donné, leur en dire plus sur ses poursuivants et que fuir une devinette n’était pas des plus plaisants.

Mendoza lui donna raison et lui promis qu’il avait l’intention d’en savoir plus au plus vite.

La petite réunion se termina et le Navigateur fit comprendre à ses deux associés qu’ils pouvaient disposer.

Mais tandis que Jiménez quittait les lieux, Calmèque resta en retrait et referma la porte, demeurant dans la cabine.

Mendoza en fut étonné et lui lança un regard interrogateur.

-Un souci ?

Calmèque prit un air embêté.

-Ca dépend. Quelle est votre définition du mot souci ?

Croisant les bras avec lenteur, le Navigateur toisa son Olmèque sans animosité.

Le petit homme en était encore à se demander s’il valait mieux dire ce qu’il avait à dire très vite, comme pour arracher un pansement, ou au contraire manœuvrer très souplement jusqu’à l’annonce fatidique.

Mais l’Espagnol, toujours bras croisés, commençait à tapoter son biceps gauche de son indexe en signe d’impatience.

Calmèque sut qu’il était temps de se jeter à l’eau.

« Par où commencer ? »

-Vous connaissez Cortes ? Enfin, je veux dire, vous avez eu l’occasion de le croiser ? commença-t-il.

Mendoza se figea, l’air interdit.

« Quel rapport ? »

-Oui, répondit platement le Navigateur. J’ai eu l’occasion de croiser ce sinistre individu.

-Oh ! fit Calmèque surpris par le ton coupant que l’espagnol avait utilisé pour désigner le célèbre conquistador. C’est pas le grand amour, constata-t-il.

-C’est le moins qu’on puisse dire, siffla Mendoza. Et c’est assez réciproque.

Voilà qui semblait logique.

-Pourquoi ? tenta de questionner Calmèque conscient qu’il jouait un peu avec le feu.

Mais si Mendoza avait pu amener le sujet de sa rivalité avec Cortes lui-même, ça lui aurait grandement facilité les choses.

Au lieu de ça, il vit le regard de Mendoza virer à l’orageux.

De toute évidence peu enclin à se lancer dans des confidences, l’Espagnol contourna la table et vint se placer à la hauteur de son interlocuteur, plantant ses yeux dans ceux de l’Olmèque, lui faisant comprendre qu’il s’aventurait en terrain dangereux.

-Contre toute attente Calmèque, lui dit-il d’une voix froide et incisive, je t’aime bien. Et je ne voudrais pas faire, sous le coup de la colère, quelques chose que je pourrais regretter par la suite, alors, joue pas avec mes nerfs.

« Sujet décidément sensible… tu m’étonnes qu’elle m’ait envoyé au casse-pipe à sa place… »

-La seule chose que nous ayons en commun Cortes, moi… et toi…, poursuivit-il. C’est de s’être tapé Marinchè. Et tu sembles parfaitement au courant, alors quelle que soit ma définition du mot « souci », je te conseille d’en venir au fait !

Calmèque tenta de protester.

-Y’a erreur, entre moi et Marinchè c’est pas…

-Tais-toi ! cassa Mendoza sur un ton glacial qui ne laissait aucune place à la tergiversation.

Il préféra ne pas insister.

-Je te l’ai dit Calmèque, ce que tu fais ou non avec Marinchè m’indiffère au plus haut point !

« Tu parles ! »

-Alors ? questionna Mendoza en proie à cette colère froide qu’il ne nourrissait qu’en certaines circonstances en rapport avec l’Indienne.

L’Olmèque pesa rapidement le pour et le contre.

Il fallait qu’il le dise maintenant même s’il sentait que cette révélation n’allait pas passer sans douleur.

Et comme il tardait à répondre, le Navigateur dégaina son épée.

Le petit Olmèque tressaillit.

« Il est sérieux là ? »

-Calmèque je te jure que pour ton bien-être dans les secondes qui vont suivre, tu ferais mieux de cracher le morceau !

Et la pointe de l’épée de l’espagnol vint menacer la gorge du petit homme à qui une situation vaguement similaire, remontant cinq ans plus tôt, lui revint en mémoire.

Et comme cinq ans plus tôt, il se demanda un instant si l’Espagnol mettrait sa menace à exécution.

Et comme cinq ans plus tôt, il comprit rapidement que l’obstruction ne ferait qu’aggraver son cas.

Il se lança.

-Il semblerait, amorça l’Olmèque, la voix peu assurée, mais assez convaincu que l’Espagnol était plus sur le coup de la colère et de l’intimidation qu’autre chose. Que Marinchè ait eu une fille après votre départ dont vous seriez… le père.

Voilà ! C’était dit !

Étrangement, Mendoza ne réagit pas de suite et Calmèque en profita pour se saisir rapidement du plat de la lame entre ses deux paumes pour la mettre à bonne distance de sa carotide.

Mendoza, visiblement assommé par la nouvelle, contra à peine la manœuvre et quand l’Olmèque parvint, par un mouvement infaisable par toute autre personne que lui-même sous peine de se démettre toute la colonne, à s’extirper de l’emprise du navigateur et à sortir in extremis, le Navigateur mit encore quelques secondes avant d’émerger de sa torpeur et de se jeter sur la porte en vociférant.

Mais trop tard, de l’autre côté, Calmèque était parvenu à coincer le lourd battant avec une solide hache qui traînait providentiellement sur le pont, et quand Mendoza se jeta à plusieurs reprises de tout son poids contre la porte, celle-ci résista sans problème.

Le reste de l’équipage, Jiménez à en tête, vint, médusé, assister à la scène.

De l’autre côté de la porte, Mendoza hurlait qu’il allait massacrer l’Olmèque dès qu’il serait dehors.

Calmèque adressa à Jiménez un signe notifiant que tout allait bien et celui-ci ne se formalisa pas trop. Il eut juste un signe de tête interrogatif en direction de la cabine.

-Faut juste qu’il se calme un peu…, rassura le petit homme.

Si Jiménez n’avait eu une totale confiance en Calmèque, il aurait sans doute libéré son Capitaine séance tenante, mais il considéra que la dispute devait être d’ordre privée et qu’elle n’avait rien à voir avec une quelconque mutinerie. Il décida donc d’accorder foi à l’Olmèque et de faire comme s’il n’avait rien vu.

Et il intima aux membres de l’équipage de reprendre leurs postes.

Non loin de là, Marinchè, qui avait elle aussi assisté à la sortie en trombe de l’Olmèque, s’inquiéta. Et s’approchant prudemment, sursautant à chaque fois que Mendoza essayait d’enfoncer lourdement le battant, elle sonda l’Olmèque du regard.

-Il l’a bien pris, assura Calmèque un poil ironique.


Laisser un commentaire ?