Au-delà des Mers

Chapitre 14 : Rabibochage

1781 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/05/2021 10:16

Ils avaient passé une nuit presque blanche, entrecoupée de longs moment de calme où l’un et l’autre s’interrogeait sur la suite des événements.

Calmèque ne cessait de se demander quelle allait être la réaction de cet imprévisible Navigateur. S’il y avait bien quelque chose qu’il avait appris à propos de l’Espagnol, c’est qu’il pouvait avoir des réactions « compliquées ».

C’était ce que Marinchè appelait « quelque chose de mystérieux qui le rendait irrésistible »…

Calmèque aurait plutôt dit « quelque chose de tordu qui le rendait imprévisible » !

Et ne nous voilons pas la face, Marinchè le savait très bien, ce n’était pas pour rien qu’elle lui avait refilé la patate chaude. Il soupira intérieurement et se fit la réflexion que décidément, il passait son temps à servir les intérêts d’un autre. Il y avait toujours quelqu’un pour le trouver pratique. Et il se demanda s’il finirait un jour par avoir le droit de profiter un peu de sa propre personne ?

Marinchè quant à elle était un peu inquiète. D’une part, il y avait le voyage qui touchait à sa fin et d’ici-là, il lui faudrait avoir convaincu l’Espagnol de l’aider, sans quoi, retrouver ses enfants ne serait pas une tâche facile pour une Indienne seule en terre ibérique. D’autre part, elle n’avait pas prémédité le fait d’envoyer l’Olmèque au front, et elle s’en voulait un peu. Si après ça il ne la voyait plus que comme une vile manipulatrice, elle ne l’aurait pas volé. Mais elle ne pouvait s’empêcher de regretter. La relation qu’elle avait avec Calmèque lui faisait du bien. Il ne s’en doutait sans doute pas du tout, mais elle et lui partageait un problème commun mais aux origines parfaitement opposées. Il n’avait pour ainsi dire jamais connu le moindre témoignage de tendresse ou d’affection de par la particularité de son espèce, quant à Marinchè, belle comme le jour, elle avait passé sa vie à servir de putain ou de trophée sous les assauts d’hommes cherchant uniquement un plaisir égoïste. Marinchè était une femme « qu’on mettait dans son lit, mais pas dans sa vie ». Il n’y en avait qu’un qui ait pris le temps de l’aimer. Du coup, la relation tacite, tendre et complice qui s’installait entre elle et l’Olmèque lui apportait quelque chose dont ils avaient désespérément besoin tous les deux. Et de ce fait, la peur d’avoir mis cet équilibre fragile en péril la taraudait.

Il regardait le plafond de leur cabine sans rien dire depuis plus d’une demi-heure. A quoi pouvait-il penser ?

Calmèque avait cette particularité désarçonnante de pouvoir passer de l’hyper expressivité à l’inexpressivité la plus totale. Comme s’il rentrait en lui-même et que l’enveloppe extérieur ne lui servait plus à rien. Même sa respiration devenait minimaliste. Tout juste perceptible. Marinchè détaillait la temporaire statue de cire allongée auprès d’elle en lui caressant doucement le bras, laissant glisser ses doigts avec lenteur sur la surface glabre.

La première fois qu’elle l’avait touché, elle avait été très surprise, la texture de sa peau était sensiblement différente. Elle semblait, plus lisse, plus fine, plus douce aussi. Une peau qui au premier abord aurait pu paraître plus fragile, mais qui étrangement ne l’était pas. Elle se souvenait qu’au cours du combat contre les pirates, il avait été entaillé au bras droit. Rien de bien méchant, mais la plaie aurait du laisser une cicatrice encore visible moins d’une quinzaine de jours plus tard. Or, elle passait son doigt à l’endroit même où la blessure avait été infligée et… rien, pas une trace. Le satin de sa peau était d’une régularité étonnante.

-Cal ? l’appela-t-elle doucement sans le quitter des yeux.

Elle le vit prendre une inspiration plus profonde et ses paupières s’animer. Il tourna la tête dans sa direction.

-Quoi ?

-T’es fâché ?

Il la regarda sans répondre, comme s’il se posait précisément cette question.

-Non, finit-il par lui dire d’une voix neutre. Pas fâché.

-Déçu ?

Une petite moue apparut.

-Je ne sais pas… peut-être un peu.

La belle Indienne prit un air chiffonné.

-Je te demande pardon. Vraiment. C’était pas prémédité, je te le jure, se défendit-elle. Mais au fil de mon récit, je me suis rendue compte que toi, peut-être, Mendoza t’écouterait… Mais je te promets que lorsque j’ai commencé à te raconter je…

-Tu pensais qu’en me racontant ta vie, je te raconterais la mienne parce que tu es une incorrigible curieuse, la coupa-t-il sans animosité.

Elle en fut une seconde ébranlée mais s’efforça de ne pas trop le laisser paraître.

-Ca t’arrive de faire quelque chose qui ne soit pas calculé ? lui demanda-t-il, la voix toujours calme.

Là, elle se décomposa.

-Crois pas ça… je t’en prie.

Elle avait sincèrement l’air contrite.

-C’est que… elle ne poursuivit pas. Je sais pas… pardonne-moi, gémit-elle. S’il te plait. J’ai besoin de ton aide.

Un air sceptique se peignit sur le visage de Calmèque et il inclina la tête.

-Tu me mets dans une drôle de situation quand-même, tu le sais ça ?

Elle baissa la tête.

-Mendoza me tolère tout juste, on n’est loin d’être pote, ajouta-t-il.

-Je sais. Mais moi je vois vraiment pas comment le lui dire.

-Bah et moi ? Je lui dis ça comment ? s’exclama-t-il. Je me pointe et je lui lance : Tiens au fait Mendoza, vous savez que Machiavel et Taciturne ont une fille ?

Elle fut prise de court par une brusque pouffée de rire et elle dut se retenir parce qu’elle n’était pas certaine que l’Olmèque plaisantait. Elle tenta donc de rester sérieuse alors que ses yeux se plissaient sous l’envie de rigoler.

Calmèque la regardait d’un air légèrement réprobateur, à la façon d’un professeur réprimandant un enfant turbulent. Puis il céda et sourit à son tour, toujours allongé sur la couche. Cette nana avait l’art et la manière de l’amener pile où elle voulait, que pouvait-il y changer ? S’il la laissait faire, c’est qu’il devait y trouver son compte après tout.

La belle se détendit ne cachant plus son soulagement.

-Merci ! fit-elle.

Et elle voulu le prendre dans ses bras, mais il eut un mouvement d’esquive in extremis.

-Une seconde, infâme manipulatrice !

Il brandit son indexe, comme s’il s’apprêtait à émettre une condition.

-Tout ce que tu veux, promit-elle.

-Je ne veux plus jamais, et il la fixa intensément, que tu joues les entremetteuses entre moi et qui que ce soit !

L’Inca prit un air perplexe.

-Bah j’ai rien fait, assura-t-elle.

L’Olmèque parut dubitatif.

-Oui et ben, c’était déjà trop !

Marinchè aurait eu un millier de choses à lui dire ou à lui demander, mais sans vraiment trop comprendre ce qu’il lui reprochait exactement, elle préféra acquiescer, préférant éviter toutes possibilités de nouvelles frictions avec sa gargouille alors qu’ils venaient tout juste de planter le drapeau blanc.

-Ok…

Il baissa son doigt et hocha de la tête.

-On est d’accord…

Il devait être un peu moins de midi, le soleil était bien haut dans le ciel et il tapait méchamment. 

Des effluves de nourritures provenant de la cuisine commençaient à réveiller les estomacs et Jiménez qui tenait la barre fit signe à l’un de ses hommes pour qu’il vienne le reprendre un instant. Le marin s’empressa d’obéir et l’Espagnol, les deux mains libres, pu consulter une carte. Il vérifia quelques mesures et comparant ses calculs au compas et la position de l’astre du jour, il parût satisfait.

-Gracias Montoya. Je reprends la barre, tu peux y aller.

Montoya, qui était un marin d’assez grande taille et bien bâti, les cheveux poivre et sel en broussaille et le regard intelligent, avait les faveurs du Capitaine en Second. Ils avaient déjà fait route ensemble à plusieurs reprises et Jiménez avait une totale confiance en lui.

-Dis-moi Montoya, lança Jiménez avant que l’autre ne se sauve. As-tu vu le Capitaine ?

Il voulu lui répondre mais à cet instant précis, Mendoza parut sur le pont en contrebas et adressa à son Second un discret salut de la main. Jiménez en fut ravi, et fit comprendre à ce dernier qu’il souhaitait lui parler.

D’un pas lent, Mendoza répondit à l’invitation de son Second et vint le rejoindre à la barre.

-Capitaine, commença Jiménez. Vous tombez bien. Je voulais vous faire part d’une légère inquiétude quant au cap.

L’autre adopta immédiatement une attitude sérieuse et déroula machinalement la carte, encordée à la barre pour éviter qu’elle ne s’envole, afin de la consulter pour voir où se trouvait le souci.

-Non non ! le rassura le premier, il n’y a pas péril en la demeure. Juste que ça fait deux fois que je passe par ce secteur et par deux fois j’ai essuyé un grain épouvantable sorti de nulle part, la seconde fois a même failli nous envoyer par le fond. Du coup…

Il pointa une zone de la carte et suivi un tracé imaginaire du doigt.

-Je passerais plutôt par-là, c’est un peu long, trois ou quatre jours de mer supplémentaires, mais… c’est plus sûr.

Mendoza consulta quelques inscriptions et fronça les sourcils en signe de concentration.

-Tu as peut-être raison. Et puis, c’est pas comme si on était pressé, s’amusa-t-il.

Jiménez acquiesça simplement, content de constater une fois de plus que son Capitaine ne nourrissait pas d’égo idiot et que la prudence honorait son caractère.




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