Le fil d'Ariane

Chapitre 7 : Le fil de Pénélope

1629 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/07/2023 19:44

Navire HMS Medway,

S'éloignant de la Mer de Chine


Assis dans le mess du HMS Medway, Bond rechargeait ses batteries à l'aide d'un petit déjeuner providentiel. L'agent avait été repêché tôt dans la matinée et avait dû faire un crochet forcé par l'infirmerie. Il avait réussi à camoufler sa côte brisée, et autres blessures "superficielles", à la praticienne en faisant montre par deux fois de ses aptitudes physiques. La jeune femme, convaincue, l'avait déclaré "bon pour le service" alors que son uniforme blanc reposé encore sur le sol de l'infirmerie. Bond lui avait néanmoins subtilisé une boîte d’antalgiques.

Il était seul au milieu de ces longues tables blanches. Le cuistot avait eu l'amabilité de lui préparer un petit quelque chose.

Vêtu d'un pantalon molleton gris et d'un fin pull bleu marine, James faisait consciencieusement disparaître la marée de haricot blanc à grand renfort de tartines grillées préalablement trempées dans le jaune de ses œufs baveux. Du fond de la cantine arriva Q. Vêtu d'un triste costume de tweed marron, le Quartier Maître avait une tablette à la main. Bond leva sa tasse brûlante et en avala d'un trait la moitié du contenu. Pour toutes salutations, Q lâcha :

-J'espère que ce café n'est pas Irlandais, Double Zéro Sept !

À défaut de whisky, Bond avait jeté une poignée d'anti-douleurs dans le sombre nectar. Mais il n'allait évidemment pas révéler ses petites recettes persos à son collègue. Cela aurait fait mauvais genre.

Peu aimable, il coupa court :

-Qu'avez-vous pour moi Q?

Le vénérable chercheur posa son petit ordinateur prêt de l'espion. Il se dirigea vers la grosse cafetière chromée, bien en vue contre un pilier métallique, et se fit couler sa part de caféine dans un gobelet en carton. Il demanda :

-Cette agente de la CIA as-t-elle eu accès à votre téléphone ?

Stoppant net l'acheminement d'une rondelle de saucisses à destination de ses canines, Bond acquiesça d'un grognement. Q vint prendre place à ses côtés. Il fit glisser la tablette, l'activant de ses doigts agiles.

-Cette petite est très douée, concéda-t-il admiratif. Dans les entrailles de votre téléphone, j'ai retrouvé la trace d'une application récemment installée.

À ce stade, Bond avait reposé sa fourchette. Q continua en indiquant une carte satellite de l'Amérique centrale :

-Il s'agit d'un logiciel de géolocalisation.

Bond repensa aux breloques de Pénélope avec lesquels elle avait invoqué cet hélicoptère en Allemagne. Un peu de soulagement se dessinait sur son visage. Un point rouge clignotait non loin du Yucatan.

-Quand pourrais-je être envoyé sur place ?

Q avait déjà pris les devants :

-Lorsque nous approcherons des côtes, un hélicoptère viendra vous chercher. D'ici quatre ou cinq heures, estima-t-il. Avec un peu de bonne volonté, vous serez sur place dans la soirée.

Le regard de l'espion s'assombrit : il pouvait arriver beaucoup de chose en une journée.

Q se leva, écrasa son gobelet en carton et le jeta dans une corbeille proche. Il assena à son ami :

-Et pour l'amour du ciel, James, allez dormir un peu. Vous avez une mine affreuse.


...


Sous la lueur froide des néons, Maria déambulait dans les corridors de pierre. Ce vieux temple était-il donc devenu son nouveau "chez-elle"?

Elle avait reçu la première lettre le jour de son dix-huitième anniversaire. Les courbes noires lui imploraient de garder cette correspondance secrète. Ce qu'elle fit. Elle eût du mal à y croire, mais la curiosité avait finalement eu raison de ses doutes. Comment, elle qui s'était senti si seule toute sa vie, aurait-elle pu refuser cette sœur retrouvée que le destin avait remit sur sa route ?

Lucia était son aînée. Durant ses premières années, sa mère avait fait son possible pour l'éloigner de l'influence paternelle et de celle cartel, sauvant l'enfant du massacre qui avait eu raison de son père. Mais, elle était une Cortez. Quiconque la posséderait, elle, posséderait le droit légitime de réclamer le contrôle du Cartel de La Rose. Un prétendant ne tarda pas à la retrouver et la séduire. Lucia était devenue une jeune femme rebelle au cœur emplit de colère. Mais, le prétendant n'avait pas mesuré l'étendue de cette colère. Lucia tempéra les désirs de puissance de celui-ci.

Ainsi naquit l'Iguane.

Ainsi le Cartel eut sa nouvelle Reine.

Dans ses lettres, Lucia parlait de leur mère. Leur défunte mère qui n'avait jamais oublié Maria. Ces missives chargées d'émotions étaient parfois espacées par plusieurs mois de silence. Jusqu'à ce jour où les mots de Lucia pressèrent Maria de la rejoindre.

Bien que le plan de sa sœur fut mis à mal, Maria était finalement là. Au milieu des pierres ancestrales d'un vieux temple : le sanctuaire secret du Cartel de La Rose.

Perdue dans ces couloirs comme dans ses pensées, Maria finit par échouer en haut d'un escalier qui s'enfonçait au milieu de colonnes, dans les ombres de ce qui avait dû être une chambre cérémoniale. L'artiste avait réduit la hauteur de ses talons. Au vu des imperfections de l'escalier abrupt, Maria se dit qu'il aurait été plus judicieux d'opter pour des talons plats. Mais, elle était la sœur de la maîtresse des lieux, elle devait en imposer. Aussi avait-elle échangé sa robe de soirée pour un pantalon de cuir à lacets écarlate et un corset assorti.

Derrière les piliers, couchée sur une lourde table de pierre, se trouvait une jeune femme blonde, au nez retroussé. Elle était maintenue captive, les mains et les jambes menottées à chaque extrémité de l'autel. Chaudement vêtu d'une épaisse tenue commando blanche, la sueur perlait sur son visage tuméfié. Terrifiée, Maria se précipita, espérant venir en aide à la prisonnière.

-Mon dieu... Vous allez bien ?

Devant la pertinence de la question, Pénélope rit, puis toussa de douloureusement. Son œil gauche, gonflé, resta fermé, mais le droit fixa la violoniste. D'une voix éraillée, Penny fanfaronna :

-J'ai fait hurler l'Iguane. J'ai pas de regrets...

Un avertissement résonna depuis les ombres :

-L'orgueil est un vilain défaut, Miss Kinky.

S'extirpant tranquillement des ténèbres, Lucia avançait, de la malice au coin des lèvres. Elle était vêtue simplement d'un crop-top noire et d'un baggy camouflage, à la ceinture duquel un colt retombait lourdement. Lucia repris, théâtrale :

-Mesdames, je viens vous annoncer une bien triste nouvelle : l'une de vos connaissances communes nous a quittée, tôt dans la journée.

Confuses, les deux autres femmes restèrent silencieuses. Ne se connaissant pas, qui pouvait être cette connaissance commune évoquée par la Maîtresse du Cartel ? La réponse tomba comme le couperet :

-Le second avion-cargo s'est explosé en haute mer. James Bond était à bord.

Sous le choc, Maria perdit l'équilibre, s'appuyant contre l'autel, elle implora son aînée du regard :

-Oui, je sais ma sœur, tu nous avais strictement interdits de l'éliminer. Mais, Bond était du genre tenace. Il a, de toutes évidences, lui-même fait sauter ses propres explosifs.

Elle marqua une pause, avant de montrer un peu de compassion envers Maria :

-Sache que j'en suis désolé.

L'écho de pas lourds se répercuta entre les piliers. Penny connaissait cette démarche. L'Iguane lui avait tourné autour toute la journée. Une journée de torture. Il était revenu. Pour l'instant, il était au garde à vous, quelques mètres derrière Lucia. Le mutique meurtrier tout de noir vêtu, en tenue paramilitaire, avait ramené avec lui un long fusil sombre que Pénélope ne connaissait que trop bien.

Faisant courir ses doigts le long du corps captif de Pénélope, Lucia résuma :

-Je suis la seule autorisé à faire hurler Mi campeón. Tu as outrepassé tes droits, CIA. Voici le premier chef d'inculpation.

Elle tournait autour de l'autel, comme un chat autour de sa proie, sous les yeux terrifiés de Maria. Elle reprit:

-Second chef d'inculpation : le petit frère de Mi campeón a péri par la main de ton ami anglais. Mais, comme il n'est plus là pour subir sa vengeance…

Pénélope soupira. La filiation entre l'Interprète et l'Iguane n'était pas dans son dossier. Cela n'aurait rien changé.

Lucia tendit une fine main manucurée vers sa sœur. Les deux femmes s'éloignèrent, main dans la main. L'artiste lança un dernier regard vers l'agent de la CIA.

-Vous allez la tuer ? S'enquit-elle, atone.

-Non, mentit sa sœur. Nous espérons seulement la faire parler.

Puis, elles disparurent dans les hauteurs de l'escalier.


Il émanait une colère froide de l'Iguane. Son visage marqué des stigmates de son affrontement avec Pénélope était concentré sur le réglage du Ariane. Une longue griffure courait du haut de son crâne rasé, traversant son œil droit, jusqu'à sa pommette étroite. Pénélope, sachant que tout était fini, décida de ne pas donner à son bourreau la satisfaction du moindre hurlement.

Le rayon azur gicla hors du canon pour monter entre les jambes de l'espionne. Une indescriptible douleur caressa l'aine de la captive silencieuse. La ligne bleue pénétra ses chaires. Son corps fut pris de soubresauts qui cessèrent rapidement.

Pénélope était morte depuis longtemps lorsque le fin faisceau de lumière passa dans ses boucles blondes...

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