Le fil d'Ariane

Chapitre 6 : Ariane

2479 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/07/2023 10:24

Massif de Changbai, Corée du Nord



Les rails s'agrippaient au flanc abrupte de la montagne. Filant au travers la nuit et la poudreuse, la vieille, mais vaillante, locomotive à charbon entraînait son enfilade de wagons et conteneurs à toute vitesse le long de la paroi rocheuse, surplombant un bouillon kaki, d'ombre et de verdure que formait la forêt en contrebas.

Le wagon cahotait. À l'intérieur, l'éclairage était assuré par une énorme lampe LED surmontant un mât rétractable sorti de ses labos que Q détestait quitter. L'urgence de la situation n'avait guère laissée le choix au vieux chercheur : il lui était tout simplement impossible de déléguer à un subalterne l'exposé de la mission. La tête enfoncée dans son épaisse doudoune, le Quartier Maître se frotta les mains au travers ses moufles. Assis sur deux petites caisses face à lui, tels deux élèves attentifs en tenus camouflages noires, Bond et Penny écoutaient le vieil homme détailler leur mission : infiltrer l'aéroport privé en bordure du lac Caldeira, repérer les deux avions-cargos et leur chargement, miner le premier et embarquer dans le second pour finalement atteindre le camp de base du Cartel de La Rose. Mais Q insistait sur un point : la cargaison. Entre colère et admiration, il expliquait :

-Cette petite merveille de technologie est une véritable saloperie ! Le corps du fusil cache une cage de résonance miniaturisée capable d'envoyer un laser concentré. La molette sur le dessus de l'arme règle la longueur du faisceau, pouvant l'envoyer jusqu'à cinquante mètres. Le laser est capable de trancher n'importe quelle matière. Bien dirigée, cette arme est capable de trouver sa cible même dans un labyrinthe.

-D'où son nom, conclu calmement Bond. Le Ariane.

Depuis son retour de Mexico City, l'espion était morne. Lui qui s'estimait fin psychologue de la gent féminine n'avait rien vu venir. Naturellement dévasté, M ne lui en avait étrangement pas tenu rigueur : Maria n'avait finalement pas été kidnappée, elle était partie de son plein gré. Sa fille adoptive était incontestablement à l'origine de la fuite d'information au sein du MI6, afin de faire passer sa "disparition" pour un enlèvement. S'agissait-il là d'une manœuvre de torture mentale en représailles de la mort de son véritable géniteur ?

M avait cependant demandé à son agent de la retrouver, en suivant la piste de La Rose. Un objectif que Bond s'était déjà fixé.

La porte glissa avec un raclement métallique. Venant du wagon précédent, un jeune agent du MI6, aussi chaudement vêtu que le vénérable râleur, fit son apparition. Il annonça simplement :

-Nous approchons du point de saut.

Ne comptant pas mettre sa fille dans le viseur des Américains, M n'avait pas fait étal de ses problèmes familiaux. De la mission, Penny n'avait donc que les détails concernant le déplacement des armes. Le ravissante agente de la CIA donna une tape amicale sur le genou de Bond, et se leva :

-Haut les cœurs, Jimmy : que le spectacle commence !

Les deux agents étaient vêtus d'une tenue camouflage noire, accompagnées de gants et d'un bonnet assorti. Penny vérifiait une dernière fois les sangles d'une petite besace qui pendait lourdement à sa ceinture ainsi que celles d'un petit sac à dos. Q fit glisser la lourde porte à bestiaux qui refermée jusqu'alors le flanc du wagon. Le froid entrât en bourrasques à l'intérieur. Le train survolait désormais un gigantesque lac. Un miroir dans lequel se reflétait la voûte céleste et le noir de la nuit. Penny était en appuis au-dessus du néant, attendant le "go".

Q ouvrit un petit zip sur le torse de Bond et y glissa une petite boîte ovale.

-Ce sont des lunettes à rayon X, précisa le savant en haussant la voie pour couvrir le vent qui hurlait par la large ouverture.

Il ajouta sévère :

-Pour le cas où vous auriez à vous servir d'un Ariane, et pas pour reluquer les dessous de votre collègue, 007!

Par automatisme, et un peu pour rassurer son vieil ami, Bond se fendit d'un trait d'humour :

-Je ne fais jamais de promesse que je ne peux pas tenir.

Après un coup d'œil complice au Quartier Maître, Bond donna une légère tape sur l'épaule de l'agent Kinky puis s'élança dans le vide, aussitôt suivit de la jeune femme.

Tendant les bras de façon à déployer les ailes de tissus de leur wingsuit, les deux agents se laissèrent porter par les vents. La froide bourrasque leur fouettait le visage, et leur sifflait dans les tympans. Heureusement, le vol fut de courte durée. À l'approche de la rive, avec un mouvement rapide au niveau du torse, ils libérèrent la toile de leur parachute. Les énormes pièces de tissus sombres passèrent inaperçues dans les ombres environnantes. La réception dans les galets fut quelque peu douloureuse, mais silencieuse. Les deux espions déposèrent sacoches et sacs puis dézippèrent leurs tenues afin de les enlever. La première couche de vêtements sombres une fois retirée laissa la place à une tenue similaire, mais blanche. Ils laissèrent ces habits dans les galets, ainsi que les parachutes une fois repliés. Penny et James passèrent à nouveau les petites besaces, puis, armes aux poings, s'avancèrent dans la neige.


Une imposante masse grise se précisa devant eux, ainsi que les ronronnements caractéristiques de moteurs : ceux des avions-cargos. Avant d'attaquer la mission, Penny cru bon de reprocher à son compagnon :

-Tu ne m'as pas rappelé depuis Cologne.

Bond s'arrêta et dévisagea l'américaine.

-C'est vraiment le moment ?

Il marqua une pause, puis demanda, à peine désolé :

-J'aurais dû ?

Pénélope s'approcha et plaqua quelque chose sur le torse du beau brun.

-Maintenant, tu as mon numéro. Pense à m'appeler une prochaine fois.

Bond récupéra son téléphone, que venait de lui rendre son amie. Impressionné par les talents de pickpocket de Kinky, il ne trouva pas mieux que :

-Tu me l'as chipé dans le train ?

Elle avait déjà repris la marche.


...


Les deux silhouettes avaient réussi à se faufiler dans les nuances de gris et de blanc que formaient l'entrepôt couvert de neige. Face aux bâtiments, un chariot élévateur faisait des allers-retours, chargeant de lourdes caisses dans les deux mastodontes ailés qui reposait dans le froid. Sous la queue des appareils s'ouvraient de larges rampes de chargement.

De l'angle de l'entrepôt, Bond inspecta : il n'y avait pour le moment que deux hommes. Le premier conduisant le Fenwick et le second, à l'intérieur du bâtiment, était assis à une petite table, prêt d'une machine à café, cherchant à se réchauffer. L'espion pris le temps d'installer son silencieux sur le canon de son Ppk. Lorsque que le cariste disparu avec son chargement dans l'avion, il visa l'intérieur de l'entrepôt. D'une balle bien placée, Bond refroidit le frileux, qui s'affala sur la table près de sa tasse fumante. Il commenta à l'attention de son amie, un doigts sur les lèvres :

-Le pauvre se repose : il est mort de fatigue.

Bond indiqua à sa collègue l'avion-cargo sur la droite.

-Tu fonces, je t'y rejoins aussitôt après avoir posé les mines.

Toujours l'arme au poing, Penny fila pour disparaître dans les entrailles du géant d'acier. Au même moment, le chariot élévateur quittait tranquillement l'avion de gauche pour rejoindre l'entrepôt. Invisible, Bond passa dans l'angle mort du conducteur d'engins et disparu à son tour par la rampe de chargement.

Depuis le siège rembourré de son véhicule, le petit asiatique invectiva sans succès son collègue, qu'il pensait assoupie. Il activa la radio qui était fixée à sa poitrine puis annonça:

-Chargement terminé, vous pouvez décoller.


...


Bond avait fini de placer ses petits explosifs ronds sur les cinq palettes alignées dans l'estomac de l'avion-cargo, prenant soin de synchroniser chaque modules avec sa montre bracelet. Un grincement sourd sembla couvrir le bruit des moteurs : la rampe se relevait, refermant l'arrière du véhicule. La course de l'espion ne fut pas assez rapide. Tapant des poings sur la porte métallique, Bond senti son centre de gravité vaciller. L'avion était en train de manœuvrer, puis il décolla.


Une balle siffla aux oreilles de James, précédée de la détonation d'un revolver. Elle percuta l'acier à quelques centimètres de sa tête. Bond sorti de nouveau son Ppk et se jeta dans un angle. Il pointa vers les caisses. Une voix nasillarde se fit entendre de derrière le chargement:

-Monsieur Bond, je présume !

Dans le fond de l'avion, la porte donnant sur la cabine de pilotage était ouverte. Bond fit les comptes : deux pilotes et un tireur embusqué, rien d'insurmontable. Le planqué repris :

-Vous avez la fâcheuse tendance à apparaître au mauvais moment. Je vois que vous avez ouvert nos caisses. Vous vous doutiez de leur contenu, sinon vous ne seriez pas ici…

-J'avoue tout, coupa Bond. Je cherchais le minibar. Le service sur ce vol est déplorable.

Il avait rejoint les caisses et, à l'abri de son côté du chargement, il vérifia le chargeur de son arme. Machinalement, il continua son baratin :

-À chaque fois que je suis dans l'obligation de changer de compagnie, je suis déçu. Vous savez ce que c'est : on a ses petites habitudes…

Bond savait l'importance de ce chargement pour le cartel. Si l'Iguane n'était pas dans cet avion, il était dans l'autre. Il ne restait plus qu'à espérer que Penny saurait se faire discrète le temps du voyage. De son côté, Bond allait s'efforcer de mener à bien sa mission.

Le bois de la caisse craqua au-dessus de sa tête, l'espion eut à peine le temps de réagir, la semelle d'une ranger vint violemment s'abattre sur sa main droite. Son Walter glissa au loin. Désarmé, il eut le réflexe d'attraper de la main gauche l'avant-bras de son opposant, plaçant un uppercut au radius de son poing endolori. L'homme lâcha également son arme. Bond put se releva. Face à lui se tenait le rouquin, l'Interprète. Il faisait une tête de moins que Bond et semblait déborder d'énergie. Le trafiquant était en position de combat, présentant sa garde et les poings levés. Vêtus du pantalon cargo et d'un pull noir, les premiers coups de jambes envoyés démontraient que l'Interprète n'était pas contraint dans ses mouvements. Deux coups de tibias consécutifs dans les côtes indiquèrent la danse : taekwondo. La douleur dans ses côtes irradiait dans sa cage thoracique. James connaissait les pas, mais il n'était pas d'humeur pour tango. Le rouquin envoya le coup suivant. Écartant le pied lancé du bras droit, Bond frappa la jambe au niveau de l'articulation. D'un crochet du gauche, il disloqua le genou de l'adversaire, et assena aussitôt une droite au travers la garde du voltigeur qui s'affala.

-On évite les art martiaux dans un véhicule en mouvement, conseilla l'espion en se tenant les côtes.

Chancelant, il ramassa son arme et observa son environnement. Deux sangles balançaient au centre de la large porte de chargement. Considérant la vitesse parcouru, Bond allait devoir faire perdre de l'altitude à l'appareil. Des nouveaux coups de feu résonnèrent autour de lui. Fusil mitrailleuse cette fois ci. Mécaniquement, James visa, et fit mouche. L'un des deux pilotes avait quitté son poste dans l'idée d'éliminer l'intrus. Mauvaise idée : Il gisait maintenant derrière les caisses, une balle dans le cœur.

Entre deux gémissements, le rouquin nargua l'anglais :

-Que comptez-vous faire à présent, Bond?

L'agent ouvrit une des caisses et se saisit d'un fusil Ariane. L'engin ronronna lorsqu'il pressa son petit interrupteur, et fit tourner la molette qui trônait sur l'arme à son maximum. Il prit le temps de répondre à son ennemi :

-À présent, je vais prendre l'air.


Il se tourna vers la cabine, puis fit feu d'un tir de lumière bleue. Le second pilote fut traversé à la base de la nuque puis se coucha de tout son poids sur le manche.

Gardant le fusil, Bond se pressa vers le poste de pilotage. Il redressa le corps du pilote, libérant le manche et calmant l'aiguille de l'altimètre. Désormais installé sur le siège libre, James oscultait d'un œil nerveux les constantes du géant d'acier. Au delà de la vitre, le soleil pointait à l'horizon sur les vagues de la mer de Chine. Il poussa le manche.

L'énorme cargo aérien piqua de nouveau vers les flots. Bond fit en sorte d'adoucir la pente. Mais d'ici à quelques minutes, le mastodonte caresserait à grande vitesse la surface paisible de l'étendue turquoise.

Au pas de course, il revint vers les caisses et tira une nouvelle giclée de lumière bleue.

En ligne droite, le rayon trancha la base de l'énorme plaque métallique qui commença à balancer, maintenue de façon précaire par ses verrous en hauteur. Bond jeta le fusil et pris son élan. Il s'élança du fond de la soute, se propulsant de tout son poids contre les rampes de chargement, attrapant les sangles.

Le choc finit de décrocher la lourde porte qui chuta de quelques mètres pour se réceptionner dans l'eau maintenant toute proche. L'impact fut brutal. Ses avant-bras amortir le choc de son crâne, mais son torse s'écrasa sur le métal. Bond n'avait plus de doute, il devait avoir au moins une côte de cassée. La pièce de métal basculât. Emporté dans l'eau glaciale, le survivant lâcha les sangles. Recrachant le bouillon salé, l'espion nageait tant bien que mal, supportant la douleur. Il observait le mastodonte, désormais loin, qui semblé vouloir se poser le tarmac liquide. Ramenant péniblement sa main au niveau de son poignet droit, Bond pressa simultanément deux petits boutons sur le cadran de sa montre.

La forme sombre se mua bruyamment en une boule de feu se reflétant sur la mer calme du matin.

Il avait mené à bien sa part de la mission. Cette première victoire s'était fait attendre. Il allait maintenant devoir trouver un moyen de rejoindre l'agent Kinky.

Il se rassurait en se disant qu'avec une telle balise au milieu des flots, il allait être vite sorti de cette baignade matinale bien trop fraîche à son goût.

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