Le fil d'Ariane

Chapitre 4 : Le réveil de l'Iguane (2sd partie)

2551 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/06/2023 13:13

De retour sur la piste de danse, James se mit en quête de Penny. Il la trouva sans peine, se trémoussant dans le silence en compagnie d'une jolie brune dont les doigts se baladaient dans les plis de son kilt. D'une main, Kinky gardait contre elle le jean de sa partenaire, leurs hanches ondulant au même rythme, le regard perdu dans celui de l'autre. Du bout de la langue, la danseuse rapprocha les lèvres de Penny, l'embrassant doucement, léchant les replis charnus. Penny fit durer le baiser, mordillant la lèvre inférieure de son amie, pour la retenir.

Bond leva l'un des écouteurs :

-Finis de jouer, Agent Kinky.

Après que James l'ait repêché hors de la foule mouvante et silencieuse, Penny glissa son casque autour de son coup.

-Tu devrais t'amuser un peu plus, Jimmy, fit-elle remarquer, les joues roses, encore enivrée du baisé et de la musique.

Bond plongea son regard sévère dans les yeux de sa collègue, la rappelant à l'ordre. Voulant se montrer professionnelle, elle se rattrapa :

- Pendant que tu faisais tes acrobaties là-haut, un petit groupe est redescendu et a disparu sous l'escalier là-bas. Très certainement pour se rendre sous l'usine. C'est un véritable dédale de couloirs et de tunnels là-dessous. Ça s'étend sur des kilomètres.

James, détendu, plaisanta :

-Tu as les yeux aussi vifs que la langue, dis-moi. Puisque tu as étudié les plans, tu vas me dire qu'il y a un accès plus discret à ces sous-terrains ?

Après un shot de vodka chacun, les deux agents s'éclipsèrent.


...


Se guidant à l'aide du GPS de son portable, Penny dénicha rapidement la plaque d'acier ronde à moitié recouverte par la verdure. Par chance, la nuit était claire et agréablement fraîche. Accroupie à côté de la bouche d'entrée, la jeune femme semblait s'amuser plus que de raison :

-Allez, Jimmy, sors tes muscles.

Un peu pour impressionner la punkette, Bond saisi d'une main la petite poignée rouillée au centre de la plaque et souleva le lourd morceau d'acier qu'il le reposa rapidement prêt de l'ouverture.

Il s'agenouilla et libéra le ppk de son holster de cheville. Il n'avait pas emporté le silencieux, le revolver n'allait donc devoir servir qu'en ultime recours. Pénélope ne semblait pas s'encombrer de telles considérations: de sous sa veste en jean, elle extirpa un petit revolver rondouillard.

-Un Taurus!? s'exclama 007.

La petite blonde fit rouler le barillet :

-Et il est chargé de balle perforatrice.

-Si tu tires avec ça, on va nous entendre jusqu'à Düsseldorf !

Un peu piqué au vif que quelqu'un ose critiquer son joujou, la jeune femme descendit la première dans le boyau, en rétorquant à son indélicat camarade :

-Ça va. Tu n'as pas la réputation de faire dans la dentelle non plus.


...


Les corridors paraissaient sans fin, et leurs parois parcourues de nombreuses fines canalisations métalliques. L'éclairage néon qui inondait les couloirs d'une lueur vibrante poussait Bond à être sur le qui-vive : Avancer à découvert n'était pas la tactique la plus efficace pour une opération d'infiltration. Le duo arriva finalement jusqu'à une large ouverture qui donnait sur une grande salle en contrebas. Prenant appuis de part et d'autres de la fenêtre de béton, Bond et Kinky avaient une vue dégagée, tout en étant relativement invisible à la dizaine d'individus au milieu l'espace vide.

-Le grand chauve, je le connais, indiqua Bond à voix basse. Je lui ai fait piquer une tête dans le Golfe du Mexique la semaine dernière.

Vêtu d'une veste militaire noire, l'homme de Campeche semblait mener les évènements silencieusement.

-C'est l'Iguane. C'est lui que nos services recherchent.

-L'Iguane?

-Son identité est un mystère. Il est apparu sur la scène internationale au début des années 2000.

Bond insista :

-Pourquoi "l'Iguane" ?

-Ce serait dû à sa langue. On raconte qu'une ancienne conquête, fatiguée d'être trompée et de l'entendre mentir, lui aurait fait boire de l'acide.

Penny accompagna son récit d'un mouvement de l'index le long de sa trachée:

-Ça lui aurait tout rongé à l'intérieur. Depuis, il est muet, et sa langue est difforme.

Bond parut pensif.

-On a le nom de cette fameuse conquête ?

-Non, pourquoi ?

-Pour l'éviter.

Bond semblait soudain pris d'une certaine compassion pour l'Iguane, comme si la gravité des penchants meurtriers de l'individu s'effaçaient devant un quelconque code d'honneur tacite des coureurs de jupons. Un instant de faiblesse fugace.

Le mutique malabar était entouré de quatre hommes de mains armés de fusils Beretta et d'un cinquième, un petit rouquin qui faisait l'article d'une caisse noir à quatre soldats en uniforme. Du moins, a l'un d'eux en particulier.

-Lui aussi, je le connais, indiqua l'anglais. C'est le colonel Arkady Ourumov.

-Il bosse pour le Kremlin, s'étonna sa collègue.

-Oui et non, nuança Bond. La Russie est fractionnée en une multitude de conglomérats, gérés par des oligarques aussi prompt à trahir qu'à passer la brosse à reluire. Lorsque la Patrie s'embrasera, ils seront les premiers à tirer les marrons du feu. L'idée n'est pas de servir le Kremlin, mais d'avoir des cartes en mains le jour où il faudra se battre pour le trône.

Il dédramatisa :

-Il n'est pas ici en déplacement officiel. Il fait très certainement les courses pour un milliardaire en manque de sensation forte.

Il marqua une pause avant de demander :

-Le rouquin, c'est qui ?

-On l'appelle l'Interprète, il parle au nom de l'Iguane.

Alors que les deux collègues faisaient un résumé de leurs connaissances communes, l'un des hommes ouvrit la caisse et en tira un long fusil noir terminé d'une lourde cross. Saisissant la poignée, il cala l'arme sous son bras, et de sa main libre régla une petite molette sur le dessus de l'engin tout en détaillant la manœuvre à ses clients. Puis, il visa le mur au fond de la salle. Une fine ligne de lumière bleu clair, presque blanche, relia alors l'extrémité de l'arme et la paroi, la traversant silencieusement comme du beurre. Des cris de satisfaction en russe montèrent jusqu'aux oreilles des deux espions.

Le regard sur le laser, la mâchoire serrée, Bond fut catégorique :

-Ce n'est pas l'acheteur qui m'inquiète, c'est le produit.

La voix inquiète de Penny troubla la réflexion du grand brun :

-James, on a un autre souci : ils étaient dix, ils ne sont plus que huit.

Dans le corridor derrière eux, ils entendirent de légers bruits de pas. D'en bas, l'Iguane regardait Bond dans les yeux.

007 réajusta son revolver à sa cheville et fouilla dans ses poches. Il ordonna à l'américaine :

-Tu vas t'accrocher à moi, et viser en bas.

Il plaça la petite cassette audio au-dessus de son épaule et pressa la petite fenêtre en son centre. Les deux filins s'éjectèrent puissamment de part et d'autre, se fichant dans les parois opposées. Accompagnant la détonation des coups de feu des deux hommes dans le couloir, le béton éclata au-dessus de ses cheveux noirs. D'une main, Bond attrapa l'agent de la CIA par la taille, la plaquant contre lui.

-C'est quoi ça ?

Se jetant dans le vide, une main serrant la poignée/cassette, l'autre gardant la hanche de Kinky contre la sienne, Bond expliqua simplement :

-Une tyrolienne. Ayez le bon goût d'un dégommer quelques-uns avant que l'on atteigne l'autre côté.

Le câble sifflait au-dessus d'eux, les balles fusaient dans les airs, le laser tenta également, en vain, de les atteindre. Un bras autour de l'espion britannique, l'autre tenant le petit Magnum, Penny mit à profit les six balles de son barillet. Elle en logea deux dans le béton en contrebas, une dans le torse de l'un des soldats russes, une autre dans la tête de l'un des hommes de main. Après une réception douloureuse, les deux deux agents se relevèrent dans un encadrement similaire à celui dont il venait de partir. Kinky vida son barillet en direction de l'ouverture qu'ils venaient de quitter, faisant mouche une fois : l'une des deux silhouettes sombres chuta comme une pierre, s'écrasant quelques mètres plus bas.

-Atteindre trois cibles sur six dans telles conditions avec une arme pareille, ça force le respect, déclara 007 admiratifs des talents de la belle Kinky.

Pénélope plissa sa jupe écossaise avec un petit sourire de satisfaction. Elle comptait y aller d'un bon mot lorsque le sol fut traversé d'un rayon bleu clair en ligne droite jusqu'au plafond. Elle préféra conseiller :

-Ne traînons pas.

Bond dégaina son arme et obtempéra.


Le couple trouva une porte ouverte en haute d'un escalier de métal rouillé. Elle s'ouvrit, avant qu'ils ne l'atteignent, libérant l'un des gorilles que Bond avait croisé plus tôt dans la soirée. L'espion le coucha sans préambule d'une balle dans la tête avant que l'homme ait pu riposter de son automatique. Penny ramassa le fusil. De sa main gauche, elle saisit l'une ses breloques et appuya dessus, causant un petit cliquetis mécanique.

-C'est quoi ça ?

-Tu as tes gadgets et j'ai les miens, s'amusa la jeune femme.

De retour au milieu des danseurs, la punkette tira en l'air pour disperser la foule. Le DJ délaissa ses platines, sauta de son estrade et fut fauché par un nouveau rayon bleu qui jaillit du sol et le traversa de toute sa hauteur. Sa mort accentua la terreur ambiante.

Les agents furent emportés par le flot de la foule en panique au travers un dernier couloir, puis expulsés à l'extérieur du bâtiment.

Sous la lune claire, la foule se dispersa. James et Penny couraient le long du chemin en direction du parking, tout comme une bonne partie des fêtards en panique. Sous la lune d'argent se dessina un second disque de lumière : le halo de l'éclairage d'un hélicoptère en approche. James compris que la fameuse breloque de son amie servait de balise de secours. Dans le ciel, le moteur de l'engin devint plus sonore à mesure qu'il approchait. Le rythme mécanique se mua subitement en silence. Bond leva les yeux : un nouveau fin rayon de lumière venait de trancher l'appareil en diagonale juste au-dessus de leur tête. L'anglais eut tout juste le temps de pousser Kinky dans le fossé. Dans un assourdissant fracas de métal, les lourds débris percutèrent le sol, écrasant quelques fuyards. Les pâles tournoyantes achevèrent leur course en apportant le corps d'une danseuse. James se releva, revint au centre du chemin pour constater impuissant les dégâts. Par delà les flammes qui s'élevaient désormais de la carcasse, Bond voyait l'imposante carrure de l'homme de Campeche, son long fusil noire en appuis sur sa hanche.

-Allez, ne restons pas ici, ordonna Pénélope en remontant sur le chemin.

Les yeux de l'espion étaient pris dans le regard de l'Iguane, elle dut le prendre par le bras, devant le tirer pour qu'il la suive.


...


Il était relativement tard. Bond avait glissé un joli billet au barman de l'hôtel et lui avait promis de fermer derrière lui. Il était seul au comptoir du restaurant de l'hôtel. Il n'avait pas vraiment envie de monter se coucher, mais il le faudrait bien. Il aurait dû demander à Penny le numéro de la chambre dans laquelle elle dormait, au cas où, mais il ne l'avait pas fait. Posé sur le comptoir ciré, le walkman clignotait vers le smartphone modifié de Bond, envoyant vers Londres les données copiées plus tôt dans la soirée. À côté des deux appareils, une bouteille de vieux Jim Beam presque asséchée attendait patiemment, le bouchon devisé.

Les pertes étaient nombreuses.

Bond avait atteint son objectif, mais il avait dû fuir, par la force des choses, face à un ennemi mieux préparé. L'alcool ferait passer le goût amer de défaite qui lui tapissait la gorge. Encore un verre. Ou deux.

La grande salle était remplie d'ombre. Seules les quelques éclairages au-dessus du comptoir se reflétaient à la surface du breuvage dorée. Et sur le verre lisse, Bond vit son visage fatigué. Il ne s'était pas changé. En revenant de sa défaite, il s'était réfugié ici, dans la pénombre, près des dorures du vieux comptoir en chêne. Il avala le contenu de son verre, comme s'il s'était agi d'une prescription médicale. Ses doigts fatigués revissèrent le bouchon sur la bouteille qu'il saisi par le goulot pour en considérer les quelques centimètres de liquide qu'elle contenait.

-Je t'épargne, lui dit-il. Pour ce soir, je t'épargne.

Il jeta les clés sur le bureau de l'accueil après avoir refermé la double porte de verre de la zone restaurant.

Bond entreprit de monter les deux étages qui le séparait de sa chambre par les escaliers. Il sentait à peine les effets de l'alcool. À vaincre ces effets, il se sentait invincible. L'alcool était un allié fidèle, et un ennemi facile à vaincre. Bond, dans sa réflexion embrumée, se demandait si cela faisait de lui un traître ?

Son pied s'abattit lourdement arrivé au deuxième étage, traversant une dernière marche imaginaire. L'alcool avait finalement un peu de prise sur lui.

L'espion fatigué finit par présenter son téléphone devant le capteur de sa chambre. Un déclic plus tard, il était dans la pénombre d'une luxueuse suite. Son doigt s'arrêta en suspens à quelques centimètres de l'interrupteur : de la lumière provenait déjà de la salle de bain, ainsi qu'un bruit familier de ruissellement.

Traversant les vitres, l'éclairage de la rue dessinait de larges tableaux oranges sur le papier peint baroque que traversait l'ombre de James Bond, se rapprochant doucement de la pièce d'eau.

Il saisit la poignée, et poussa lentement la porte. Des silhouettes féminines sculptées dans un marbre bleu tenaient à deux mains des boules lumineuses inondant l'endroit d'une lumière douce. De la condensation ruisselait sur le carrelage marin des murs. Un large pommeau de douche à l'aspect faussement rouillé faisait pleuvoir une chaude averse sur le corps finement ciselé de Pénélope. Bien évidemment, nue au milieu de sa douche italienne, la délicieuse américaine ramena ses cheveux en arrière.

-C'est une heure pour venir me rejoindre ?

Les bras en croix, appuyé contre le montant de la porte, James sentait monter une autre ivresse qui n'était, celle-ci, pas dû a l'alcool.

-J'en déduis qu'afin de donner du crédit à notre couverture, nous partageons la même chambre.

Les mains dans le dos, laissant couler l'eau chaude entre les sillons de son corps, la séductrice annonça :

-On verra plus tard pour la couverture.

C'est elle qui avait raison : ils étaient vivants, cela ce devait d'être fêté dignement.

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