Le fil d'Ariane

Chapitre 3 : Le réveil de l'Iguane (1ere partie)

2209 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/06/2023 23:35


Avec un ronronnement paresseux, le grand rideau mécanique se mit à remonter, laissant entrer les faibles rayons de la lune dans l'immense pièce aux murs de pierres brutes. Progressivement, de grandes dalles lumineuses au plafond prirent le relais, inondant les lieux d'une lumière blanche, dévoilant une petite table non loin de la baie vitrée, d'antiques et impressionnantes statues de guerriers Maya, ainsi qu'un large lit au milieu de la pièce à côté duquel quelques vêtements étaient éparpillés. Deux corps nus entrelacés se reposaient sur des draps de soies défaits. La femme avait des courbes harmonieuses et les muscles finement sculptés ainsi que de longs cheveux noirs retombant sur le visage. Sa peau de satin avait la teinte des pierres millénaires qui soutenait la chambre, et quelques cicatrices dénotant une vie de combat. Elle semblait minuscule, couchée sur le torse puissant de son compagnon, que la respiration avait bercée de ses mouvements. Le géant au crâne rasé avait le haut du corps tuméfié, l'arcade légèrement gonflée et quelques doigts de sa main gauches étaient cerclés ensemble. Par endroit, les muscles étaient pris de soubresauts : Il dormait d'un sommeil agité. Soulevant sa mèche, révélant un doux visage aux lèvres généreuses, la brune annonça tranquillement :

-Mi campeón, il est l'heure.


Elle se leva, rejoignit la grande fenêtre, pied nue sur les pierres lisses. En contrebas du temple, à plusieurs dizaines de mètres, entourés des ténèbres de la jungle et de la nuit, sous l'éclairage prodigué par de lourds générateurs, de fines silhouettes noires s'affairaient autour d'un petit jet privé brillant sous la lune. La petite déesse nue leva le smartphone qu'elle avait laissé sur le bureau, s'assurant que le planning de la journée n'attendrait pas. Elle ramassa le pantalon, lesté d'une lourde ceinture, et le jeta sur le bel endormi :

-Allez perezoso! Ton avion est prêt. Bouges toi un peu.

Dans un grognement guttural, de mauvaise grâce, l'Iguane se leva.


...


Au même moment, à l'autre bout du monde, Bond foulait le sol germanique. L'aéroport Konrad-Adenauer grouillait de vie. Il était à peine 10h, et une vague noire et grise de costumes/cravates, de commerciaux et businessmen déferlait sur Cologne par les portes de verres, débarquant des quatre coins de l'Europe. Vêtu d'un complet trois pièces sombre impeccable, promenant un petit attaché-case, l'espion se fondait parfaitement dans cet océan terne. Son regard d'acier balaya la foule. Trouver son contact s'annonçait comme un défi. Bond pris la direction de l'escalator, puis se laissa porter jusqu'à l'étage inférieur. Des entrelacements de poutre métallique formaient une toile d'acier dans les hauteurs du grand hall qui était entouré de boutiques et de guichet. Sinuant dans ce microcosme, des cordons faisaient leur possible pour réguler le flux sombre des nouveaux arrivants.


Adossée à l'un des piliers ronds, une jeune femme présentait nonchalamment devant elle un petit carton sur lequel était griffonné l'Union Jack au stylo bille. Une jambe fléchie, en appuis de sa Doc Martins contre la colonne, relevait négligemment son petit kilt à tartan rouge et vert. Sa veste en jean ouverte retombée dans le creux de ses reins, et couvrait un petit débardeur carmin qui mettait en valeur sa petite poitrine.

Bond l'accostât de son baratin passe partout :

-Vous attendez un Anglais en particulier ? Ou n'importe lequel fera l'affaire ?

Ce fut en vain. Elle lui répondit du ton de celle que l'on avait déjà trop sollicitée :

-Non, j'attends le roi Charles.

Elle remonta ses lunettes de soleil rondes pour mieux détailler son interlocuteur, dévoilant des pupilles d'un bleu profond. Elle avait un joli visage rond, un petit nez retroussé et des lèvres charnues. Ses cheveux blonds mi-longs en bataille étaient rasés sur la tempe gauche, dégageant une oreille garnie d'anneaux et de pierres. Un bijou était également piqué dans une arcade, et des breloques pendaient par grappe autour de son coup. Son visage s'illumina :

-Vous êtes Bond?

Comme si l'étincelante punkette venait d'utiliser un titre de noblesse, l'espion bomba le torse :

-J'ai cet honneur. Et je suppose que vous êtes...

Il marqua une pause, visiblement pris d'un doute :

-... mon contact ?

Elle ficha ses lunettes de soleil dans ses cheveux, tendit sa fine main vers Bond, qui la serra délicatement, et, fringante, se présenta :

-Agent Pénélope Kinky, CIA.

Sans plus attendre, elle l'entraîna vers la sortie, balançant son petit carton dans une corbeille en chemin. Bond ne savait quelle information traiter en premier : son look, la mission ou son nom de famille ?


Ils traversèrent les portes de verre en demi rond. Le soleil était agréable, l'odeur de gaz d'échappement et de bitume nettement moins.

-Un certain Q a fait parvenir un petit quelque chose à notre hôtel pour vous.

-Vous serez donc mon binôme ?

Elle se tourna vers lui. Tout en marchant à reculon, elle le taquina :

-Déçu Jimmy? Je peux t'appeler Jimmy?

Non, elle ne pouvait pas, mais il la laisserait faire. Elle le détaillât du doigt, indiquant son irréprochable costume Tom Ford :

-Par contre, ça, ça va pas être possible. Il va falloir faire un effort.

Elle se retourna et sortie un petit trousseau de clé qu'elle fit tourner autour de son index. Bond allait prendre la défense de son tailleur, le meilleur de Saville Row tout de même, lorsqu'ils arrivèrent à la voiture.

-Ça, ça ne va pas être possible, articula difficilement 007.

Sa consœur lui ouvrait la portière passager d'une vieille Renault Super 5 grise. Ravi de l'effet que lui faisait son carrosse, l'américaine plaisanta :

-Allez, fais pas ta princesse Jimmy, monte.


...


Après un passage par le Ruby Ella Hôtel et son restaurant, Bond et Penny roulaient maintenant vers l'extérieur de Cologne. James avait dû troquer à contre cœur son costume pour un jean et un sweat à capuche. "Pour les besoins de la mission" avait insisté l'agent Kinky. Bond avait néanmoins récupéré son Walter ppk, le copieur de disque dur et fait un point sur ses messages : Maria l'attendrai à l'hôtel Ciudad de Mexico ce dimanche. Ce qui lui laissait deux jours pour démêler son enquête. L'espion se savait efficace, le délai était trop court : Il n'échapperait pas à la corvée de jouer les garde du corps.

Le soleil déclinait sur le Rhin, brillant au milieu des étendues planes de verdure. Bond avait eu l'occasion d'en apprendre plus sur Penny. Ses parents étaient d'anciens militaires basés à Ramstein à la fin des années 90. De cette époque ne restaient que la brave petite Renault et une impétueuse blonde. De retour au Texas, les parents de Penny avaient fait jouer leurs relations pour qu'elle rejoigne la CIA, espérant secrètement que leur fille dégoterait un job de bureaucrate. Penny, de son côté, avait fait tout son possible, avec succès, pour devenir agent de terrain. Elle était aujourd'hui de retour en Allemagne, et avait récupéré cette petite voiture qui était restée à dormir sous une bâche dans un conteneur durant près de 15 ans. Tout comme Bond, elle avait une petite trentaine d'années. Mais contrairement à lui, elle n'avait jusqu'à présent effectué que peu de mission à l'étranger. Ce qui expliquait sa bonne humeur et son optimisme communicatif.


Après avoir stationné le véhicule dans un champ, au milieu de dizaines d'autres, le duo prit un chemin de terre, se dirigeant, sous la lune, vers une vieille usine grise. Les sources de la CIA étaient catégoriques : le Cartel de La Rose allait effectuer une transaction durant la soirée clandestine qui allait avoir lieu dans ces murs. Vêtus de son sweat, les écouteurs autour du cou et portant à la ceinture son walkman aux couleurs criardes, Bond se donnait l'effet de ces trentenaires refusant de quitter leurs oripeaux d'adolescent. Pénélope ne s'était pas changé, elle avait simplement enfilé une paire de bas noir épais lui arrivant à mi-cuisse et laissé ses lunettes de soleil sur le tableau de bord de son véhicule.

-Tu es sûr de vouloir emporter ça ? S'enquit-elle en indiquant "l'antiquité" que 007 avait clippé à sa ceinture.

Bond y voyait une petite vengeance de la part de son Quartier Maître. Il préféra en plaisanter :

-Le rétro, c'est le nouveau chic.

Ils approchaient du service d'ordre a l'entrée du bâtiment, curieusement silencieux. Penny saisi la main de son compagnon, et précisa, sérieuse :

-N'oublie pas : on est un couple, et tu es mon plus-un.

Alors que le gorille allait demander à Penny son laissez-passer, Bond glissa sa main sous la veste en jean de la jeune femme et la posa sur la peau fraîche de ses reins. Le cerbère à col roulé dû demander à nouveau de grosse voix éraillée :

-Votre passe ?

Penny, décontenancé par ce soudain rapprochement, se ressaisi et sortie de sa poche un petit carton argenté :

-Le… Le voilà, bégaya t'elle.

Passant la porte, Bond, amusé, glissa à sa compagne :

-Rappel toi : on est un couple.


Une fois à l'intérieur, une petite brune tatouée en tenue de soirée leur remit deux larges casques audio qu'elle sortit d'une caisse en plastique derrière elle. Ils suivirent ensuite un petit corridor qui déboucha rapidement sur une gigantesque salle silencieuse au haut plafond soutenue par de puissants piliers de béton bruts. Quelques stroboscopes et lasers découpaient les ombres d'une lumière vive, mais diffuse. Une centaine de personnes étaient amassées ici, remuant, dansant en silence. Seul le frottement des tissus et des semelles sur le sol produisait un son semblable au vent dans un champ de blé. Des lueurs vertes émanaient de chaque côtés de leur tête, telles des lucioles. Maria compris plus rapidement que son collègue :

-C'est une "Silent Party", expliqua-t-elle à voix basse.

-Je te demande pardon ?

Elle indiqua de l'index, par delà la foule, sous les coursives, un homme dansant derrière une table de mixage, la tête encadré des mêmes lueurs :

-La musique est diffusée dans les casques, précisa en montra l'appareil qui leur avait été remis à l'entrée.

Bond jeta le sien dans un recoin sombre. Avec un sourire satisfait :

-J'ai eu peur l'espace d'un instant de devoir subir cette musique électronique en vogue dans les boîtes de nuit de nos jours.

Penny le dévisagea, enfonça son casque sur ses oreilles et disparue dans la foule.

Bond entreprit de faire le tour du gigantesque troupeau, ne notant aucun visage connu, aucunes attitudes suspectes. Dans un recoin se trouvait un comptoir, couvert d'une fine nappe blanche, derrière laquelle se tenait un jeune homme, la petite vingtaine. Son t-shirt représentait une veste de costume. Un sans-faute dans le mauvais. Bond se fit violence pour le tutoyer, afin de faire "couleur locale" :

-Qu'est-ce que tu proposes ?

Sans sourciller, le jeune barman annonça :

-Heinkein, Jack, Get27 et Smirnov.

Bond avala une vodka, par dépit, et passa son chemin. Au moins il mènerait cette mission à jeun.

Un escalier montait derrière les platines de l'animateur. La voie vers les coursives supérieures était gardée par un malabar en costume impeccablement taillé. 007 remonta sa capuche puis s'enfonça dans les ombres de l'entrepôt.

L'un des piliers de métal soutenant la coursive était parcouru par de larges boulons que Bond n'eut aucun mal à utiliser comme prise. Il monta facilement la vingtaine de mètres jusqu'au rebord de la plateforme, passa la rambarde et se plaqua contre un petit bureau en préfabriqués devant lequel deux hommes armés montaient la garde. Après un léger effort supplémentaire, Bond se issat au-dessus de la petite pièce. En soulevant légèrement l'une des dalles du faux plafond, il put entendre deux des individus présents, sans pour autant les distinguer: le règlement se ferait ce soir pour une livraison la semaine prochaine. Le vendeur cependant parlait d'un échantillon. Il proposa une démonstration, puis le petit groupe quitta le bureau.


Avec une souplesse féline, l'espion se réceptionna silencieusement dans la petite pièce désertée. Il y avait là une banquette, des casiers ainsi que quelques chaises autour d'un bureau sur lequel était posé un ordinateur portable allumé. Bond se glissa derrière le bureau, afin que le garde ne puisse pas le repérer de l'extérieur. Il déclipsa son petit walkman, le glissa prêt du petit pc et pressa la touche rewind. Une petite lueur rouge se mit à clignoter sur le côté du faux lecteur rétro puis passa au vert. Il réajusta l'appareil à sa ceinture, jeta un rapide coup d'œil au travers la vitre de la porte, avant de monter sur le bureau et de s'éclipser par le faux-plafond.



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