Rédemption
Le matin était encore frais lorsque Methos sortit prendre l’air. La lumière douce du lever de soleil effleurait la cour du monastère, sans effort ni prétention. Au centre de la cour, il aperçut Darius, debout, immobile, le regard levé vers le ciel comme s’il cherchait quelque chose au-delà du visible.
Le prêtre se retourna lentement en entendant Methos arriver. Ses traits étaient sereins, mais il y avait une profondeur dans son regard, une pensée qui ne l’avait pas quittée depuis la veille.
— Tes paroles d’hier soir m’ont touchées, dit-il d’une voix calme, ses yeux rencontrant ceux de son invité. Elles m’ont donné à réfléchir.
Ce dernier croisa les bras, un sourire vaguement amusé flottant sur ses lèvres.
— Eh bien, ravi d’avoir perturbé ton esprit si bien ordonné, répondit-il, sa voix traînante et ironique.
Darius esquissa un sourire, mais son expression restait marquée par une gravité intérieure.
— Je ne dirais pas que tu l’as perturbé, répondit-il doucement. Plutôt... ébranlé.
Intrigué malgré lui, Methos s’appuya contre un mur, son regard perçant fixé sur Darius.
— Et comment ai-je réussi à ébranler les convictions d’un homme de foi ? murmura-t-il avec une ironie teintée d’un léger étonnement.
Darius inspira profondément, comme s’il cherchait à formuler des pensées complexes.
— Cette idée que mon changement... ma foi, mon pacifisme... que tout cela pourrait ne pas entièrement venir de moi.
Il marqua une pause, fixant un point invisible devant lui.
— J’ai passé une partie de la nuit à y réfléchir. Emrys, son quickening... il a laissé quelque chose en moi, une empreinte. Et je me demande parfois si ce que je suis aujourd’hui n’est pas le prolongement de ce qu’il était.
Methos le laissa parler sans l’interrompre, mais son regard, brillant d’une lueur à la fois curieuse et provocatrice, ne quittait pas Darius.
— Je ne remets pas en question ton honnêteté, Darius, dit-il finalement. Mais ta certitude, ça, c’est autre chose. Ce besoin de réparer, de prêcher la paix... tu es sûr qu’il vient de toi ?
Darius fronça légèrement les sourcils, son regard se perdant à nouveau. Il resta silencieux un moment, ses pensées semblant peser lourd sur ses épaules.
— Je l’ignore, finit-il par avouer. Peut-être qu’Emrys a laissé une... une direction en moi. Une impulsion.
Il leva les yeux vers Methos, cherchant à exprimer l’indicible.
— Mais est-ce que cela change ce que je fais aujourd’hui ?
Le vieil immortel répondit par un sourire en coin, son ton moqueur masquant une curiosité sincère.
— Cela dépend. Tu crois vraiment que prêcher la paix efface ce que tu as fait ? Toutes ces vies, toutes ces souffrances que tu as causées... Tu penses qu’elles trouvent une forme de rédemption dans tes actions actuelles ? Ou est-ce que ça apaise simplement ta propre conscience, et rien de plus ?
Les mots étaient directs, tranchants, mais ils portaient une vérité brute. Darius, loin de s’en offusquer, le regarda avec calme, bien que son regard trahisse une pointe de douleur.
— Peut-être que ça apaise ma conscience, admit-il doucement. Mais est-ce mal ? Je ne peux pas effacer ce que j’ai fait, Laszlo. Tout ce que je peux faire, c’est m’efforcer de créer quelque chose de meilleur.
Methos hocha la tête, réfléchissant à cette réponse. Il s’approcha légèrement, sa posture décontractée contrastant avec l’intensité de ses paroles.
— Alors tu admets que ton chemin compte autant que ta destination. Que tes erreurs font partie de toi, tout autant que tes convictions actuelles.
Darius ferma un instant les yeux, un sourire triste effleurant ses lèvres.
— Tu as raison. Ce que j’étais, ce que j’ai fait, me détermine autant que mes actions présentes. Peut-être même plus. Mais ce sont ces erreurs qui m’ont conduit ici. Et si je dois porter leur poids pour avancer, alors qu’il en soit ainsi.
Un silence tomba entre eux, une pause lourde de réflexions partagées. Methos, d’ordinaire si enclin au sarcasme, semblait troublé par les mots du prêtre.
— Je dois admettre, dit-il finalement avec un soupçon d’hésitation, que ta foi... ta détermination... tout cela est impressionnant.
Darius, surpris par cette concession, tourna son regard vers lui avec une intensité nouvelle.
— Et toi, Laszlo ?
La question sembla heurter Methos, non par sa violence, mais par sa précision. Il releva les yeux vers Darius, l’air sur ses gardes.
— Que veux-tu dire ? demanda-t-il, feignant la légèreté, mais son regard trahissait un mélange de défiance et de curiosité.
Darius s’approcha légèrement, croisant ses mains devant lui.
— Je ressens en toi une lutte constante, reprit-il avec douceur. Une partie de toi veut croire qu’il est encore possible de faire quelque chose de bien. Mais une autre partie, plus sombre, te murmure que c’est inutile.
Methos haussa un sourcil, mais il ne démentit pas.
Un silence s’installa, lourd mais pas oppressant. Darius l’observait sans détour, une patience désarmante dans son regard. Methos finit par soupirer, agacé par cette attention.
— Une lutte constante, hein ? souffla-t-il finalement, le regard fuyant. Ce n’est pas totalement faux.
Il se redressa légèrement, croisant les bras comme pour ériger une barrière entre eux.
— Mais ce n’est pas une lutte pour faire quelque chose de bien, Darius. C’est une lutte pour avancer, tout simplement.
Il laissa un rictus amer se former sur ses lèvres avant de poursuivre, plus dur :
— Tu veux que je te dise ce que j’en pense ? Parce qu’une fois que tu as fait certaines choses…
Il marqua une pause, cherchant ses mots, comme s’ils lui échappaient malgré lui.
— …Il n’y a pas de retour en arrière. Les souvenirs, ils restent. Ils te hantent. Ce n’est pas une question de regret ou de pardon. Ce qui est fait, est fait. J’ai pillé, détruit, brisé des vies. Tu dis que tes erreurs font partie de toi ? Eh bien, les miennes sont gravées en moi, au fer rouge.
Son regard se fit plus perçant, presque accusateur, mais derrière cette façade se dessinait une fissure, une fragilité qu’il peinait à cacher.
— Je me souviens de tout. Chaque visage, chaque cri. Tout reste là, gravé. Il n’y a pas de seconde chance, pas de rédemption miraculeuse qui efface ce qu’on a été. Ce que j’ai fait, ce que j’ai détruit, c’est une part de moi. Et toi, avec tes belles convictions, tu penses que ça suffit de faire le bien pour compenser ?
Darius ne répondit pas tout de suite. Il semblait peser chaque mot de l’immortel, laissant le silence s’étendre, comme une invitation muette. Methos, pourtant, ne s’en saisit pas.
— Ce que tu appelles rédemption, continua-t-il finalement, c’est une illusion. Ce n’est pas qu’une question de pardon, ni des autres ni de soi. Je ne cherche pas le pardon, Darius. Je ne l’attends pas, et je ne crois même pas que ça ait un sens.
Darius resta impassible, absorbant les paroles de son interlocuteur comme on laisse passer une tempête. Quand il répondit, ce fut avec une calme intensité :
— Je n’ai jamais dit que c’était suffisant.
Methos arqua un sourcil, pris de court.
— Alors pourquoi es-tu là ? répliqua-t-il, la voix plus mordante, comme s’il testait la patience du prêtre. Pourquoi rester dans ce monastère, prêchant la paix et le pardon ?
Darius inclina légèrement la tête, ses yeux scrutant ceux de Methos avec une clarté presque désarmante.
— Au départ, répondit-il doucement, parce que je cherchais la paix. Parce que je n’avais plus envie d’être ce que j’étais avant.
Il marqua une pause, ses mots devenant plus lourds :
— Et ensuite ? Parce que j’ai compris que je ne pouvais pas effacer ce que j’ai fait, mais que je pouvais choisir ce que je voulais devenir. La rédemption, si elle existe, commence par une reconnaissance sincère de ses erreurs et une volonté de les assumer.
Methos le fixa un long moment, cherchant une faille dans ce discours qui semblait trop sûr. Mais il n’en trouva pas.
— Et toi, Laszlo ? Pourquoi es-tu là ?
Le prénom fit l’effet d’un coup porté à Methos. Il détourna le regard, un muscle de sa mâchoire se contractant légèrement. Quand il répondit, ce fut d’une voix plus basse, presque tremblante :
— Ne m’appelle pas comme ça, gronda-t-il doucement, un soupçon de douleur dans la voix.
Darius ne répondit pas, mais il nota que, derrière cette réaction brusque, une partie de la façade de l’immortel qu’il avait en face de lui était en train de s’effondrer.
Après un silence, Methos reprit, plus acerbe :
— Au début ? Parce que cet endroit me garantissait un répit, un abri.
Il se tourna vers Darius, un sourire amer aux lèvres.
— Mais maintenant ? Peut-être parce que tu es là. Parce que tu m’écoutes sans me juger. Et ça…
Il s’interrompit, secouant la tête, un rire sans joie s’échappant de sa gorge.
— Ça m’agace, tu sais.
Darius n’insista pas, mais son regard resta fixé sur lui, un léger sourire apparaissant sur son visage.
— Tu dis que tu te souviens de tout, reprit-il après un moment. Et je crois que je te comprends. Moi aussi, je me souviens.
Cette fois, Methos releva les yeux, intrigué malgré lui.
— J’ai vu les flammes dévorer des villages. J’ai entendu les cris que j’avais provoqués. Chaque bataille, chaque mort, tout cela est là, dans ma mémoire.
Il posa une main sur sa poitrine, comme pour indiquer l’endroit où ces souvenirs pesaient le plus lourd.
— Mais ce que j’ai appris, c’est que fuir ces souvenirs ne fait que les rendre plus puissants. C’est en les affrontant que j’ai commencé à les comprendre.
Methos plissa les yeux, méfiant.
— Et ça t’a suffi ?
— Non, répondit Darius sans hésiter. Rien ne suffit jamais. Mais j’ai fait un choix. Celui de ne pas me définir uniquement par ce que j’ai fait de pire.
Methos resta silencieux, ses yeux sombres vacillant entre rejet et réflexion.
— Alors quoi ? reprit-il finalement, presque méprisant. Tu crois qu’il suffit de reconnaître ses erreurs pour avancer ?
— Non, dit Darius, son ton toujours calme mais ferme. Il faut plus que ça. Mais c’est une première étape.
Il marqua une pause, puis ajouta :
— Et si tu veux avancer, il faudra que tu passes par là.
Darius resta un instant silencieux, observant l’homme devant lui avec patience. Il voyait les murs que ce dernier s’était bâtis, ces remparts érigés au fil des siècles pour cacher une vérité qu’il semblait encore fuir. Mais derrière la douleur et l’ironie acérée, Darius percevait autre chose : un poids, une lutte intérieure qui cherchait à émerger.
Il inspira doucement, ses traits empreints de bienveillance. Pas de jugement dans son regard, seulement une invitation à déposer ce fardeau, à être enfin vrai.
—Avancer, c’est aussi accepter… accepter tout ce que l’on a été.
Il pencha la tête légèrement, ses yeux emplis de bienveillance, et ajouta:
— Alors, dis-moi… comment dois-je t’appeler ?
Il resta immobile, observant son compagnon avec une patience tranquille, mais la question qu’il venait de poser n’était pas anodine. Ce n'était pas simplement un nom qu’il recherchait, mais une brèche, une ouverture dans la carapace de l’immortel. Une invitation, en quelque sorte, à un moment de vérité. Un instant où les masques tomberaient, où des failles, aussi petites soient-elles, se révéleraient. Mais il n’avait pas anticipé l’effet que sa question aurait sur l’homme en face de lui.
À l’instant où les mots quittèrent ses lèvres, Methos se tendit. Un frisson perça sa calme façade, et ses prunelles, jusqu'alors posées, se détournèrent brièvement, comme si elles cherchaient une échappatoire. Il se redressa, et son visage se durcit. Il passa une main nerveuse dans ses cheveux, comme pour dissimuler la confusion qui venait d’éclater en lui. Il n’aimait pas être pris au piège, encore moins par ses propres contradictions. Et cette question… Elle faisait resurgir des souvenirs qu’il n’était pas prêt à affronter. La peur, sans doute. La honte, certainement. L’étrange sensation d’être sur le point de perdre tout ce qu’il avait caché pendant des siècles. Cette façade qui l’avait maintenu à distance du monde. De lui-même.
Il fallait qu’il s’échappe. Mais comment fuir sans perdre la face ? Comment éviter de se montrer vulnérable, d’admettre qu’il tremblait à l’idée de ce qu’il pourrait dévoiler ?
— Ça n’a pas d’importance. Il y a bien des siècles que j’ai cessé d’être celui que ce nom désigne.
Il s’interrompit un instant, les yeux fuyants, avant de lâcher, d’un ton plus acide, presque amer :
— Je ne suis pas prêt à m’encombrer de ça, Darius. Pas encore.
Le cynisme, familier et bien ancré, refluait à toute vitesse, un masque qu’il enfilait sans réfléchir. Mais derrière ce masque, il n’avait qu’une envie : fuir. Fuir cette conversation. Fuir la vérité derrière la question de Darius. Parce qu’il n’était pas prêt à la dire. Pas encore.
Il se tourna brusquement, ses pas précipités résonnant contre le sol de la cour.
Darius, de son côté, ne bougea pas. Il laissa son interlocuteur s’éloigner sans un mot, sans tenter de l’arrêter. Il savait que ce n’était pas le moment. Que l’immortel n’était pas prêt à lâcher prise, pas encore. Darius avait appris à reconnaître ces instants. Il avait vu trop d’âmes errantes, fuyant leurs démons, cherchant à éviter une vérité trop lourde à porter. Mais il savait aussi que cette vérité finirait par émerger, tôt ou tard. Et il n’allait pas précipiter les choses.