Rédemption

Chapitre 3 : Là où Tout Commence

Chapitre final

2930 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 4 mois

Methos passa le reste de la journée seul, le regard perdu, comme s’il cherchait une réponse dans le vide. La chapelle devint son refuge, non pas pour prier, mais pour échapper à lui-même, à cette question qui continuait de résonner dans son esprit, bien au-delà de la conversation avec Darius. Il s’assit sur un banc, les coudes appuyés sur ses genoux, et fixa le vide devant lui. Ses pensées s’éparpillaient, tantôt revivant des souvenirs qu’il aurait voulu oublier, tantôt échappant à toute cohérence. Une fois encore, il se demanda pourquoi il restait. Pourquoi ces conversations le touchaient autant, pourquoi il n’avait pas déjà tourné les talons, comme il l’avait fait tant de fois auparavant. Et pourtant, il était là. Prisonnier de ses propres contradictions.

Plus tard, alors que la lumière déclinait doucement, Darius entra dans la chapelle. Methos entendit ses pas feutrés avant de le voir, mais ne leva pas immédiatement les yeux. Il sentit sa présence avant tout, une sorte de tranquillité qui contrastait violemment avec le chaos intérieur qui bouillonnait en lui. Darius ne dit rien. Il se contenta de se diriger vers l’autel, s’agenouillant pour prier dans un silence apaisant. Methos l’observa du coin de l’œil, malgré lui. Il était fasciné, presque irrité par cette sérénité. Comment pouvait-il être si calme ? Comment pouvait-il prier alors qu’il portait en lui les mêmes souvenirs sanglants, les mêmes fautes indélébiles ? Quand Darius se releva, il tourna brièvement la tête vers Methos, lui adressant un regard qui semblait contenir à la fois compréhension et patience. Puis il quitta l’église, laissant Methos seul, avec ses pensées et cette impression d’avoir été vu, vraiment vu, pour la première fois depuis des siècles.

La nuit fut longue. Methos ne trouva pas le sommeil. Allongé sur une paillasse rudimentaire, il fixa le plafond de pierre, ses pensées s’enroulant autour des souvenirs qu’il avait cherché à enterrer. Chaque scène revenait avec une précision douloureuse : les visages de ceux qu’il avait tués, les cris de ceux qu’il avait torturés, les larmes de ceux qu’il avait réduit en esclavage. Il avait aimé ça, autrefois. Il se l’était justifié, aussi. La survie d’abord. Toujours la survie. Mais ce cynisme qu’il portait aujourd’hui comme une armure lui semblait de plus en plus lourd, comme une façade qui menaçait de se fissurer. Au petit matin, il savait ce qu’il devait faire, bien qu’il n’en ait aucune envie. Il se leva, et alla retrouver Darius.

 



Le prêtre était dehors, dans les jardins, parmi les plantes qu’il entretenait avec un soin minutieux. Methos s’approcha sans précaution, ses pas lourds brisant le calme ambiant. Darius releva la tête, mais ne dit rien. Il attendit simplement. Methos inspira profondément avant de lâcher, presque à contrecœur :

— Mon nom est Methos.

Darius hocha la tête, comme pour indiquer qu’il avait entendu, sans interrompre le silence qui suivit. Methos baissa les yeux, puis continua :

— Je faisais partie des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse. Avec trois autres d’entre nous. Kronos, Caspian et Silas. J’étais Mort. Et je portais bien mon nom.

Il marqua une pause, l’ombre d’un sourire amer effleurant ses lèvres, plus une grimace qu’autre chose. Ses mots suivants s’échappèrent comme un aveu, lourds et implacables.

— J’ai tué. Plus que je ne peux compter. Et j’étais doué pour ça.

Il leva les yeux vers Darius, cherchant quelque chose dans le regard calme du prêtre, sans vraiment savoir quoi. Une condamnation ? Une absolution ? Mais il n’y trouva qu’une attention bienveillante, dépourvue de jugement.

— Je ne tuais pas par cupidité, ajouta-t-il, sa voix plus basse, presque un murmure. Ni par vengeance. Je tuais parce que j’aimais ça. Parce que c’était facile. Parce que c’était du pouvoir, brut et terrifiant, et que ça m’enivrait.

Un silence pesant s’étira entre eux, mais Darius ne bougea pas, ne détourna pas les yeux. Il attendait, laissant à Methos l’espace de dire tout ce qu’il devait dire.

— Et je n’ai pas simplement tué ; j’ai détruit. J’ai brûlé des vies, des âmes, des mémoires. Quand les mères disaient à leurs enfants que le monstre viendrait les chercher la nuit… ce monstre, c’était moi. J’étais Mort. J’étais la mort. Celle qui vient et qui dévore tout. Celle qui arrache chaque souffle, chaque sourire, chaque espoir, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.

Les mots résonnèrent, emplissant l’espace comme un écho sinistre d’une autre époque. Methos se détourna, le regard perdu dans un point invisible, comme si les images de ces siècles de carnage défilaient encore devant ses yeux.

— J’ai pillé. Torturé. Violé. Réduit des hommes et des femmes, mortels comme immortels, à l’état de choses. De jouets. Je les ai brisés parce que je pouvais. Parce que je croyais que c’était ça, vivre. Survivre.

Il s’interrompit, serrant les poings pour maîtriser l’agitation qu’il sentait monter en lui. Les mots qu’il prononçait ne suffisaient pas à porter le poids de ce qu’il avait fait. Rien ne suffirait. Il releva les yeux et, pour la première fois, croisa le regard de Darius.

Ce dernier n’avait toujours rien dit. Mais son regard, ferme et apaisant, semblait dire qu’il avait tout entendu. Que ce n’était pas la fin de l’histoire. Que c’était un début, si Methos le voulait.

— Chaque siècle, je me suis convaincu que survivre suffisait. Que c’était tout ce qui comptait. Mais aujourd’hui… je ne sais même plus ce que ça veut dire.

Le prêtre restait immobile, ses traits empreints d’une étrange sérénité. Il écoutait sans juger, mais sans détourner les yeux non plus. Comme si Methos, dans toute sa brutalité, méritait d’être vu. Entièrement.

Le silence devint presque tangible, oppressant. Methos pouvait sentir son propre souffle, lourd, comme si les mots qu’il avait lâchés flottaient encore dans l’air, pesants, impossibles à ignorer.

Darius finit par parler, d’une voix douce mais empreinte de fermeté :

— Tu sembles voir la rédemption comme une quête impossible, un idéal hors de portée. Pourtant, elle n’est pas là pour honorer le passé, ni pour effacer ce qui a été fait. La rédemption, Methos, ce n’est pas une fin. C’est un choix, chaque jour, de ne pas être l’homme que tu as été. C’est cette conviction que chacun peut changer, pas en niant son passé, mais en vivant pour le dépasser.

Il marqua une pause, ses yeux clairs posés sur Methos avec une intensité presque douloureuse.

— C’est ce que je crois. Peut-être est-ce naïf. Mais c’est cette foi qui m’a porté. Et, d’une certaine manière, c’est ce qui m’a sauvé.

Methos releva la tête, son regard brillant d’une lueur qu’il aurait préféré cacher. Sa voix, lorsqu’elle s’éleva, était rauque, presque un murmure :

— Tu penses vraiment que les gens changent, Darius ? Que quelqu’un comme moi peut changer ? Parce que je n’y crois pas. Ce que j’ai fait... c’est là, en moi. C’est ce que je suis.

Darius ne détourna pas le regard, un sourire empreint de tristesse effleurant ses lèvres.

— Tu as raison, répondit-il calmement. On ne peut pas se défaire de son passé. Pas plus que je ne peux échapper au mien.

Methos ne broncha pas, mais une ombre traversa ses traits, légère, presque imperceptible. Il connaissait déjà cette partie de l’histoire de Darius. Ils l’avaient évoquée la veille avant qu’il ne choisisse de fuir la discussion.

— Toi, reprit-il après un moment, sa voix mesurée, presque lasse. Un prêtre qui prêche la paix… et un chef de guerre ? Comment tu fais, Darius ? Comment tu gères ce que tu es… et ce que tu as été ?

Sa question n’était pas vraiment une attaque, ni une provocation. Plutôt un écho de quelque chose qu’il ne s’était jamais autorisé à formuler pour lui-même.

Le regard de Darius sembla glisser au-delà des murs du monastère, comme s’il contemplait un champ de bataille lointain, un endroit perdu dans le temps mais gravé à jamais dans sa mémoire.

— Moi aussi, j’ai semé la terreur. Pillé, massacré, conquis. J’ai regardé des villages brûler, entendu les cris des innocents, et jamais je n’ai détourné les yeux.

Methos ne répondit rien, ses yeux fixant le prêtre, calme mais attentif. Il ne cherchait pas à juger. Il écoutait, tout simplement, laissant ces mots s’ancrer en lui, trouver leur résonance.

— Et pourtant, un jour, tout a changé, continua Darius, la voix plus basse. Pas par choix, pas par mérite. La révélation m’a été imposée. Emrys... Il a forcé en moi une lumière que je ne voulais pas voir. C’était une grâce, peut-être. Ou une malédiction. Je ne sais pas. Mais cette lumière m’a montré ce que j’étais. Ce que j’avais fait. Et elle m’a laissé avec un poids que je porterai jusqu’à la fin de mes jours.

Il s’interrompit, fixant ses mains comme si elles étaient encore couvertes du sang de son passé.

— Mais cette révélation, elle n’a pas effacé ma culpabilité. Elle n’a pas ramené les vies que j’ai prises, ni réparé les torts que j’ai causés. Elle m’a juste donné une chance de choisir. De faire quelque chose de différent.

Methos eut un rire, pas moqueur, mais lourd de scepticisme.

— Alors c’est ça ta solution ? Simplement choisir ?

Darius ne se laissa pas démonter, son regard ancré dans celui de Methos, tranquille mais d’une intensité désarmante.

— Non, ça ne suffit pas. Mais c’est là que ça commence. Le choix, ce n’est que le premier pas. Le reste, c’est un chemin. Pas pour les autres. Pas pour ceux qu’on a blessés. Mais pour nous-mêmes.

Un silence plus intime s’installa. Methos détourna les yeux, fixant un point invisible sur le sol, luttant avec quelque chose qu’il ne voulait pas nommer. Quand il parla enfin, sa voix était basse, presque inaudible.

— Et toi, murmura-t-il, tu crois que tu as gagné ton pardon ?

Le sourire de Darius s’effaça, son visage se durcissant d’une gravité qui semblait alourdir l’air.

— Non. Je ne l’ai pas gagné, dit-il doucement. Et peut-être que je ne le mériterai jamais.

Il baissa les yeux, l’ombre d’une douleur ancienne traversant son regard.

— Mais je sais que je dois essayer. Pas pour les autres. Pas pour ceux que j’ai blessés, parce que rien ne pourra jamais réparer cela. Mais pour moi. Parce que si je ne me pardonne pas, alors tout ce que j’ai fait depuis, tous les efforts pour apporter un peu de bien dans ce monde, n’auront servi à rien.

Ses mots tombèrent dans le silence comme des pierres dans l’eau, créant des vagues invisibles. Methos resta immobile, ses pensées se bousculant. Il voulait rejeter ces paroles, les tourner en ridicule, mais une part de lui savait qu’il ne le pouvait pas. Parce qu’elles résonnaient trop fort. Trop juste.

— Alors... tu penses qu’on peut vraiment changer ? Ceux comme nous... Après tout ce qu’on a fait ?

Darius releva les yeux, et pour la première fois depuis le début de leur conversation, il sembla hésiter. Pas à cause d’un doute sur ses convictions, mais parce qu’il pesait chacun de ses mots avec le soin d’un homme conscient de leur portée.

— Changer... Ce n’est pas effacer ce qu’on a été, Methos. Ce n’est pas réécrire notre histoire. C’est apprendre à porter ce poids sans s’effondrer. C’est choisir, chaque jour, d’être différent. Et oui, c’est lent. Parfois frustrant. Mais c’est possible.

Methos émit un rire bref, sans joie, mais sans malice.

— Lent... Ça, je peux le croire. Mais est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Je veux dire... Qu’est-ce que ça change, au fond ? Le mal est fait. Les morts restent morts.

Darius hocha la tête, sans détourner le regard.

— Tu as raison. Le mal est fait. Les morts ne reviennent pas. Mais ce que nous faisons ensuite, Methos... Ça change quelque chose. Peut-être pas pour ceux que nous avons détruits, mais pour ceux qui sont encore là. Pour nous.

Le vieil immortel croisa les bras, ses traits durcis par une réflexion intérieure intense.

— Alors, tu penses vraiment qu’on peut avancer avec ça ? Pas pour effacer quoi que ce soit, ni pour être pardonné, mais simplement... pour ne pas sombrer complètement ?

Darius inclina légèrement la tête, son sourire empreint d’une gravité tranquille.

— Ce n’est pas une question de pouvoir ou non. C’est une question de choix. Et ce choix, il ne se fait pas une fois pour toutes. Il se fait chaque jour. Pas pour effacer nos fautes, ni pour chercher une rédemption impossible, mais pour empêcher que le poids de ce que nous avons fait nous écrase.

Le silence retomba, cette fois plus intime, presque complice. Methos baissa la tête, sa mâchoire serrée. Il luttait contre un torrent d’émotions qu’il n’était pas prêt à nommer. Mais quand il parla à nouveau, sa voix était plus basse, presque un murmure.

— Et toi ? Tu as l’impression que tu pourras réussir à faire la paix avec ça ? Avec... tout ce que tu as été ?

Darius détourna les yeux un instant, contemplant le jardin autour d’eux. Les feuilles d’un figuier dansaient doucement sous la brise, projetant des ombres mouvantes sur les pierres anciennes.

— Pas complètement, non. Je crois que je ne le pourrai jamais. Mais je commence à comprendre que renier ce que j’ai été, ce serait renier ce que je suis aujourd’hui. Emrys m’a ouvert les yeux, oui. Mais je ne suis pas que ce qu’Emrys m’a légué. Je suis aussi Darius. Le chef de guerre. L’homme de paix. Ces deux parties de moi coexistent, et c’est à moi de les accepter.

Il tourna la tête vers Methos, un éclat sincère dans le regard.

— Merci.

Methos haussa un sourcil, pris au dépourvu par ces mots.

— Merci pour quoi ?

— Pour m’avoir rappelé que je ne suis pas qu’un homme transformé par la lumière. Je suis aussi celui qui portera toujours l’ombre. Et c’est en acceptant les deux que je peux avancer.

Methos resta immobile, absorbant ces paroles. Puis, lentement, il hocha la tête.

— Peut-être que tu as raison. Peut-être que tout ce qu’on peut faire, c’est porter ce poids sans le laisser nous détruire. Et essayer... d’être un peu meilleurs.

Darius sourit à nouveau, mais cette fois, c’était un sourire empreint d’espoir.

— Oui. Essayer. C’est là que tout commence.

 

Un silence apaisant s’installa entre eux, cette fois non pas marqué par des tensions ou des non-dits, mais par une sorte de sérénité fragile. Les deux hommes restèrent là, assis sur le vieux banc de pierre, le regard perdu dans les nuances de vert et d’ocre du jardin.

La brise légère transportait le parfum des herbes et des fleurs, mêlé aux chants lointains des oiseaux. Les rayons du soleil perçaient à travers les branches, projetant une lumière douce et dorée.

Methos étira ses jambes, posant les mains derrière lui pour s’appuyer, ses traits un peu moins crispés qu’à l’accoutumée.

— Je dois admettre... ton jardin n’est pas si mal.

Darius se permit un léger rire, une note légère dans l’atmosphère grave de leur conversation.

— C’est un lieu de réflexion, comme tout ce monastère. Un endroit pour se souvenir... et pour se pardonner, peut-être.

Methos leva les yeux vers le ciel, dont les teintes viraient lentement du rose au bleu.

— Se pardonner... Ce sera sûrement le plus dur.

Darius hocha doucement la tête.

— C’est toujours le cas. Mais parfois, c’est en essayant de pardonner à soi-même qu’on découvre comment avancer.

Ils restèrent ainsi, laissant le silence et la nature remplir les espaces entre leurs pensées. Aucun d’eux ne prétendait avoir trouvé une réponse définitive, mais ils savaient tous deux qu’ils avaient fait un pas, aussi infime soit-il, vers une forme de paix intérieure.

Et parfois, se contenter d’un moment de calme partagé était suffisant.

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