Le Prix à payer - Highlander Fanfiction

Chapitre 30 : Entre Ombres et Lumière

8194 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 2 mois

Florence, 1470

Le vent tiède de la nuit s’engouffrait par la fenêtre ouverte, agitant les rideaux de lin. La pièce baignait dans une douce pénombre, où seuls quelques rais de la lumière de la lune révélaient les draps froissés et les silhouettes entremêlées sur le large lit de bois sculpté.

Methos glissa paresseusement ses doigts sur la peau chaude de Flavius, suivant du bout des ongles la ligne de son épaule jusqu’à son cou. Ce dernier, étendu sur le dos, laissa échapper un soupir satisfait avant d’ouvrir les yeux. Un sourire indolent étira ses lèvres alors qu’il se tournait légèrement vers son amant.

— Nous vivons dangereusement, souffla-t-il, sa voix encore rauque.

— Comme toujours, répondit Methos, amusé.

Il s’appuya sur un coude, détaillant Flavius comme on observe une œuvre d’art dont on connaît chaque aspérité. Ils avaient partagé tant de nuits comme celle-ci, dans tant de villes différentes, sous tant de noms et de circonstances. Parfois séparés par le temps, parfois réunis par des hasards qu’aucun d’eux ne voulait nommer. Mais cette fois, Florence leur imposait des règles plus strictes.

Flavius était un noble florentin, et avec ce statut venait un mariage. Une union sans amour, sans passion, mais nécessaire. Methos, lui, évoluait dans ce monde avec cette aisance qu’il possédait en toutes choses, jouant des apparences avec l’habileté d’un homme qui ne devait rien à personne.

— Ta femme ne se doute de rien ? demanda-t-il, non sans une pointe d’ironie.

Flavius haussa un sourcil, détendu.

— Vittoria est intelligente. Elle sait ce qu’est notre mariage. Tant que je respecte les convenances, elle n’a aucune raison de poser de questions.

Methos effleura du pouce la ligne de sa mâchoire, l’observant avec cet air mi-curieux, mi-diverti qui l’agaçait autant qu’il le fascinait.

— Et toi, tu respectes les convenances ?

— Toujours, répondit Flavius avec un sourire en coin. Tant qu’on me regarde.

Methos se redressa légèrement, son corps frôlant le sien. Ils jouaient avec les apparences, oui. Mais le jeu de Flavius avait ses règles, et Methos n’était pas sûr d’aimer la direction qu’il prenait.

— Alors pourquoi toute cette mascarade ? Pourquoi jouer les époux parfaits en public ?

— Parce que nous vivons dans un monde d’ombres et de lumières, souffla Flavius. Et nous avons toujours aimé danser entre les deux.

Il se redressa légèrement, effleurant les lèvres de Methos du bout des doigts avant de capturer un baiser plus profond. Ce dernier répondit, retrouvant cette familiarité qui existait entre eux depuis des siècles, mais une lueur fugace traversa son regard. Il connaissait Flavius mieux que quiconque. Et il savait que derrière cette confiance affichée se cachait quelque chose de plus insidieux. Un attachement qui ne supportait ni le doute, ni le changement.




Florence en cette année 1470 était à son apogée. La ville fourmillait d’activité, ses ruelles étroites résonnaient du bruit des marchands, des artisans et des érudits qui s’y pressaient. Sous la protection bienveillante de Laurent de Médicis, l’art et la connaissance prospéraient, et la cité rivalisait avec Rome et Venise pour attirer les plus grands esprits de son temps.

Dans les ateliers disséminés le long du Ponte Vecchio, les orfèvres façonnaient des bijoux délicats et des objets religieux destinés aux nobles familles et à l’Église. L’orfèvrerie était un art autant qu’un commerce, et ses maîtres étaient aussi respectés que les peintres et les sculpteurs. C’était un monde où la beauté se monnayait, où les alliances politiques se scellaient autant par la richesse que par le talent.

Methos trouvait dans cette effervescence une couverture idéale. Il se faisait passer pour un érudit et un marchand de reliques anciennes, une identité qu’il avait adoptée à maintes reprises au fil des siècles. Il était connu pour son œil affûté et sa connaissance des antiquités grecques et romaines, ce qui lui avait permis d’entrer dans les cercles lettrés et d’obtenir la protection de certains mécènes influents. Il pouvait ainsi observer l’évolution de la ville sans jamais attirer trop d’attention sur lui-même.

Flavius, en revanche, était une figure bien plus visible. Noble florentin, il évoluait au sein de la haute société avec aisance. Son mariage avec Vittoria, une femme de bonne famille proche des Médicis, renforçait sa position, mais le contraignait à un équilibre délicat entre ses devoirs et ses désirs. Dans les salons et les banquets, il jouait son rôle d’époux exemplaire, tandis qu’en coulisses, il trouvait en Methos une passion qu’il ne pouvait ni avouer ni abandonner.

Leur liaison était un secret bien gardé, entretenu avec une prudence qui relevait autant de la nécessité que du plaisir du jeu. Flavius s’y accrochait avec une ferveur presque fébrile, tandis que Methos, plus libre dans ses choix, savourait l’intensité de leur relation tout en restant conscient de ses limites. Il connaissait Flavius depuis trop longtemps pour ignorer son besoin de contrôle, cette manière qu’il avait de vouloir tout posséder, y compris ceux qu’il aimait.

Mais pour l’instant, tout cela restait sous contrôle. Dans les nuits silencieuses, dans les instants volés où ils pouvaient être eux-mêmes, le reste du monde s’effaçait. Pourtant, un infime déséquilibre existait déjà. Un frémissement presque imperceptible, annonçant le moment où les choses commenceraient à changer.




Quelques jours plus tard, lors d’un banquet organisé en l’honneur d’un mécène influent, Les deux immortels jouaient leur rôle à la perfection. La grande salle illuminée accueillait les élites florentines dans une effusion de conversations et de rires feutrés. Les plateaux regorgeaient de mets délicats, des vins précieux circulaient entre les convives, et la musique des luths se mêlait aux éclats de voix, ponctuée par le tintement des coupes d’or et d’argent.

Methos, vêtu avec élégance mais sans ostentation, se mêlait habilement aux discussions intellectuelles, captivant son auditoire par ses anecdotes sur l’Antiquité, ses paroles effleurant les esprits comme un murmure savamment distillé. Flavius, quant à lui, tenait son rôle de maître de maison impeccable, un sourire affable aux lèvres tandis qu’il échangeait des banalités avec d’autres nobles. Il riait aux plaisanteries, félicitait les artistes présents, s’inclinait légèrement devant sa femme lorsque leurs regards se croisaient.

Mais sous cette façade se jouait une toute autre conversation.

Leurs regards s’effleuraient dans la foule, furtifs, comme une promesse que personne ne devait entendre. Une tension infime, mais vibrante, dans la façon dont Methos inclinait légèrement la tête lorsqu’il sentait le regard de Flavius peser sur lui. Un sourire fugace, un éclat dans les yeux qui disait je sais que tu me regardes.

Lorsque Flavius s’approcha pour porter un toast à l’un de ses invités, il frôla Methos en passant derrière lui, un simple contact à peine perceptible mais calculé. L’étoffe de leurs vêtements se toucha une fraction de seconde, juste assez pour que Methos perçoive la chaleur de son corps. Il ne bougea pas, mais un frisson imperceptible le traversa.

Plus tard, alors que Methos se servait une coupe de vin, Flavius l’approcha discrètement, sa présence devinée avant même que sa voix ne trouble le silence entre eux.

— Tu es bien silencieux ce soir, murmura-t-il.

— Je savoure simplement le spectacle.

Un souffle léger, presque imperceptible, contre sa nuque.

— Et que trouves-tu le plus captivant ?

Methos porta la coupe à ses lèvres, prenant son temps avant de répondre.

— Certains jeux d’ombres sont plus fascinants que la lumière elle-même.

Flavius esquissa un sourire et, d’un geste à peine visible, effleura le poignet de son amant du bout des doigts. Un contact si subtil qu’il aurait pu passer pour une simple coïncidence… s’il n’avait pas duré une seconde de trop. Suffisant pour faire comprendre que cette tension, cette fièvre sous-jacente, n’était pas une illusion.

Puis, sans attendre de réponse, il s’éloigna lentement, rejoignant sa femme avec la désinvolture étudiée d’un homme parfaitement maître de lui-même. Methos resta immobile une fraction de seconde, savourant l’ironie du jeu qu’ils s’imposaient. Puis, sans un mot, il quitta la salle par une porte latérale. Son hôte le vit faire, et un éclat satisfait passa dans ses yeux avant qu’il ne suive le même chemin, quelques minutes plus tard.

 

Flavius referma la porte derrière lui sans bruit, laissant l’agitation du banquet derrière eux. La pièce où Methos l’avait entraîné n’était qu’un salon secondaire, plongé dans une semi-obscurité, son unique fenêtre donnant sur les jardins du palais. Loin de l’agitation de la fête, l’air y était plus frais, mais chargé d’une tension électrique.

Methos était adossé à un meuble bas, une coupe de vin à la main, feignant l’indifférence, mais son dos droit, son immobilité contenue, trahissaient qu’il attendait ce moment.

Flavius s’approcha lentement, savourant cette attente, le frisson que procuraient ces instants volés. Il posa une main sur le bois poli du meuble, juste à côté de celle de Methos, réduisant la distance entre eux sans pour autant le toucher.

— Tu es toujours aussi prévisible, souffla-t-il.

Methos esquissa un sourire en coin et fit tourner le vin dans sa coupe avant d’en boire une gorgée.

— Et toi toujours aussi impatient, répondit-il, la voix teintée de cette nonchalance qui agaçait autant qu’elle fascinait Flavius.

Leurs souffles se frôlaient, mais aucun ne bougeait, l’un testant les limites de l’autre. Ce n’était pas qu’un simple désir, c’était une lutte voilée, un rapport de force qui ne s’avouait pas. Flavius finit par lever la main et effleura lentement le col du vêtement de Methos, glissant ses doigts sur la ligne de sa clavicule, traçant une caresse à peine perceptible.

— Tu joues avec moi, murmura-t-il.

Methos pencha légèrement la tête vers lui, son sourire s’étirant juste assez pour être une provocation.

— Nous jouons tous les deux, non ?

Flavius ne répondit pas tout de suite. Ses doigts remontèrent jusqu’à la nuque de Methos, exerçant une pression légère, comme s’il pouvait, d’un geste, ancrer l’instant dans quelque chose de plus tangible. Methos ne broncha pas, mais son regard, plus sombre maintenant, trahissait qu’il n’était pas aussi insensible qu’il le prétendait.

Puis, dans un mouvement fluide, Flavius se pencha vers lui et l’embrassa. Pas un baiser précipité, ni même réellement tendre, mais un mélange dangereux d’assurance et de retenue, une tension que l’on tend jusqu’à l’extrême juste pour voir lequel des deux finira par céder.

Methos répondit avec la même lenteur étudiée, savourant l’instant sans donner l’avantage à l’autre. L’échange dura un battement de cœur avant qu’il ne rompe le contact, à peine une fraction de seconde trop tôt pour que Flavius puisse le lui imposer.

— Tu as peur qu’on nous surprenne ? le provoqua Methos, ses lèvres effleurant presque encore celles de son amant.

— Serait-ce un problème ?

Methos inclina légèrement la tête, son souffle effleurant la peau de Flavius lorsqu’il répondit :

— Pour toi, peut-être.

Flavius rit doucement, un rire qui n’avait rien d’amusé. Il aimait cette arrogance, ce refus de se soumettre totalement. Mais il savait aussi que son amant ne le provoquerait pas ainsi s’il n’avait pas, lui aussi, envie de pousser le jeu plus loin.

Alors, sans prévenir, il l’attrapa par la taille et le fit pivoter contre le meuble, inversant leur position d’un geste calculé. Methos ne résista pas, se contentant d’un regard indéchiffrable alors que leurs corps s’alignaient dans une proximité brûlante.

— Tu crois toujours pouvoir m’échapper ? souffla Flavius, sa voix plus basse.

Le vieil immortel ne répondit pas tout de suite. Il laissa le silence s’installer entre eux, conscient que c’était ce qui rendait le moment plus intense encore. Puis, d’une voix presque trop calme :

— Je ne t’ai jamais appartenu.

Flavius ne bougea pas, mais quelque chose dans son regard se durcit légèrement. Une lueur fugace, une ombre de quelque chose de plus profond, plus incontrôlable. Il serra brièvement les mâchoires avant d’effleurer du bout des lèvres la ligne de la mâchoire de son amant, descendant lentement le long de son cou jusqu’à la naissance de ses épaules.

— Si tu voulais partir, tu l’aurais déjà fait.

Methos ferma brièvement les yeux, un soupir inaudible s’échappant de ses lèvres. Mais lorsqu’il les rouvrit, ce fut avec une lueur d’amusement moqueur.

— Peut-être que c’est moi qui te retiens ici.

Cette fois, Flavius rit vraiment, mais il ne répondit rien. Il n’en avait pas besoin. Leurs corps parlaient pour eux, et dans cette fièvre qu’ils entretenaient comme une flamme que l’on craint autant qu’on la chérit, il n’y avait ni vainqueur ni vaincu. Juste deux hommes pris dans un jeu qui, ils le savaient tous les deux, finirait un jour par les brûler.

Mais pas ce soir. Ce soir, ils continuaient à danser sur la ligne fragile entre plaisir et pouvoir, entre confiance et danger. Et aucun d’eux ne voulait encore s’arrêter.




Les mois passèrent dans ce jeu subtil entre ombre et lumière. Leur relation, bien que secrète, s’était installée dans une certaine routine, entre rencontres volées et soirées feutrées où les mots importaient autant que les silences. Flavius, malgré son mariage et les obligations qui l’accompagnaient, revenait toujours à Methos avec une ferveur renouvelée.

Mais Methos, lui, commençait à ressentir une légère lassitude. Pas envers Flavius en lui-même, mais envers l’inévitable poids de cette liaison clandestine. Il n’était pas fait pour l’attachement absolu, encore moins pour les promesses silencieuses que Flavius semblait parfois esquisser du bout des lèvres.

Ce fut à cette époque qu’il rencontra Alessandra.

 

Florence, en cette fin d’après-midi, baignait dans une lumière dorée. Les rues pavées résonnaient sous les pas pressés des marchands et des artisans qui fermaient boutique, tandis que des rires s’élevaient des tavernes où s’attardaient déjà certains nobles en quête de divertissement. Methos, lui, n’avait pas d’endroit précis où se rendre. Il appréciait ces heures flottantes où il pouvait simplement errer, observer la ville et ceux qui la faisaient vivre.

Son regard fut attiré par une devanture discrète, nichée entre deux bâtiments plus imposants. Une boutique d’orfèvrerie, dont la porte était restée entrouverte malgré l’heure avancée. L’enseigne ne payait pas de mine, mais derrière la vitrine, des pièces d’une finesse remarquable captaient les derniers rayons du soleil.

Par curiosité, il poussa la porte.

L’atelier était petit mais organisé avec une rigueur presque artistique. Des outils précis s’alignaient sur un établi, des croquis annotés étaient éparpillés sur une table, et au centre, une femme était penchée sur son travail, concentrée au point de ne pas remarquer immédiatement sa présence.

Elle était jeune, sans être une enfant, probablement dans la vingtaine. Ses cheveux étaient relevés avec désinvolture, quelques mèches échappant à leur attache. Ses doigts, tachés d’or et d’argent, manipulaient une fine plaque de métal qu’elle gravait avec une précision délicate.

— L’atelier est encore ouvert ? demanda Methos après quelques instants d’observation silencieuse.

Elle releva la tête et planta son regard dans le sien. Des yeux vifs, attentifs, empreints de cette intelligence pragmatique propre aux artisans qui savent que leur talent est leur seule vraie richesse.

— Pas vraiment, mais je ne refuse jamais un client, répondit-elle en posant ses outils.

Sa voix était douce, mais assurée.

Methos s’approcha, feignant l’intérêt pour les pièces exposées, bien que son attention soit déjà toute entière captée par elle. Il désigna du menton le bijou sur lequel elle travaillait.

— Un pendentif religieux ?

— Un médaillon commandé par une noble dame, confirma-t-elle en nettoyant délicatement la surface dorée du bijou. L’image d’un saint, ciselée à la main. Un travail minutieux.

Methos observa la pièce avec curiosité. L’orfèvrerie ne lui était pas étrangère ; il avait vu des techniques similaires dans l’Antiquité, et certaines de ces méthodes n’avaient guère changé depuis.

— Vous êtes une artiste, pas un simple artisan.

Alessandra eut un léger sourire, visiblement amusée.

— Vous êtes flatteur.

— Réaliste, rectifia-t-il.

Elle inclina légèrement la tête, le détaillant avec un intérêt nouveau. Ce n’était pas un client ordinaire, et elle semblait le deviner déjà.

— Vous semblez connaître l’art du métal plus que la moyenne des acheteurs.

— Disons que j’ai vu des œuvres remarquables au fil du temps.

Leur échange dura plus longtemps que nécessaire. Methos aurait pu se contenter d’un simple compliment avant de prendre congé, mais il ne le fit pas. Quelque chose dans la présence d’Alessandra l’incitait à prolonger cette rencontre. Elle n’avait rien d’une courtisane ni d’une noble entretenue. Elle appartenait au monde du travail, un univers de précision et d’exigence, loin des jeux de pouvoir dans lesquels il évoluait d’ordinaire. Et cela, il ne l’avait pas prévu.

 

Il revint.

Une fois, puis une autre. Toujours sous un prétexte différent. Une commande, une curiosité, une question sur un bijou ancien dont il aurait soi-disant entendu parler. Mais bientôt, ils cessèrent de prétendre.

Leur complicité se construisit sur l’échange de connaissances, de récits sur les métaux précieux et les techniques anciennes. Alessandra écoutait ses anecdotes avec un mélange d’émerveillement et de scepticisme, lui lançant parfois un regard en coin lorsqu’il mentionnait un détail trop précis, comme si elle devinait qu’il en savait plus qu’il ne voulait l’admettre.

— Vous parlez comme si vous aviez vu ces bijoux être forgés de vos propres yeux, lui fit-elle remarquer un soir, alors qu’il la regardait polir une bague sertie de pierres fines.

Methos se contenta de sourire.

— L’histoire se transmet mieux quand on la raconte avec passion.

Elle ne répondit pas, mais il vit dans son regard qu’elle n’était pas dupe.

Il appréciait son esprit affûté, son indépendance, cette façon qu’elle avait de s’absorber dans son travail avec une intensité presque religieuse. Avec Flavius, tout était jeu, passion et contrôle. Avec Alessandra, c’était différent. Il n’avait rien à prouver, rien à cacher. Et c’était peut-être ce qui le troublait le plus.

L’attirance s’installa lentement, imperceptiblement. Pas de gestes déplacés, pas de sous-entendus trop appuyés. Seulement cette tension qui se développait à chaque rencontre, dans la façon dont leurs échanges s’étiraient un peu plus longtemps chaque fois, dont leurs regards se retenaient une fraction de seconde de trop.

Methos se surprenait à chercher sa présence, à guetter le moment où il pousserait la porte de son atelier pour la trouver, concentrée sur son ouvrage, un sourire à peine esquissé en entendant sa voix. Il ignorait encore jusqu’où cela les mènerait. Mais il savait que, d’une manière ou d’une autre, il était déjà piégé.




Le changement fut subtil au début.

Flavius était un homme trop sûr de lui pour s’alarmer immédiatement. Il remarqua d’abord que Methos passait plus de temps hors de leurs cercles habituels. Lors des banquets, il s’éclipsait plus souvent, revenant avec cet air détendu qui trahissait des heures passées ailleurs. Lorsqu’ils se retrouvaient, Methos était toujours le même—moqueur, indéchiffrable—mais Flavius percevait quelque chose de différent. Une distraction, une absence, comme si une part de son esprit se trouvait constamment ailleurs. Au début, il s’amusa de cette nouveauté.

— Tu es devenu bien mystérieux, ces derniers temps, fit-il remarquer un soir, alors qu’ils partageaient un verre de vin dans l’une des pièces retirées du palais.

Le vieil immortel haussa un sourcil, un sourire en coin aux lèvres.

— Moi, mystérieux ? Je suis toujours là, non ?

— Peut-être. Mais ton esprit, lui, semble s’égarer ailleurs.

Il y avait dans sa voix une légèreté étudiée, mais son regard trahissait une curiosité plus aiguisée. Methos éluda la question avec un rire, prétextant des affaires à gérer, des rencontres politiques, des marchands avec qui négocier.

Flavius ne posa pas d’autres questions. Pas tout de suite. Mais il observa. Il le vit s’éclipser après un banquet, refuser une invitation à une soirée, décliner un rendez-vous prétextant un engagement. D’abord, il se contenta d’un sourire moqueur, persuadé que Methos, comme à son habitude, explorait une nouvelle distraction qui finirait par l’ennuyer.

Jusqu’à ce qu’il comprenne que ce n’était pas un simple caprice.

 

Lorsqu’il apprit que son amant passait du temps chez une orfèvre de la ville, son amusement s’effaça. Une roturière. Une femme. L’idée l’irrita plus qu’il ne voulait l’admettre. Methos pouvait bien se jouer du monde comme bon lui semblait, mais Flavius détestait l’idée qu’il puisse s’attacher à quelqu’un d’autre.

Il ne dit rien immédiatement. Il se contenta d’observer davantage. Il posa des questions détournées à ses contacts, apprit qu’un érudit étranger fréquentait l’atelier d’une certaine Alessandra, une femme au talent reconnu, mais d’origine modeste.

Un soir, alors qu’ils se retrouvaient en privé, Flavius laissa tomber la remarque d’un ton désinvolte :

— Alors, c’est elle, ta nouvelle obsession ?

Methos leva un sourcil, feignant l’ignorance.

— Qui donc ?

— Cette orfèvre. Alessandra.

Il ne répondit pas tout de suite, se contentant d’un sourire amusé. Il savait que Flavius cherchait à l’attirer dans un jeu qu’il refusait de jouer.

— Je n’irais pas jusqu’à parler d’obsession, dit-il en haussant les épaules. Elle est talentueuse. Intéressante. Pourquoi cette soudaine curiosité ?

Flavius se pencha légèrement vers lui, posant son verre sur la table.

— Parce que je te connais.

— Alors tu devrais savoir que je ne m’attarde jamais bien longtemps, répliqua Methos d’un ton léger.

— C’est une mortelle, Methos. Tu sais comment ces histoires finissent.

— Oh, je ne savais pas que tu te souciais tant du destin des mortels, répliqua-t-il avec une ironie mordante.

Flavius serra brièvement la mâchoire, mais reprit rapidement son masque d’indifférence.

— Je me soucie surtout du fait que tu as l’air de t’égarer.

— Ou bien est-ce toi qui ne supportes pas de ne plus être le centre de mon attention ? Répliqua Methos.

Flavius ne répondit pas immédiatement. Son regard s’assombrit, un éclair de colère pure passant fugitivement dans ses yeux. Il n’était pas homme à montrer sa jalousie ouvertement, mais Methos venait de toucher un point sensible.

— Ne sois pas ridicule, souffla-t-il finalement.

— Je ne suis pas parti, que je sache.

Flavius observa Methos un instant, cherchant à déceler si ses mots étaient sincères ou s’ils n’étaient qu’une autre de ses pirouettes verbales.

— Pour l’instant, non, répondit-il simplement.

La tension flottait encore entre eux, un duel silencieux qui ne trouvait pas encore de vainqueur. Mais Methos savait une chose : il venait de franchir une ligne. Et Flavius n’était pas du genre à oublier une offense.

 

Les jours suivants, Flavius changea d’attitude. Il ne fit plus mention d’Alessandra. Il ne questionna plus son amant sur ses absences. Mais il était là, toujours à l’observer, à jauger, à analyser chacun de ses gestes avec une précision presque clinique. Methos sentit la tension se resserrer autour de lui.

Lors d’un autre banquet, il surprit Flavius en train de discuter avec un marchand qui fréquentait l’atelier d’Alessandra. Rien d’anormal en apparence, mais il savait que ce n’était pas une coïncidence.

Il savait que Flavius cherchait à comprendre. À voir jusqu’où allait son attachement. Et Methos ressentit un léger malaise. Pas par peur. Mais parce qu’il connaissait Flavius. Il savait ce qu’il était capable de faire, lorsque quelque chose lui échappait. Cette fois, il comprit que la femme qu’il avait rencontrée, celle qu’il appréciait pour sa simplicité et son talent, venait sans le savoir d’entrer dans une partie qu’elle ne maîtrisait pas.

Il aurait dû s’éloigner. Mais il était déjà trop tard.




Leur relation s’était construite en douceur, entre les conversations dans l’atelier, les regards qui s’attardaient un peu trop longtemps, les rires échangés sans raison apparente. Alessandra ne posait pas de questions inutiles, et Methos, pour une fois, n’avait pas envie de se cacher derrière des demi-vérités.

Un soir, alors que Florence s’apaisait sous le ciel d’encre, il l’emmena loin de la foule, dans un jardin bordant une villa où il avait ses habitudes. Ce n’était pas un jardin d’apparat comme ceux des Médicis, mais un espace plus intime, plus sauvage, où la nature reprenait doucement ses droits.

— Tu es toujours aussi mystérieux, dit-elle en effleurant du bout des doigts une feuille couverte de rosée.

Methos s’arrêta, la regardant avec cet amusement nonchalant qui cachait souvent des choses qu’il ne disait pas.

— Et toi, tu es toujours aussi curieuse.

— Comment ne pas l’être ? murmura-t-elle en levant les yeux vers lui.

Il aimait cette lumière dans son regard, cet éclat d’intelligence et de défi, si différent de ce qu’il avait connu ailleurs. Il tendit la main et attrapa délicatement la sienne, jouant avec ses doigts comme s’il testait leur texture, leur chaleur.

— Des mains d’artiste, souffla-t-il.

Alessandra sourit, surprise par sa douceur.

— Des mains d’artisan, corrigea-t-elle.

— L’un n’empêche pas l’autre.

Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais il s’était déjà rapproché, assez pour que leur souffle se mélange, pour qu’elle sente la chaleur diffuse de son corps. Il lui laissa le temps de s’éloigner si elle le voulait. Elle ne bougea pas.

Alors, il l’embrassa. Un baiser d’abord léger, presque hésitant, comme s’il voulait en retenir l’instant. Mais elle répondit sans retenue, ses doigts trouvant naturellement sa nuque, et cette première hésitation se transforma en certitude. Lorsqu’ils se séparèrent, elle le regarda avec ce sourire en coin qu’il aimait tant.

— Tu joues un jeu dangereux, murmura-t-elle.

— Je crois que c’est toi qui es dangereuse, répliqua-t-il en effleurant sa joue.

Elle rit doucement, posant son front contre le sien avant de murmurer :

— Alors nous sommes deux.




Les jours suivants, une idée germa dans l’esprit de Methos. Un soir, alors qu’ils étaient seuls dans son atelier, il lui tendit une petite boîte en bois sombre.

— J’ai une commande spéciale pour toi.

Elle ouvrit le coffret et y découvrit un éclat de métal brut, accompagné de plusieurs pierres fines soigneusement choisies.

— Que veux-tu que j’en fasse ? demanda-t-elle en observant les matériaux.

— Une bague, souffla-t-il. Quelque chose de fin, d’unique. Pas trop ostentatoire, mais… précieux.

Elle haussa un sourcil, intriguée.

— Pour qui ?

— Un client particulier.

Elle ne chercha pas à en savoir plus, habituée aux caprices de certains nobles qui passaient des commandes étranges sans donner plus d’explications. Elle se mit au travail avec son habituelle minutie, modelant le métal, sculptant les motifs délicats sur l’anneau, choisissant avec soin la pierre qui viendrait orner la pièce.

Il venait souvent la voir, prétextant s’assurer de l’avancée du bijou, mais elle savait qu’il n’était là que pour l’observer, savourer les instants qu’ils partageaient dans cet espace où le monde extérieur n’existait plus.

Quand enfin elle termina, elle lui tendit l’écrin avec un sourire satisfait.

— Voilà. La commande est prête.

Methos prit la bague et l’observa un instant, la faisant tourner entre ses doigts. C’était un chef-d’œuvre de finesse, un entrelacement subtil d’or et d’argent, gravé de motifs délicats inspirés des anciens dessins floraux que l’on trouvait dans les manuscrits enluminés. La pierre au centre, d’un bleu profond, captait la lumière avec éclat.

Il releva les yeux vers elle.

— Parfait.

Puis, sans un mot de plus, il prit doucement sa main et glissa la bague à son doigt. Alessandra cligna des yeux, surprise.

— Qu’est-ce que tu fais ?

Il referma ses doigts sur les siens et sourit.

— J’ai dit que c’était une commande spéciale. Ce que je n’ai pas précisé, c’est qu’elle était pour toi.

Elle le fixa un instant, cherchant à capter une trace d’ironie sur son visage. Mais il n’y en avait pas.

— Tu es sérieux ? murmura-t-elle, incertaine.

Il ne répondit pas immédiatement, se contentant de refermer doucement ses doigts autour des siens, effleurant la bague comme pour sceller son geste.

— Je ne suis pas homme à faire ce genre de promesses, tu le sais, finit-il par dire. Mais s’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que je veux que cette bague soit à ton doigt.

Un frisson la parcourut. Elle baissa les yeux vers le bijou, caressa du pouce les motifs finement ciselés. Le métal était froid, mais elle sentait la chaleur de sa main sur la sienne, une présence tangible qui lui donnait le vertige.

Elle releva les yeux, un sourire à peine esquissé, mêlé d’émotion et d’un soupçon d’incrédulité.

— C’est une promesse, alors ?

— Si tu veux qu’elle en soit une.

Le silence qui suivit était chargé d’un poids qu’elle n’aurait su nommer. Mais elle ne retira pas la bague. Elle entrelaça simplement ses doigts aux siens et souffla, dans un murmure presque timide :

— Alors, je suppose que je n’ai plus qu’à m’y habituer.

Il effleura sa joue, et elle posa sa main sur la sienne, savourant ce moment hors du temps. Ce fut le plus heureux de leur histoire. Le plus fragile, aussi. Car dans l’ombre, quelqu’un veillait.




Flavius n’eut pas besoin d’interroger directement Methos pour comprendre que quelque chose lui échappait. Il savait observer. Il savait écouter.

Et Florence parlait.

Il entendit d’abord un murmure anodin, une remarque lancée avec désinvolture lors d’un banquet. Un marchand d’étoffes, légèrement ivre, plaisantait sur le fait qu’un certain érudit étranger s’était épris d’une orfèvre. Qu’il ne s’agissait pas d’un simple caprice, qu’il lui avait même offert une bague.

Flavius, jusque-là distraitement occupé à tourner son vin dans sa coupe, cessa son geste.

— Une bague ? demanda-t-il d’un ton léger, presque désintéressé.

— Une commande particulière, confirma le marchand. Alessandra, tu sais, cette jeune orfèvre talentueuse… Il paraît qu’elle porte une bague qu’il lui a offerte en promesse de mariage. Certains disent qu’il l’a demandée en fiançailles.

Flavius ne réagit pas tout de suite. Il esquissa même un sourire détendu, haussa les épaules comme si la nouvelle n’avait aucun intérêt.

Mais son esprit s’emballa. Il avait entendu bien des rumeurs sur Methos ces derniers temps. Sur ses absences, ses fréquentes visites dans les quartiers des artisans. Il avait deviné qu’il y avait une femme, mais il s’était bercé de l’illusion que ce n’était rien de plus qu’un jeu passager.

Une demande en fiançailles. Ce n’était plus une simple distraction. Ce n’était plus une passade. Et surtout, c’était un mensonge. Parce que Methos n’était pas un homme d’engagement. Methos ne faisait pas de promesses. Pas avec lui.

Et pourtant, il venait d’en faire une à une autre.

Ce n’était plus seulement une distraction. Ce n’était plus un jeu. Methos, qui lui échappait toujours d’une façon ou d’une autre, venait de franchir une ligne invisible. Il aurait pu tolérer une passade, un caprice, une nuit volée avec une roturière dont il se lasserait comme il se lassait de tout. Mais ce n’était pas ça. Il connaissait Methos. Il connaissait sa manière d’éviter l’attachement, de fuir toute forme d’engagement. Et pourtant, il avait choisi de marquer cette femme d’un symbole. Une bague. Un engagement.

Flavius se força à sourire, à continuer sa journée comme si rien n’avait changé. Il ne laissa personne voir la froideur qui s’installait sous son masque. Mais en lui, quelque chose se brisait lentement, méthodiquement. Il ne supportait pas l’idée d’être remplacé. D’être un simple passage, une ombre que Methos finirait par oublier. Il refusait d’être oublié.

La jalousie, cette fièvre qu’il avait d’abord ignorée, s’enroula autour de lui comme un serpent. Une colère sourde, froide, qui ne cherchait pas à exploser mais à calculer. Il lui suffisait d’attendre le bon moment. D’attendre pour lui montrer qu’on ne pouvait pas lui arracher ce qui lui appartenait.




Methos n’avait pas prévu d’aimer Alessandra. Mais il était trop tard pour faire marche arrière. Flavius le savait. Et parce qu’il le savait, il décida d’agir. Il ne s’agissait pas seulement d’éliminer une rivale. Il s’agissait de briser quelque chose d’irréparable.

 

Alessandra n’avait aucune raison de se méfier lorsque le messager lui apporta la requête.

— Un noble souhaite une commande spéciale et désire vous rencontrer en privé pour en discuter. Il possède déjà une collection de vos pièces et aimerait un bijou unique.

Ce n’était pas inhabituel. Ses créations attiraient de plus en plus de riches mécènes, et il arrivait qu’on lui demande de se rendre à domicile pour examiner des collections privées. Elle hésita un instant, mais la promesse d’une commande importante et le nom murmuré à demi-mot — un protecteur influent proche des Médicis — dissipèrent ses doutes.

Ce n’est qu’en arrivant dans cette villa isolée qu’elle comprit son erreur. L’intérieur était vide, le silence pesant. Flavius était là, assis près d’un bureau. Il ne portait pas l’habit de cour qu’il arborait lors des banquets, mais une tenue plus sombre, plus sobre. Quelque chose dans son attitude la frappa immédiatement : une maîtrise parfaite, une absence totale de précipitation.

Elle voulut reculer, mais déjà, deux hommes se tenaient derrière elle.

— Vous devriez vous asseoir, dit-il doucement.

Alessandra resta debout, son regard cherchant une échappatoire, une issue qui n’existait pas. Flavius inclina légèrement la tête, un sourire froid aux lèvres.

— Ce n’est pas une demande.

 

L’encre sur le papier semblait aussi noire que la peur qui nouait sa gorge. Alessandra tenait la plume d’une main tremblante.

— Je ne comprends pas, murmura-t-elle.

— Si, tu comprends parfaitement, répliqua Flavius en se levant. Tu vas écrire une lettre. Une lettre où tu expliqueras que ce mariage avec cet homme… cet étranger… était une erreur. Que tu regrettes. Que tu ne peux pas le supporter.

Il marqua une pause, la détaillant comme s’il évaluait un bijou imparfait, quelque chose qu’il pouvait encore façonner à sa guise.

— Que tu ne peux pas vivre avec l’idée d’avoir fait ce choix.

Alessandra sentit une vague de panique monter en elle.

— Pourquoi ? Pourquoi faites-vous ça ?

Flavius soupira, feignant presque une lassitude sincère.

— Parce que tu es une distraction qui est allée trop loin. Parce qu’il s’est pris à son propre jeu et qu’il faut lui rappeler qui il est réellement.

— Il vous a aimé, souffla-t-elle, cherchant à comprendre, à trouver une faille en lui.

Flavius se figea une fraction de seconde, puis son sourire revint, plus tranchant encore.

— Non. Il m’a appartenu.

Il s’approcha lentement, posa une main sur son épaule dans un geste presque tendre, et murmura :

— Maintenant, écris.

Elle sentit les larmes lui brûler les yeux. Mais elle savait qu’elle n’avait pas le choix. La plume gratta le papier, chaque mot étant une trahison forcée.

"Je n’aurais pas dû accepter cette bague. Je n’aurais pas dû croire à cet avenir. Cet amour était une erreur. Une illusion. J’ai trop espéré, et aujourd’hui, je ne peux plus vivre avec cette honte. Je suis désolée."

Elle s’arrêta, la gorge nouée.

— Continue, ordonna-t-il.

Elle hésita une seconde de trop. Une pression froide sur sa nuque. Une lame. Elle obéit. Quand elle releva la tête, ses doigts étaient couverts d’encre. Flavius prit la feuille, souffla délicatement dessus pour faire sécher les mots, puis la plia soigneusement.

— Parfait.

Il se tourna vers l’un de ses hommes.

— Vous savez quoi faire.

Alessandra comprit. Trop tard.




Methos sentit immédiatement que quelque chose n’allait pas.

La porte de l’atelier d’Alessandra était entrouverte, laissant filtrer une lumière pâle. L’intérieur était silencieux. Trop silencieux. Un courant d’air fit craquer l’une des poutres du plafond. Puis il la vit.

Le temps se figea.

Alessandra, suspendue à une corde attachée à la poutre maîtresse. Son corps se balançait à peine, figé dans une immobilité qui le frappa plus violemment qu’une lame. Une chaise renversée traînait à ses pieds, posée avec un soin trop précis pour être réel.

Un suicide. C’est ce que tout indiquait. C’est ce que Flavius voulait qu’il croie.

Methos avança lentement, son esprit refusant d’accepter ce qu’il voyait. Ses doigts tremblaient à peine lorsqu’il effleura le poignet d’Alessandra. Froid. Trop froid.

Sur la table, une lettre. Il la prit sans même y penser, mais son regard restait fixé sur le visage d’Alessandra. Elle n’aurait jamais fait ça. Pas elle. Pas maintenant.

Ses yeux balayèrent la pièce, cherchant une incohérence, quelque chose qui trahirait la supercherie. Il en trouva plusieurs.

Le sol n’avait pas été marqué par une véritable lutte. Pas assez. Et surtout… Ses ongles. Des traces d’encre, mais aussi une légère coupure sur la peau, comme si sa main avait tremblé en écrivant. Comme si elle avait été forcée.

Il lut la lettre. Une, deux fois. "Je n’aurais pas dû accepter cette bague. Je n’aurais pas dû croire à cet avenir." L’écriture était la sienne, mais les mots sonnaient creux. Froids. Ils n’avaient pas été écrits par une femme qui avait décidé de mourir, mais par une femme à qui on avait enlevé le choix.

Et Methos savait exactement qui avait fait ça.

Le choc fut tel qu’il ne remarqua pas immédiatement le dernier détail, celui qui rendit l’horreur encore plus insupportable.

Ce ne fut que quelques jours plus tard, alors qu’il tentait encore d’assembler les pièces, qu’il la vit. La bague. Sa bague. Celle qu’il avait fait réaliser pour Alessandra, celle qu’il avait glissée à son doigt en lui faisant une promesse silencieuse. Elle ne brillait pas sous la lumière de l’atelier. Elle brillait au doigt d’une autre femme. Vittoria. L’épouse de Flavius.

Methos la vit lors d’une réception donnée en l’honneur d’un dignitaire vénitien. Il n’avait pas prévu d’y assister, mais il savait que Flavius serait là. Il voulait le voir. Il voulait lui parler.

Mais ce fut elle qu’il remarqua en premier. Elle parlait avec un groupe de dames, riant doucement, levant sa main par intermittence, et la bague capta la lumière des torches. Un bijou délicat, aux entrelacs finement ciselés.

Son sang se glaça. Ce n’était pas une coïncidence. Ce n’était pas un oubli. C’était un message. Un trophée. Et c’est à cet instant que la rage l’envahit.

 

Il retrouva Flavius un peu plus tard, dans l’un des corridors privés du palais. Il ne chercha pas à masquer sa colère.

— Toi.

Flavius se retourna lentement, un sourire détendu aux lèvres.

— Methos. J’espérais que tu viendrais.

Ce dernier ne s’arrêta qu’à quelques pas de lui, son regard brûlant de colère.

— Dis-moi que ce n’est pas toi.

Flavius haussa légèrement les sourcils, jouant l’innocence avec une aisance exaspérante.

— Que veux-tu dire ?

— Ne joue pas avec moi ! rugit Methos.

Sa voix résonna dans le couloir, plus dure, plus tranchante qu’il ne l’avait voulu. Flavius soupira et croisa les bras, l’air presque amusé.

— Ne sois pas dramatique. C’était inévitable. Elle était une distraction, rien de plus. Tu le sais aussi bien que moi.

Son monde vacilla un instant. Rien, pas un mot, pas un seul battement de cil n’exprimait le moindre remords. Methos s’avança d’un pas.

— Une distraction ?

— Une erreur, précisa Flavius. Une illusion que tu t’es créée. Et tu es en colère parce que j’ai eu le courage de la faire disparaître avant qu’elle ne t’affaiblisse davantage.

Methos sentit une fièvre froide l’envahir, une rage qui ne ressemblait pas à celles qu’il avait déjà connues.

— Tu penses que je suis en colère ? souffla-t-il d’une voix si basse qu’elle en devenait menaçante.

Flavius haussa légèrement les épaules, comme s’il n’y avait là rien de plus qu’un caprice.

— Je pense que tu me remercieras, un jour.

Methos ne réfléchit pas. Son poing partit avant même qu’il n’ait conscience de bouger. L’impact fut brutal. Flavius bascula en arrière, heurtant le mur, sonné. Du sang coula sur sa lèvre fendue. Il redressa lentement la tête et passa une main sur sa bouche, regardant le sang sur ses doigts avec un mélange de surprise et d’amusement.

— C’est donc comme ça ? murmura-t-il.

Methos le saisit par le col et le plaqua violemment contre le mur.

— Tu crois que je vais oublier ça ? Que je vais continuer à jouer ton jeu après ce que tu as fait ?

Flavius sourit, un sourire carnassier.

— Tu ne peux pas me tuer.

Methos le lâcha brutalement, le repoussant comme s’il était une chose répugnante.

— Non, dit-il en reculant d’un pas. Mais je peux te quitter.

Flavius perdit son sourire.

— Ne sois pas ridicule, Methos. Nous nous sommes toujours retrouvés.

— Pas cette fois.

Methos secoua la tête, un rire sans joie lui échappant.

— Tu voulais que je me sente coupable ? Que je crois qu’elle s’était donnée la mort à cause de moi ? Tu ne comprends rien. C’est toi qui es mort, Flavius.

Un silence pesant s’installa. Flavius ouvrit la bouche, mais Methos ne lui laissa pas l’occasion de parler. Il tourna les talons et s’éloigna sans un mot de plus.




Florence était devenue irrespirable. Methos n’avait pas attendu. Il avait réglé ses affaires avec l’efficacité d’un homme qui savait qu’il ne reviendrait jamais. Il avait vendu ce qui pouvait l’être, payé ceux qui devaient l’être, et laissé derrière lui tout ce qui n’avait plus d’importance.

Il ne s’était pas rendu sur la tombe d’Alessandra. Pas parce qu’il ne voulait pas. Mais parce qu’il savait qu’il n’y avait rien à y trouver.

 

La ville s’endormait sous un ciel sans lune. Methos marchait sans but précis, longeant les ruelles qu’il avait jadis parcourues avec légèreté. Chaque coin de rue, chaque place, chaque pont lui rappelait une ombre qui ne disparaîtrait jamais vraiment.

Il revoyait Alessandra, concentrée sur son travail, le front plissé alors qu’elle polissait un bijou. Il revoyait son sourire, celui qu’elle esquissait chaque fois qu’elle devinait une vérité qu’il tentait de masquer. Et puis il revoyait son corps suspendu dans son atelier, la lettre qu’elle n’avait jamais voulu écrire.

Un frisson le parcourut. Mais ce n’était pas du chagrin. C’était autre chose. Quelque chose de plus ancien, de plus profond. Une colère glaciale, immobile, plus dangereuse encore qu’une rage explosive. Il s’était promis de ne jamais haïr. Mais ce soir-là, il comprit qu’il pouvait faire une exception.

 

Il sentit sa présence avant même de le voir.

Flavius attendait à l’angle d’une ruelle, appuyé contre le mur d’une bâtisse, vêtu d’un manteau sombre qui le fondait dans l’ombre. Il n’avait pas cherché à s’imposer à lui plus tôt, sans doute par prudence. Mais maintenant que Methos partait, il voulait avoir le dernier mot.

— Tu pars, constata-t-il, comme s’il n’avait jamais douté que ce moment viendrait.

Methos ne répondit pas. Il continua d’avancer, sans ralentir, comme si Flavius n’était qu’une silhouette de plus dans la nuit florentine. Mais Flavius ne comptait pas le laisser s’éclipser ainsi. Il se détacha du mur et lui emboîta le pas.

— Ne fais pas ça, murmura-t-il d’une voix douce. Ne nous fais pas ça.

Methos s’arrêta. Juste un instant. Assez longtemps pour que Flavius pense qu’il l’écoutait encore.

— Ce n’est pas la première fois que tu t’éloignes de moi, continua-t-il. Mais tu finis toujours par revenir.

Il s’approcha légèrement, son ton glissant vers cette familiarité feutrée qui avait jadis suffi à désarmer Methos.

— Parce que nous sommes pareils, toi et moi. Nous nous appartenons d’une certaine manière.

Un long silence. Puis Methos tourna lentement la tête vers lui. Le regard qu’il posa sur Flavius n’était ni furieux, ni blessé. Il était vide. Il le regardait comme on regarde un inconnu croisé dans la rue. Et pour la première fois en plusieurs siècles, Flavius comprit. Il n’avait plus de prise sur lui. Il pouvait parler encore, essayer, argumenter. Rien ne franchirait la barrière qu’avait érigée Methos entre eux.

Alors Flavius, d’instinct, joua sa dernière carte.

— Alessandra n’était qu’une erreur. C’est toi qui l’as transformée en tragédie.

Methos ne broncha même pas. Il détourna simplement le regard et reprit sa marche.

— Methos, appela Flavius, pour la première fois sans arrogance.

Aucune réponse. Aucune colère. Rien. Flavius le regarda disparaître dans l’obscurité, une étrange sensation lui serrant la poitrine. Il avait cru pouvoir le briser. Mais c’était lui qui venait d’être abandonné. Et cette fois, il savait qu’il l’avait perdu à jamais.

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