Le Prix à payer - Highlander Fanfiction
Après cette nuit sous les étoiles, une barrière invisible s’effondra entre Marie et Darius. Leur relation prit un tournant nouveau, intime et profondément sincère, bien qu’elle ne puisse s’exprimer pleinement qu’à l’abri des regards.
Darius, fidèle à sa vocation de prêtre, continua à guider les âmes perdues, à offrir réconfort et sagesse à ceux qui frappaient à la porte de son église. Pourtant, derrière son calme imperturbable, il portait en lui un conflit silencieux. Sa foi, autrefois un pilier inébranlable, s’était érodée au fil des siècles, minée par les horreurs qu’il avait vues et vécues. Mais il n’abandonnait pas son rôle. Si sa foi en Dieu avait vacillé, sa foi en l’humanité, elle, persistait. Il portait encore l’habit ecclésiastique, un symbole qu’il jugeait nécessaire pour maintenir son rôle de guide.
Marie comprenait cette tension en lui et respectait son choix. Leur relation, aussi pure et sincère soit-elle, ne pouvait être affichée au grand jour. La nuit, lorsque le silence envahissait le village et que les derniers fidèles s’endormaient, ils se retrouvaient en secret. Ces moments volés étaient empreints d’une intensité presque douloureuse, comme si chaque seconde comptait plus que mille jours.
Dans la pénombre de leurs appartements, leur amour s’exprimait dans des étreintes passionnées, des murmures échangés à voix basse, des regards où se lisaient mille promesses. Ils savaient que ces instants étaient fugitifs, que leur lien ne pouvait s’épanouir librement, mais cela ne faisait qu’amplifier la profondeur de leurs sentiments.
Cependant, cette clandestinité pesait sur eux. Marie, consciente des contraintes que leur relation imposait à Darius, choisissait de ne jamais s’attarder trop longtemps. Ses séjours devinrent plus courts, mais chaque rencontre gagnait en intensité. Lorsqu’ils se retrouvaient, c’était avec une passion renouvelée, comme si le temps et la distance ne faisaient que raviver la flamme.
Au fil des années, l’Europe s’était transformée. La Renaissance, par son souffle d’innovation et de redécouverte, avait insufflé une énergie nouvelle aux villes et aux esprits. Florence, en particulier, brillait comme un phare intellectuel et artistique. La ville s’épanouissait sous les fresques et les sculptures de Michel-Ange, qui ornait les bâtiments de son génie visionnaire.
Marie, fascinée par les merveilles de l’époque, s’était rendue en Toscane pour contempler les œuvres de l’artiste. Les façades sculptées, les fresques vibrantes de vie et de lumière, les édifices où la foi et l’art s’entremêlaient laissaient en elle un sentiment mêlé d’admiration et de nostalgie. La créativité et l’audace de ces artistes lui rappelaient ce que l’humanité avait de meilleur, et cela résonnait profondément en elle.
Pourtant, derrière cet éclat de beauté et de renouveau, elle savait que l’ombre de la violence continuait de planer sur l’Europe. Les idées nouvelles ne suffisaient pas à apaiser les vieilles rancœurs, et les guerres de religion ensanglantaient le continent. Elle en avait été témoin, bien plus qu’elle ne l’aurait voulu.
Elle se souvenait encore de cette nuit d’août 1572, de l’odeur du sang mêlée à celle des pavés humides de Paris. Elle avait senti la tension monter bien avant que les cloches de Saint-Germain-l’Auxerrois ne sonnent le début du massacre. Les murmures dans les tavernes, les rumeurs dans les couloirs du Louvre, les regards furtifs échangés entre les hommes d’armes… Tout indiquait que quelque chose se préparait. Elle aurait pu prévenir quelqu’un. Elle aurait pu faire quelque chose.
Mais elle n’avait rien fait.
Jehan lui avait répété encore et encore qu’elle ne devait pas interférer. Elle n’était qu’une passagère du temps, une ombre furtive qui ne devait laisser aucune empreinte. Alors elle s’était accrochée à cette justification comme à une absolution, fermant les yeux, retenant son souffle, espérant que le pire pourrait être évité.
Mais lorsque le jour s’était levé, Paris n’était plus qu’un charnier à ciel ouvert. Elle avait marché dans les rues jonchées de corps, entendu le silence lourd qui succédait aux cris. Les rivières de sang s’étaient déjà asséchées sous le soleil du matin, ne laissant derrière elles que la puanteur de la mort et les vestiges d’une haine ancestrale.
Elle n’avait pas pleuré. Elle s’était seulement demandé combien de fois encore elle devrait détourner le regard.
C’est au détour de son voyage en Italie que Soleman croisa à nouveau son chemin. Parti d’Al-Andalus pour découvrir les grands centres intellectuels de l’Europe, il avait été attiré par les récits de Florence et de ses merveilles. Lorsqu’il reconnut Marie dans les ruelles étroites de la ville, ce fut avec une joie sincère qu’il s’avança pour la saluer.
Après avoir partagé des nouvelles et des récits de leurs aventures respectives, Marie lui proposa de l’accompagner jusqu’à Darius. Elle voulait lui présenter cet homme qui avait une telle importance dans sa vie.
Lorsque Soleman arriva à l’église de Darius, il fut immédiatement frappé par l’atmosphère paisible qui s’en dégageait. Contrairement aux splendeurs de Florence ou à l’austérité des mosquées qu’il connaissait, ce lieu dégageait une sérénité humble, presque hors du temps. L’église elle-même, modeste mais magnifiquement entretenue, se dressait au centre d’un petit village, entourée de champs et de bosquets.
Darius vivait dans les appartements attenants à l’église, un logement simple mais fonctionnel. Les pièces, bien qu’étroites, étaient baignées d’une lumière douce filtrant à travers de petites fenêtres. Les murs étaient ornés de modestes tapisseries et de quelques livres soigneusement rangés, des manuscrits religieux, mais aussi des traités philosophiques et historiques qu’il avait accumulés au fil des siècles. Une table de bois massif occupait le centre de la pièce principale, entourée de bancs et de chaises usées par le temps, témoins silencieux de nombreuses discussions et repas partagés.
Soleman fut accueilli par le prêtre avec une chaleur empreinte de curiosité. Bien que leurs origines et leurs parcours fussent très différents, les deux hommes se découvrirent rapidement une profonde affinité. L’esprit analytique du sarrasin, affûté par les débats philosophiques d’Al-Andalus, trouvait un écho dans la réflexion introspective de Darius, enrichie par des siècles de combats intérieurs et extérieurs.
Au fil des jours, une amitié indéfectible se forma entre eux. Ils passaient des heures dans les appartements du prêtre, souvent autour de la table centrale, à jouer aux échecs. Pour Soleman, ce jeu représentait un défi intellectuel et une façon de comprendre les mécanismes complexes des relations humaines. Pour Darius, les échecs étaient bien plus qu’un simple divertissement. Chaque pièce déplacée lui rappelait ses années de stratège et de guerrier, une époque où ses décisions pouvaient signifier la vie ou la mort de centaines de personnes. Jouer à ce jeu était une manière pour lui d’accepter son passé, de le contempler sans jugement, tout en s’assurant de ne jamais oublier les leçons qu’il en avait tirées.
Marie, observant souvent leurs parties en silence depuis un coin de la pièce, trouvait dans cette complicité une source de réconfort. Voir ces deux hommes qu’elle chérissait profondément se lier avec une telle sincérité et un tel respect nourrissait en elle une paix rare.
Les semaines, puis les mois, furent rythmés par des discussions profondes sur le monde en pleine transformation, des échanges sur les avancées de l’époque, et des parties d’échecs où le silence se faisait presque aussi éloquent que les paroles. Dans cette retraite paisible, entre la grandeur de Florence que Marie venait d’admirer et la simplicité du village, les liens entre ces trois immortels se renforcèrent. Ces instants volés au tumulte de l’histoire forgèrent une harmonie précieuse, fragile comme la lumière des chandelles dans les appartements de Darius, mais durable dans leur mémoire.
Montsoreau – Printemps 1748
Dans la petite maison de pierre blanche, le feu dans l’âtre crépitait doucement. Marie, accroupie près de la cheminée, pliait soigneusement un livre dans un morceau de tissu. Sur le dossier d’une chaise, un long manteau sombre était posé, prêt à l’accompagner dans la nuit.
Elle ajusta la ceinture de sa robe, d’un brun profond, sans ornements inutiles. Le tissu était assez léger pour la laisser libre de ses mouvements, mais assez robuste pour résister aux imprévus. Une simple chemise en lin apparaissait à l’encolure, et des bottines en cuir usé complétaient l’ensemble. Pas une coquetterie, mais une tenue pratique et réfléchie, à l’image de la guerrière immortelle qu’elle était.
À quelques pas de là, Thalia, assise sur un tabouret, passait négligemment un fil dans une aiguille, réparant un accroc dans un jupon. Ses yeux brillaient d’un amusement léger lorsqu’elle rompit le silence.
— Tu vas voir Darius ?
Marie redressa la tête, un sourire se dessinant malgré elle. Elle hocha doucement la tête, son regard fixé sur les flammes. Thalia savait. Elle connaissait tout de cette relation secrète entre sa mentore et le prêtre.
Cela faisait plus de deux siècles que cette histoire interdite durait, tissée dans le silence et les ombres. Tout avait commencé quand Marie avait failli être brûlée vive pour sorcellerie. Elle se souvenait encore des hurlements de la foule, des flammes qui s’approchaient, de l’air saturé par la peur et la haine. C’était Darius et Thalia qui l’avaient sauvée ce soir-là, défiant les villageois et la mort elle-même. Ils l’avaient emmenée loin, dans un endroit sûr, où, pour la première fois en plusieurs siècles, Darius avait laissé tomber ses murs et confessé ses sentiments.
Lorsqu’ils étaient revenus auprès du feu cette nuit-là, il y avait quelque chose de changé. Thalia l’avait immédiatement perçu, dans la manière dont Marie s’était installée près de Darius, dans cette proximité nouvelle qu’ils ne cherchaient plus à dissimuler. Pour la première fois, ils ne fuyaient pas ce qu’ils étaient l’un pour l’autre.
Marie s’était blottie contre lui avec une aisance naturelle, sa tête posée contre son épaule, comme si cette place lui avait toujours appartenu. Darius, d’ordinaire si réservé, avait glissé un bras autour d’elle sans hésitation, un geste instinctif, protecteur, mais surtout empreint d’une tendresse qu’il n’aurait jamais osé afficher auparavant.
Thalia n’avait pas eu besoin de mots pour comprendre. Quand son amie avait levé les yeux vers elle, une lueur inconnue y brillait, quelque chose qu’elle n’avait jamais vu chez elle auparavant : un mélange de sérénité et d’évidence, comme si, après des siècles d’errance, elle venait enfin de trouver un refuge.
Thalia lui avait souri en retour. Un sourire discret, mais chargé d’une complicité silencieuse. Elle n’avait pas besoin de leur approbation pour savoir ce qui venait de se jouer. Cette nuit-là, quelque chose avait changé entre eux.
Depuis ce jour, leur relation s’était construite dans la clandestinité. Marie, voyageuse et insaisissable, revenait toujours vers lui après ses longs périples. Ils s’offraient quelques mois ensemble, des moments volés au monde, avant qu’elle ne reparte, laissant Darius à sa vie de prêtre et à ses sermons. Et cela leur suffisait, ou presque.
Aujourd’hui, Marie s’était installée pour un temps à Montsoreau, désireuse d’être auprès de lui. Ce village, avec ses ruelles pavées et ses pierres de tuffeau, lui convenait pour l’instant. Et Thalia, de passage, s’était naturellement installée dans sa petite maison. Les deux femmes partageaient bien plus qu’un toit : une complicité née d’épreuves et d’une profonde confiance.
Thalia se contenta de lui adresser un sourire entendu avant de reporter son attention sur son ouvrage. Marie enfila son manteau, qui semblait avaler la lueur du feu, puis glissa le paquet sous son bras. Elle resserra sa capuche, vérifia une dernière fois que tout était en ordre, et s’avança vers la porte.
La nuit avait envahi le village. Les ruelles pavées étaient plongées dans un silence feutré, brisé seulement par le bruissement lointain de la Loire. Les volets des maisons étaient fermés, leurs habitants endormis depuis longtemps. Ici, sous le couvert de l’obscurité, Marie avançait à pas mesurés. Sa silhouette se confondait avec les ombres des murs en tuffeau, glissant discrètement entre les façades assombries. Seules quelques lanternes vacillantes derrière les fenêtres perçaient l'obscurité de la nuit.
À chaque pas, elle sentait la tension du moment s’intensifier. Pas une peur, mais une excitation maîtrisée. Une étincelle dans l’obscurité. Quand elle s’approcha du presbytère, elle sentit la présence familière. Une chaleur subtile qui résonnait au fond d’elle. Le lien particulier, inimitable, qui ne pouvait mentir.
La porte s’ouvrit doucement, brisant le silence. Darius apparut, sa silhouette encadrée par la lumière pâle de la lune. Son sourire était à la fois doux et complice, une promesse d’une nuit volée au monde.
Marie s’engouffra dans le presbytère, le bruit feutré de ses pas rompant le silence. Darius referma la porte derrière eux, tournant la clé avec une lenteur presque cérémonieuse, comme s’il voulait suspendre ce moment, les enfermer dans une bulle hors du temps. Elle lui tendit le paquet enveloppé dans du tissu, sans un mot.
Il le prit avec précaution, ses doigts effleurant les siens brièvement. Ce simple contact fit naître une tension presque imperceptible dans l’air, un frémissement qu’aucun des deux n’osa relever. Darius dénoua les nœuds du tissu et dévoila l’ouvrage. Sa main, toujours délicate, caressa la couverture en cuir, comme s’il tenait entre ses doigts une relique précieuse.
— Saint Augustin, murmura-t-il en parcourant le titre du regard. Les Confessions.
Marie esquissa un sourire, son regard brillant d’une lueur complice. Darius ouvrit le livre et son regard parcouru les premières pages.
—Je me suis dit que ça te parlerait. Tu es comme lui, à ta manière. En quête de vérité, toujours partagé entre ce que te dictent ta raison et ton cœur.
Il leva les yeux vers elle, et dans cet échange silencieux, elle sut qu’il comprenait. Il referma lentement le livre, mais ses mains restèrent dessus, comme pour s’imprégner de l’intention derrière le geste.
Mais ce n’était pas de Saint Augustin qu’elle voulait parler ce soir.
Elle avait envie de lui. Pas de ses mots ou de ses pensées profondes, mais de ses mains sur sa peau, de son souffle contre son cou, de la sensation de ses lèvres qui effleuraient les siennes avant de s’y abandonner. Elle voulait sentir ce frisson qu’elle avait appris à associer à ses gestes mesurés, cette pression délicieuse qui naissait au creux de son ventre lorsqu’il délassait lentement les fils de sa robe, comme s’il dénouait chaque parcelle d’elle.
Elle le dévora du regard alors qu’il reposait le livre sur une table proche. Chaque geste semblait empreint de cette sérénité désarmante qui lui était propre, mais elle percevait la tension, discrète mais bien là, dans la raideur de ses épaules, dans sa manière d’éviter de croiser son regard trop longtemps. Une retenue qu’il s’imposait, qu’il portait comme une seconde peau. Pourtant, lorsqu’il releva enfin les yeux vers elle, la barrière vacilla. Ce qu’il lut dans ses yeux fit fondre les dernières résistances.
Elle s’approcha, réduisant l’espace entre eux jusqu’à ce que leur souffle se mélange. Il n’y avait pas besoin de mots. Sa main effleura sa joue, et il ferma les yeux sous ce contact, comme si ce simple geste le désarmait totalement. Elle sentit la chaleur de son corps irradier vers elle, et il sembla hésiter une fraction de seconde, pris dans ce dilemme qu’elle lisait si souvent en lui. Mais alors, il céda.
Sa main glissa sur sa taille, légère, presque hésitante, avant de s’y ancrer avec plus de fermeté. Elle posa ses mains sur son col, ses doigts tremblants d’une impatience qu’elle ne cherchait pas à dissimuler, et l’attira vers elle. Quand leurs lèvres se rencontrèrent, le monde sembla disparaitre.
Son baiser était à la fois doux et brûlant, comme un homme redécouvrant une sensation qu’il avait crue oubliée. Lentement d’abord, puis avec une urgence croissante, il répondit à son appel, effaçant les distances, les doutes, les interdits. Ses mains s’aventurèrent sur son dos, traçant des chemins invisibles à travers l’étoffe, jusqu’à atteindre les lacets de sa robe.
Darius s’arrêta, ses doigts jouant doucement avec les nœuds, comme s’il voulait savourer cet instant avant de le faire sien. Marie sentit son souffle s’accélérer, chaque geste amplifiant la tension qui montait en elle. Quand il tira enfin sur les fils, libérant le tissu qui tombait lentement le long de ses épaules, elle frissonna sous le contact de l’air frais, mais surtout sous la manière dont son regard la dévorait, comme si elle était tout ce qu’il avait attendu.
Elle laissa ses mains remonter sous sa chemise, caressant la courbe de ses épaules, suivant la chaleur de sa peau, explorant chaque muscle tendu. Il frissonna sous ses doigts, et elle se pressa contre lui, ses lèvres retrouvant les siennes avec une intensité renouvelée.
Leurs corps s’entrelacèrent, abolissant la moindre barrière. Ils reculèrent jusqu’au lit, trébuchant légèrement dans la précipitation, mais il la rattrapa avec une douceur qui lui coupa le souffle. Elle se laissa tomber sur le matelas, le tirant contre elle, leurs respirations entrecoupées, leurs mouvements guidés par une harmonie presque instinctive.
Chaque baiser, chaque caresse portait une signification, un poids. Ses mains explorèrent chaque parcelle d’elle, et elle en fit de même, mémorisant les contours de son corps, redécouvrant ce qu’ils n’avaient que peu l’occasion de s’offrir pleinement. Il n’y avait plus de contrôle, plus de retenue, seulement une passion qui éclatait comme un incendie trop longtemps contenu.
La lumière des braises mourantes jetait des ombres dans la pièce, soulignant leurs gestes, accentuant la chaleur qui les enveloppait. Dans cet instant, il n’y avait plus rien d’autre qu’eux — deux âmes liées par un désir plus grand qu’elles, par ces instants volés qu’elles chérissaient plus que tout.
Marie était blottie contre Darius, sa tête reposant légèrement sur son épaule. Sa chevelure lâchée glissait doucement sur son torse, chaque mouvement infime rappelant leur étreinte récente. La couverture qui les enveloppait à peine suffisait à capter la chaleur de leurs corps encore nus. Autour d’eux, l’air semblait presque immobile, comme suspendu à leur silence. Entre leurs mains, le livre de Saint Augustin était ouvert, et leurs regards suivaient ensemble les lignes, absorbés par les mots chargés de sens.
Marie tourna légèrement la tête pour mieux lire. Ses yeux s’arrêtèrent sur une phrase :
« Celui qui est calme et détaché en lui-même est un refuge pour les âmes troublées. »
Elle n’avait pas besoin de parler. Tout ce qu’elle voulait partager avec l’homme qu’elle aimait, en cet instant, était dans ces pages, dans ce calme intime et rare. Ses doigts effleuraient distraitement son poignet, cherchant une proximité qu’elle redoutait déjà de perdre.
Puis, lentement, un changement imperceptible troubla cette quiétude. Une vibration familière, qui s’intensifia comme une note sourde et profonde.
Elle sentit son corps se figer contre celui de Darius, comme si le temps lui-même s’était arrêté. La sensation, profonde, résonnait dans ses os. Ce n’était pas Thalia. Pas Soleman. Elle connaissait cette présence, et cela la terrifiait.
Son souffle se hâta, et ses doigts agrippèrent la couverture. Darius, lui aussi, avait ressenti l’immortel. Contre elle, son corps jusque-là détendu se tendit imperceptiblement, ses muscles se raidissant dans un réflexe instinctif. Pourtant, son calme extérieur ne se fissura pas.
Elle n’avait pas ce contrôle. Une peur panique monta en elle, incontrôlable, presque suffocante.
— Marie ? murmura Darius, surpris par l’intensité de sa réaction.
Elle secoua la tête, incapable de parler. Ses yeux étaient rivés à la porte, à la silhouette invisible qui s’approchait. Elle aurait voulu disparaître, se fondre dans l’ombre de cette pièce où elle s’était sentie en sécurité quelques instants plus tôt.
Darius, confus, chercha à la rassurer. Il pressa doucement son bras.
— Ne t’inquiète pas, dit-il d’une voix apaisante. Je le connais. Il ne nous jugera pas…
Ces mots furent comme un coup de poignard. « Il », Methos. Et Darius ne pouvait pas comprendre.
L’immortelle sentit une vague de panique monter en elle, mais elle se força à respirer lentement. Elle aurait dû se douter que ce moment viendrait un jour. En remontant le temps, elle avait espéré laisser Methos loin de cette histoire qu’elle cherchait à écrire. Mais la vie immortelle suivait toujours ses propres règles, imprévisibles et cruelles. Elle n’avait pas pensé revoir Soleman non plus, et pourtant elle l’avait croisé. Cette pensée la frappa de plein fouet. Le passé n’était peut-être pas un lieu où elle pouvait se cacher. Tout revenait toujours, tôt ou tard.
— Non, lâcha-t-elle enfin, se levant d’un bond, la panique dans sa voix. Non, il ne doit pas me voir.
Elle attrapa ses vêtements à la hâte, ses mouvements désordonnés trahissant son trouble.
Darius fronça légèrement les sourcils, observant sa précipitation. Il comprenait, à présent, qu’il y avait quelque chose de plus profond derrière sa peur. Elle semblait avoir reconnu cette vibration elle aussi. Et cela changeait tout.
Il se leva à son tour, laissant échapper un soupir presque imperceptible, puis se rhabilla rapidement. La tension de la pièce semblait presque palpable, lourde d’un non-dit qu’il hésitait à confronter. Un léger bruit sourd retentit. Methos toquait.
— Marie…, tenta-t-il d’une voix plus douce, posant une main sur son épaule.
Elle s’arrêta un instant, les yeux brillants d’un mélange de peur et de détermination.
— S’il te plaît, murmura-t-elle, presque suppliant. Ne pose pas de questions.
Darius hésita, mais son instinct lui dictait de respecter sa volonté. Avec un léger hochement de tête, il la laissa partir.
Elle se glissa par la porte arrière, disparaissant dans l’obscurité. Darius attendit qu’elle se fonde complètement dans la nuit, sa silhouette avalée par les ombres, avant de se diriger vers la porte principale.
Il ouvrit la porte du presbytère, ses traits toujours marqués par ce calme inébranlable qui lui était propre.
— Darius. Cela fait bien longtemps.
Sur le seuil, Methos esquissa un sourire en coin. Il avait cette allure désinvolte, presque provocante, malgré la poussière du voyage incrustée sur ses vêtements. Il posa une main sur le cadre de la porte, comme pour s’assurer qu’il ne rêvait pas.
— Je me dirigeais vers la côte, l’océan... Et l’Amérique me tente. Puis j’ai entendu dire que tu étais installé ici. Je me suis dit que c’était une belle occasion. Ça doit faire quoi... cinq siècles depuis notre rencontre, non ?
Darius hocha légèrement la tête, le regard insondable.
— Oui, cinq siècles. Une éternité pour certains.
Il ouvrit la porte en grand, l’invitant d’un simple geste à entrer. Methos le suivit, ses yeux scrutant le décor avec une curiosité tranquille. La cuisine, simple et fonctionnelle, baignait dans une lumière tamisée. Darius désigna une chaise, et Methos s’y installa, son regard se perdant déjà dans les détails alentours.
Il remarqua la porte entrouverte de la chambre. Les draps froissés, un désordre subtil qui n’échappait pas à son œil aguerri. Il n’eut pas besoin de plus. La seconde vibration qu’il avait perçue en arrivant trouvait un écho ici.
— Dis-moi, Darius, je ne dérange pas au moins ? lança le vieil immortel, son sourire s’élargissant alors qu’il croisait les bras. On dirait que j’interromps une... conversation privée.
Darius resta impassible, mais Methos remarqua l’ombre furtive d’un trouble dans son regard. Il attrapa une carafe d’eau et prit son temps pour verser deux verres, la fluidité de ses gestes trahissant une maîtrise de soi habituelle.
— Mon invité est... timide.
Le vieil immortel haussa un sourcil, s’appuyant légèrement contre le dossier de la chaise.
— Un invité, hein ?
Le mot traîna dans l’air, chargé de sous-entendus. Methos sourit, son ton léger, presque désinvolte. Pourtant, l’écho qu’il laissait derrière lui semblait peser bien davantage.
Darius, fidèle à lui-même, ne mordit pas à l’hameçon. Mais dans son esprit, une réflexion se formait. Il n’était pas homme à ignorer les détails, et encore moins les silences.
Marie avait clairement été troublée à l’approche de Methos. Darius avait perçu tout son corps se raidir contre lui lorsqu’elle avait capté sa vibration. Elle semblait, à sa façon, le connaître. Pourtant, l’immortel n’avait montré aucun signe de reconnaissance en retour. S’il avait déjà croisé sa route, il aurait immédiatement fait allusion à cette rencontre ou, du moins, réagi différemment. Mais il ne l’avait pas fait.
Ce décalage intriguait Darius. Pourquoi Marie semblait-elle reconnaître Methos alors que celui-ci, de toute évidence, ne savait rien d’elle ?
— Un visiteur, rien de plus, répondit Darius calmement, choisissant ses mots avec soin. Chacun a ses raisons de chercher un refuge.
Son ami ne cacha pas son amusement. Son regard revint brièvement à la chambre, puis il hocha la tête, feignant de se satisfaire de cette réponse évasive.
— Toujours aussi insaisissable, Darius, dit-il en croisant les bras avec une posture décontractée. Mais dis-moi... pourquoi t’es-tu installé ici ? Ce n’est pas ton genre de rester en marge des conflits, à l’écart du tumulte.
Il fit un geste vague, englobant l’atmosphère paisible du presbytère, le silence presque palpable de ce petit village retiré.
— Je veux dire, un prêtre dans un coin aussi calme, ce n’est pas vraiment l’image que j’avais de toi. On dirait que tu t’es mis à chercher la tranquillité, un peu comme un ermite.
Darius esquissa un sourire pensif, ses traits se détendant alors qu’il répondait avec une sincérité dépourvue de la moindre gêne.
— Parfois, même les plus turbulents d’entre nous ont besoin de répit. Je ne fuis pas les troubles du monde, mais il faut savoir quand prendre du recul. Ici, je trouve un équilibre. Dans le tumulte de la vie, on a tous besoin de calme pour ne pas se perdre.
Methos, intrigué, l’observa avec attention. Ses yeux verts pétillaient d’une malice teintée d’un intérêt sincère.
— Ça, c’est nouveau, lâcha-t-il en se penchant légèrement vers lui.
Il le fixa encore quelques secondes avant d’ajouter avec une moue malicieuse :
— Mais avoue, Darius, tu es… différent. Il y a cinq siècles, tu étais plus... disons... rigide. Tu semblais toujours te cacher derrière des certitudes, à prêcher des dogmes sans relâche.
Le prêtre, loin de se vexer, laissa échapper un rire discret. Son regard se perdit un instant sur la table, comme s’il sondait les souvenirs qui l’avaient mené jusqu’à cet instant.
— Ma foi a vacillé, il y a bien longtemps, maintenant. Mais au lieu de la rejeter, je l’ai reconstruite. Pas sur des dogmes ou des certitudes, mais sur quelque chose de plus simple : l’humain.
Il fit une pause, son regard devenant plus intense, chargé d’émotions.
— Je ne suis pas resté prêtre pour défendre une vérité absolue. Je suis resté parce que les hommes ont besoin d’un point d’ancrage. De quelque chose auquel s’accrocher quand tout le reste s’écroule. Ici, dans ce village, je peux leur offrir ça. Et, étrangement, ça me nourrit autant que ça les aide.
Methos resta silencieux un moment, ses sourcils légèrement froncés, absorbant les paroles de son vieil ami. Finalement, un sourire plus doux étira ses lèvres.
— Toi, ébranlé dans ta foi. Si quelqu’un m’avait dit ça il y a cinq siècles, je ne l’aurais jamais cru.
Il laissa un silence s’installer avant de reprendre, son ton teinté d’un humour plus léger :
— Mais je suppose que l’éternité nous pousse à évoluer, même les plus têtus d’entre nous.
Darius hocha la tête, une lueur de nostalgie dans les yeux.
— Et toi, Methos ? Toujours le même esprit vagabond ?
Ce dernier eut un éclat fugace dans le regard, mais il éluda avec son habituelle légèreté.
— Vagabond, oui, toujours. Fuyant certaines choses, peut-être. Mais tu me connais : je vais là où le vent me porte. L’Amérique m’appelle. Une terre pleine de promesses... ou de déceptions. On verra bien.
Ils continuèrent à échanger ainsi, mêlant souvenirs d’un passé lointain et réflexions sur leurs trajectoires respectives. Malgré leurs différences, une compréhension tacite les reliait, un respect forgé par les siècles qu’ils avaient traversés.
Finalement, Darius posa une main chaleureuse sur l’épaule de Methos, son sourire empli d’une sincérité apaisante.
— Tu es le bienvenu ici pour la nuit. Ce n’est pas grand-chose, mais tu trouveras de quoi te reposer.
Son ami inclina légèrement la tête, son expression s’adoucissant.
— Merci, Darius. Une nuit à l’abri, en bonne compagnie... C’est plus que ce que je demande d’habitude.
Dehors, dissimulée derrière les arbres, Marie observait. À travers la fenêtre, elle distingua la silhouette de Methos. Son cœur se serra, douloureusement. Il n’avait pas changé. Évidemment. Mais cette immuabilité, qui aurait pu la rassurer, l’écrasa d’une tristesse infinie. Il était là, à portée de regard, mais il lui semblait plus inaccessible que jamais.
Sa main trouva l’écorce rugueuse d’un arbre. Un ancrage fragile face au chaos qui menaçait de l’emporter. Tout en elle criait de courir vers lui, de combler cet abîme entre eux, mais elle savait que c’était impossible.
Elle resta un moment figée dans l’obscurité, jusqu’à ce que le froid de la nuit lui rappelle qu’elle n’avait plus rien à faire ici.
Elle entra sans bruit dans la maison. L’obscurité intérieure était paisible, et seule la respiration régulière de Thalia rompait le silence. Pourtant, la vibration familière de la présence de Marie éveilla l’immortelle. Thalia ouvrit les yeux, perplexe, et se leva en silence.
Dans l’ombre, elle distingua la silhouette de son amie, occupée à fourrer des affaires à la hâte dans un sac. Les gestes de Marie, précipités et désordonnés, contrastaient avec son habitude de tout faire avec soin.
— Tu es déjà là ? murmura Thalia, la voix encore chargée de sommeil. On est à peine au milieu de la nuit …
Marie ne répondit pas immédiatement, concentrée sur son sac. Thalia s’approcha, son regard scrutant les traits tendus de son amie. Une inquiétude sourde s’installa en elle. D’habitude, Marie ne rentrait qu’à l’aube, après ses visites prolongées au presbytère. Mais quelque chose dans sa manière de bouger, dans ses gestes précipités, trahissait une urgence inhabituelle.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda-t-elle, le ton plus ferme.
Marie s’arrêta un instant, le dos tourné, mais ne se retourna pas. Ses épaules étaient crispées, comme si la simple idée de répondre était insupportable.
— Je ne peux pas t’expliquer, finit-elle par souffler, la voix tremblante. Je n’ai pas le temps.
Thalia resta immobile, cherchant à comprendre. Quelque chose n’allait pas. Ce n’était pas dans les habitudes de Marie de fuir ainsi.
— C’est Darius ? osa-t-elle, d’un ton plus bas.
— Non. Enfin… pas exactement. Il a reçu de la visite.
— Quelle visite ?
Marie se raidit à cette question, puis secoua la tête avec une brusquerie qui ne lui ressemblait pas.
— Je ne veux pas en parler.
Le silence qui suivit fut presque palpable. Thalia ouvrit la bouche pour répliquer, mais la tension dans l’air la retint. Marie reprit soudain, sans lui laisser le temps de poser d’autres questions :
— Je dois partir. Juste quelques jours, le temps que cet invité reparte.
Sans attendre de réaction, elle passa devant Thalia, ouvrit la porte et disparut dans la nuit, ses pas avalés par l’obscurité.
Au matin, le presbytère baignait dans une lumière douce et dorée. Les murs de pierre renvoyaient une chaleur agréable, et l’atmosphère portait encore le calme du lever du jour. Methos émergea lentement de son sommeil, étrangement reposé malgré la rudesse du lit.
Il enfila ses vêtements et sortit. À l’extérieur, il aperçut Darius, assis sur un banc de pierre, un livre entre les mains. La lumière de l’aube jouait sur ses épaules, accentuant la tranquillité qui émanait de lui. Ses doigts effleuraient doucement les pages du livre ouvert, son regard capté par les mots inscrits.
Methos s’avança en silence, mais la porte grinça légèrement derrière lui. Darius leva les yeux, un sourire tranquille aux lèvres, sans interrompre son geste.
— Tu es matinal, dit-il en refermant son livre d’un mouvement mesuré.
— Pas autant que toi, répondit Methos en s’asseyant à côté de lui. Les Confessions, hein ? Toujours à explorer les tourments des autres pour éviter les tiens ?
Darius esquissa un rire léger, presque imperceptible.
— Peut-être. Ou peut-être que je trouve dans ces pages des questions qui résonnent avec les miennes. Augustin cherchait à se réconcilier avec son passé, à donner un sens à ses erreurs. C’est un chemin que je connais bien.
Le vieil immortel croisa les bras, son regard perdu dans le paysage encore endormi.
— Tu te réconcilies encore avec ton passé ? Après tout ce temps ? demanda-t-il, une pointe de scepticisme dans la voix.
Darius haussa légèrement les épaules, le sourire toujours accroché à ses lèvres.
— N’est-ce pas ce que nous faisons tous, d’une façon ou d’une autre ? Nous cherchons des réponses dans ce qui nous hante, dans ce que nous avons laissé derrière nous.
Methos resta silencieux un moment, les yeux fixés sur l’horizon. La lumière montante du jour baignait la scène d’une sérénité trompeuse.
— Peut-être, admit-il finalement, à mi-voix.
Et pendant un instant, ils restèrent là, côte à côte, enveloppés par le silence apaisant du matin.
Ce matin-là, Thalia se sentait agitée. L’absence de Marie et son départ précipité la veille au soir résonnaient encore dans son esprit. Elle avait bien vu l’inquiétude dans les gestes de son amie, la manière dont elle évitait le regard, l’urgence qui transparaissait dans ses mouvements désordonnés. Cela ne lui ressemblait pas. Et cette mention d’une "visite" étrange... Thalia n’arrivait pas à se défaire de l’idée qu’il se passait quelque chose de plus grave que ce que Marie avait laissé entendre.
Prise d’une curiosité qu’elle n’arrivait pas à réfréner, elle décida d’aller au presbytère. Sous prétexte de remettre à Darius des onguents qu’elle et Marie avaient préparés, elle espérait glaner des informations. Peut-être croiserait-elle ce fameux visiteur. Elle voulait voir à qui elle avait affaire, et comprendre pourquoi son amie avait préféré fuir plutôt que l’affronter.
Darius était dans le jardin, comme à son habitude à cette heure. À ses côtés se trouvait un immortel que Thalia n’avait jamais vu. Grand, brun, l’allure décontractée mais le regard perçant, il émanait de lui une aura différente. Pas menaçante, mais... pesante, comme si son seul regard pouvait sonder les recoins les plus sombres de l’âme. Pourtant, lorsqu’il se tourna vers elle, il lui offrit un sourire à la fois charmant et énigmatique, une sorte de masque destiné à mettre les autres à l’aise tout en gardant ses distances. Mais ici, avec Darius, Thalia perçut autre chose. Ce masque qu’il portait semblait s’effriter, comme s’il se permettait d’être un peu plus lui-même. Darius avait cette capacité rare d’offrir un espace où même les plus anciens pouvaient relâcher leurs défenses, et Thalia comprit que cet homme, bien qu’accoutumé à se cacher derrière des identités changeantes, s'autorisait ici à être vrai.
Il se présenta simplement : Methos. Un nom ancien, lourd de résonances pour quiconque en connaissait la portée. Peut-être était-ce la confiance que Darius lui inspirait, ou la quiétude particulière de ce lieu, mais Methos, à cet instant, semblait avoir laissé de côté l’ombre de ses nombreuses vies pour révéler un fragment de vérité.
— Thalia, répondit-elle, en posant son panier dans l’herbe près d’eux.
Elle s’assit à leurs côtés après que Darius lui eut proposé, et rapidement, la conversation s’engagea. Methos parlait avec un mélange d’esprit et de nonchalance qui amusait la jeune femme. Son ton piquant n’était jamais méchant, mais il semblait fait pour tester les limites des autres, pour voir jusqu’où il pouvait aller avant de provoquer une réaction.
Malgré cela, il ne donnait pas l’impression d’être une menace. Au contraire, Thalia se surprit à apprécier sa compagnie, même si une partie d’elle restait méfiante. Pourquoi sa présence avait-elle poussé Marie à partir si brusquement ? Elle se garda de poser des questions, préférant observer et écouter.
La conversation fut interrompue par l’arrivée de Soleman. Sa présence fut ressentie par les trois immortels avant même qu’il ne passe la porte du jardin. Lorsque le grand Sarrasin apparut, son sourire chaleureux illumina l’espace, mais il s’interrompit en voyant le livre posé près de Darius.
— Les Confessions de Saint Augustin, observa-t-il en s’approchant. Je vois que Marie t’a finalement offert ce présent. Qu’en penses-tu ?
Darius leva les yeux vers lui, un léger malaise traversant son visage.
— C’est... inspirant, répondit-il, évasif.
La tension monta d’un cran. Le nom de Marie, prononcé si naturellement par Soleman, semblait suspendu dans l’air. Thalia sentit ses muscles se raidir légèrement. Elle jeta un coup d’œil furtif à Methos, qui n’avait pas bougé mais dont le regard s’était durci, juste un instant, avant de retrouver son habituelle neutralité.
Soleman, quant à lui, ne remarqua pas le malaise.
— Où est-elle, d’ailleurs ? demanda-t-il, jetant un regard autour de lui. Je ne l’ai pas vue de la matinée. Je pensais qu’elle serait avec toi, Darius.
Le prêtre marqua une pause. Methos ne bougea pas, mais son regard se posa discrètement sur Darius, observant chaque micro-expression avec une précision inquiétante. Il répondit enfin, mais son ton manquait de sa sérénité habituelle.
— Je ne sais pas, dit-il. Je ne l’ai pas vue non plus.
Soleman haussa un sourcil, perplexe, mais avant qu’il ne puisse insister, Thalia intervint, son ton volontairement léger.
— Elle avait une course urgente à faire à Angers, expliqua-t-elle. Elle sera de retour dans quelques jours.
La justification semblait plausible, mais Methos ne manqua pas de noter la manière dont elle avait répondu trop rapidement, comme si elle cherchait à clore la discussion. Il ne dit rien, mais lorsqu’il croisa le regard de Thalia, il y eut un éclat de compréhension dans ses yeux, comme s’il avait déjà deviné ce qu’ils tentaient de cacher.
Soleman, quant à lui, ne sembla pas remarquer quoi que ce soit. La conversation dériva rapidement sur d’autres sujets, mais Thalia sentait le poids du silence de Methos. Il savait. Et même s’il ne disait rien, son regard semblait murmurer à Darius et à elle qu’il avait compris l’essentiel : Marie, cette « invitée » que Darius cherchait à protéger, est partie à cause de moi.
Methos poussa la porte de l’église avec son habituelle nonchalance, le livre de Saint Augustin dans une main, un sourire en coin sur le visage. Il avança dans la nef, ses pas résonnant légèrement contre les vieilles pierres. Darius était là, bien sûr, absorbé dans une prière ou une méditation, assis près de l’autel. Methos leva le livre bien haut, comme un trophée.
— Les Confessions... intéressant choix de lecture, observa-t-il en feuilletant distraitement les pages. Dites-moi, mon père, vous n’auriez pas, vous aussi, quelques petites choses à confesser ?
Darius leva les yeux, une lueur d’agacement poli dans le regard.
— Peut-être devrais-tu commencer par le lire, Methos. Cela pourrait te surprendre.
— Oh, mais je l’ai lu, je te remercie, répliqua ce dernier avec un sourire. Fascinant, vraiment. Augustin, c’est un homme qui me parle : une vie pleine de débauches et d’excès, et puis, pouf, une illumination soudaine. Très dramatique, mais efficace. Ça ne te rappelle personne, Darius ?
Ce dernier haussa un sourcil.
— Et toi, Methos, quand viendra ton illumination ?
— Mon illumination ? Oh, j’ai laissé ça derrière moi il y a des millénaires. Je suis très éclairé, merci bien. Toi, en revanche… peut-être que tu as des choses à te faire pardonner.
Le vieil immortel s’assit sur un banc, un bras négligemment posé sur le dossier, son regard perçant fixé sur Darius avec cette étincelle malicieuse qui faisait de lui un compagnon aussi exaspérant qu’irrésistible. Il referma le livre d’un geste étudié avant de le poser sur un banc.
— Mais toi, Darius… Tu es un modèle de vertu, bien sûr.
Il laissa flotter ses mots un instant avant de reprendre :
— Voyons. Tu es là, avec ce livre, cet air… pensif, et cet invité mystérieux d’hier soir. Tout cela crie une chose : "Darius a une histoire qu’il ne veut pas partager."
Darius croisa les bras et lui lança un regard qui aurait pu faire trembler un autre homme. Pas Methos.
— Mon invité n’est pas ton affaire, Methos.
— Ah, mais je me méprends peut-être, répondit–il avec une fausse sincérité. Je ne fais que m’inquiéter pour toi. Imagine que ce soit un péché. Le péché de… disons… luxure ?
Darius ne bougea pas, mais Methos nota une légère tension dans ses épaules.
— Luxure? répéta-t-il avec un calme mesuré mais un amusement qu’il avait du mal à cacher. Tu me prêtes des intentions bien éloignées de mes préoccupations spirituelles.
Le vieil immortel sourit, satisfait.
— Voyons, personne n’est à l’abri, pas même toi, saint ermite.
Darius esquissa un sourire, malgré lui.
— Tu ne changeras jamais, répondit-il, amusé mais exaspéré.
— Absolument. Mais cela ne répond pas à ma question, insista Methos, un éclat moqueur dans les yeux. Qui était-elle ?
Il insista sur le dernier mot, et son regard, plus incisif encore, trahissait qu’il connaissait déjà la réponse.
— Methos.
Le ton de Darius, légèrement plus grave, aurait pu clore la conversation avec n’importe qui d’autre. Mais Methos n’était pas n’importe qui.
— Bien, bien, tu ne parleras pas, soupira-t-il, feignant la déception. Mais sache que garder un secret comme ça, c’est presque un péché en soi. Augustin aurait certainement eu quelque chose à dire là-dessus.
Il se leva, tapota doucement le livre contre sa main et se dirigea lentement vers la sortie. Avant de franchir la porte, il se tourna une dernière fois, un sourire narquois accroché à ses lèvres.
— Et au fait, si jamais tu veux te faire pardonner… récite quelques Je vous salue Marie. Ça devrait suffire.
Puis, d’un ton solennel mais manifestement moqueur, il entonna :
— Je vous salue Marie, pleine de grâce ; le Seigneur est avec vous…
Sa voix résonna dans l’église, chaque mot imprégné d’un mélange parfait de sarcasme et de légèreté. Darius secoua la tête, incapable de réprimer un sourire cette fois.
— Maintenant, va-t’en, Methos.
— Avec plaisir, répondit l’immortel en s’éclipsant, toujours souriant, laissant Darius seul avec ses pensées, son livre… et, peut-être, une prière à murmurer.
Quelques jours s’étaient écoulés depuis le départ de Methos. Marie était revenue à Montsoreau, mais une distance semblait peser sur ses épaules, comme un poids qu’elle n’était pas prête à partager. Dès son retour, elle se rendit au presbytère pour voir Darius.
Il était dans son bureau, entouré de livres, une plume à la main. Lorsqu’elle entra, il leva les yeux, un sourire doux éclairant son visage. Marie referma la porte derrière elle, hésitant un instant avant de s’approcher.
— Tu es revenue, constata-t-il calmement.
Elle hocha la tête, le regard fuyant, puis s’assit sur le vieux fauteuil face à lui. Darius posa sa plume et la dévisagea un instant, sa sérénité habituelle teintée d’une légère curiosité.
— Pourquoi as-tu fui Methos ? demanda-t-il doucement, sans reproche, mais avec une curiosité sincère.
Marie se figea. Ses mains glissèrent sur le bord de sa robe, ses doigts s’agrippant au tissu comme pour y chercher un appui. Son regard se perdit dans le vide, évitant celui de Darius.
— Je ne voulais pas qu’il me voie.
Sa voix trembla légèrement, laissant échapper un aveu sans s’y attarder. Elle n’ajouta rien, et l’air sembla se charger d’un silence lourd de sens, mais volontairement inachevé.
Darius l’observa avec attention, son regard profond cherchant au-delà des mots. Mais il n’y trouva qu’un mur, une barrière soigneusement construite pour dissimuler ce qu’elle ne voulait pas partager.
— Comment l’as-tu rencontré ? reprit-il après un moment, avec une curiosité honnête. J’ai eu l’impression qu’il ne te connaissait pas vraiment.
Marie redressa la tête à cette remarque, ses yeux s’éclairant d’une lueur de méfiance. Elle hésita longuement, pesant ses mots avec une précision presque douloureuse, comme si chaque syllabe risquait de fissurer l’armure qu’elle portait.
— Il ne me connaît pas. Pas vraiment.
Sa réponse était directe, mais elle trahissait un trouble qu’elle ne parvenait pas tout à fait à dissimuler.
Darius, fidèle à lui-même, ne la pressa pas. Il se contenta d’un léger haussement de sourcil, laissant le silence remplir l’espace. Il savait que pousser ne servirait à rien.
— Et je préférerais que ça reste ainsi, ajouta-t-elle finalement, avec une fermeté qui fermait toute porte à la discussion. Il y a des secrets qui doivent rester ce qu’ils sont. Des secrets.
Darius inclina légèrement la tête, acceptant ses mots avec une douceur qui lui était propre.
— Très bien, répondit-il d’un ton apaisant. Je ne chercherai pas à savoir.
Les épaules de Marie s’affaissèrent légèrement, comme si ce simple geste de compréhension lui permettait de respirer un peu mieux. Elle sembla vouloir le remercier, mais aucun mot ne franchit ses lèvres.
Darius se leva, marchant lentement jusqu’à la fenêtre, avant de se tourner à nouveau vers elle.
— Tu sais, Saint Augustin disait que la vérité réside dans le cœur de chacun, mais qu’elle ne se révèle qu’à celui qui est prêt à l’entendre. Peut-être qu’un jour, ce sera différent pour toi.
Un sourire triste, mais sincère, éclaira brièvement le visage de Marie.
— Peut-être, admit-elle dans un murmure. Mais pas aujourd’hui.
Darius inclina la tête, acceptant sa réponse avec la même sérénité qui semblait toujours l’habiter. Son esprit dériva un instant vers les mots de Saint Augustin qu’il avait lu, encore et encore, ces derniers jours. Peut-être que la vérité n’était pas toujours faite pour être dite. Peut-être que certains mystères étaient nécessaires, même dans les cœurs les plus purs.