L'apprentie

Chapitre 20 : Wendigo.

2028 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/08/2024 22:05

Sarah salue Alastor alors que celui-ci se rend à la station de radio pour son temps d’antenne. Tandis qu’il se dirige vers le quai, Sarah rejoint d’un bon pas le marché. Ses pas croquent sous l’épaisse neige qui s’accroche à ses bottines en velours. Il fait froid, mais ils ont besoin de quelle denrée pour agrémenter leurs repas. Elle compte bien faire une petite réserve de soupe pour qu’Alastor ait aussi de quoi se réchauffer dans son studio, même s’il dit ne pas être gêné par le froid.

Sarah parcourt les étalages, de vagues souvenirs se mêlant à ses pas alors qu’elle garde encore le réflexe de chercher Elise des yeux. Puis quand elle s’aperçoit qu’elle ne pourra plus la trouver, une certaine mélancolie la prend.

Son regard est attiré par les cris d’un bébé un peu plus loin, sa mère le tenant dans ses bras, cherchant à le réchauffer comme elle le peut. Sarah observe la scène d’une certaine façon. Elle ne comprend pas pourquoi des femmes tombent encore enceintes dans une situation si précaire et en même temps, elle sait qu’elles n’ont pas vraiment leurs mots à dire. Elle inspire un bon coup et reprend là où elle en était.

C’est alors qu’elle se sent tirée et qu’elle vient de faire une volte-face devant son père. Elle blanchit, l’homme la traînant derrière lui.

 

— Lâche-moi ! hurle Sarah.

— Tu vas arrêter ton cinéma, ma grande ! Tu vas te marier avec l’homme que je t’ai choisi, que tu le veuilles ou non ! Ton prince, beau-parleur, n’est pas là pour te couvrir, et je suis ton père, tu obéis !

 

Bien sûr, alors qu’elle se fait traîner par l’homme au travers de la foule, ce n’est pas son père qui attire les regards, mais bien elle, parce qu’elle est vue comme une fille ingrate. Bientôt les remarques désobligeantes sur sa non-obéissance se font. La foule, au lieu de l’aider, l’incite à baisser la tête et à suivre son père sans faire d’esclandre.

Sarah cesse alors de se débattre, son corps tremble et tandis qu’elle s’éloigne du marché, qu’elle est embarquée dans un taxi. Elle regarde le quartier des affaires s’éloigner. Comprenant que c’est la dernière fois qu’elle voyait Alastor, car il n’y a aucun moyen pour qu’il sache où elle est emmenée.

De son côté, Alastor eut terminé ses diffusions, puis tard dans la nuit, il revient chez lui. Et lorsqu’il entra dans sa demeure, sans même avoir à appeler Sarah, il ressentit une tension étrange. Il l’appelle, sans même se dévêtir, il allume les lumières et se rend dans sa chambre, quelque chose au fond de lui l’avertissant de son absence.

Certain qu’elle n’est pas là, il fait demi-tour, humant l’air pour suivre son odeur jusqu’au marché. Bien sûr, cela n’a rien d’humain. Il suit ses traces jusqu’à identifier l’odeur abjecte du père de la jeune femme. Son regard perçant scintille d’une folie meurtrière, cette fois, c’est Prunelle, son rouge sang, son corps se déforme et s’allonge tandis que des bois lui sortent du crâne.

Il se met à courir, caché par la pénombre, seule la neige le détache du reste du décor ! Il remonte les traces du véhicule, son allure n’ayant plus rien d’humain, il se déplace comme une bête et à une vitesse qu’aucun humain ne pourrait atteindre. Il flaire la piste tel un chien enragé, certain de retrouver sa proie, espérant pour celui-ci qu’il n’ait pas fait de mal à SA proie !

Sarah a quitté la Nouvelle-Orléans, elle est revenue dans son village natal, la Métairie. Elle descend de la voiture tout en observant le domaine sur lequel se trouve le manoir. Elle suit son père, hésitant sur ce qu’elle devrait faire… Fuir au risque de se perdre et de mourir de froid ? Elle n’a même pas envie de voir celui à qui elle est promise, de lui donner une chance. Elle est certaine que si cet homme est un ami de son père, qu’il ne vaut certainement pas mieux que lui. Elle n’a pas envie de finir comme sa mère, battue à mort…

Sarah se retourne d’un coup et se met à courir à toute hâte à travers la forêt. Son père, plus que surpris, prend du temps avant de réagir et de se mettre à courir après sa fille. Elle a du mal à avancer avec cette neige, elle se prend les branches dissimulées dans la poudreuse et bientôt finit par chuter en se tordant la cheville. Elle serre les dents et se pince la lèvre pour ne pas hurler, sa douleur. Son père n’est pas très loin derrière elle.

 

— Sarah ! Arrête tes enfantillages ! Tu vas mourir de froid !

 

Elle l’entend se rapprocher, elle se fait toute petite, priant pour qu’il s’éloigne…

 

— Tu es aussi arrogante que ta mère ! Toi non plus, tu ne peux pas te contenter de hocher de la tête ! Tu joues sur mes nerfs, tu veux t’en prendre une toi aussi ? Toi aussi, tu vas me supplier d’arrêter ? Aller, Sarah, rappelle-toi de ce que j’ai fait à ta mère. Tu ne veux pas que je m’énerve de cette façon, n’est-ce pas…

 

Elle recule, bloquée contre l’arbre alors que celui-ci vient à tourner la tête vers elle et sourire à pleines dents.

 

— Aller, dépêche-toi de te lever, j’ai froid et j’ai fait, tu sais !

 

Sarah secoue la tête en refusant, l’homme s’en approche, l’agrippant au poignet. Sarah lutte contre la douleur dans sa cheville, osant jusqu’à frapper son père pour se libérer avant que celui-ci ne lui donne un coup qui la fait chuter complètement dans la neige.

 

— Saleté de gamine rebelle, quand est-ce que tu vas comprendre où est ta place !

 

Il se porte en avant, prêt à se ruer sur Sarah qui se relève et tente de reculer en rampant, sa robe prenant toute l’humidité des flocons.

Elle sent soudainement une présence derrière elle et se retourne tout en se figeant comme son père. L’homme dévisage l’être qu’il a devant lui, il en perd sa voix alors qu’il recule tout d’un coup, en sortant une arme à feu de petit calibre.

 

— Re… Recule, sale monstre !

 Sarah reste figée tandis que la créature se lance sur son père. Celui-ci se débat, mais il ne faut pas longtemps à la créature pour le mettre en pièce. En plus de ses crocs et de ses griffes acérées, elle se sert d’étrange tentacule pour s’aider…

Le corps mis en charpie, elle regarde avec effroi Alastor dévorer les restes de son père, son regard ayant perdu toute lueur humaine. Lentement, elle se recule, n’osant pas faire de bruit de peur d’attirer son attention.

Le regard d’Alastor se porte alors sur elle, son sourire devenu effrayant avec ses dents devenues crocs qui transpercent sa peau. Son visage et son corps gardent quelque chose de l’humain, même s’il est totalement déformé. Alastor s’en approche tout en grondant, son envie de sang, Sarah peut la ressentir.

Elle déglutit, son regard sur l’être qu’il est devenu, mais elle ne panique pas, elle tente de garder son calme. Elle avale sa salive pour s’humecter la gorge tandis qu’elle tente, sans savoir si cela fonctionnera, l’air qu’elle interprétait pour sa mère au violon…

Sarah ne chante jamais, elle ne sait pas même pas si sa voix est agréable à entendre, si cela aura un effet sur Alastor maintenant qu’il est dévoré par la fièvre du wendigo. Sarah reste immobile, elle continue de chanter, doucement, elle monte la main vers Alastor.

Celui-ci la dévisage, son regard se fixant sur le bras de Sarah, la bave lui coulant le long de ses mâchoires. Sarah grimace, sa cheville lui fait mal, mais elle continue à chanter.

Alastor s’approche et de ses longues griffes saisit minutieusement les petites mains de Sarah, sa forme revenant à la normale dans des craquements, ses vêtements tombant en partie en lambeau.

Sarah se tait, son regard, sur Alastor qui se penche par-dessus elle, son regard toujours fou.

 

— Est-ce que je te fais peur ? dit-il dans un son sinistre.

 

Elle déglutit sans le quitter des yeux.

 

— Un peu… J’ai peur que tu m’abandonnes toi aussi, dit Sarah.

 

Alastor laisse un rire rauque et moqueur sortir de sa gorge. Il passe ses bras sous les jambes de Sarah qu’il soulève contre lui. Il jette un regard méprisant au corps de l’homme qui ne ressemble plus à rien et se remet en marche.

Sarah est perdue, mais les questions se bousculent encore de trop pour l’instant. Il lui faut quelques minutes pour enfin trouver que demander à l’homme :

 

— Comment as-tu su ? murmure-t-elle.

— Je l’ai senti.

— Et comment as-tu fait pour aller aussi vite ?

— Tu as vu à quoi je ressemblais, c’est évident, non ? Je t’ai pistée.

— Et… Tu vas me porter ainsi jusqu’à la maison ?

— Si tu veux marcher sur ta cheville douloureuse, c’est pareil pour moi, souffle Alastor avec un sourire en coin.

 

Sarah secoue sa tête, se blottissant un peu contre lui pour se réchauffer, remarquant que l’homme, lui, est froid. Elle garde ses yeux dans le vide, écoutant les pas d’Alastor dans la neige où seul le clair de lune les guide.

 

— Alastor… Si tu continues, tu n’en reviendras pas.

— Je sais me maitriser, je t’aurais dévoré si ce n’était pas le cas, plaisante l’homme.

— Un jour, tu ne le pourras plus, dit Sarah à voix basse.

 

Alastor baisse les yeux sur elle, puis se concentre de nouveau sur son chemin, puisqu’il coupe en ligne droite à travers les bois. Jusqu’à se laisser tomber de certaine hauteur sans mal avec la jeune femme toujours contre lui.

 

— Et si ce jour arrive, je te permets de me tuer, réplique Alastor.

— Comme si je pouvais faire ça !

— Il le faudra bien.

Sarah secoue négativement la tête :

 

— Il en est hors de question ! Tu vas te contrôler et rester avec moi, dit Sarah, la voix tremblante.

— Chérie, je n’aime pas être commandé, demande-moi plutôt de te le promettre, ricane-t-il.

— Je ne veux pas avoir à le faire, alors fais l’effort de garder tes esprits, Alastor.

 

Il sourit, son regard se baissant sur celui de Sarah.

 

— D’accord, répond-il.

 

Sarah se tient à ses épaules, elle tremble légèrement. Elle a eu peur, d’être mariée de force à cet inconnu, de ne plus jamais revoir Alastor. De revivre l’enfer que son père a fait subir à sa mère.

 

— Heureusement que tu es ce que tu es, dit Sarah.

 

C’est vrai, sans cela, même s’il était parvenu à retrouver sa trace, Sarah aurait sans doute déjà été mariée et eut un enfant avec cet homme à qui son père comptait la vendre.


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