L'apprentie

Chapitre 19 : Paternité.

1848 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/08/2024 21:56

Alastor et Sarah sont assis dans le salon, chacun plongé dans sa lecture, un air de jazz en fond étouffé, le bruit du bois de la maison qui craque et le vent qui s’en gouffre par la cheminée. La neige recouvre une bonne partie du rebord de la fenêtre. Le feu crépite, luxe que certaines ne peuvent même pas se permettre.

Alastor est en congé aujourd’hui, ses heures de prestations ont encore été diminuées, parfois, il diffuse depuis chez lui avec une petite radio émettrice pour son propre plaisir.

Ils viennent de relever les yeux alors que l’on sonne à la porte, Sarah dévisageant Alastor. Elle se demande qui peut oser braver le froid ainsi ? Elle se redresse bien qu’en restant derrière l’homme qui va donc ouvrir à la personne.

C’est un homme d’âge mûr, plus vieux qu’Alastor, barbe et cheveux moyennement entretenus. Un costard mal ajusté et ne semblant même pas lui aller. Ses yeux verts se rabattent immédiatement sur Sarah qui recule d’un coup, prise d’une frayeur lointaine en le reconnaissant.

 

— Père ? dit-elle, incertaine.

 

Ce mot fit se redresser les poils d’Alastor sous ses vêtements, bien qu’il se mette à sourire avec exagération pour se retenir d’afficher son dégoût de l’homme.

 

— Je suis flatté que tu dédaignes au moins me reconnaître ! J’espère qu’à ta majorité, tu fasses l’effort de retrouver ton père !

 

Celui-ci veut forcer le passage sauf qu’il se heurte à Alastor qui n’a aucun mal à le tenir sur place, c'est-à-dire sur le seuil de sa maison.

 

— Sarah, je te pensais orpheline ! Eh bien, mon cher, vous en avez mis du temps pour vous rappeler l’existence de votre fille, rétorque Alastor.

— J’ignorais où elle était. Maintenant, je suis de retour et avec une grande nouvelle, ma puce, j’ai un ami qui serait ravi de t’épouser !

— Pardon ? Il n’en est pas question, réplique Sarah, outrée.

— Ma puce, ne joue pas à la rebelle et écoute ce que te dit ton père. Il est riche, il a un grand domaine, tu ne manqueras de rien. Il se fait vieux et il n’a aucun héritier.

 

Sarah se raidit, il n’est pas poli pour une jeune femme de refuser les avances d’un homme de bonne famille, encore moins de refuser un mariage proposé par ses parents. Son regard se porte sur Alastor qui est toujours devant la porte, son corps tendu et fier comme s’il était un mur entre elle et son père.

Celui-ci sourit sans fléchir, devant l’homme plus âgé qui tente de rentrer :

 

— Vous avez votre réponse, très chère, Sarah n’a aucune intention de se marier pour l’instant. Retourner d’où vous venez, cela vaut mieux pour vous, répond Alastor, avec une légère menace.

 

L’homme dévisage Alastor, son expression montrant explicitement sa frustration et son envie de cogner, bien qu’il se garde de le faire puisque la rue, malgré la neige, reste animée.

 

— Une femme n’a rien à faire chez un homme ! J’espère aussi que vous ne l’avez pas souillée. Quelle image cela donnerait de vous à l’antenne ? Un respectable animateur de radio qui profite de la naïveté des jeunes femmes pour les allonger sur votre lit ? rétorque l’homme, un sourire franc, persuadé qu’il vient de coincer Alastor.

 

Encore une fois, Sarah se tend, il y a déjà controverse sur le fait qu’elle reste vivre avec Alastor depuis sa majorité et la mort de sa mère sans que ceux-ci semblent penser au mariage. La cohabitation entre une femme et un homme ne se fait pas à cette époque. Cela est très mal vu, ils le savent et Sarah s’en soucie bien plus qu’Alastor.

Ce dernier dévisage le père de Sarah, son regard s’assombrissant.

 

— Fichtre, moi qui pensais simplement continuer mon rôle de tuteur depuis que je l’ai prise à ma charge ! répond Alastor sur un ton plaisantin, il se tourne sur Sarah : Ma chère, que vous restiez vielle fille jusqu’à la fin de votre vie ne m’empêchera pas de continuer à vous entretenir.

 

Son père grimace et tique, son visage montrant davantage de colère :

 

— Vielle fille ? Vous voulez qu’elle passe pour rien ? Qu’elle soit huée parce qu’elle n’arrive pas à se trouver de mari ?

— Oh, très cher, je ne fais aucun soucis là-dessus, Sarah est une jeune femme charmante qui a déjà ses admirateurs et je suis prêt à la soutenir, à l’accompagner dans ses choix, comme un bon père devrait le faire, continue l’homme.

 

Sarah sourit mine de rien, les paroles d’Alastor la rassurant et surtout, lui offrant un réconfort inattendu.

 

— Tu crois vraiment que je vais te laisser la corrompre davantage ? siffle le père de Sarah, le ton menaçant. Ses yeux verts étincèlent de colère tandis qu'il tente encore de forcer son entrée : elle mérite mieux que de traîner ici avec un homme qui n'a même pas l'intention de la marier !

 

Alastor, toujours immobile, émit un petit rire sarcastique. Il s’appuie légèrement contre le cadre de la porte, comme s'il était en train de discuter du beau temps, et non de la vie future de Sarah.

 

— Permettez-moi de vous rappeler, cher monsieur, dit-il d'une voix douce, mais tranchante : que vous avez perdu tout droit sur la vie de Sarah le jour où vous l'avez abandonnée. Aujourd'hui, elle est ici de son plein gré, et en tant que tuteur, et disons-le aussi, en tant qu'ami. Je veille à respecter ses décisions.

 

Le père de Sarah s'arrête net, la mâchoire serrée. Ses poings se crispent et se décrispent, trahissant sa frustration.

 

— Écoute-moi bien, Alastor, gronde-t-il : Je suis son père. J'ai le droit de décider ce qui est bon pour elle ! Tu ne peux pas effacer ce fait parce que ça t'arrange.

 

— Oh, mais voyez-vous, c’est là où vous vous trompez, répond Alastor, son sourire s'élargissant encore : Sarah n'est plus une enfant à qui l'on dicte ce qu'elle doit faire. C'est une jeune femme capable de prendre ses propres décisions et moi, je suis ici pour m'assurer qu'elle ait la liberté de choisir.

 

Sarah, restée silencieuse derrière Alastor, écoute la conversation sans oser intervenir davantage. Toutefois, les mots d’Alastor résonnent en elle et lui donnent le courage de tenir tête à son père :

 

— Je refuse ce mariage et tant que je ne suis pas un poids pour Alastor, je continuerai de l’aider. C’est à lui que je dois des comptes, pas à toi, je ne te suivrais pas, rétorque Sarah.

 

L'homme s'agace, son sang ne fait qu’un tour dans ses veines. Il se laisse emporter par la colère, se gonfle et se porte sur Alastor pour lui donner un coup de poing dans le visage. 

Alastor se décale aussi vite, évitant le coup du père qui finit dans le mur à côté de la porte. Celui-ci secoue sa main, tandis qu’Alastor, maître de lui et gardant son sang-froid, ne fait que reculer, continuant à se servir de son corps pour protéger Sarah. Son regard s'est porté sur les deux policiers qui passaient justement derrière eux, intrigués par la petite foule de curieux.

Les agents s’approchent et malgré les contestations de l’homme, celui-ci se fait escorter plus loin pour qu’il laisse tranquille Alastor et Sarah. Alastor recule et referme la porte, puis se tourne sur la jeune femme rousse, son éternel sourire aux lèvres.

 

— Eh bien, quelle matinée distrayante, ricane Alastor.

 

Sarah lui sourit bien qu’ennuyée… Ils retournent s’asseoir, la jeune femme leur servant une tasse de café. Alastor reprend sa place, attrape son journal qu’il continue de lire, pour lui, la situation étant réglée.

Sarah, elle, se morfond, bien consciente qu’il ne pourra pas toujours se servir de cette excuse de tuteur.

 

— Est-ce que tu penses que ce soit une bonne idée de refuser ainsi les demandes en mariage ? Enfin, tout le monde s’attend à ce que je le sois…

— Ils se focalisent là-dessus parce que nous vivons une période difficile et qu’ils ont besoin de reporter leurs malheurs sur les autres. Se moquer de toi, car tu es célibataire, n’est pour eux qu’une façon de se divertir.

— Toi aussi, tu es visé… Cela ne risque pas de devenir un problème pour ta réputation ?

— J’ai confiance en mon talent et aux auditeurs qui me sont fidèles. Tant que je ne risque pas de perdre mon poste pour des broutilles, je ne me pencherais pas sur la question, répond Alastor, ses yeux sur son journal.

— Tu n’as donc jamais eu envie de te marier ? D’avoir une femme et des enfants ? demande Sarah.

— Pas vraiment, répond-il abruptement.

— C’est tout de même étonnant, non ? Des personnes comme nous ?

— Nous ne sommes pas les seuls, mais si cela peut te rassurer, comme je te l'avais dit, nous pouvons le faire… et mes paroles restent inchangées. Je n’attendrai rien de toi.

— C'est un peu brut, dit comme cela, grimace Sarah.

 

Alastor lève alors les yeux vers Sarah, son expression à la fois confuse et amusée. Confuse part le ton presque déçu que vient de prendre Sarah, même s'il ne la pensait pas intéressée. Et amusé par sa réaction, qui semble lui cacher une petite attache qu’elle ne semble pas assumer ?

 

— Je voulais dire, dans le sens où si tu deviens mon épouse, que je n’attendrai pas de toi que tu t’occupes du foyer et de nos enfants. Si tu as toujours l’intention de devenir animatrice radio, je rappellerais au patron que tu mérites amplement ta place parmi nous, dit Alastor.

 

Sarah le dévisage, son regard pétillant, elle sourit doucement, une nouvelle fois rassurée par ces paroles.

 

— Je vois, merci… C'est vrai que je serais ravie de revenir à la station, sourit Sarah.

 

Alastor lui sourit en retour, puis replonge dans sa lecture. Sarah se tourne vers la fenêtre, observant les flocons s’amasser les uns après les autres… Pourvu que cette crise ne soit que passagère.

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