L'apprentie

Chapitre 18 : Deuil.

2492 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/08/2024 21:53

Ce matin fut lourd et morose, pourtant, le soleil est éclatant malgré la neige et le froid. C’est dans un silence de plomb qu’Alastor et Sarah, ainsi que quelques voisins, regardent le cercueil contenant Elise être mis en terre. Une cérémonie simple et solennelle, quelques mots du prêtre puis un silence pesant et lourd.

Sarah reste là, reculée, à fixer Alastor lui-même prostré sur la tombe de sa défunte mère. Depuis l’instant où il eut compris, ou il eut vérifié à son tour, il n’a plus prononcé une parole. Il a prévenu son patron qui lui a accordé un congé pour faire son deuil et depuis, Alastor n’est plus sorti de la demeure. Il ne mange pas, il ne sort même pas de sa chambre ou de son bureau.

Il n’ignore pas Sarah, ne l’a pas repoussée quand elle est venue le prendre dans ses bras. Il semble plutôt vouloir affronter cela seul, comme si cela était obligatoire pour lui.

Les légers flocons qui tombent commencent à recouvrir les épaules et le chapeau noir de l’homme, tout comme Sarah qui frisonne de froid. Elle patiente, laissant le temps à Alastor d’accepter la disparition de sa mère. Elle regarde la buée qui se crée quand elle inspire, se concentrant dessus pour oublier le mordant du froid.

Alastor fixe la croix ornée de gui et de buis, puisque les fleurs ne poussent pas à cette saison et que l’importation est plus difficile. Il tourne finalement la tête vers Sarah, la surprenant à souffler sur ses mains pourtant gantée pour se réchauffer. Il inspire un grand coup, se reprenant. Il se redresse et revient vers la jeune femme tout en lui offrant son bras, son sourire revenu, même si Sarah sait qu’il cache sa douleur par-dessous.

Sarah lève les yeux, son regard se fixant à celui du brun qui saisit doucement son visage, tandis que cette dernière se blottit contre lui. Alastor la sert d’un bras dans son dos, son regard se perdant sur la poudreuse.

Il faut rentrer maintenant et ils le font dans cet éternel silence qui semble ne pas vouloir se briser. Un pas après l’autre, le cœur de Sarah se sert dans sa poitrine, sa main se refermant un peu plus sur l'avant-bras de l’homme.

 

— Veux-tu que je prépare un jambalaya pour ce soir, dit Alastor, déliant enfin sa langue.

— Avec plaisir, je vais t’aider…

 

Alastor lui sourit, le mutisme lui revenant. Sarah n’a jamais été douée pour montrer ses émotions, elle a toujours été à côté de la plaque. Elle a envie de montrer à l’homme qu’elle est là, qu’il n’est pas seul pour affronter cette dure nouvelle.

À la maison, Sarah aide Alastor pour le repas, mais à vrai dire, ni l’un ni l’autre n’a vraiment d’appétit. Ils touchent à peine au plat. Alastor ne reste pas en place, il tourne dans le salon et la cuisine et a tendance à s’isoler à l’étage comme s’il ne savait pas comment réagi à l’absence d’Elise. Il la cherche inconsciemment, espérant la voir sortir de sa chambre, de la buanderie, de la salle de bain. Il le sait qu’elle n’était pas éternelle, qu’elle était malade. Il le savait que cela arriverait, mais il ne s’attendait pas à ce que cela soit aussi difficile à supporter.

Il se rassure tout de même lorsqu’il croise son regard, de la présence de Sarah. Il ne sait quoi lui dire, comment agir avec elle, comment la réconforter, puisque après tout, Elise était aussi comme une deuxième maman pour elle. Il le sait qu’elle s’efforce de ne pas lui montrer sa peine, qu’elle se cache dans sa chambre pour pleurer, exactement comme il l’a fait lui.

Étrangement, sa peine repousse même son envie d’anthropophagie et de meurtre. Sarah est remontée dans sa chambre tout comme lui. Il s’efforce de lire ses livres sans détourner son attention. Cela ne fonctionne pas vraiment. Il sent sa colère face à cette amertume qui le prend. Ce dégoût de se sentir si vulnérable et pathétique !

Il a l’impression que son cerveau va exploser, qu’il va devenir fou ! Alastor lève les yeux alors qu’un son attire son attention… C’est Sarah, elle joue de son violon. Il rabat son regard rougeâtre sur le paquet de sa chambre, se concentrant sur la mélodie. Elle est douce, mélancolique et d’une certaine façon apaisante.

Alastor se redresse et se lève, sort de la pièce pour se hisser avec délicatesse dans celle de Sarah. Celle-ci qui joue face à la porte le voit bien sûr se glisser dans sa chambre. Elle n’en dit rien, le laissant avec lenteur aller s’asseoir sur le fauteuil présent, à la regarder et à l'écouter jouer. Sa tête reposant sur son bras.

Sarah continue, elle n’est pas dérangée de jouer devant lui, elle a même l’habitude qu’il l’écoute jouer, Elise aussi le faisait. Elle se mord la lèvre, sa gorge lui fait mal tout comme son estomac, mais elle se refuse de pleurer. Elle termine son morceau et range l’instrument tout en reniflant. Alastor est toujours sur le fauteuil, il regarde dans le vide, comme ailleurs.

Sarah s’approche doucement de lui, dans un geste timide, elle se glisse un peu contre lui, Alastor la laissant venir s’asseoir sur ses jambes, un bras dans son dos. Sarah se pose contre lui, le silence comme compagnie d’infortune. Leurs respirations se mêlent et les soulagent, l’un comme l’autre, ferment les yeux et finissent par s’endormir.

Après son repos, Alastor a repris son poste à la radio tandis que Sarah, elle, reste chez lui, à s’occuper de la maison en son absence. Elle qui espérait ne pas devenir une simple femme au foyer, cela est raté. Mais, en soi, n’en a pas à se plaindre, Alastor l’accepte sans rien attendre d’elle, il ne la commande pas et l’aide même quand il est là.

Pendant le temps de repos d’Alastor, ils ont placé toutes les affaires d’Élise dans sa chambre. Son linge, ses bibelots, ses bijoux, ses chaussures et même son fauteuil. Sarah y entre parfois pour dépoussiérer la pièce, mais Alastor lui l’ignore, comme si elle n’existait plus. Pourtant, de nuit, elle l’entend de temps en temps se placer contre la porte et parler à voix basse. Souvent, il s’excuse, mais Sarah ne se montre pas indiscrète au point d’écouter ce qu’il peut bien dire.

Elle préfèrerait qu’il se confie à elle, mais elle ne peut pas l’obliger à le faire. Elle aimerait être plus qu’une simple présence qui sourit et rit à ses blagues.

Parfois, elle aimerait demander au brun de l’accompagner à la station, faire du bénévolat pour se changer les idées et ne pas rester seule dans cette maison où elle ne se sent bien que quand Alastor entre. Comment faisait Elise pour supporter ses journées de solitude ? Enfin, la vieille dame avait une bonne entente avec ses voisins, elle prenait fréquemment le café avec eux. Sarah n’a pas cette même sociabilité, elle était avec Alastor à s’entrainer pour créer des scripts correctement parlés, à savoir comment se débrouiller avec la console. Depuis qu’elle a fini son apprentissage, elle s’ennuie, mais elle n’ose rien dire à l’homme.

Sarah se vêtit d’un simple pantalon chaud, d’une chemise et d’un épais manteau, enroulant son écharpe autour de son cou et se rend au marché. Les denrées sont plus rares, plus chères également. La viande est de moins bonne qualité à cause de l’appauvrissement des sols. Si les animaux ne sont pas assez nourris, ils n’ont pas assez de force pour tirer les lourdes machines qui entretiennent les champs et les récoltes. Les fermiers n’ont pas assez d’argent pour engager de la main-d'œuvre et se font très souvent piliers par les villageois. Bon nombre d’animaux sont volés ou abattus et dépecés sur place. Et il faut dire que l’hiver n’aide pas non plus.

Les bateaux qui arrivent au port sont de moins en moins nombreux, de moins en moins chargés. Il faut se battre pour réussir à avoir quelque chose, même quand on vient de la classe moyenne.

Alastor vient de terminer la diffusion des dernières nouvelles qui sont toujours plus mauvaises les unes que les autres. Il pose sa main sur son front tout en soupirant. Ces derniers jours, les plats qu’ils ont concoctés faisaient peine à voir. Plusieurs de ses collègues ont également perdu du poids. Alastor a remarqué que Sarah avait les joues plus creusées et des cernes plus prononcés, même si elle tente de les cacher avec son maquillage. Il soupire tout en fermant les yeux. Ces derniers jours, il part souvent en chasse, mais l’écurie a du mal à nourrir correctement les chevaux. Les plus vieux ont été abattus pour nourrir les propriétaires et le gibier que les locataires attrapent sert en partie de loyer. À cause de la dépression, les réglementations sur les nombres d’animaux capturés n’ont plus été suivies et cela a entrainé un gros problème de sur-chasse et d’appauvrissement du gibier présent dans les forêts.

 

Cela fait un moment qu’il y pense, mais Jazz n’est plus tout jeune, l’animal lui coute et il peut aussi s’en passer pour la chasse. Un cheval de six cent kilos offrirait à peu près trois cent kilos de viande, donc au moins une année sûre de viande.

Alastor quitte la station de radio et se rend jusqu’à l’écurie. Jazz qui a aussi maigri passe la tête pour accueillir son propriétaire. Alastor la lui caresse, passe son licol sur sa tête, attrape son matériel pour le seller et le voici à quitter l’écurie pour retrouver le quartier des affaires au centre de la ville. Il passe par les ruelles étroites et sombres pour rejoindre son garage dans lequel il fait entrer l’animal qu’il sépare de sa selle, de son tapis et son bridon. Il la déplace jusqu’à une rigole qui traverse le sol, tout en caressant la tête de l’équidé qui ne voit rien venir.

 

— Je suis navré, mon grand, tu as été un compagnon exceptionnel, mais tu vas devoir me rendre service d’une autre manière…

 

Alastor se saisit d’une lame méticuleusement affutée et la plante d’un seul coup net dans le crâne du cheval qui en tombe directement au sol, son poids rencontrant le sol dans un lourd fracas. Alastor sourit d’une certaine ironie alors qu’il s’aperçoit qu’il a fait preuve de pitié pour un animal en rendant sa mort la plus rapide possible. Tandis qu'il peut se montrer particulièrement cruel et sadique avec ses victimes humaines. Il ne lui reste plus qu’à découper et à nettoyer l’animal…

Sarah attend le retour d’Alastor avec embarras, il ne reste plus grand-chose à manger à part quelques pommes de terres et des navets. Elle a un peu peur de la réaction qu’il pourrait avoir, bien qu’il n’ait jamais montré de violence à son égard.

C’est donc avec étonnement qu’elle se retourne vers la cour de la maison de laquelle elle voit Alastor entrer avec un sac et couvert de sang.

Elle écarquille les yeux, pensant au pire, alors qu’elle hésite à s’en approcher.

 

— Désolé, j’ai ramené du gibier, mais j’ai travaillé salement pour le placer dans le cellier. On aura de quoi tenir un bon moment, ma chère.

— Tu as réussi à attraper un cerf ?

— Ce n’est pas du cerf, malheureusement, mais nous n’allons pas faire la fine bouche, n’est-ce pas ?

 

Sarah secoue négativement la tête, non, elle ne le fera pas, il ne manquerait plus que ça, bien que le fasse qu’il ne dise pas de quoi il s’agit, ne la rassure pas. Alastor dépose le tout dans la cuisine.

 

— Va te changer, par contre, je ne suis pas certaine de réussir à ravoir de telles tâches, dit Sarah.

— Ne te dérange pas, j’ai mis de vieux vêtements avant de m’occuper de la bête.

— Alastor… Qu’est-ce que c’est ?

— Du cheval, très cher.

 

Elle écarquille les yeux, ne lui dit pas que…

 

— Jazz ? demande-t-elle, choquée.

 

Alastor se contente d’un hochement de tête. Sarah déglutit, elle sait qu’Alastor était au petit soin avec lui, cela a dû être une dure décision d’en arriver là. Alastor rejoint l’étage pour se changer tandis que Sarah s’occupe du repas…

Elle craignait que le sang vienne d’une personne, mais elle se sent soulagée malgré tout, bien qu’en vérité, elle ne le devrait pas.

Alastor continue de s’attaquer aux gens, cela est même devenu plus facile pour lui puisque les autorités sont bien trop occupées par le chaos de la ville que pour se préoccuper de lui et de ses meurtres. Il lui suffit de se rendre dans la zone de chasse et d’attendre qu’une personne désespérée tente d’attraper un oiseau, un lapin ou même des ratons laveurs.

La moindre âme égarée dans les bois qu’il repère passe sous son couteau… Il faut dire que sa faim devient de plus en plus insupportable, qu’il a de plus en plus besoin de chair au point de ne plus être rassasié avec des plats normaux. Le goût lui semble insipide et son estomac pourtant rempli continue de réclamer. La sensation qu’il éprouve quand il se laisse aller, sa fièvre est bien plus agréable. Le souci, c’est que plus il en consomme, plus il en veut. Il n’est jamais satisfait et cela commence à avoir un impact sur son comportement.

Parfois, lorsqu’il regarde Sarah, il lui vient à se demander quel goût elle pourrait avoir…

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