L'apprentie

Chapitre 14 : Angélique.

2262 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/08/2024 21:46

La famille d’Alastor est amenée jusqu’au jardin par l’un des domestiques de la maison, ce qui met Sarah mal à l’aise en raison de la couleur de peau de l'homme. Alastor a une peau mate, mais pas aussi sombre que celle de sa mère, qui affiche plus clairement des origines africaines. Le trio suit l’homme qui les mène jusqu’à Angélique et son mari, tout en ignorant les regards noirs. Du moins, c'est le cas pour Alastor, car même Elise ne se sent pas spécialement bien. Angélique se redresse, saluant ses invités, tandis que son mari fronce les sourcils en apercevant Alastor et sa mère.

 

— Tu n’avais pas mentionné que la famille adoptive de ton amie était créole, Angélique, rétorque l’homme.

— Je ne pensais pas que cela poserait un problème, très cher, réplique la femme, ennuyée.

— Je préfère éviter n’importe qui à ma table, mais bon, puisqu’ils sont là, je vais faire une exception, rétorque l’homme.

 

Alastor plisse les yeux, regardant froidement l’homme, puis salue Angélique avec une courtoisie exagérée.

 

— Ma chère, je suis agréablement ravi d’avoir invité ma protégée, elle a grand besoin de se changer les idées. J’apprécie également votre courtoisie face à ma mère et moi, s’incline-t-il.

— Oh, euh… C’est avec plaisir, monsieur, répond Angélique, ses joues rougissant.

 

Henry dévisage Alastor et se redresse de sa chaise, tout en posant son journal, pour venir lui faire face. Il lui tend la main, qu'Alastor accepte, avec un sourire franc.

 

— Alastor Landry, c’est bien cela, l’animateur radio ? Je vous écoute occasionnellement, dit l’homme.

— Au moins, vous connaissez ma voix, réplique le brun.

— Il faut dire qu’avec votre popularité, cela est difficile de ne pas savoir qui vous êtes. Dommage que vos origines soient en partie, l’homme dévisage Elise, qui fronce les sourcils : de basse naissance.

— Je vous prierais de laisser ma mère et ses origines hors de nos conversations. Cela me serait fortement désagréable qu’elle ne se sente pas à l’aise à cause de vos insinuations. Après tout, votre compagne nous a invités, ma protégée, ma mère et moi-même.

— Fiancée, nous ne sommes pas encore mariés, et d’ici là, certaines choses seront clarifiées pour la bonne cohésion de notre couple.

 

Sarah reste silencieuse, serrant la main d’Elise tout en regardant Angélique, qui est très mal à l’aise dans cet échange tendu. Henry finit par reculer et laisser Alastor et sa famille s’installer à sa table. Le café est servi avec quelques biscuits en accompagnement. Seul Alastor ose se servir, décidé à ne pas se laisser marcher dessus à cause de ses origines. Sarah est gênée, elle ne s’attendait pas à ce qu’Elise soit jugée de la sorte par un terrien. Elle n’a qu’une envie, repartir le plus vite possible d’ici.

 

— Que comptes-tu faire une fois que tu auras fini ta formation, Sarah ? demande Angélique.

— Se marier, pardi, tu as d’autres questions futiles, très chère ? rétorque Henry.

 

Angélique ferme la bouche et baisse la tête, Sarah et Elise imitant cette dernière. Alastor, lui, dévisage l’homme avec un regard des plus froids.

 

— Et vous, mon cher, quand comptez-vous demander la main de votre fiancée ?

— Cela a déjà été fait, nous nous marions dans une semaine.

— Alors je vous souhaite le meilleur pour vous, rétorque Alastor en s’adressant à Angélique.

— Elle aura tout ce dont une femme a besoin : des vêtements, des bijoux, un foyer, et elle élèvera mon héritier, rétorque Henry. Avez-vous adopté cette enfant pour qu’elle vous succède ? Vous auriez mieux fait d’adopter un garçon.

— Elle est sous ma tutelle et une fille comme héritière ne me pose pas de problème.

 

Sarah ne sait plus où se mettre. Elle regarde Elise qui lui sourit, osant à peine dévisager Angélique, qui garde la tête basse. Alastor dévisage les femmes, soupire puis se redresse.

 

— Accepteriez-vous de me faire visiter votre domaine ? Nous pourrions laisser la gent féminine bavarder entre elles, réplique Alastor.

 

Henry tourne enfin les yeux vers Angélique, remarque son malaise, regarde Sarah et Elise, puis revient à Alastor. Il soupire et acquiesce.

 

— Aimez-vous la chasse ? J’ai mon propre domaine de chasse, cela laissera assez de temps à nos aimées de profiter d’un moment pour elles, rétorque Henry.

— Je serais ravi de vous y accompagner, mais mon cheval a besoin de se reposer pour notre voyage de retour, réplique Alastor.

— Je vous en prêterai, pardi, ce n’est pas cela qui manque ici.

 

Alastor s’en va avec Henry, le regard de Sarah fixé sur les hommes alors que son estomac se noue… Il ne va tout de même pas faire ce qu’elle croit ? Angélique et Elise se détendent, la jeune femme s’excusant pour le comportement de son mari, bien qu’en faisant attention à ne pas le faire trop fort à cause des domestiques. Les trois discutent, mais Sarah n’est toujours pas sereine à l’idée qu’Alastor s’isole avec Henry. Les minutes lui semblent interminables, elle a du mal à profiter de l’instant, bien qu’elle parvienne à ne pas montrer son inquiétude et à sourire à Angélique. À chaque minute, Sarah pense : par pitié Alastor, ne tue pas l’homme d’Angélique !

 

Angélique remarque la dissipation de la jeune fille, elle sourit alors tout en lui posant une main sur l’épaule.

 

— Eh bien, ton ami te manque à ce point ? Dis-moi, Sarah, est-ce que vous allez vous marier quand tu en auras l’âge, bien sûr !

 

Sarah écarquille les yeux et regarde Elise. « Ne demande pas ça juste à côté de sa mère, enfin ! »

 

— Non, ce n’est pas prévu…

 

Enfin, si elle ne prend pas en compte le fait qu’Alastor lui ait dit qu’il n’en serait pas dérangé si cela pouvait les laisser tranquilles, mais elle n’a pas envie de lui dire que si cela se fait, ce sera simplement un mariage de convenance. Sarah baisse les yeux tout en les plissant, ajustant les pans de sa robe qui la dérange. « Si c’est encore pour supporter cette horreur, je m’en passerais volontiers ! » pense-t-elle, n’appréciant définitivement pas sa tenue. Les minutes deviennent des heures et même si la discussion entre les trois femmes reste agréable, Sarah ne peut s’empêcher de garder une attention particulière sur l’absence des deux hommes.

 

Des rires forts viennent alors interrompre la conversation des femmes qui se retournent tout comme les domestiques qui les accompagnent vers la source du rire, leurs yeux s’écarquillant.

 

— Mais que s’est-il passé ? s’exclament-elles à l’unisson.

 

Henry et Alastor sont couverts de boue de la tête aux pieds ! Alastor ne porte même plus son monocle !

 

— Oh, rien de grandiose, nous avons fait une course poursuite pour le moins surprenante, plaisante Alastor.

— Une course fabuleuse et la découverte d’une mare de vase sur mon terrain, ricane Henry.

 

Les femmes restent béates, ne comprenant pas leur charabia.

 

— Henry, vous n’êtes pas blessé ? s’enquit Angélique en le rejoignant, Elise et Sarah s’approchant également d’Alastor.

— Pas du tout, ma chère, mais je me hâte à la salle de bain, cette odeur de marécage va me faire tourner la tête ! Alastor, venez vous changer, il y a une salle de bain pour les invités, je vais vous prêter des vêtements, nous faisons le même gabarit.

— Avec plaisir, je n’ose imaginer où la boue s’est faufilée sous mes vêtements, ricane-t-il.

 

Elise attrape le bras d’Alastor avant que celui-ci ne suive Henry.

 

— Alastor, que s’est-il passé ? Tout va bien ?

— Bien sûr, mère. Nous avons poursuivi un sanglier du côté d’un marais de vase que nous n’avons pas vu assez rapidement. Les chevaux ont glissé et nous sommes simplement tombés. Pas d’inquiétude, la chute n’a pas été dure.

 

Elise et Sarah laissent passer Alastor. C’est vrai que l’odeur de la vase est vraiment forte. Alastor leur sourit et suit Henry. Il n’avouera pas qu’il est tombé sur sa hanche pour éviter de se faire écraser par son cheval et qu’il va certainement avoir une belle ecchymose !

 

Le retour se fait dans la soirée, détail qui plaît moins à Elise et Sarah mais qui ne semble pas inquiéter Alastor. Celui-ci est silencieux et dans ses pensées. Cette petite mésaventure lui a permis de voir l’intérieur de la demeure d’Henry, les différents accès, le nombre de personnes et où s’étend son domaine. Ils se marient dans moins d’une semaine, s’il patiente jusque-là, elle sera alors propriétaire du domaine. Il n’a aucune envie de laisser cet homme qui a osé insulter sa mère vivre plus longtemps, mais pour Sarah, il va faire en sorte de ne pas porter préjudice à son amie. Cette femme n’a pas besoin d’un tel homme.

 

Son regard se porte sur le bois, son sourire de plus tôt se dissipant alors qu’il sent une tension étrange l’envahir.

 

— Maman, Sarah, tenez-vous, on va accélérer, dit-il tout en lançant Jazz au galop.

 

Les femmes se tiennent tout en regardant derrière elles, bien qu’elles ne décèlent rien d’anormal.

 

— Alastor, tu as vu quelque chose ? demande sa mère, inquiète.

— Je pense que nous sommes suivis.

 

Son regard reste centré sur les accotés, incertain de ce qui les suit. Un animal sauvage ? Des voleurs ? En tous les cas, son accélération les a fait réagir, ils les poursuivent en restant sous le couvert des arbres, dissimulés par la nuit et le seul éclairage de la lampe à huile qu’ils ont sur la voiture d’attelage.

 

— Ce sont des cavaliers, remarque Sarah.

 

Alastor n’a pas le temps de lui répondre, Jazz est encombré avec la charrette, il ne pourra pas semer les cavaliers qui les dépassent pour se placer devant eux et les forcer à ralentir. Alastor se penche et attrape en vitesse l’arme qu’il avait prise et cachée sous son siège. Il se redresse, une jambe appuyée contre le siège pour gérer son équilibre, tandis qu’il pointe les hommes en hurlant :

 

— Je vais tirer !

 

Il le fait, pointant le canon du fusil de chasse en l’air, espérant effrayer leurs chevaux puisque Jazz y est habitué. Leurs montures s’énervent effectivement, mais leurs maîtres parviennent à les maîtriser et à revenir vers eux, l’un d’entre eux agrippant Sarah par le bras. Elise, la rattrapant pour qu’elle ne soit pas emportée, du moins, jusqu’à ce que la tête de l’homme n’explose sous le tir d’Alastor, éclaboussant les femmes. Sarah et Elise se plaquent au fond de leurs sièges, choquées. Alastor retire les douilles vides pour mettre de nouvelles balles dans la hâte et pointe une nouvelle personne, tirant sur le cheval qui s’écroule dans un cri d’agonie.

 

Les poursuivants s’arrêtent aussi vite, ne s’attendant pas à ce qu’Alastor ose se montrer aussi cruel en présence de femmes.

 

Elise et Sarah sont plaquées au fond de leur siège à regarder Alastor dont les yeux dégagent une étrange lueur meurtrière. Il dévisage les femmes, leur sourit chaleureusement et reprend sa place sur le siège, calmant Jazz qui fonçait par réflexe.

 

— Je n’avais pas le choix. Nous n’avons rien de valeur sur nous et je n’avais aucune envie de me risquer à attendre de voir s’ils allaient vous faire du mal ou non, rétorque Alastor.

— Alastor, tu as tué une personne… Il faut purifier ton âme si tu ne veux pas aller en enfer, s’inquiète Elise.

 

Alastor la regarde avec un sourire malaisé, il baisse le regard tout en hochant la tête.

 

— N’aie crainte, mère, je le ferai, dit-il sans son ton plaisantin.

 

Alastor sait qu’il est déjà trop tard, que cela ne servirait à rien, mais il aurait préféré ne jamais montrer ce visage à sa mère, ce dont il est capable de faire. Son regard se tourne légèrement vers Sarah, qui est silencieuse. Celle-ci préfère ne rien ajouter, faire comme si elle n’avait rien vu. Elle a bien compris qu’Alastor cherche à épargner sa mère. La jeune fille détourne les yeux, se sentant mal à l’aise. Pour la pauvre femme, si gentille et pourtant entourée de deux âmes corrompues.

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