L'apprentie

Chapitre 12 : Fraternelle.

1745 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 21/08/2024 21:42

Alastor et Sarah se préparent pour aller à la station radio. La jeune fille en profite pour mettre la tenue que lui ont offerte l’homme et sa mère. Elle se maquille légèrement, bien qu’elle n’ait plus autant besoin de cacher les cernes sous ses yeux. Elle enfile ses chaussures, rassemble son script qu’elle place dans son sac, un vieux réflexe la prenant alors qu’elle vérifie la présence de la boîte de médicaments, qui bien évidemment, n’y est plus.

Sarah est prête, elle descend dans le salon retrouve Elise qui tricote, celle-ci levant les yeux vers la jeune fille, puis son fils, qui la rejoint, un sourire doux au visage.

Les voici qui quittent la demeure familiale pour rejoindre le quai du tramway qu’ils attendent pour rejoindre la station. Cela ne fait qu’une semaine, mais Sarah a l’impression d’y revenir comme si c’était la première fois qu’elle foule cet endroit. Elle n’y a pas passé beaucoup de temps non plus, à vrai dire. Elle suit Alastor, le regard de certains hommes lui semble encore plus méprisant. Ils se rendent directement dans le bureau de leurs supérieurs pour annoncer le retour de la jeune fille.

Ceci fait, Alastor et Sarah se rendent dans le studio où ce dernier commence sa diffusion par un peu de musique. Il se tourne alors vers Sarah tout en lui souriant.

 

— On commence par une heure de musique, ensuite, les anecdotes comme la dernière fois, tu vas en profiter pour présenter ton travail. Respire un bon coup et détends-toi. Je vais t’introduire dans l’émission et te lancer sur ton sujet. Présente-moi ton sujet, adresse-toi directement à moi, c’est un échauffement, les auditeurs ne savent pas ce que tu as écrit. Si cela ne va pas, je reprendrai l’antenne, alors pas de pression, d’accord fillette ?

 

Sarah hoche de la tête, pendant l’heure Alastor diffuse différentes musiques, introduisant déjà Sarah lorsqu’il annonce les titres, tout en lui demandant s’il y en a qu’elle apprécie. Une conversation des plus simples pour qu’elle se détende et ne reste pas dans l’attente. Il la voit se triturer les mains, se mordre les lèvres par nervosité. Regarder dans son sac par réflexe. Parfois, il chante en même temps tout en se penchant sur la jeune fille pour lui frotter amicalement le dos. Sarah lui sourit, bien qu’elle le trouve un peu brut par moment. Il a frotté avec tant de conviction qu’elle a cru qu’elle allait glisser de sa chaise !

Voici le moment de la chronique arriver, comme dit Alastor lance la conversation, invitant Sarah à parler de son sujet. Il lui pose quelques questions vis-à-vis de ces femmes marginales, dont l’issue d’un mariage n’a jamais été vraiment favorable. Pour certaines, un simple arrêt de leur fonction, mais qui ont tout de même trouvé du réconfort dans leur vie familiale avec un passage de flambeau aux enfants. D’autres où le mari a pris les inventions ou la tête de l’entreprise effaçant carrément le succès de leurs femmes pour se l’approprier. Sarah parle surtout des femmes dont le mariage a été la pire des choses pour elles, Alastor se permettant des critiques cyniques. Voilà que le troisième auditeur passe à l’antenne pour donner son avis sur le sujet donné par Sarah. Encore une fois, la jeune fille s’écrase et regarde Alastor, avec malaise.

 

« C'est ridicule de glorifier ces femmes marginales. Elles auraient dû rester à leur place et respecter les traditions, au lieu de tenter de s'imposer dans des domaines réservés aux hommes. Et cette jeune fille n'a rien à faire à l'antenne. Elle devrait apprendre à devenir une bonne épouse plutôt que de rêver d'une carrière impossible ! » déclare l’homme.

— Je... je pense que, balbutie Sarah, qui se met alors à trembler, ne parvenant pas à trouver la force de se défendre.

— Ah, les bonnes vieilles traditions. Toujours là pour nous rappeler que le monde ne doit jamais changer. Dites-moi, cher auditeur, qu'avez-vous accompli en respectant ces traditions ? rétorque Alastor.

« Ce n'est pas une question d'accomplissement personnel, mais de maintenir l'ordre et les valeurs. Une femme devrait savoir rester à sa place, à la maison, et non pas chercher à briller en société ou à la radio. »

— Intéressant. Et cet "ordre" que vous mentionnez, il est peut-être confortable pour vous, mais étouffant pour ceux qui ont des ambitions au-delà des murs domestiques. Craignez-vous tant que cela d’être ébloui par l’éclat d’une femme, mon cher ?

« Ayez un peu de bon sens, enfin ! Une femme qui cherche à dépasser son rôle naturel finit souvent par tout perdre. Regardez autour de vous, combien de femmes réussissent réellement en dehors de la maison ? N’est-ce pas là, le sujet de votre chronique, n’apprenez-vous donc pas de vos sujets, ma chère demoiselle ? Et vous Alastor ? Ne trouvez-vous pas qu’il est malsain de vous servir de votre notoriété pour justifier ce comportement ? Voulez-vous ébranler nos mœurs ? êtes-vous un rebelle déguisé derrière vos belles paroles ? »

— Je dirais plutôt qu'elles ont été freinées par des attentes injustes. Si nous leur laissions plus de liberté, qui sait quelles merveilles elles pourraient accomplir ? Mais, je suppose que cela demande une vision un peu plus large que celle d'une cuisine, plaisante le brun.

« Vous vous moquez de moi, mais vous savez aussi bien que moi qu'une femme doit trouver son bonheur en soutenant son mari et sa famille. Pas en se pavanant de ne pas suivre les normes. Cette jeune fille peut encore se reprendre et comprendre qu’elle n’a de meilleures options qu’en épousant un homme aimant qui s’occupera bien d’elle. »

— Je ne me moque pas, je souligne simplement l'absurdité de limiter quelqu'un à des rôles prédéfinis. Vous souhaitez à Sarah une vie heureuse auprès d’un mari aimant ? Vous vivez avec des œillères, mon cher ? La plupart des mariages sont arrangés, sans amour véritable. Est-ce si difficile pour nous les hommes de concevoir la possibilité qu’une femme puisse avoir son mot à dire et décider elle-même de la vie qu’elle veut suivre ?

« Vous êtes jeune, mademoiselle, vous ne comprenez pas encore le monde, mais sachez qu’avec ce genre de pensée, vous irez droit dans un mur. Le monde a toujours fonctionné ainsi et il a toujours bien tourné, changer cela et plus rien ne tournera rond ! »

— Elle est peut-être jeune, mais elle a déjà plus de clairvoyance que beaucoup d'entre nous. Quant à vous, cher auditeur, je vous conseille de lire un peu plus sur ces femmes dont nous parlons. Vous pourriez être surpris par leur courage et leur ténacité. Mais bon, il est toujours plus facile de rester confortablement assis dans ses préjugés, n'est-ce pas ? réplique Alastor, avec cynisme.

 

L’antenne est interrompue, Alastor et Sarah se tournent vers la porte du studio où leur patron frappe à la porte tout en faisant un geste de mettre fin à cette chronique. Alastor soupire, tout en laissant place à la musique. Les heures sont les heures et ils ont un peu dépassé le programme avec cette discussion houleuse.

 

Alastor lance les pubs et se tourne vers Sarah tout en baissant son casque.

 

— Cet homme n’a pas tort. L’orphelinat m’a envoyée ici en espérant que je sois moins stressée et paraisse plus attrayante pour un homme. Si ce n’est pas l’orphelinat, ce sera l’État qui me mettra la pression pour qu’un homme me prenne à sa charge.

 

Alastor observe Sarah, il reste un long moment silencieux. C’est bien la réalité qui attend Sarah, sa formation ne vise pas à ce qu’elle devienne une animatrice, mais qu’elle s’affirme avant tout. Son patron le lui a expliqué et d’une certaine façon, il s’en doutait aussi. Il ferme les yeux tout en expirant un bon coup. Sarah détourne les yeux, la tristesse face à cette réalité la rattrapant. Alastor rouvre les yeux et dévisage intensément Sarah.

 

— Sarah, veux-tu que je te prenne complètement à ma charge ?

 

Elle cligne des yeux, surprise par sa proposition.

 

— Alastor, même si ça me permettrait de finir ma formation, à mes vingt et un ans, la pression pour me marier restera la même…

 

— Dans ce cas, j’en prendrai cette responsabilité. Ce sera un mariage de convenance, tu n’auras aucune obligation envers moi.

 

Sarah devient rouge tout en écarquillant les yeux.

 

— Mais… heu…cela ne sera pas étrange s’il n’y a pas d’enfant ?

— Rien de compliqué, il suffit de faire croire que l’on essaie. Le public pensera que l’on a des difficultés et évitera le sujet en pensant nous blesser, ricane le brun.

 

Sarah grimace, tout en baissant la tête honteuse.

 

— C’est que… Je ne serais pas contre l’idée d’avoir un enfant. L’adopter, dit Sarah.

 

Alastor se met à rire, une certaine gêne le prenant.

 

— Ma grande, tu as encore cinq années devant toi pour réfléchir à ce genre de choses, mais dois-je comprendre que tu acceptes l’idée que je te prenne sous ma tutelle ? Tu seras comme une petite sœur pour moi, sourit-il.

 

Sarah, les joues rouges, lui sourit doucement. Elle ne sait pas pourquoi ses mots lui font tant plaisir ! Prise d’euphorie, elle se laisse presque tomber sur Alastor pour le serrer à la taille et lui faire un câlin.

 

— Je ne suis pas contre l’idée d’avoir un grand frère, rit doucement Sarah.

 

Alastor, dans un léger sursaut, regarde la jeune fille contre lui. Il cligne des yeux, bras ouverts et confus, avant de les fermer dans son dos, comme perdu dans ses interactions. Il caresse la tête de Sarah et sourit tout en laissant un souffle ironique passer, tandis qu’il regarde dans le vide. Lui, un grand frère, vraiment ?


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