L'apprentie
Sarah ne parvient pas à trouver le sommeil. C’est Alastor qui a les somnifères et il n’est pas là. Elle a beau se retourner, encore et encore sur son matelas, réajuster sa position, s’emmitoufler dans son épaisse couverture qui sent bon le savon à la lavande. Elle ne parvient pas à fermer l’œil ! Ce traitement que lui a conseillé le médecin… Elle essaie de ne pas trop y penser, mais c’est impossible ! C’est trop gênant !
Elle se glisse sous la couverture, bien que personne ne puisse voir la rougeur de son visage. Le médecin lui a dit que c’est pour purifier la corruption de son corps ? Elle a du mal à comprendre comment cela pourrait faire sortir la corruption. Elle est dans sa tête ! À cause de la morphine ? Le fait qu’elle ressente encore fortement le besoin d’en prendre ? De continuer à chercher dans son sac la possible présence d’une boîte, la possibilité d’un cachet tombé au fond ? Sarah ferme les yeux… Oui, cela doit être à ce niveau, le fait qu’elle ait habitué son corps à cette substance et qu’elle ressente autant ce besoin d’en prendre.
Alastor refuse de lui donner le médicament pour se calmer lorsqu’elle lui dit qu’elle en a besoin. À chaque fois, il détourne la question et maintenant qu’elle y pense, il est vrai qu’il parvient à lui faire oublier son envie. Que ce soit en préparant un en-cas, une pâtisserie, en travaillant le jardin ou en lui jouant une scène en cherchant à les faire rire, Elise et elle.
Sarah se redresse tout en soupirant, les bras croisés sur le rebord de la fenêtre à regarder la buanderie et le garage… Alastor, il va aller en enfer à cause de ce qu’il fait ? Même si ce sont de mauvaises personnes qu’il fait disparaître, cela reste un péché de commettre un meurtre. Est-ce que cela corrompt aussi son âme de garder le secret ? Elle n’a pas envie de le dénoncer, Elise serait triste s’il se fait arrêter et de toute manière, elle ne trouve pas Alastor méchant. Il aime rire de tout et parfois à un humour sombre, mais à côté de ça, il est gentil.
Sarah n’arrive plus à le trouver intimidant, enfin, il l’est mais c’est parce qu’il est grand, sûr de lui… Beau. Il acceptera peut-être de ne pas appliquer le traitement du médecin si elle lui explique qu’elle veut s’en sortir sans, ni les médicaments. Tout ce dont elle a besoin, c’est de trouver un moyen d’ignorer son stress, trouver une méthode pour qu’elle n’y pense pas.
Alastor met du temps à rentrer, elle ne pourra pas lui en parler. Elle ignore même s’il compte déjà la faire venir avec lui à la station demain ? Son regard se perd sur la cour sombre à peine éclairée par les lampadaires de la rue principale qui ne permettent pas une bonne visibilité.
Sarah plisse les yeux, elle a l’impression de voir du mouvement près du garage, elle se place d’une autre façon pour essayer de mieux distinguer ce qu’elle pense voir. C’est beaucoup trop gros pour être un chat ou même un chien, un voleur ? Non, son cœur accélère parce qu’elle a bien reconnu la silhouette et la façon de marcher d’Alastor et celui-ci semblait traîner quelque chose.
Sarah a un drôle de pressentiment… Tout lui crie en elle de se rallonger et faire comme si elle n’avait rien vu, comme si cela n’avait rien d’étrange qu’il passe par le garage en pleine nuit. Mais sa curiosité l’emporte sur sa raison ou plutôt sa naïveté face à la situation. Elle est presque sûre de ce qu’il se passe, qu’il passe par-là parce qu’il a sans doute recommencé. Cela n’est donc pas une bonne idée d’aller en pyjama et à pieds nus vers le garage.
Elle prend garde aux branches et aux ronces qui colonisent un peu l’allée qui donne vers le garage, les branches moins entretenues des arbres de l’allée l’agrippent comme une dernière mise en garde de ne pas aller plus loin. Doucement, elle s’approche. Elle entend de drôles de bruits à l’intérieur.
Elle frappe à la porte tout en l’ouvrant :
— Alastor ?
Ses yeux parcourent la pièce, puis elle se retrouve soudain dos au mur, Alastor l’empoignant par les poignets.
— Tu ne devrais pas dormir, jeune fille ?
— J’ai un peu de mal sans les somnifères, sanglote Sarah, toute se penchant sur le côté, s’attendant à recevoir un coup.
Alastor plisse les yeux et la lâche sur-le-champ.
— Sarah, retourne à la maison, j’arrive, annonce le brun, la voix tremblante.
Alastor a son regard braqué sur Sarah, qui ose enfin le soutenir, remarquant alors l’étrange lueur rouge, non naturelle dans ses yeux. Elle sursaute, surprise par ce constat, son regard déviant alors sur la table derrière lui, remarquant le sang sur ses vêtements, mais aussi ce qu’elle suppose être un corps caché par une bâche. Sarah déglutit tout en reculant, regardant Alastor avec terreur.
— Tu sais ce que je fais, pourquoi es-tu venue ? demande froidement l’homme.
— Je t’ai vu passer… C’est un méchant ? Ça me fait peur…
— Ah ah ah et tu viens me voir alors que je te fais peur, ricane Alastor, agacé.
— Pas toi, les méchants ! Et s’ils avaient une arme pour se défendre ! Tu te rends compte de ce que tu fais ? Si tu venais à être gravement blessé, tu laisserais seule Elise ! rétorque Sarah.
Alastor cligne des yeux, puis se met à rire avant de partir dans un fou rire, comme devenu fou. Il se reprend, Sarah fronçant les sourcils, maintenant par réflexe ses distances avec l’homme.
— Ma belle, tu es aussi folle que moi ! Tu arrives à avoir de la pitié pour un meurtrier ?
— J’ai de la peine pour ta mère qui est une bonne personne et dont je n’ai pas envie de la voir souffrir à cause des actes de son fils !
Alastor sourit d’ironie, il s’approche de Sarah, posant sa main sur son épaule. La pièce est faiblement éclairée par la lueur d’une lampe à huile.
— Sérieusement Sarah, pourquoi es-tu venue voir ici au lieu de faire semblant de rien ?
— Je ne sais pas. M’assurer que tu n’aies rien.
— Je ne sais pas si je dois prendre ton comportement comme de la naïveté ou de la folie, ma grande. Je ne suis pas blessé, tu ferais mieux d’aller te coucher, je viendrai te donner ton somnifère une fois que j’aurai fini ici.
Elle tourne le regard vers le corps, puis regarde de nouveau Alastor, elle s’en approche et lui dit à voix basse :
— Alastor, tu sais que tu as les yeux rouges, un peu comme les vampires dans les romans.
Le brun se raidit, il se redresse et s’en va voir dans le petit miroir présent dans la pièce, s’apercevant que les dires de Sarah sont vrais. Ses iris sont même légèrement déformées, comme devenues ovales. Il sourit à pleines dents, bien conscient de ce qu’il se passe, remarquant alors qu’il a également les canines plus pointues… Il baisse la tête, serrant les dents.
— Sarah, as-tu déjà entendu parler de la fièvre du wendigo ?
— Oui… Mais, ce sont les gens qui en mangent d’autres qui en deviennent ?
Sarah écarquille les yeux, dévisageant Alastor avec effroi, celui-ci se retournant sur la jeune fille, la voyant déjà partir en courant…
— Tu as… mangé quelqu’un ?
Alastor rabat ses yeux sur le corps, mangé, non… Mais, il n’a pas ramené le corps chez lui sans raison.
— Quand j’avais ton âge, j’ai eu recours au vaudou pour me donner la force de m’opposer à mon père. Le rituel devait simplement me donner du courage, en le tuant, j’ai modifié le rituel et me suis maudit. Je peux me contrôler, mais au bout d’un moment, cela devient un besoin incontrôlable, de punir ceux qui ressemblent à mon père, explique Alastor.
— Tu vas devenir un wendigo ? demande Sarah.
Alastor prend une lente inspiration, fermant les yeux avant de les rouvrir sur le jeune :
— C’est fort probable. Je ne peux pas résister à mes envies, tôt ou tard, je m’attaquerai à quelqu’un.
— C’est pour cela que tu as choisi les méchants ? Dit Sarah.
Non, cela lui est purement personnel, il aurait pu, s’il n’avait pas un certain code d’honneur, s’attaquer à n’importe qui. Mais il essaie tout de même de se contenir, de ne pas agir comme une simple bête assoiffée de sang. Même dans ses meurtres, il essaie de rester sophistiqué, mais pour Sarah, il se contente d’un hochement de tête pour lui répondre.
Sarah regarde le corps, cela la dégoûte, mais en même temps la fascine un peu. Si Alastor se débarrasse de toutes les personnes comme leurs pères, il n’y aura plus jamais d’orphelin, ni de mère tuée ou battue…
Elle regarde l’homme avec détermination :
— Est-ce que je peux t’aider ? À cacher les corps ou lutter contre tes envies ?
Alastor en lève un sourcil, elle est bien en train de lui demander de devenir sa partenaire de crime, là ?
— Chérie, j’apprécie ta dévotion, mais je pense que tu as déjà assez de troubles qui te tournent autour pour te mettre en plus cette charge sur le dos. Et en parlant de charge, que penses-tu du traitement du médecin ?
Sarah sursaute et blanchit à vue d’œil, elle se chipote les doigts, puis d’une petite voix dit tout en déviant les yeux :
— Je suis déjà corrompue et c’est un médecin, il ne faut pas contester ses dires, répond Sarah.
Elle ferme les yeux se maudissant de ne plus avoir sa franchise de tout à l’heure ! Si elle arrive à affronter un tueur, qu’elle arrive à lui proposer son aide, pourquoi n’arrive-t-elle pas à refuser l’ordre donné par un autre homme ? Sarah reprend la parole, tout en mesurant ses mots, cherchant un moyen de glisser à côté de l’indication sans la refuser tout bonnement :
— À vrai dire, je pensais plutôt m’en passer pour le moment. Tu contrôles mes prises de calmants et ne m’en donnes que quand j’ai une grosse crise. Je préfère garder cette option comme une solution de dernier recours, explique-t-elle à voix basse.
Alastor sourit, bonne esquisse, pense-t-il pour lui-même.
— Bien entendu, ce n’est que la première semaine, c’est normal que tu fasses de grosses crises, je trouve que tu t’en sors bien pour un début de sevrage, je suis certain que tu n’as pas besoin de cette méthode, ni même de tes médicaments.
Alastor regarde la bâche qui cache son délit, il ne peut pas le laisser ainsi, mais il ne peut pas décemment montrer la suite à Sarah.
— Ma grande, si tu veux trouver une solution pour que je ne commette plus de meurtre, je te laisse faire, mais, laisse-moi gérer le reste seul, tu veux bien ?
— D’accord… répond Sarah quelque peu déçue.
Alastor la dévisage, puis sourit plus doucement à la jeune fille, attrape la boîte de somnifères et donne une gélule à Sarah.
— Prends-la si tu en as besoin ou laisse-la sur ta table de chevet. Mais repose-toi, je fais la soirée demain à la station et je veux que tu viennes avec moi présenter ton script à mes auditeurs.
Sarah referme la main sur la pilule, regarde Alastor puis lui sourit. Elle écarquille alors soudain les yeux tandis qu’elle attrape le pan de son pantalon.
— Seigneur, je suis en pyjama ! Ne me regarde pas !
Alastor cligne des yeux, alors que celle-ci se précipite hors du garage pour rentrer se cacher… Alastor esquisse un petit sourire.
— C’est un peu tard pour t’en rendre compte et ce ne devrait pas être ce détail qui devrait te faire détaler.
Il se tourne vers le corps, soulève la bâche tout en regardant l’homme avec dédain. Son regard s’assombrissant. Il le tire et le pose sur la table, réfléchissant à comment le débiter pour qu’il soit plus facile à cacher et à transporter jusqu’à la zone de chasse. Il lui faudrait bien aller chercher son cheval pour bien faire.