L'apprentie
Chapitre 6 – overdose :
Le son du réveil retentit dans la chambre depuis plusieurs minutes, mais Sarah ne réagit pas. Après un moment, Angélique entre en trombe, coupe le réveil et secoue Sarah comme un chiffon. La jeune fille a du mal à se réveiller, ce qui surprend Angélique.
— Sarah, allez, debout, tu ne vas tout de même pas arriver en retard à ta formation ! Sarah ?
Elle repose Sarah, trouvant étrange qu’elle ne réagisse pas. Elle regarde autour d’elle, cherchant la cause de son trouble, possiblement de l’alcool. Son regard s’arrête sur la table de chevet, remarquant un verre d’eau et un flacon de médicaments vide. Elle saisit la boîte, lit l’inscription et réalise que cela ne fait pas longtemps qu’elle l’a et qu’elle est censée tenir le mois avec, pourtant celui-ci est déjà vide. La lumière se fait immédiatement chez Angélique : Sarah a fortement dépassé les doses recommandées de morphine ! Elle se redresse en hâte et quitte la chambre.
— Appelez un médecin, vite ! Sarah ne se réveille pas, je crois qu’elle fait une overdose de morphine ! hurle-t-elle dans les couloirs.
Elle se précipite à l’accueil et dans les bureaux de l’administration de la pension, répétant son appel à l’aide. Immédiatement, le médecin qui s’occupe des femmes résidant à la pension est averti et se dépêche de venir pour prendre en charge Sarah. Le temps qu’il arrive, on demande aux personnes présentes d’essayer de réveiller Sarah en lui donnant un bain froid, tout en faisant attention de ne pas lui provoquer une hypothermie.
Le médecin arrive, se hâte jusqu’à la chambre, vérifie la pâleur et la contraction excessive des pupilles de Sarah, affirmant l’état léthargique causé par la surdose de morphine. Il s’empresse de lui administrer une dose de naloxone pour contrer les effets du poison qui circule dans ses veines et stimule Sarah.
Celle-ci ouvre enfin les yeux, réagissant à peine à la présence du médecin, ne parvenant pas à suivre ses mouvements. Elle reste évasive, incapable de parler ni même de se lever. L’homme la surveille, l’accompagne jusqu’à ce qu’elle puisse au moins boire seule un verre d’eau.
Angélique, inquiète, reste à son chevet tandis que le médecin saisit la boîte de morphine, regarde le nom du médecin qui la lui a prescrite et se rend à l’accueil pour appeler celui-ci.
Angélique tapote la joue de Sarah pour qu’elle reste éveillée. Elle lui a préparé un bouillon pour qu’elle ne reste pas l’estomac vide, mais Sarah ne parvient pas à manger. Elle se tend alors, son estomac se retournant, et se met à vomir sur elle.
Angélique se redresse, énervée, s’en va prendre de quoi nettoyer et revient avec la même colère :
— Petite empotée ! Regarde dans quel état tu es ! Franchement ! Tu avais la possibilité de faire autre chose de ta vie de femme, tu as eu la chance de trouver un homme qui ne te rappelle pas où est ta place et regarde comment tu gâches cette chance ! Ma fille, j’espère que tu vas te reprendre et aller t’excuser pour ce comportement déplorable et supplier Alastor de te pardonner et de continuer de te chaperonner ! Tu m’entends, Sarah ? Bon sang, pourquoi es-tu allée jusque-là ? Que se passe-t-il dans ta petite tête pour que tu aies besoin de faire ça ? sanglote Angélique.
Sarah ne réagit pas, bien qu’elle ait les yeux sur la jeune femme, les larmes coulant sur ses joues. Angélique se tourne vers le responsable qui vient voir l’état de Sarah.
— J’ai informé l’orphelinat et le patron de la station de radio. Sarah, tu vas rester ici quelques jours sous surveillance et tu retourneras ensuite à l’orphelinat, le temps de ton sevrage.
Elle détourne les yeux sans rien dire… Elle regarde le plafond, comprenant que cela signifie aussi qu’elle peut dire au revoir à sa carrière.
Alastor est surpris de ne pas voir la jeune fille dans le tramway, ni arriver à la station dans les minutes qui suivent. Rater la séance d’information et de préparation n’est pas très grave en soi, mais il espère la voir arriver pour la faire participer aux émissions. Il patiente, ignorant les remarques subtiles de certains collègues quant à son « appréciation » de la jeune fille. Il trouve tout de même cela surprenant, au vu de la motivation qu’elle lui avait montrée. Il en vient à se demander s’il ne lui serait pas arrivé quelque chose en venant seule à la station. Est-ce qu’il y aurait encore d’autres hommes comme ceux qu’il a corrigés hier, qui rôderaient près de la pension ?
Alastor doit commencer son émission sans Sarah. Cela l’irrite un peu, mais il annonce simplement que la jeune fille ne l’accompagnera pas aujourd’hui puisqu’elle doit aussi apprendre en restant en coulisse. Il narre son émission avec le même entrain, jusqu’à ce que son temps de diffusion soit atteint. Il pose alors son casque, les yeux dans le vague, se demandant pourquoi elle n’est pas venue. Il entend alors frapper à la porte. Il tourne son regard vers celle-ci, apercevant son supérieur au travers de la fenêtre. Il coupe l’antenne et se lève pour le rejoindre hors du studio.
— Le responsable de Sarah m’a téléphoné. Elle est alitée pour quelques jours selon ses dires. Il ne m’a pas donné plus d’informations sur son état, par contre, ils ont pris la décision de la renvoyer à l’orphelinat. Je ne t’en avais pas informé, mais elle est une pupille de l’État.
— Je l’ai remarqué, je l’ai raccompagnée à sa pension. Et pour quelle raison la renvoient-ils ?
— Je n’en sais rien, mais c’est qu’elle a dû faire quelque chose que la pension ne peut prendre en charge, répond simplement l’homme.
Alastor le regarde s’éloigner, tout en laissant une longue expiration passer. Cela doit avoir un lien avec ses médicaments. Aurait-elle dépassé la dose ? Il ne voit que cette possibilité pour qu’elle reste alitée et soit chassée par la suite. Cela l’agace, il n’a pas envie de baisser si facilement les bras. Demain, il n’a pas de diffusion dans l’après-midi, il profitera de ce moment pour aller la voir.
Alastor sort du tramway, ajuste sa veste et marche en direction de la pension. Devant, il y voit un médecin sortir d’une voiture et se diriger vers la pension. Alastor accélère le pas tout en ouvrant les bras dans une posture théâtrale.
— Docteur Ferrant, quelle surprise de vous croiser ici, déclare le brun.
L’homme se retourne à son nom et reconnaît immédiatement Alastor, qu’il accueille avec un sourire tout en lui tendant la main pour une poignée respectueuse. Un homme dans la quarantaine, cheveux et barbe grise, un tantinet enveloppé, en costume élégant.
— Monsieur Landry ! Comment se porte votre charmante mère ?
— Comme un charme, votre traitement contre l’arthrose fait des merveilles, je dois presque lui courir après dans la maison pour qu’elle reste tranquille, plaisante Alastor.
— Que faites-vous par ici, mon cher ? demande le médecin.
— Je suis venu rendre visite à ma protégée, la petite Sarah Martin, j’ai le plaisir de la former à la station de radio, réplique Alastor.
— Je vois ! Mais je crains, hélas, que sa formation ne s’achève ici. Voyez-vous, la pauvre petite a été placée sous morphine par son incompétent de médecin qui n’a fait aucun suivi par rapport aux prises. Vous devez savoir que l’addiction à ces médicaments est un vrai problème. L’homme détourne la tête de colère : Cet homme, je lui ai téléphoné pour l’informer de l’état de sa patiente ! Savez-vous ce qu’il m’a répondu, cet ingrat ? Qu’elle n’était plus sa préoccupation puisqu’elle a changé de ville et qu’il considérait comme logique que Sarah chercherait d’office un médecin traitant dans cette ville ! Ah ! Cet idiot aurait dû directement prévenir la pension pour son traitement, directement me prévenir moi pour que je prenne le relais !
Alastor plisse les yeux face aux dires de son médecin, mais lui sourit tout en posant une main réconfortante sur l’épaule de l’homme.
— Docteur, je suis certain que Sarah n’est plus en danger grâce à votre intervention. Pourriez-vous m’aider pour que je puisse la voir ? Je doute que je puisse, sans justification valable ou poussant, me rendre dans sa chambre.
— Oui, bien sûr, cela la fera peut-être un peu réagir, elle est toujours comateuse.
Alastor incline poliment la tête et suit l’homme, qui s’arrange avec les responsables pour autoriser la présence du brun. Bien sûr, sa prestance et son éloquence, en plus de sa popularité, l’aident grandement à recevoir quelques privilèges, et Alastor ne se gêne pas d’en profiter et d’en jouer surtout.
Il accompagne le médecin jusque dans la chambre de Sarah qui a les yeux ouverts, mais rivés sur le plafond. Elle ne tourne même pas la tête vers eux. Alastor reste en retrait par politesse le temps que le médecin vérifie l’état de la jeune fille.
— Sarah, tu m’entends ?
Elle tourne les yeux et hoche lentement la tête. Son teint est toujours pâle, ses pupilles ont un peu plus de réponse qu’hier, mais le manque la fait trembler et vomir.
— Tu as de la visite, Alastor Landry est venu te voir, c’est gentil de sa part, n’est-ce pas ?
Alastor s’avance vers elle. Sarah tourne la tête avec lenteur vers lui et, une fois qu’elle fait le point sur son visage, se met à trembler et à pleurer, sa respiration devenant rapide. Le médecin attrape sa valise et sort des anxiolytiques qu’il injecte directement à la jeune fille pour calmer sa crise. Il pose sa main sur ses yeux, tout en parlant calmement à Sarah, en lui demandant de se concentrer sur sa respiration.
Elle se détend, son corps cessant de trembler. Il retire doucement sa main, en félicitant la jeune fille pour avoir retrouvé son calme, et lui donne un verre d’eau pour qu’elle s’hydrate. Le médecin se lève, se redresse et fait face à Alastor.
— Elle va devoir faire un sevrage. La pension ne veut pas prendre le risque de la surveiller. Elle retourne dans deux jours à l’orphelinat à Metairie, explique le médecin.
— Serait-il possible que je prenne en charge son sevrage ? Je pense qu’elle a besoin d’un milieu calme et de personnes qui auraient toute la possibilité de prendre soin d’elle. Je ne dis pas que l’orphelinat ne le pourrait pas, mais il serait plus facile pour ma mère et moi de nous concentrer sur une enfant, plutôt que de demander à quelques tuteurs de devoir se concentrer sur une enfant à problèmes avec les autres enfants dont ils ont la surveillance.
Le médecin écarquille les yeux puis attrape sa barbe, pesant le pour et le contre. En soi, il ne voit pas pourquoi Alastor et sa mère ne seraient pas qualifiés pour prendre soin de Sarah. Le médecin sait à quel point Alastor, malgré son humour, prend soin de sa mère. Il lève les yeux et hoche la tête.
— Cela serait bien mieux pour elle d’être dans un environnement sain. La douceur de votre mère et votre attention ne pourraient que lui faire grand bien. Je vais en parler avec les responsables.
Alastor acquiesce et laisse l’homme aller vers l’accueil. Il vient s’asseoir sur le bord du lit de la jeune fille qui détourne les yeux. Alastor l’observe, elle est toujours tremblante, même si cela reste léger. Elle a une légère odeur âcre, ce qui lui fait dire qu’elle a eu des vomissements. Il pose doucement sa main sur l’épaule de Sarah.
— Qu’as-tu essayé de faire ? demande Alastor.
Sarah fronce les sourcils, refusant de répondre.
— Tu as entendu, je vais certainement obtenir ta garde. Tu n’auras plus à avoir peur, dit Alastor.
Sarah le regarde alors avec les yeux écarquillés tout en secouant doucement la tête de côté.
— Je… préfère retourner à l’orphelinat, dit-elle à voix basse.
Alastor se redresse, écarquillant également les siens sous l’annonce de la jeune fille.
— Cela te dérange que je te prenne en charge ? demande-t-il.
— Je ne veux pas être un poids, dit-elle.
— Si je le propose, ma chère, c’est que tu n’en es pas un.
Sarah détourne la tête, ses gestes sont lents et sa parole aussi, toutefois elle semble ancrée dans l’idée de ne pas vouloir aller chez lui. Alastor fronce les yeux, ne comprenant pas. L’intimide-t-il à ce point ? Est-ce qu’elle refuse l’autorité d’un homme à ce point ?
Alastor se retourne vers le médecin et le responsable de Sarah, ici à la pension. Il se lève et discute avec eux sur les accords et modalités qu’il va falloir suivre pour une prise en charge temporaire de Sarah. Ils discutent avec la femme, le médecin soutenant Alastor. Toutefois, elle doit aussi avoir l’approbation de l’orphelinat de Sarah et de la jeune fille elle-même.
Le médecin repart avec la femme pour appeler l’orphelinat de Sainte-Marie et Alastor revient vers Sarah. Encore une fois, il s’assoit près d’elle.
— Es-tu certaine de ce que tu veux ? Je vais obtenir ta garde. Tu ne me penses pas apte à te surveiller ou justement ne veux-tu pas l’être ? déclare le brun.
Sarah refuse de le regarder, elle cogite, se demandant ce qu’elle devrait faire puis à faible voix lui dit :
— Je sais ce que tu as fait… à ces hommes, dit-elle, la voix éteinte.
Alastor sent un frisson d’effroi lui traverser le dos, lui soulevant les poils de son corps. Ses pupilles se dilatent sous l’effet de l’adrénaline qui court dans ses veines. Il serre les mains de nervosité et se met à sourire comme un fou.
— Quel esprit créatif, Sarah, tu me surprends !
— Je les ai vus te poursuivre. J’ai eu peur qu’ils te fassent du mal. Je voulais simplement crier pour leur faire peur, mais quand je t’ai rattrapé… Je t’ai vu l’étrangler…
Alastor tressaille, son corps se figeant complètement alors qu’il sent la sueur perler dans son dos et sur son front. Elle l’a vraiment vue ! Que faire ? Il ne peut pas se risquer à garder un témoin ! Est-ce cela qui l’a poussée à prendre à l’excès ses cachets ? Probablement ! Elle doit absolument accepter la garde, il ne peut pas la laisser partir, il doit s’assurer qu’elle se taise, qu’il la fasse se taire ! Elle est malade, dire qu’elle a fui ne sera en rien suspect, il peut faire croire à un suicide…
— Sarah… Tu dois comprendre que ce que j’ai fait n’est pas aussi affreux que tu le penses. Ces hommes, penses-tu qu’ils n’auraient pas recommencé ? Ils ont pris la pension pour cible, ils vous ont prises, toi et tes amies, pour cible. Je ne pouvais pas les laisser faire. Prévenir la police n’aurait rien changé si c’est ce que tu te dis, ils n’auraient pas agi sans preuve. J’ai été radical, mais j’ai préféré agir plutôt que d’espérer que justice soit faite.
Alastor regarde Sarah qui le dévisage avec confusion. Il continue de sourire, se forçant à avoir une expression plus douce, moins intimidante malgré sa nervosité palpable.
— Ne comprends-tu pas que j’ai fait ça pour toi ? Parce que je refuse de risquer que tu sois attaquée ? Je crois en toi, Sarah, je veux te voir devenir la femme indépendante que tu rêves d’être !
Sarah recommence à trembler, elle détourne les yeux essayant de réfléchir à ce qu’Alastor vient de lui dire, analyser ses paroles, son comportement par rapport à celui de son père… Alastor ne s’est jamais montré violent envers elle, ni envers ses amies, même Angélique qui a pourtant été hautaine. Son père, malgré son acte, n’a jamais été puni. Elle relève les yeux vers Alastor, puis vers le médecin et sa responsable.
— Sarah, l’administration de Sainte-Marie accepte de te laisser sous le tutorat de monsieur Landry. Acceptes-tu ? Ce ne sera que temporaire, le temps que tu ailles mieux, demande la femme. Nous avons informé les autorités locales pour qu’ils vous concèdent une dérogation d’urgence.
Sur le coup, Alastor se tend. Si la police vient, avec l’état fragile de Sarah, cela pourrait jouer contre lui, mais il doit attendre que les papiers soient faits. Il devra au moins patienter une dizaine de jours pour recevoir l’autorisation. Elle pourrait très bien, d’ici là, le dénoncer, et entrer en douce dans le bâtiment ne sera pas facile non plus.
Les adultes sortent Alastor, discutant à voix basse.
— Est-il nécessaire d’avoir l’accord de Sarah ? Pensez-vous qu’elle soit vraiment en état de prendre les bonnes décisions ? Je l’ai vue prendre ses médicaments à plusieurs reprises au studio, j’ai vu la prescription du médecin, j’ai cru qu’elle avait de ce fait un suivi.
— Monsieur Landry a raison, Sarah serait bien mieux dans un environnement calme. Je dois aussi vous dire, monsieur Landry, que Sarah est sous antidépresseurs depuis ses cinq ans. Elle aurait dû avoir un bien meilleur suivi si mon collègue avait joué son rôle comme il le devait ! Sarah a été violentée par son père. Elle l’a vu tuer sa mère et il a bien failli tuer sa propre fille. Elle prend ses médicaments pour supporter le choc de ce traumatisme.
— Je l’ignorais ! Je savais que son père avait été violent, mais pas à ce point, s’insurge la responsable.
— Je comprends sa nervosité à mes côtés, répond Alastor. Je continue à dire qu’elle a grandement besoin d’être prise en charge dans les plus brefs délais ! Je suis certain que la compagnie de maman sera parfaite pour soulager le mental de Miss Martin et je pourrais lui montrer que tous les hommes ne sont pas des vauriens !
— Sarah en a grandement besoin, ajoute le médecin.
— Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre, messieurs, mais les policiers. Je suis certaine que Sarah sera entre bonnes mains avec monsieur et madame Landry. Nous nous croisons souvent au marché, je sais à quel point Madame est une personne agréable.
Alastor sourit à la responsable. Ils n’ont plus qu’à attendre la police, qui finit par arriver. Encore une fois, la discussion est intense et, comme pour le médecin et la responsable, les deux agents ne trouvent rien à redire quant à confier Sarah à Alastor. Ils signent une dérogation d’urgence, tous les trois, mais par principe, ils montent tout de même voir Sarah pour qu’elle appose elle aussi sa signature :
— Miss Martin, je pense que vous êtes au courant que monsieur Landry compte vous héberger chez lui et sa maman ? Êtes-vous d’accord ?
Sarah reste surprise. Il n’avait pas dit qu’il vivait aussi avec sa maman. Elle regarde Alastor, qui lui sourit doucement, puis l’agent de police.
— Je suis d’accord, répond-elle, et signe le document.
Alastor plisse les yeux, tout de même surpris par ce revirement et cette prise de décision rapide. Lui qui était en train de rassembler toutes les excuses possibles pour ne pas prendre en compte l’avis de la jeune fille !
La responsable aide la jeune fille à faire sa valise, tandis que le médecin prescrit des anxiolytiques et des sédatifs légers pour aider Sarah. Le sédatif est pour l’aider à s’endormir, les anxiolytiques en cas de fortes crises de manque.
Alastor et Sarah sont accompagnés par les policiers pour aller chez lui. Il se sent nerveux, espérant que ceux-ci n’iront pas vérifier le garage. Une fois devant sa demeure, il ouvre et fait entrer les agents et Sarah avant de refermer.
Sa mère, assise dans le salon à lire un livre tout en buvant sa tasse de café, regarde son fils, la jeune fille et les policiers entrer tout en écarquillant les yeux.
— Ne me dis pas que tu l’as mise enceinte ou je te mets une fessée même devant ces messieurs !
Alastor écarquille les yeux devant la réflexion de sa mère, gardant son sang-froid pour ne pas éclater de rire. Les agents détournent leurs têtes pour éviter de partir en fou rire eux aussi.
— Mère, je vous présente Sarah Martin, la petite stagiaire dont je m’occupe. La miss a fait une overdose de morphine et j’ai proposé à l’orphelinat de la prendre en charge le temps du sevrage.
Sa mère écarquille de suite les yeux.
— L’orphelinat ? Seigneur, ma pauvre, bien sûr ! Mais pourquoi ne m’as-tu pas prévenue de votre arrivée, j’aurais directement préparé la chambre !
Elle se lève tout en venant serrer Sarah dans ses bras, celle-ci sursautant, puis emporte la jeune fille avec elle pour lui montrer la chambre.
— Venez, ma chère ! Nous allons vous remettre sur pied, vous verrez, vous n’aurez plus jamais besoin de ces horribles médicaments !
Alastor sourit devant l’entrain de sa mère. Il était certain de sa réaction, c’est une femme charmante et compatissante. Elle a toujours été horrifiée à l’idée que des enfants puissent être orphelins. Alastor se tourne vers les policiers et leur fait une visite de la maison, des chambres, et de la buanderie. Ceux-ci ne cherchent pas à aller jusqu’au garage. Pour eux, la jeune fille est en sécurité, ils signent la dérogation d’urgence et s’en vont en laissant Alastor accueillir plus calmement Sarah chez lui.
Il monte rejoindre les femmes, attrapant doucement sa mère par les épaules.
— Doucement, mère ! Ménagez votre cœur ! Je m’occupe de Sarah, je vais déplacer le lit d’ami dans ma chambre, je tiens à garder un œil sur elle les premiers jours, dit-il en jetant un œil vers Sarah.
— Alastor ! Cela ne se fait pas de dormir dans la même pièce avec une femme dont tu n’es pas marié ! Cette petite a aussi besoin d’intimité ! Si tu veux qu’elle ne dorme pas seule, elle dormira avec moi !
— D’accord, d’accord, mère, ne vous énervez pas, rit Alastor. Tu as des sédatifs à prendre pour t’aider, je resterai le temps que tu t’endormes et je te laisserai tranquille.
Sarah déglutit, pourquoi a-t-elle soudain l’impression d’avoir fait une erreur d’accepter ? Elle dépose ses affaires, fait un peu de rangement et revient vers Alastor et sa mère. Ils mangent un repas simple et pas trop lourd pour elle, puis Sarah aide Alastor avec la vaisselle. La sueur lui coule le long de la colonne alors qu’elle le voit laver avec insistance un couteau à viande.
— Je me sens fatiguée, pourrais-je monter me coucher juste après ?
— Bien sûr, veux-tu tout de suite ton sédatif ou veux-tu attendre un peu ? J’ai plusieurs romans dans ma bibliothèque, si tu veux lire. Je peux te tutoyer ?
— Oui, cela ne me dérange pas, et je veux bien lire un peu avant de dormir si cela ne vous dérange pas.
— Évidemment que non, ma chère, je ne te le proposerais pas sinon. Tutoie-moi également, je te prie.
Sarah déglutit. La vaisselle finie, elle accompagne Alastor jusqu’à la bibliothèque qui se trouve dans le salon, choisit un livre et, encore une fois, celui-ci l’accompagne dans sa chambre. Sarah est mal à l’aise, elle pensait qu’il la laisserait tranquille, mais il a aussi pris un livre et vient s’asseoir dans un fauteuil non loin du lit pour lire. Sarah le regarde avec frayeur, mais...
— Mon père… Il n’a pris qu’un an de prison. Il a plaidé l’état d’ivresse et son emportement à cause d’un adultère et d’une incertitude de paternité. J’étais jeune, mais je n’ai aucun souvenir positif de mon père. Il a écopé d’une année de prison et, à sa sortie, il m’a reniée. Je suis donc restée à l’orphelinat, chose dont je ne me plains pas. Tuer une personne, c’est cruel… Mais quand je vois notre justice, le fait que des excuses comme l’ivresse ou une supposition d’adultère puissent légitimer un tel acte, je me dis que… Peut-être, tu n’as pas tort de faire ce que tu fais. Après tout, la peine de mort attend ce genre de personne.
Alastor sourit pour lui-même. Heureusement que Sarah est jeune et facilement manipulable. Il ferme son livre et se penche en avant, prenant toutefois une expression sérieuse et mauvaise.
— Est-ce que tu me promets de garder cette discussion entre nous, Sarah ?
Elle hoche de la tête en le regardant.
— Mon père était lui aussi violent. Il nous rouait de coups, ma mère et moi, nous criait toujours dessus. Un jour, vers mes quinze ans, j’en ai eu marre de son comportement, de voir ma mère pleurer et cacher ses bleus sous des couches de maquillage. Je me suis violemment disputé avec lui et, après avoir reçu le coup de trop, j’ai vu rouge. C’est là que, pour la première fois, j’ai laissé ma rage parler. J’ai frappé mon père, encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne soit plus capable de parler. J’ai mis mes mains sur sa gorge et j’ai serré, jusqu’à ce qu’il cesse de respirer, explique Alastor en remontant ses cheveux. J’ai dit à ma mère qu’après notre dispute, il était parti. Ma mère croit qu’il nous a abandonnés, qu’il est parti refaire sa vie ailleurs, et je n’en suis pas désolé. J’ai toujours mieux su prendre soin de ma mère que lui. Elle est heureuse avec moi, elle ne l’était pas avec lui. Elle ne se fige pas quand je m’agite. Lui, sa voix nous glaçait le sang. Je sais que mes actes ne sont pas corrects, je ne me considère pas comme une bonne personne. Je veux simplement que le monde où ma mère vit soit doux pour elle. Et maintenant que je te prends à ma charge, je compte en faire de même pour toi, Sarah.
Sarah l’écoute, les yeux écarquillés ! Comment fait-il pour ne pas être plus blessé que cela ? Peut-être parce qu’il est un homme et qu’il se doit de ne pas montrer sa faiblesse.
— Que ce soit une petite fille, un petit garçon ou une mère de famille, un père… un homme ne devrait jamais avoir recours à la violence. Je ne dirai rien, je ne te considère pas comme une mauvaise personne, Alastor.
Celui-ci sourit. Il n’a pas menti, il espérait cette réaction, mais il doit avouer qu’il est soulagé de l’entendre dire ces mots.
— Merci, Sarah. Je vais te laisser. Si tu as besoin de ton médicament pour t’endormir, n’hésite pas à venir me le demander, même si je dors. Je suis toujours déterminé à faire de toi une animatrice radio exemplaire !
Il lui sourit, se redresse et s’apprête à quitter la chambre. Il ouvre la porte, se tourne vers Sarah et referme derrière lui. Sarah sent son cœur se calmer, ses tensions se dissiper. Elle s’est sentie menacée, mais elle n’a plus cette étrange impression. Cela lui fait bizarre d’être aussi bien traitée par des étrangers qui n’ont aucun lien de sang avec elle, mais elle trouve cela réconfortant. La maman d’Alastor semble très gentille et elle peut comprendre les actions d’Alastor, elle n’est pas certaine de les approuver, mais elle les comprend. Elle ne dira rien, parce qu’elle n’a pas envie de blesser sa maman, parce qu’elle n’a pas envie de faire du tort à une personne qui jusqu’à maintenant a toujours agi pour son bien.