L'apprentie

Chapitre 5 : Alastor

3128 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/08/2024 16:16

Chapitre 5 – Alastor :

Après la bibliothèque, Alastor et Sarah sont allés faire un tour dans les rues, en repérage de certains événements qui vont avoir lieu et qu’Alastor va couvrir. Notamment un festival de musique qu’il apprécie fortement et qu’il anime depuis quatre ans maintenant. Bien sûr, il compte sur la présence de Sarah. Plonger cette dernière en plein milieu de ce genre d’événement, il n’y a que lui pour y penser, mais c’est en forgeant que l’on devient forgeron. Sarah n’aura ainsi aucune surprise, elle saura très vite avec lui, si elle est faite pour ce métier.

 

Comme la veille, Alastor amène Sarah déjeuner avec lui et encore une fois, elle se sent mal qu’il le fasse. Sarah se contente d’un plat simple, bien qu’Alastor l’encourage à goûter le plat du chef, que lui-même prend. Sarah observe un peu Alastor, il semble être un gourmet. Sarah regarde Alastor tout autant que les passants autour d’eux. La foule la rend malade, mais elle doit faire l’effort de s’y habituer. Elle serre son sac, elle devrait reprendre un cachet avant de faire une crise de panique.

 

Alastor remarque sa nervosité, elle se ronge les ongles, son regard se tourne sur chaque mouvement comme un chien que l’on approcherait avec une trique. Alastor soupire, comment ne peut-elle pas être détendue en sa présence malgré son charme et son charisme ? Doit-il avouer qu’il a plutôt l’habitude de parler avec des personnes qui ont au minimum son âge, rarement avec des personnes aussi jeunes que Sarah. Peut-être devrait-il faire comme il l’a dit à ses collègues, en la veillant comme sa fille ? Alastor décroche un sourire narquois à cette pensée… Nan, ça voudrait dire qu’il aurait eu Sarah à neuf ans, c’est impossible de se montrer paternel dans ce cas ! Il observe la jeune fille de ses yeux perçants :

 

— Est-ce que vous avez des loisirs, ma chère ?

 

Sarah remonte les yeux vers Alastor en rougissant, tout en chipotant dans ses cheveux.

 

— À l’orphelinat de Sainte-Marie, nous avions la chance d’avoir un professeur de musique qui venait nous enseigner le solfège et le maniement de certains instruments. Il m’arrive régulièrement de jouer du violon, dit-elle.

 

Alastor croise ses doigts sous son visage tout en se penchant d’un œil curieux sur Sarah.

 

— Intéressant ! Vous me feriez une démonstration ?

 

Sarah écarquille les yeux, elle sourit de nervosité, en entortillant ses mèches autour de ses doigts.

 

— Je ne suis pas une virtuose, mais je peux vous montrer une interprétation d’un des morceaux de Joe Venuti ?

— Vraiment ? Ce serait avec grand plaisir, ma chère ! Vous appréciez la culture musicale ?

— En Louisiane, ce serait un peu compliqué de passer à côté, même à Métairie, la musique a son importance, c’est tout de même de là-bas que je vous écoutais, déclare Sarah, plus sereine.

 

Alastor lui sourit plus franchement, un sourire sincère. Ils se tournent vers le serveur venant leur apporter leurs plats.

 

— Avez-vous d’autres talents ? demande Alastor.

 

Sarah qui mâchouille sa bouchée, détourne les yeux pensifs, elle avale, tout en rabattant son regard sur Alastor.

 

— Pas vraiment, j’adore lire, je pense que vous l’avez remarqué… Je me suis prise de passion pour ces disparitions et ces quelques meurtres disséminés dans la ville. Je veux dire, que j’aimerais les résoudre, trouver qui en est responsable.

— Pour cela, vous feriez mieux de devenir enquêtrice, plaisante Alastor.

 

Sarah secoue négativement la tête.

 

— Je ne pense pas, j’aime bien rassembler les informations, comme un puzzle, mais à vrai dire, je préférerais savoir que les personnes disparues sont simplement parties ailleurs. Peut-être vivre une histoire d’amour interdite ? plaisante Sarah. Les meurtres, cela me fait tout de même peur, j’aimerais surtout comprendre, pourquoi ? Mais je serais incapable, je pense, d’entendre les paroles de la personne si elle fait ça par pur plaisir, par pure folie, le macabre, ce n’est pas vraiment ma tasse de thé.

— Et vous dites aimer mon émission, ricane Alastor.

— Ce n’est pas la même chose. Votre humour ou vos thèmes sont lugubres, mais pas macabres, je veux dire, parler de choses effrayantes, mais pas au point de rendre les détails sordides.

— Je fais attention à garder mon émission tout public, mais, le macabre ne me pose pas de problème, plaisante Alastor.

— C’est un peu comme la chasse. Je n’en suis pas dérangée, il faut bien nous nourrir. Je n’ai pas de problème à voir un chasseur ramener un cerf, mais je serais incapable de le regarder dépecer l’animal. Même si, une fois dans mon assiette, je ne ferais pas la fine bouche, sourit Sarah.

— Vous êtes amatrice de gibier ? dit Alastor, tout en mangeant.

— Pas trop, enfin cela dépend. Je trouve les viandes des adultes trop fortes, mais j’apprécie le lapin ou encore le canard, le faon ou le marcassin, mais j’avoue que je me satisfais de volaille, de porc ou d’agneau.

— Ah, ah, vous l’avez dit vous-même, les femmes sont plus délicates, plaisante Alastor.

 

Sarah lui sourit puis détourne les yeux tout en replaçant une mèche de cheveux.

 

— Et vous, hormis la musique et vos émissions, avez-vous d’autres centres d’intérêt ? demande la rousse.

— Eh bien, je pratique la chasse, j’apprécie grandement cuisiner, en particulier pour ma mère, j’aime aussi danser et je suis bon cavalier, dit-il en faisant un clin d’œil à Sarah.

— Ciel ! Je n’ai jamais appris à le faire, je vous écraserais les pieds à coup sûr, déclare-t-elle.

— Tout s’apprend ! Je vous ferai danser à l’occasion, ricane Alastor.

 

Il remarque alors l’expression des personnes à côté de lui qui le dévisagent étrangement. Il en lève les yeux au ciel… Pas de cette façon, pense-t-il. Enfin, il a toujours eu ce comportement charmeur, cela lui est devenu naturel et il est vrai qu’il ne prête pas attention au fait que Sarah ne soit encore qu’une jeune fille. Alastor observe la rousse qui ne fait que sourire, rien dans son comportement ne laisse penser que Sarah a interprété ses paroles comme du rentre-dedans déguisé. Elle est certainement encore trop immature pour avoir des pensées mal placées, se dit Alastor tout en jetant un œil au couple à ses côtés, qui discutent tout en surveillant l’homme du coin de l’œil.

 

— Il y a un festival dans peu de temps, ce sera l’occasion et si vous me marchez sur les pieds, vous me paierez un verre, plaisante-t-il.

— Si vous buvez de l’alcool, j’espère que vous le tenez bien alors ! réplique Sarah.

— Je m’en sors plutôt bien, rit Alastor.

 

Le repas se finit, ils rejoignent la station de radio pour une nouvelle prestation. Sarah est toujours aussi nerveuse, elle suit Alastor dans le couloir pour rejoindre leur salle de diffusion.

Alastor montre son script à la jeune fille, pour qu’elle puisse avoir une idée du sujet, encore une fois Alastor les présente et fait participer Sarah comme il l’a fait la veille. Toutefois, pour la ménager un peu, il ne lui donne pas directement le sujet, mais lui pose de simples questions pour la faire interagir avec lui. Il en est de même avec les appels d’auditeurs qui participent à l’émission.

Sarah a tout de même pris un cachet juste avant la reprise, mais elle parvient tout de même à résister à l’envie une bonne partie de la représentation. Elle profite à chaque fois d’une pause pour s’isoler dans les toilettes pour le faire, mais elle ne se rend pas compte que le changement est tellement flagrant, qu’Alastor comprend tout de suite.

Comme la veille, l’homme la raccompagne jusqu’à chez elle, s’il peut dire. Dans le tramway, vu le monde, ils restent silencieux, mais une fois dans la rue, Alastor discute des prochaines émissions qu’ils auront à faire. Sarah a l’impression que ce qui l’attend est comme la mer à boire, mais quand elle réfléchit au moment qu’elle a déjà passé à l’antenne avec le brun, elle se dit qu’elle se met peut-être trop de pression.

Dans la rue, une jeune femme vient à les rejoindre dans la hâte, les yeux écarquillés et angoissés. Alastor détourne la tête vers les deux hommes un peu plus loin, bien trop bruyants à son goût, tandis que ceux-ci appellent la femme et lui parlent de façon vulgaire.

À peine arrive-t-elle vers eux, qu’Alastor brandit son bras, comprenant la situation, celle-ci s’y accroche, son cœur se calmant. Sarah dévisage la femme, c’est Aline, une des pensionnaires.

 

— Aline, est-ce que ça va ? demande-t-elle.

— Oh, Sarah, je n’avais pas vu que c’était toi. Ils me suivent depuis un moment, j’ai cru que je n’allais pas retrouver la pension, dit-elle, le souffle court.

— Calmez-vous, je vous raccompagne, dit Alastor tout en gardant un œil sur les deux hommes.

 

Ils parviennent devant la grille où il laisse Sarah et son amie retrouver la sécurité de la pension. Alastor se tourne vers les deux hommes qui se sont placés en vue. Ceux-ci l’attendent, l’odeur de l’alcool flotte dans l’air. Alastor dévie un peu sa trajectoire, mais au lieu d’aller vers le tramway, s’engage dans une petite rue peu éclairée par les réverbères. Les deux autres le suivent avec malice, ricanant face au comportement du brun.

 

— Attends-nous ! Où est-ce que tu cours ainsi ? Tu cherches d’autres femmes à sauver ? On ne comptait rien lui faire, on voulait juste un peu s’amuser.

— Allez, arrête de courir ainsi, mon gars ! Tu aurais dû te mêler de tes affaires, réplique l’autre, agressif.

 

Alastor s’engouffre cette fois dans une ruelle, courant jusqu’à l’autre bout. Le plus énervé des deux, prenant la mouche en le voyant faire, se met à le poursuivre, le sang dans ses veines s’échauffant. Il a beau lui lancer des insanités, Alastor continue de tourner dans les ruelles, l’homme finit par s’arrêter, le souffle court, il se retourne vers son acolyte dont il s’aperçoit seulement qu’il n’est pas parvenu à le suivre.

 

— Bon sang, Josef, où t’es ?

 

Il se retourne, sa tête lui tournant, il se penche alors pour vider son estomac. Il entend alors un bruit derrière lui et se retourne, pensant à son camarade. Il se prend alors une planche en pleine tête et tombe au sol. Il regarde Alastor qui s’approche, le regard noir et un sourire fou au visage.

 

— Sachez, très cher, que je ne supporte pas ce genre de comportement.

— Va au diable, vermine !

— C’est chose faite ! réplique Alastor.

 

Il se porte sur l’homme qui tente de se redresser et lui écrase le pied sur la tête ! Le cœur d’Alastor ralentit anormalement, son corps est parcouru de frissons frénétiques tandis qu’il continue à écraser son pied sur le visage de l’homme. Sa victime hurle et plaide sa pitié, cela ne fait qu’exciter Alastor qui s’acharne jusqu’à ne plus entendre la voix de l’homme, jusqu’à ce qu’un craquement sinistre lui fasse comprendre que tout est fini.

Il se redresse, sa respiration rapide sous l’effort qu’il vient de fournir, il glisse sa main dans ses cheveux, une expression de satisfaction sur le visage alors qu’il dégage ses cheveux pour en essuyer la sueur qui perle.

Il entend l’autre homme arriver et s’écarte pour se placer sous un angle plus sombre contre la faible luminosité de la ruelle.

 

— Conrad ? Où es-tu ? Tu as détalé comme un lièvre, sapristi !

 

Il bute contre le corps de son ami qu’il n’a pas encore reconnu, dont il n’a pas encore réalisé l’état. Ses yeux font le point dans l’obscurité, il se penche pour secouer l’homme jusqu’à remarquer… Il trébuche en arrière et tombe au sol. Celui-ci est plus imposant que son camarade et qu’Alastor. Il n’a pas le temps de réagir, de se relever qu’il est happé vers l’arrière, une ceinture lui enserrant la gorge. Alastor est allongé dans son dos, les pieds contre sa colonne pour l’éloigner de lui tandis qu’il tire de toutes ses forces sur la ceinture qu’il tient des deux mains. Aucun son ne sort cette fois, l’homme se débat, ses pieds frappent dans le vide. Ses mains sont rivées sur la ceinture à s’en griffer la peau sans parvenir à la dégager. Ses gestes se meurent, son corps se relâche et Alastor desserre sa prise. Il se relève et regarde les deux hommes avec un sourire malsain tout en riant d’effroi.

Il l’a encore fait ! C’est plus fort que lui, il doit le faire ! Il fixe le regard de l’homme qu’il vient d’étouffer et shoote dedans de rage.

 

— Ne me regarde pas ainsi ! C’est de ta faute ! Tu le mérites !

 

Il porte sa main à son visage, reprenant son calme, il inspire et se redresse tout en baissant les yeux sur ses chaussures et son pantalon. Fichtre, il va devoir les jeter…

Il regarde les corps, son cœur accélérant alors qu’il se fixe sur eux, son estomac vient à se tordre comme s’il mourait de faim, comme si cela faisait des lustres qu’il n’avait pas mangé. Il secoue la tête, se refusant de céder à cette envie qui le ronge pourtant de plus en plus. Il n’a même pas de quoi faire pour prendre un morceau ou même l’emporter discrètement.

Son regard ne se détache pas des corps, de la mare de sang qui se crée sous l’un d’eux. Lentement, il revient vers le corps, glisse ses doigts contre le crâne de sa victime pour en imbiber ses doigts qu’il porte alors à sa bouche en tremblant d’excitation. Il lèche ses doigts, laissant passer un gémissement jouissif, alors qu’il se laisse tomber en arrière tout en regardant le ciel nocturne. Ça y est, il devient délirant…

Alastor a fait un détour pour rentrer chez lui. Premièrement, pour éviter les zones bondées de la ville et éviter que quelqu’un ne le surprenne avec des vêtements tachés de sang. Deuxièmement, pour perdre un peu de temps avant de retrouver sa demeure, en espérant que sa mère ne l’ait pas attendu et soit déjà couchée. Il passe par la ruelle donnant accès à l’arrière des maisons ainsi qu’aux diverses dépendances. La plus éloignée est à la fois un garage et un abri de stockage. Il n’y a pas de fenêtre, juste des aérations en hauteur, et les deux dépendances sont cachées derrière un mur, puisque la première sert à abriter les machines pour laver le linge ainsi que les étendoirs intérieurs et extérieurs.

Alastor y entre et ferme immédiatement derrière lui. Bien qu’il n’y ait pas beaucoup de monde dans ce genre de ruelle, s’il est vu avec du sang sur ses vêtements en entrant dans le garage, même si on ne distingue pas son visage, les options pour la personne qui le verrait ne seraient pas très nombreuses. Surtout avec sa carrure bien distincte de celle de sa mère. Il se défait de ses habits souillés ainsi que de ses chaussures en grimaçant de dégoût. Il s’empresse de rincer à l’eau froide les taches de sang, de les frotter avec un bloc de savon et d'utiliser du peroxyde pour enlever les taches. Il vérifie chaque partie de son costume et de ses chaussures et sourit de satisfaction.

Il laisse le tout sécher sur une corde à linge, attrape des vêtements de rechange, se change et revient par la cour intérieure vers la buanderie pour entrer chez lui par l’arrière sans faire de bruit. Les lumières sont toutes éteintes, ce qui signifie que sa mère est partie se coucher.

Il enlève ses chaussures avant de rentrer, tout en les gardant en main, pour passer discrètement devant la chambre de cette dernière qui se trouve au rez-de-chaussée et éviter de devoir monter et descendre les marches. Il s’arrête devant la porte entrouverte et jette un œil curieux à sa mère qui dort paisiblement. Il sourit avec tendresse, toute malice dans son regard disparaissant, et continue son chemin pour rejoindre sa propre chambre. Il se défait encore une fois de ses vêtements, s’assoit sur son lit en vérifiant le réveil et s’allonge sans avoir aucun mal à trouver le sommeil, malgré les actes qu’il a commis il y a peu.

Alastor n’est jamais frappé par le remords lorsqu’il tue quelqu’un. Pour lui, ses actes sont justifiés. Il n’y voit aucune raison de culpabiliser pour prendre la vie d’une personne qui cherche à bafouer celle des autres. Pour lui, ce genre de personnes est tout simplement lâche. Il ne fait que nettoyer la ville de personnes qu’il considère comme indésirables et cela ne l’a jamais empêché de vivre tranquillement. Même la première fois que cela est arrivé, quand il a pris la décision d’ôter une vie, cela lui a semblé si facile, si naturel, tellement satisfaisant ! Cette personne n’avait rien de bon, il n’a fait qu’apaiser le fardeau de sa mère, son fardeau…

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