L'apprentie

Chapitre 4 : la bibliothèque

2609 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/08/2024 16:14

Chapitre 4 – la bibliothèque :

 

Sarah place son chapeau sur la tête, range les mèches qui dépassent, époussette et arrange sa tenue, puis prend une grande inspiration pour quitter sa chambre. Elle descend les marches pour rejoindre la salle commune où se tiennent plusieurs femmes dans les mêmes eaux qu’elle. Elle les salue par politesse bien que les regards froids jetés par ces dernières indiquent clairement leur hostilité envers la jeune fille. Le temps de rejoindre la porte d’entrée, Sarah peut entendre les remarques à voix haute que lui font ses consœurs. Ce sont toujours les mêmes histoires : elle devrait se marier au lieu de chercher du boulot là où il n’y a que des hommes. Elle se fait insulter, moquer, mais la rousse reste forte, elle relève la tête, prend sur elle, ouvre la porte et quitte le bâtiment pour se diriger vers le portail.

 

Elle aperçoit à l’entrée de celui-ci sa camarade de chambre, elle grimace, détournant les yeux, alors que la femme dans la vingtaine se tourne vers elle.

 

— Sarah, seigneur, quelle est cette tenue ? Ne sais-tu donc pas t’habiller comme une vraie femme ? Aucun homme ne se proposera à te marier si tu ne te mets pas un peu plus en valeur, ma pauvre !

— Bonjour Angélique, je vois que tu es de bonne humeur ce matin, rétorque Sarah.

— Quelle manière vulgaire, ma petite, ne t’a-t-on pas enseigné la politesse là d’où tu viens ? Ton foyer est dirigé par des rustres ?

 

Sarah lui sourit et lui fait une révérence tout en la dépassant, son regard se porte sur la rue où elle se raidit, son sourire se crispant en apercevant Alastor. Sarah en a des sueurs, la jeune fille priant pour qu’il n’ait pas assisté à cette scène ! Déjà qu’elle ne vaut rien en tant qu’orpheline, mais en plus s’il voit qu’elle ne sait pas rester à sa place ! L'idée qu'il puisse utiliser cette faiblesse contre elle lui traversa l'esprit.

 

Alastor l’accueille d’un large sourire, son regard figé sur elle, d’une façon un peu inquiétante tout de même.

 

— Bien le bonjour, ma chère demoiselle, dit Alastor tout en donnant son bras à Sarah.

 

Sarah tressaille et attrape lentement le bras de l’homme.

 

— Bonjour Alastor, votre matinée fut agréable ?

— Comme chaque matin, mais votre présence la rend que plus agréable encore, dit-il d’un ton charmeur.

 

Sarah rougit en écarquillant les yeux. Angélique qui observe la scène se redresse alors, interloquée par Alastor. Elle s’approche tout en faisant une révérence courtoise.

 

— Sarah tu ne nous présentes pas ? Quelle manière, dites-moi, il faut vraiment refaire ton éducation !

— Alastor, voici Angélique Jenkins. Angélique, je te présente Alastor Landry, mon formateur, répond Sarah avec gêne.

 

Angélique affiche un petit sourire narquois, tout en le cachant derrière son éventail. C’est une belle femme, aux courbes gracieuses dont les robes lui sied à merveille. Malgré son statut d’orpheline, Angélique, comparée à Sarah, a la prestance et surtout un titre et des richesses qu’elle gagnera en se mariant grâce à l’héritage de son père, décédé dans sa jeunesse.

 

— Tu as bien de la chance d’avoir un formateur aussi délicat, ma petite ! Mon cher, ne trouvez-vous pas cela contrariant qu’une femme ne sache pas rester à sa place ? Elle n’a même pas de quoi valoriser un potentiel mari, rétorque Angélique toujours cachée derrière son éventail.

 

Alastor dévisage la femme avec une expression narquoise, Sarah, elle, a baissé la tête, n’osant pas contredire Angélique. Il s'amusa intérieurement de la scène, voyant là une occasion parfaite de tester la résilience de Sarah. Alastor lève son bras libre, tout en s’exclamant :

 

— Très chère, serait-ce de la jalousie que j’entends là ? Sarah se choisira le mari qui lui plaira quand elle le voudra. En attendant, je me fais un plaisir de lui apprendre mon métier. Je suis un homme rigoureux et je compte bien faire de Sarah l’une des premières voix féminines de la radio, déclare Alastor, tout en soulevant légèrement Sarah pour lui faire redresser la tête.

 

Angélique se crispe, toujours cachée derrière son éventail qu’elle agite nerveusement.

 

— Absolument pas ! Sarah est ma cadette, je veux simplement lui éviter de se bercer de rêves et d’illusions. La vie n’est pas un conte de fées, encore moins pour une orpheline sans titre, ni richesse, qui n’a même pas été reconnue par son père, rétorque Angélique.

— À la bonne heure, je ne suis pas une illusion ! Vous entendez cela ma chère, vous allez devoir mettre du vôtre pour que je puisse me vanter auprès de mes auditeurs de votre futur succès, réplique Alastor avec entrain.

 

Sarah le dévisage avec un certain émoi, puis lui sourit de gratitude. Alastor salue courtoisement Angélique et entraîne Sarah avec lui.

 

— Cette conversation était des plus futiles, allons faire quelque chose de plus attrayant ! Vous aimez les bibliothèques ma chère ?

— Aimer serait trop peu exprimer mon ressenti quand je suis dans une pièce entourée de livres, déclare Sarah avec un petit sourire.

 

Alastor baisse les yeux sur elle, son sourire ne le quittant pas, il touche brièvement le bout de son index tout en marchant.

 

— Voilà le visage que je veux voir, laissez couler ces chimères et ignorez les vipères. Je me répète, quoique vous vouliez faire, je vous y encourage fortement et si cela se trouve être dans la radio, je ferai tout pour que vous y arriviez, mais il faut aussi y mettre du vôtre, déclare Alastor, son ton devenant étrangement sérieux.

— Je ne vous décevrai pas, répond simplement Sarah.

 

Ils s’en vont pour le quai de tramway, ainsi ils se rendent dans le centre-ville du quartier, où Alastor guide Sarah jusqu’à la grande bibliothèque principale de la ville. Sarah observe le monde tout autour d’elle, il y a pas mal de raffuts. Souvent, la cause vient d’une mésentente entre les personnes de couleur de peau différente. L’esclavage commence à être révolu pourtant, mais les Américains ont tendance à toujours vouloir commander et considérer les Afro-Américains comme des moins que rien. Alastor est créole, cela se voit à sa couleur de peau tout de même plus bronzée que les natifs.

Toutefois, une bonne partie des citoyens semble le reconnaître et le salue avec respect. Ce n’est pas le cas de tout le monde, ceux qui semblent ne pas l’apprécier le montrent clairement par des regards dédaigneux et des commentaires peu flatteurs.

Sarah relève les yeux vers le brun qui continue d’avancer comme si ces personnes étaient invisibles pour lui… Elle est admirative face à son comportement, se demandant si elle pourrait un jour avoir cette force tranquille. Elle qui se tient recourbée, se redresse alors, marchant avec plus de dignité, essayant de s’enlever de la tête qu’elle est un poids pour l’homme.

Ils arrivent devant la bibliothèque, un grand bâtiment de style victorien qui transformerait presque les pupilles de Sarah en étoile tant la bâtisse est incroyable !

Elle accélère le pas, Alastor se retrouve pratiquement à courir pour la suivre, son sourire s’élargissant devant la motivation de Sarah. La bibliothèque est impressionnante ! Elle se dirige directement vers le rayon histoire, montrant qu’elle est une habituée de ce genre de lieu.

 

— Cette bibliothèque est impressionnante ! Si vous ne me voyez pas venir au travail, venez directement voir ici, plaisante-t-elle.

— J’en prends note, réplique Alastor.

 

Sarah regarde divers livres qui pourraient contenir les informations qu’elle espère. Elle traîne dans les allées, tout comme Alastor qui cherche de nouveaux sujets pour ses chroniques. Sarah saisit plusieurs livres, rejoint une des tables disponibles, sort de son sac un bloc de feuilles et de quoi écrire et se lance dans la lecture. Après quelques minutes, Alastor la rejoint, s’assoit et commence à écrire.

Sarah remonte les yeux sur le brun, tout en levant un sourcil, il s’agite pendant qu’il écrit comme s’il répétait déjà son sketch dans sa tête. Sarah esquisse un sourire, il rigole même à ses blagues qu’elle l’entend marmonner. C’est un spectacle à lui seul cet homme ! Elle se concentre, glissant des bouts de laine qu’elle a pris soin de préparer avant de venir, dans les pages qui l’intéressent. Une fois la lecture finie, elle récupère les pages qu’elle a marquées, pour rassembler les informations sur une même page et une fois cela fait, il ne lui reste plus qu’à transformer le tout en script à présenter lors de l’émission.

C’est un peu comme un exposé finalement, sauf que ce ne sera pas devant une classe d’une dizaine d’élèves mais devant des milliers de personnes. La pensée qu'Angélique écoutera sa performance pour lui faire part de toutes les erreurs qu’elle fera ne la quittait pas.

Sarah regarde la feuille blanche, elle a l’impression de la voir s’éloigner dans un tourbillon qui lui donne le tournis. Les battements de son cœur accélèrent et sa gorge se noue sous l’effet du stress. Même si Alastor lui a dit qu’elle avait le droit à l’erreur, elle ne peut tout simplement pas se le permettre ! Sarah devient blanche, elle agite frénétiquement son crayon, porte l’autre main à sa bouche pour en ronger ses ongles.

Alastor remonte son regard vers la jeune fille, attiré par le cliquettement de la mine contre la table. Il avait déjà remarqué la veille qu’elle avait les mains abîmées, il n’est pas surpris de la voir se ronger les sangs… Littéralement. Ses yeux se posent sur son bloc, les feuilles de notes et les livres ouverts avec les ficelles qui marquent les pages.

 

— C’est malin ton système de marque-pages avec les bouts de laine ! réplique Alastor.

 

Sarah sursaute sur le coup, elle remonte les yeux vers l’homme et répond :

 

— Je trouve cela plus simple de lire directement tous les livres en marquant les pages qui m’intéressent. Parfois d’un livre à l’autre on peut retrouver le même sujet mais avec des détails différents ou un couplet mieux écrit que l’autre. La couleur me sert aussi à savoir si plusieurs passages parlent d’une même personne, voire plusieurs livres, comme je relis les passages pour prendre les notes. Enfin, c’est comme ça que je m’organise, explique Sarah avec une grimace comme si cela était ridicule.

— Tu as déjà rassemblé toutes les informations que tu as trouvées ?

 

Sarah acquiesce d’un mouvement de tête lent. Alastor jette un regard à la dizaine de livres. Elle est presque aussi rapide que lui ! Il attrape ses notes, elle a gardé les informations importantes, il ne lui reste plus qu’à faire son script.

Alastor se lève pour venir s’asseoir à ses côtés, il prend son bloc de feuilles où il lui fait un schéma explicatif tout en lui expliquant de vive voix. Comme il prend garde à ne pas parler à voix haute, pour ne pas déranger les autres lecteurs, il chuchote presque à l’oreille de Sarah.

La jeune fille en ressent un frisson qui lui parcourt l’échine. Sarah a un peu de mal à se concentrer pour le coup. Il a une bonne odeur et sa chaleur la fait presque s’endormir. C’est étrange, mais il y a un instant encore, elle avait l’impression que son cœur allait ressortir de sa poitrine. Là, elle se sent apaisée. Elle hoche de la tête aux explications d’Alastor, se forçant à rester concentrée sur ses paroles et non sur lui-même. Elle lui pose des questions auxquelles il répond avec la même patience.

Elle commence à écrire, Alastor s’écartant tout en récupérant ses affaires pour continuer de son côté sans reprendre sa place. Sarah le dévisage avec un petit sourire timide avant de retourner à son travail. Cela lui fait étrange tout de même qu’une personne semble croire en elle. Il ne la rabaisse pas, ne lui rappelle pas constamment qu’elle n’est qu’une femme, qu’elle ferait mieux de penser au mariage. Même s’il a tendance à la fixer de façon intense la plupart du temps, elle n’a pas non plus eu l’impression qu’il portait un jugement à sa tenue, bien que cela reste une interprétation de sa part. Après tout, elle n’est pas dans sa tête… Et la voilà repartie dans ses idées conçues. C’est plus fort qu’elle, malgré l’avenance de l’homme, elle ne peut s’empêcher de penser qu’elle est en réalité une contrainte pour lui, qu’il s’efforce d’être gentil pour son image. Qu’il doit en réalité la trouver idiote, qu’il ne la croit pas capable de réussir et de toute manière, elle n’en a pas l’intelligence pour. Elle-même le sait qu’elle est nulle.

La voilà qui tremble à nouveau sous l’effet de la panique qui l’envahit. Elle se redresse, tout en s’excusant de devoir passer au petit coin. Alastor la regarde s’éloigner bien qu’il ait un doute de ce qu’elle va réellement faire. Une fois isolée, elle en profite pour sortir plusieurs médicaments de la boîte, tant elle tremble et en avale directement deux tout en prenant une gorgée d’eau. Cela devrait la faire tenir jusqu’à ce soir. Elle regarde le flacon à moitié vide. Elle sait qu’elle a déjà dépassé les doses recommandées par le médecin, mais cela n’agit plus autant qu’au début, son corps s’y habitue.

Elle prend une inspiration et revient vers l’homme pour reprendre son travail. Celui-ci garde un œil sur la jeune fille, remarquant son changement de comportement. Il se doute qu’elle a pris ses cachets, enfin il n’est pas en droit de lui faire de remarque, elle stresse facilement et il a vu hier la prescription du médecin sur le flacon. Alastor étire ses épaules tout en roulant sa nuque pour se détendre. Ce ne sont pas ses affaires, mais il est tout de même hésitant sur le fait de garder un œil sur la fréquence de ses prises. Une dépendance pourrait être problématique si elle en vient à faire des crises de manque au studio, voire pire pendant l’une de ses émissions.

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