L'apprentie
Chapitre 2 – Diffusion :
Sarah suit Alastor dans les couloirs pour rejoindre son studio. Elle marche vite derrière lui, peinant un peu à le suivre avec ses longues jambes et son entrain ! L’homme jette un œil en arrière, remarquant que sa stagiaire peine à le suivre. Il sourit pour lui-même, ralentissant ses pas pour ne pas la perdre et qu’elle arrive dans la pièce, à bout de souffle.
Sarah le remercie intérieurement, elle n’a rien mangé ce matin, ce ne serait pas le moment de faire de l’hypoglycémie ! Alastor ouvre la porte qui donne accès à la console et au micro, prêts pour la diffusion radio. Il attrape un siège sur le côté de la pièce mis à disposition pour les invités et invite la jeune femme à s’asseoir.
Sarah le remercie, elle sert son carnet de notes contre lui, l’anxiété la prenant de nouveau. Mine de rien, elle regarde son sac, luttant contre l’envie de prendre un cachet aussi vite. Alastor s’assoit, vérifie les derniers ajustements de la machine, puis se tourne sur Sarah.
— Cela va être une expérience amusante pour tous les deux, je n’avais encore jamais formé une personne jusqu’à maintenant, donc vous allez être mon cobaye, dit-il, plaisantin : je vais vous expliquer au fur et à mesure comment se déroulent les émissions et vous ferez aussi participer
Sarah écarquille les yeux, ne s’attendant pas à cette tournure :
— Déjà, mais je viens d’arriver ?
— Il n’y a rien de mieux que de se lancer dans l’inconnu, ma chère ! Vous n’êtes pas seule, je suis là pour vous guider.
Alastor décrit les émissions qu’il anime, au matin, il parle d’événements en tout genre avec une touche de son humour bien à lui. Ensuite, il s’occupe de la diffusion de musique pendant un laps de temps avant de transmettre l’antenne à l’un de ses collègues. De l’après-midi, il reprend avec des sketches satiriques et de la musique.
Sarah connaît ses émissions, son ton et son humour, elle l’apprécie grandement, mais elle est loin d’être certaine de pouvoir être aussi sarcastique et d’avoir son énergie.
Alastor commence la diffusion, il ne peut pas prendre de retard, les horaires sont stricts. Sarah l’écoute avec une certaine admiration, derrière un poste de radio, elle ne pouvait qu’entendre sa voix, le voir en directe, c’est différent. Elle n’est pas spécialement surprise de le voir s’agiter et faire des gestes théâtraux, bien que personne ne puisse le voir.
— Bien le bonjour, cher public, je vous offre ma voix pour les infos de ce matin ! Mais, avant de commencer, j’ai le plaisir de vous présenter ma stagiaire, Sarah Martin, qui m’accompagnera le temps de sa formation à l’antenne ! Sarah, saluez nos chers auditeurs, déclare Alastor tout en lui souriant avec assurance.
— Bonjour cher auditeur, c'est un plaisir de pouvoir vous divertir au côté d’une grandeur comme Alastor. J’espère être à la hauteur de sa prestance ! répond Sarah, son cœur vacillant.
— Eh bien, si je suis bon formateur, ce que je ne doute pas, votre voix deviendra aussi populaire que la mienne, ajoute Alastor, tout en soulevant sa main pour lui tendre son pouce.
Il la jette dans la gueule du loup, mais au moins, il verra de quoi elle est capable, si elle est prête à contrôler sa timidité et le fait d’être une femme animatrice. Des remarques et des commentaires sexistes, elle va en recevoir. Il vaut mieux qu’elle en ait les épaules pour le supporter et le surmonter.
Alastor continue la diffusion tout en parlant des faits divers se concentrant dans leurs régions dans un premier temps.
— Chers auditeurs, nous allons commencer comme à notre habitude avec les infos locales. Il y a quelques jours, un fermier s'est réveillé avec la frayeur de ne plus retrouver ses vaches. Un vol ? Une attaque de loup ? Rien de tout cela, il semblerait que ces charmantes dames avaient envie de divertissement. Celles-ci ont été retrouvées quelques heures plus tard à l’intérieur d’un théâtre. Qui aurait cru que ces charmantes bêtes à cornes puissent être amatrices de spectacle ?
Alastor eut un petit rire.
— Imaginez un instant la surprise des comédiens en découvrant un public aussi inattendu ! Heureusement, tout est rentré dans l’ordre. Les vaches sont retournées brouter paisiblement dans leur pâturage, continue Sarah en se crispant de peur d’avoir coupé la parole à Alastor.
Celui-ci sourit à la remarque de la jeune femme. En effet, il se représente très bien la scène. Son expression reste détendue et enjouée, il continue sur sa lancée, les vols, les problèmes de cohabitations et d’autres délits comme la fréquence des disparitions qui s’accroît dernièrement. Alastor s’étend en particulier sur les sujets comme les festivités saisonnières, avant de finir par les informations venant d’autres pays, voire d’autres continents.
Sarah l’accompagne, le stress la prenant dès qu’elle a l’impression de lui couper la parole. Pourtant, Alastor lui sourit, il tend son pouce pour l’encourager à le faire, elle a l’impression de rendre son émission mauvaise. Elle regarde son sac, les mains tremblantes, son estomac noué par l’angoisse.
Les infos sont finies, c’est l’instant musical, Alastor propose son premier morceau puis met en pause la diffusion pour faire face à Sarah et celle-ci se crispe, sentant les reproches arriver.
— C’est un très bon début, très chère, détendez-vous, on dirait qu’une montagne s’apprête à vous tomber dessus, plaisante l’homme.
Sarah détourne les yeux, c’est un peu la sensation qu’elle ressent. Elle craint de faire une mauvaise pub à l’animateur. Alastor l’observe de ses yeux perçants, il se pose au fond de sa chaise et se lance un pied contre le bureau, les bras en l’air, l’équilibre de la chaise malmené.
— Respirez un bon coup, hurlez s’il le faut ! Soyez prêtes à mener le spectacle ! Capter l’attention du public demande de savoir se mettre en scène.
Il se réajuste tout en tirant avec son pied pour se rapprocher de la console, Sarah se raidissant en voyant la chaise plier. Alastor se redressant tout en riant :
— Haut les cœurs, fillette, on va se détendre avec un peu de jazz et reprendre l’antenne pour parler de ce sujet plus amusant. J’espère que vous êtes amatrice de folklore et de légendes urbaines, nous aurons le droit aux histoires d’auditeurs.
Sarah sourit tout en hochant de la tête, oui, elle adore écouter cette partie de son émission. Alastor chipote sur sa console, puis se penche vers Sarah tout en lui expliquant le fonctionnement des différentes touches, celle qui sert au son, à envoyer ou à arrêter les diffusions, à passer d’un disque à l’autre. Alastor explique que les émissions sont écrites à l’avance, mais que cela ne l'empêche pas de faire des improvisations, ce qu’il fait souvent lors d’émissions où il interagit avec l'audimat.
— Jusqu’à midi, nous allons nous partager l’antenne en coupant nos segments avec des pubs et les sponsors. Nous avons des gouts musicaux différents. Je me concentre sur le jazz, mais cela peut m’arriver que des talents viennent directement jouer dans le studio.
— Vous avez des instruments dans ce genre de cas ou les artistes viennent avec les leurs ? demande Sarah.
— Ce sont les leurs, mais nous avons quelques instruments au cas où, explique Alastor : cela m’arrive fréquemment de chanter quand je partage de la musique.
— Oui, je vous ai déjà entendu, répond Sarah en souriant.
Alastor sourit avec une certaine arrogance tout en fixant Sarah, qui bouge ses yeux de gauche à droite, intimidée par l’homme.
— Et ? Comment trouvez-vous ma voix ? fanfaronne-t-il.
— Elle ne m’a jamais fait changer de station de radio jusqu’à maintenant, plaisante Sarah.
Elle grimace légèrement face au regard d’Alastor, puis celui-ci se dresse bien droit tout en agitant sa main dans le vide.
— Ah ! Je prends cela comme un compliment, ricane ce dernier.
Sarah sourit, venant à se gratter le bras de nervosité, son regard se portant une nouvelle fois sur son sac.
Alastor claque ses mains sur ses cuisses juste avant de se lever et se dirige vers la porte du couloir.
— Je vais me chercher un café, vous en voulez un ? demande Alastor en se tournant sur Sarah.
— Avec plaisir.
Elle regarde Alastor partir et s’empresse d’attraper le flocon de comprimés dans son sac et d’en avaler un avant que celui-ci ne revienne. Il vaut mieux qu’il ne remarque pas qu’elle a autant besoin de calmant. Elle déglutit, le comprimé restant collé dans sa gorge, tandis qu'elle cherche la bouteille d’eau cachée sous ses documents d’identité. Elle la sort et avale une gorgée pour faire passer le goût désagréable du médicament.
Le temps qu’Alastor revienne, elle regarde un peu tout le studio. Il n’est pas très grand, mais ils ne sont pas non plus à l’étroit. Il y a une grande vitre juste devant eux qui permet de voir à l'intérieur d’une autre pièce, sans doute le studio insonorisé pour enregistrer les musiques. Elle entend la porte s’ouvrir et se tourne de ce fait sur Alastor.
Elle se lève pour venir lui tenir la porte le temps qu’il entre et lui éviter de renverser le plateau et les tasses.
— Merci, ma chère, la femme de ménage me ferait un sermon si je venais à tacher le tapis de la station, ricane-t-il.
Sarah lui sourit et revient s’asseoir alors qu’il pose le plateau contenant les tasses, une vasque de lait et des morceaux de sucre. Alastor prend le crémier tout en regardant Sarah :
— Vous y rajoutez du lait ?
— Juste un peu et sans sucre, merci.
— Vous le prenez comme ma mère, un peu de lait pour couper l’amertume, ah les femmes, vous ne savez pas savourer les bonne chose, plaisante l’homme, en portant sa tasse à ses lèvres.
— Nous aimons simplement les choses délicates, réplique Sarah en riant doucement.
Alastor lève un sourcil tout en l’observant. Elle lui semble plus décontractée, que tout à l’heure. Son regard parcourt la jeune fille de la tête aux pieds, avant de revenir sur son visage. Elle continue à détourner les yeux dès qu’il la fixe. Enfin, cela s’arrangera certainement avec les jours qui suivront.
Alastor regarde les différents titres tout en montrant à Sarah comment passer d’une piste à l’autre, il reprend momentanément l’antenne pour annoncer les prochains titres tout en glissant une petite blague et revient sur Sarah.
— Je ne suis pas un poids pour vous ? Cela doit vous contraindre de m’avoir à votre charge, dit Sarah, gênée.
— J’ai été surpris que mon patron me confie ta formation, mais non, vous ne me dérangez pas très chère. Je me fais une mission de faire de vous rejoindre nos locaux d'ici à la fin de votre formation. En parlant de cela, combien de temps dure-t-elle ?
— Mon responsable m’a dit un an, mais que je pouvais rester ici jusqu’à ce que je puisse être embauchée, répond Sarah.
— Donc, vous êtes partie pour minimum deux ans avec nous. Il n’y a aucune raison pour que le patron vous refuse dans nos locaux, de toute façon, c’est à moi à donner mon accord sur votre présence, rigole Alastor : j’ai commencé en tant qu’assistant à vingt ans et regardez cinq ans plus tard, je suis l’un des animateurs les plus connus de cette station.
Alastor lui fait un clin d’œil, Sarah lui souriant en retour. Il se tourne vers la console et diffuse la dernière chanson, l’un de ses titres préférés, avant de passer l’antenne à l’un de ses collègues.
— Nous allons bientôt rendre l’antenne, nous irons déjeuner, déclare Alastor en souriant à Sarah.
Elle acquiesce simplement, la chanson touchant à sa fin. Alastor reprend l’antenne pour saluer avec Sarah l'audimat tout en prévenant son retour dans l’après-midi.
Il se redresse et tend son bras vers Sarah, qui, bien que surprise, s’y accroche pour le suivre. Il agit avec elle comme si elle était une femme adulte… Ils traversent le couloir, rejoignant la salle commune où se tiennent quelques collègues pour les prévenir que Sarah et lui vont sortir pour manger.
La jeune femme se tend, pourquoi est-ce qu’Alastor se montre aussi courtois avec elle ? Elle ne se sent pas à l’aise, bien qu’elle le suive par politesse. Le brun l’entraine à l'extérieur, puis vers un petit restaurant coquet pas très loin de la station. Ils s’installent en terrasse, Sarah hésitant à choisir un plat, alors qu’Alastor lui semble déjà décidé sur ce qu’il va prendre.
Elle n’ose pas regarder le menu, son estomac se retourne, elle n’arrivera pas à manger en sa présence…
— Vous n’aimez pas le menu ? demande l’homme.
— Si, bien sûr ! Sarah regarde le plat le moins cher, cela n’est pas courtois de refuser l’invitation d’un homme, elle serait mal vue si elle venait à faire des manières avec Alastor.
Le serveur les rejoint et prend leur commande, Sarah refusant toutefois le verre de vin qui accompagne le plat. Sarah reste silencieuse, détournant les yeux d’Alastor qui lui la fixe avec son expression sûre et sereine, comme s’il avait l’habitude de ce genre de situation. Sarah observe les passants et les autres clients du restaurant tout en se disant qu’Alastor doit avoir du succès auprès des femmes, qu’il doit avoir l’habitude de ce genre de situation, qu’il ne fait qu’être courtois envers elle.
— Vous êtes bien silencieuse, ma chère, parlez-moi un peu de vous. Pourquoi avoir choisi le secteur de la radio ?
— À vrai dire, c’était une idée de mes responsables, pour me sortir de ma timidité, mais c’est aussi un secteur qui me plait.
— Être une femme au foyer vous dit fort peu ? Vos parents vous soutiennent dans vos démarches ?
Sarah se raidit tout en écarquillant les yeux face à la curiosité d’Alastor. Son expression fait immédiatement comprendre au brun qu’il vient peut-être d’aborder un sujet délicat.
— Non, je sais que c’est ce que l’on attend d’une femme, qu’elle rêve d’un beau grand mariage avec un homme fortuné et d’une vie de famille, mais… Cela m'indiffère. Je n’ai pas envie de dépendre entièrement d’un homme, je n’ai pas envie de me marier, explique Sarah avec une certaine ironie : je sais, cela n’est en rien conventionnelle, mes responsables me disent souvent que je dis cela parce que je suis jeune.
Alastor l’écoute avec attention, elle a éludé la question sur ses parents et elle parle de responsables. Serait-elle orpheline ? Une pupille de l’État ? Cela expliquerait qu’elle ait eu accès à la formation. Même si cela commence à bouger, les femmes ne sont pas encore tout à fait tolérées dans certains secteurs, la radiodiffusion en fait partie.
— Une petite rebelle des traditions ! Amusant. Vous allez avoir tout le loisir de vous essayer dans l’animation d’émissions de radio. Vous verrez bien si cela vous convient. Si ce n’est pas le cas, continuez de chercher votre propre voie. Vous n’êtes en rien obligée de faire ce que l’on attend d’une femme.