L'apprentie

Chapitre 1 : L'apprentie

2051 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/08/2024 15:18

L’antenne s’interrompt, la diffusion s’arrête pour laisser les morceaux de musique se jouer, le temps que les animateurs, présentateurs et autres cadres présents à la station radio prennent leurs pauses.

Alastor, un homme dans la vingtaine, enlève son casque et le dépose sur la table de mixage tout en glissant la main dans sa chevelure pour la réajuster. C’est un homme élégant, fier et bien habillé. Chevelure courte, soignée, brune comme ses prunelles. Un brin de peau plus sombre que la plupart de ses collègues qu’il rejoint pour partager le repas de midi.

Il discute avec l’équipe, essentiellement masculine, sur les prochaines diffusions qu’ils émettent, les sujets qu’ils vont aborder et la réponse de l’audimat.

Leur supérieur les rejoint d’un pas décidé, brisant leurs conversations et s'octroyant leurs attentions, bien que l’homme n’ait besoin de celle que d’un de ses collaborateurs :

 

— Alastor, j’ai une nouvelle à t’annoncer, toi qui aimes l’imprévu. Je te charge de la formation de notre stagiaire qui arrivera d'ici à la semaine prochaine !

 

Le brun écarquille les yeux, plutôt surpris par la nouvelle et le choix de son supérieur quant à lui confier un apprenti. Alastor sourit tout en s’approchant de l’homme.

 

— Vous m'octroyez la charge d’un stagiaire ? Vous savez que je suis rigoureux dans mon travail ? Il risque de fuir à toutes jambes, plaisante l’homme.

— Nous verrons bien ce qu'elle vaut. Ses responsables de formation étaient désespérés de lui trouver un lieu de stage, déclare l’homme en levant les yeux.

— Elle ? reprend Alastor.

— En effet, chose rare, n’est-ce pas ? Cela fera parler l’audimat, je compte sur toi pour bien l’accueillir.

— Bien sûr, patron !

 

L’homme, dans la quarantaine, cheveux gris, grassouillet et bien habillé, s’en va. Alastor revient vers ses collègues pour se servir à manger.

 

— Une femme pour stagiaire ? Quelle chance, Alastor ! plaisante l’un de ses collègues.

— Homme ou femme, tout le monde a le droit d’espérer un avenir dans la radiodiffusion, répond Alastor, en venant s’asseoir.

— Moi, tant qu’elle est mignonne, je ne refuserai pas une présence féminine.

— Une femme n’a rien à faire dans nos locaux ! Qu’elle devienne la servante d’un terrien si elle se cherche une place dans notre société, bougonne l’homme à la gauche du brun.

— Tu as toujours l’esprit aussi ouvert Romuald, rétorque Alastor.

— Il n’a pas tort, c’est bien qu’elle ait des idées… extravagante, mais quel homme acceptera d’épouser une femme qui ne reste pas à sa place ?

— Vous êtes bien mesquin envers cette jeune fille qui n’est même pas encore des nôtres ! Ce n’est qu’une enfant. Comportez-vous comme si elle était votre fille plutôt, ajoute Alastor, un brin narquois.

— Elle doit au moins avoir seize ans, elle n’est plus une enfant ! Venir dans une entreprise où il n’y a que des hommes, je suis sûr que c’est une petite allumeuse qui finira plutôt dans les bars au coin de la rue, comme ton amie, Mimzy ! Tu pourrais les présenter, Alastor, c’est l'avenir qui l’attend avec cette attitude.

 

Le brun sourit toujours, se contentant de plisser les yeux, à la place de répondre aux élucubrations de ses collègues. Cette petite va en baver…

Alastor observe ses collègues, certains commencent à lui sortir par les yeux, dommage, il s'est promis pour sa propre sécurité de ne pas s’en prendre à ses collègues.

La cloche de l'horloge de la station de radio marque la fin de la journée. Alastor ajuste sa veste et son écharpe rouge et sort dans la fraîcheur du soir. Il descend la rue, ses pas résonnants sur les pavés, saluant d'un signe de tête les passants qui le reconnaissent.

Il rejoint l’arrêt du tramway qu’il attend pour se rendre dans le quartier central des affaires. Il monte dans le véhicule bombé. Il sourit aux personnes qu’il bouscule involontairement avec les mouvements du tramway, attendant avec une certaine impatience que les portes s’ouvrent sur son arrêt. Celui-ci atteint, il descend sur le trottoir surélevé et marche en direction des grands magasins et des théâtres illuminant la rue.

Alastor aimait cette partie vibrante de la ville, symbole du renouveau de la Nouvelle-Orléans avec ses théâtres animés et ses grands magasins étincelants. En empruntant une rue latérale plus calme, il arrive devant sa maison victorienne, ses volets verts se détachant sur les murs de briques rouges. L'odeur familière du bois ancien et des livres rares l'accueillit dès qu'il franchit le seuil. Sa mère, présente dans le salon, lève les yeux de son tricot pour l’accueillir avec un sourire chaleureux.

Alastor, après avoir retiré son manteau, se sentit enfin chez lui, prêt à savourer la tranquillité de la soirée. Il s’approche de sa mère qu’il embrasse avec tendresse alors qu’il sait que celle-ci l’attendait pour ne pas le laisser manger seul.

 

— Ta journée s'est bien passée ?

— Bien sûr, mère, c’était une journée captivante. J’ai une drôle de nouvelle à vous annoncer, je vais avoir une stagiaire sur le dos, plaisante le brun.

— Vraiment ? C’est la seule femme qu’il y aura à la station, demande la vieille dame.

— C’est une première.

— Sois gentil avec cette jeune femme, mon ami ! réplique la dame tout en lui attrapant l’oreille.

 

Alastor ricane tout en échappant à la prise précise de sa mère. Une dame élégante dans la cinquantaine dont le poids des années commence à se faire sentir. Elle est une femme à la peau plus sombre que son fils, avec un regard sérieux et pourtant doux.

 

— Qu’elle soit une femme m’importe peu, tout ce que j’attends d’elle, c’est qu’elle soit sérieuse et rigoureuse dans son travail.

— Je n’en attends pas moins de toi. Allons dîner, le repas t’attend, sourit la dame.

 

Alastor l’aide à se redresser de son fauteuil et l’accompagne jusqu’à la table, par pure courtoisie. Avant de s’installer lui-même à sa place en profitant d’un bon repas chaud et du calme de la soirée.

 

Être animateur radio, cela veut également dire se lever tôt pour arriver en avance au studio afin de faire les répétitions et les ajustements avant les premières diffusions. C’est donc de bonne heure que l’homme se retrouve à arpenter les rues de sa ville pour aller rejoindre le tramway.

À cette heure-ci de la matinée, il n’y a pas de masses de monde dans les rues, encore moins dans les véhicules de transport. Alastor a directement remarqué la seule autre présence dans la cabine. Une jeune fille, une enfant par sa taille, la chevelure rousse, peu courante ici, cachée sous un chapeau. Elle porte une veste par-dessus sa chemise ainsi qu’un pantalon en tissu. Une tenue sobre, pourtant élégante, bien que la mode et les conventions s’attendent à ce que les femmes soient en robes et bien plus en beauté que ce petit bout de demoiselle.

Alastor s’en approche, la jeune fille relevant directement les yeux vers lui avant de les détourner dans un respect presque malaisé.

 

— Sarah Martin, je présume ?

 

La jeune femme remonte une seconde fois son visage vers Alastor, les yeux écarquillés.

 

— Oui ? Nous connaissons-nous ? demande-t-elle béate.

— Ça ne saurait tarder. Je m’appelle Alastor Landry, je suis votre formateur, répond-il charmeur.

 

Sarah se raidit, acceptant la poigne de l’homme avec nervosité, et lève pour lui faire face.

 

— Monsieur ! Enchanté ! Mais… Comment saviez-vous que je suis la stagiaire ?

— La logique, ma chère, une jeune femme seule à cette heure, étrangère de notre quartier qui se dirige vers la station radio, cela m’a semblé évidant.

— Oui, vu sous cet angle, plaisante Sarah, la voix peu affirmée.

 

Alastor l’observe, elle se tient voutée, sa voix est peu portante, elle manifeste explicitement un malaise en sa présence. Cela ne l’étonne guerre, à vrai dire, il s’y attendait, mais pour devenir animatrice, il va falloir qu’elle se montre plus franche, même face à un homme.

 

— Détendez-vous, très chère, je suis votre formateur, pas votre patron, souriez ! N’ayez pas peur de vous affirmer si vous voulez survivre, dit-il tout en retraçant les lignes dans sa propre expression.

 

Elle acquiesce et le suit alors qu’il sort à l’arrêt. Alastor la guide jusqu’à la station de radio, où il la présente à ses collègues avant de la laisser aller signer ses documents.

Dans la salle de débriefing, Alastor a le droit à une nouvelle vague de commentaires dont il se contente de recevoir avec le sourire.

 

— Elle est plus jeune que prévu ou c’est une naine ? Il va falloir faire attention, elle est rousse, c’est forcément une sorcière ! Et Alastor toi qui as du sang de nègre dans les veines, n’allez pas nous jeter des sorts vaudous, ricane l’un des hommes.

— Romuald, si j’avais réellement ce pouvoir, je serais, à l’heure qu’il est, le seul animateur compétent de cette station, rétorque Alastor hilare.

 

L’homme dévisage son comparse sans savoir si Alastor est sérieux ? Il rit avec incertitude, tandis qu’ils attendent le retour de Sarah et du programmateur. Alastor se sert une tasse de café tout en préparant une pour la jeune fille.

 

— Ils en mettent du temps pour une signature, serait-elle déjà à quatre pattes sous le bureau du chef ? plaisante Romuald.

— Tu devrais arrêter avec ses insinuations, camarade, c’est drôle à petite dose, rétorque un autre homme.

 

Alastor revient s’asseoir avec les tasses, leur patron et Sarah venant les rejoindre.

 

— Messieurs, je vous présente Sarah Martin, elle va faire partie de notre équipe pour un mois, peut-être définitif si tout se passe correctement. Je saurais gré que chacun d’entre vous adoptiez un comportement exemplaire. J’espère sincèrement que mes équipes ne soient pas composées de goujats et de vulgaires ! Nous avons une image à entretenir, et ce, jusque dans notre comportement envers nous, hommes et femmes. Tu peux rejoindre Alastor, Sarah, il t’expliquera le reste.

 

Elle hoche la tête et rejoint l’homme qui lui tire la chaise qu’il lui a gardée, tout en lui offrant la tasse de café.

 

— Ici, nous allons discuter des sujets de la journée, des horaires que l’on nous accorde et de notre temps de diffusions à l’antenne. Pour l’instant, contente-toi d’écouter, la partie amusante arrivera après, annonce-t-il avec un clin d’œil.

 

Encore une fois, Sarah acquiesce, quelque peu tendue, mais comme le brun le lui a dit, elle se contente d’écouter les échanges entre les hommes. Elle ne s’attendait pas à rejoindre la station où travaille l’un des animateurs les plus célèbres et encore moins d’être sous sa charge.

L’homme a un côté froid et sec, cependant, il a aussi un côté doux et charmant quand il s’adresse à elle. Il semble amical, mais elle n’arriverait pas à dire s'il fait uniquement preuve de courtoisie ?

Elle l’a déjà remarqué, certains des hommes présents dans la pièce la dévisagent froidement. Alors, Sarah évite d’accrocher son regard à qui que ce soit pour éviter les remarques qui viendront de toute manière.


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