Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts
Chapitre 6 : Trente jours avant la fin du monde
10950 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour il y a 20 jours
Trente jours avant la fin du monde
– Mon pauvre Fumseck, dit Dumbledore en caressant délicatement les plumes tièdes et frémissantes de son phénix. Toi non plus, tu n'apprécies pas leur présence...
Le directeur de Poudlard était assis dans son vaste bureau, vêtu d'un manteau brodé et chaussé de ses habituels souliers à boucle. Il était seul, et s'autorisait donc à se montrer préoccupé : derrière ses lunettes en demi-lune, ses yeux bleus étaient assombris par l'inquiétude et un pli soucieux barrait son front. Autour de lui, tout était à sa place : les deux bibliothèques remplies d'ouvrages passionnants, les étranges instruments argentés qui vibraient sur les étagères, les nombreux directeurs de Poudlard qui sommeillaient dans leurs portraits, la Pensine qui se trouvait dans un coin de la pièce.
Un an et demi avait passé depuis la longue discussion que Regulus et Narcissa avaient eue au pied du Flavirier Argenté. Étalés sur le bureau de Dumbledore, plusieurs articles de la Gazette du sorcier rapportaient des faits récents et donnaient une idée du tournant tragique que prenait la guerre. Certains se désespéraient des assassinats, agressions et disparitions mystérieuses qui se succédaient sans répit ; d'autres s'alarmaient du fait que de nombreux Détraqueurs se soient affranchis de l'autorité du Ministère pour se ranger aux côtés de Voldemort. Cette dernière nouvelle y était pour beaucoup dans l'abattement que ressentait Dumbledore, et c'était aussi la raison pour laquelle Fumseck frissonnait sous ses doigts. Derrière lui, la fenêtre de son bureau était embuée par une brume glaciale : depuis quelques jours, l'école était encerclée par certains de ces Détraqueurs dissidents. Attirés par les nombreuses proies que représentaient les élèves, ces sinistres créatures se pressaient contre l'enceinte de sortilèges protecteurs qui entourait le château de Poudlard ; et même s'ils ne pouvaient pas atteindre directement les élèves, ils répandaient une brume glaciale sur le domaine, empêchaient les élèves de se rendre à Pré-au-Lard et accentuaient considérablement la morosité ambiante.
À côté des articles, une lettre d'Alastor Maugrey rapportait à Dumbledore les déboires du Ministère et du Bureau des Aurors : les enquêtes insolubles, les fausses pistes, les perquisitions ratées, les dossiers confidentiels éventés, la brutalité de Croupton et ses décisions impulsives qui risquaient de mettre en péril de nombreux sorciers.
Après les avoir parcourus du regard, Dumbledore poussa un long soupir. Deux ans et demi s'étaient écoulés depuis la destruction du pensionnat Wimbley, et les sorciers avaient presque oublié ce massacre tant les évènements tragiques s'étaient succédé depuis.
Évidemment, l'école de Poudlard n'était pas épargnée par la guerre. Les élèves étaient hantés en permanence par la crainte que les Mangemorts s'attaquent à leurs familles, ou à leurs amis Nés-Moldus pendant les vacances. Beaucoup d'élèves voyaient leurs nuits peuplées de cauchemars, et ceux que Dumbledore croisait dans les couloirs marchaient rapidement et silencieusement, la tête basse, le teint pâle.
Pire encore, et c'était sans doute ce qui affectait le plus Dumbledore, les forces du Mal gagnaient en puissance au sein même de l'école. De plus en plus d'élèves de Serpentard s'étaient approprié les idées de Voldemort et de ses partisans, multipliant ainsi les propos insultants à l'égard des Nés-Moldus et intimidant les élèves concernés, ce qui contribuait grandement à l'ambiance pesante qui régnait à Poudlard.
– Comment on est-on arrivés là, mon pauvre Fumseck ? s'interrogea Dumbledore. Comment ces mensonges et ces fantasmes de domination peuvent-ils contaminer à ce point les esprits de nos élèves ?
Il avait tourné et retourné ces questions dans sa tête d'innombrables fois, sans y trouver de réponse satisfaisante.
Désireux de retrouver un peu d'optimisme, Dumbledore fouilla dans les articles et en extirpa l'un de ceux qui étaient susceptibles de le réconforter.
Des milliers de Moldus épargnés : nos mystérieux agents doubles courent toujours, titrait l'article, qui était déjà vieux de quelques mois.
Après l'évacuation d'un pont et d'une école avant des attaques massives de Mangemorts, cette fois-ci, c'était un stade entier qui avait été évacué au cours d'un concert, à la demande d'une célèbre chanteuse moldue qui avait exigé de poursuivre le concert dans la forêt la plus proche. Le stade avait été attaqué quelques minutes à peine après avoir été déserté par les spectateurs perplexes, et à nouveau, la chanteuse moldue avait été retrouvée chez elle, dormant paisiblement, délestée d'une mèche de cheveux et sans aucun souvenir des évènements. Dumbledore se souvint de la manière dont cette nouvelle avait diverti les élèves, et de leurs hypothèses farfelues concernant l'identité de ceux qui venaient de défier impunément Voldemort pour la troisième fois.
– Espérons que jamais personne ne vous attrape, soupira Dumbledore en s'adressant à ces mystérieux sauveteurs.
À côté de lui, Fumseck émit un roucoulement approbateur et prit dans son bec un autre article porteur d'espoir, dont Dumbledore se saisit avec un sourire reconnaissant.
Lily Evans et James Potter : mais qui sont ces deux Préfets-en-Chef engagés et enthousiastes ? pouvait-on lire en haut de l'article.
Dumbledore ne put s'empêcher de le relire encore une fois : il ne se lassait pas de refaire l'inventaire des innombrables initiatives qu'avaient pris James et Lily au cours de l'année pour faire de l'école un véritable lieu de protection et de résistance. Tous les élèves avaient bénéficié d'un apprentissage renforcé des techniques magiques de défense et de secours ; un bureau d'entraide avait été ouvert pour les élèves qui avaient besoin de soutien ; les tables, les sols et les murs du château avaient été intégralement protégés des graffitis insultants qui y florissaient depuis le début de la guerre ; des réunions avaient été organisées sur la formation d'Auror, et les élèves étaient de plus en plus nombreux à vouloir s'y engager.
Avec amusement, Dumbledore repensa à la discussion animée qu'il avait eue un an plus tôt avec les autres professeurs, à la fin de l'année scolaire précédente, lorsqu'il avait fallu élire les deux futurs Préfets-en-Chef. Sans surprise, Lily avait fait l'unanimité ; en revanche, Dumbledore avait eu bien plus de mal à argumenter la candidature de James, qui, malgré une légère amélioration de son comportement, souffrait encore de sa réputation de fauteur de troubles.
Malgré la réticence des professeurs, Dumbledore avait maintenu son choix. Avec ses talents de joueur de Quidditch et sa bonne humeur permanente, James était l'un des élèves les plus appréciés de l'école. Il avait toujours tout fait pour protéger les Nés-Moldus des discriminations et des violences dont ils étaient menacés, et Dumbledore savait qu'il était le mieux placé pour fédérer les élèves autour de cette cause.
Et dès le début de l'année, les professeurs de Poudlard avaient été obligés d'admettre qu'ils avaient eu tort de douter de James. Cette marque de confiance avait provoqué chez lui une véritable prise de conscience, et son comportement avait changé de manière spectaculaire. Après un début d'année un peu tumultueux aux côtés de Lily, il avait réussi à se comporter en adulte et à trouver un terrain d'entente avec elle pour collaborer. Contre toute attente, il avait été de plus en plus fréquent de les voir discuter ensemble, d'abord avec sérieux et distance, puis avec une complicité de plus en plus évidente.
Perdu dans ses pensées, Dumbledore souriait, heureux d'avoir vu juste sur ce point-là. Il se remémora avec joie l'enthousiasme avec lequel James et Lily avaient investi leur rôle de Préfets-en-Chef, épaulés par leurs proches amis : Marlene pour Lily, et bien sûr Peter, Remus, et enfin Sirius...
Mais en pensant à Sirius, le regard de Dumbledore s'assombrit de nouveau. Certes, le jeune homme avait aidé James et Lily tout au long de l'année, et son engagement dans la lutte contre Voldemort ne faisait aucun doute ; mais Dumbledore avait espéré de lui autre chose, quelque chose qu'il était le seul à pouvoir accomplir – et qui ne s'était jamais produit.
Machinalement, Dumbledore se leva et marcha vers la Pensine, qui s'illumina à son approche. Il parcourut du regard les différents flacons remplis de souvenirs qui s'alignaient devant lui, trouva rapidement celui qui l'intéressait et le versa dans le récipient métallique gravé de runes.
Avant de se plonger dans la Pensine, Dumbledore prit quelques instants pour se concentrer intensément. Dans un mois, Sirius aurait terminé sa septième année et quitterait Poudlard pour toujours. S'il y avait encore quelque chose à lui dire pour le faire changer d'avis, c'était le moment de trouver quoi ; après, il serait trop tard.
Dumbledore hocha la tête, déterminé ; puis il se pencha en avant et plongea dans son propre souvenir.
La scène avait eu lieu un an plus tôt, dans son bureau, quelques jours après que Dumbledore ait demandé à James d'être le prochain Préfet-en-Chef. Dumbledore était installé dans son fauteuil confortable, et Sirius était assis sur la chaise qui lui faisait face. Autour d'eux, les instruments argentés bourdonnaient sur leurs étagères, et les directeurs de Poudlard sommeillaient dans leur tableau – sauf Phineas Nigellus Black, dont le portrait était soigneusement retourné. Quant à Fumseck, il se reposait sur son perchoir, tout en suivant Sirius du regard.
– Tu sais peut-être de quoi je souhaite te parler, disait Dumbledore.
Sirius regardait autour de lui, intimidé, visiblement peu habitué à être reçu sans ses trois amis.
– Euh, non... Pas du tout.
– Je pense que cette conversation sera nettement moins agréable que celle que j'ai eue avec James il y a quelques jours, prévint Dumbledore.
Il pencha légèrement la tête et attendit quelques secondes que Sirius émette une supposition, mais celle-ci ne vint pas.
– Dis-moi, Sirius... As-tu observé ton frère, ces temps-ci ?
À l'époque, Dumbledore avait été surpris par la réaction provoquée par cette simple question. Sirius s'était brusquement raidi, et s'était reculé sur sa chaise, comme si Dumbledore avait dit quelque chose de répugnant.
– Mon frère ? grimaça-t-il. Vous voulez dire... Regulus ?
– Il me semble que tu n'en as qu'un.
Sirius resta interdit, avec l'air de penser qu'il s'agissait d'une mauvaise plaisanterie.
– Je ne l'observe pas, dit-il finalement, sans parvenir à masquer son inconfort.
– Plusieurs professeurs s'inquiètent à son sujet, poursuivit Dumbledore, toujours calme. Il semble... préoccupé.
– Qui ne l'est pas, ces temps-ci ?
– Tu as raison, bien sûr. Et je ne m'inquièterais pas outre mesure s'il n'y avait pas ces étranges crises douloureuses, au niveau de son bras gauche, qui surviennent de temps à autre et l'obligent à sortir de classe...
Dumbledore laissa sa phrase en suspens, incitant Sirius à dire quelque chose.
– De mon point de vue, il ne semble pas aller si mal que ça, marmonna Sirius avec réticence. Il a toujours été bizarre, vous savez. Mes parents l'ont tellement couvé qu'il n'a jamais réussi à se faire des amis. Mais au contraire, cette année, les Serpentard lui tournent autour comme des mouches autour d'un steak...
– Tu l'as donc remarqué, toi aussi, nota Dumbledore avec amusement.
Sirius l'ignora.
– Honnêtement, professeur... Quand je le vois se pavaner avec tous ces fayots du club de Slug, j'ai du mal à le plaindre. Slughorn a l'air de l'adorer, il n'arrête pas de raconter partout que c'est l'élève le plus brillant qu'il ait jamais vu...
– Tu es bien renseigné, sourit à nouveau Dumbledore. En effet, je dois dire que ses résultats sont absolument stupéfiants... C'est à se demander s'il ne suit pas d'autres enseignements que ceux prodigués par l'école de Poudlard.
Sirius fronça les sourcils, visiblement agacé par ce sous-entendu.
– Je ne comprends pas ce que vous attendez de moi, professeur, dit-il sèchement.
– Rien de bien compliqué, à vrai dire. Je me demandais simplement si tu avais pu avoir écho de certaines choses le concernant.
– Vous pensez que mon petit frère est un Mangemort, c'est ça ?
– Disons que, parmi les élèves de Poudlard... Regulus ferait une cible parfaite pour Voldemort et ses partisans, tu ne crois pas ?
Sirius haussa les épaules. Il se tourna vers les vitraux sur lesquels crépitaient la pluie, et son regard se perdit dans le lointain.
– Sans doute, murmura-t-il. Mais... Je suis désolé, professeur, je ne sais rien de tout cela. Même lorsque j'habitais encore chez moi, personne ne me disait rien.
– Ah, dit Dumbledore. Je me demandais tout de même si cela n'avait pas un rapport avec la manière dont tu étais revenu sur tes pas pour regagner le champ de bataille, lors de l'attaque du pensionnat Wimbley...
– Aucun, soutint Sirius.
Il avait réagi un peu trop vivement pour quelqu'un qui disait la vérité. Dumbledore continuait de l'observer, dubitatif.
– Si je pouvais le dénoncer, je le ferais, appuya Sirius. Et je ne serais pas étonné s'il en était devenu un. Mais je ne sais rien. Et je ne veux surtout pas m'en mêler.
– Oui, j'imagine, dit doucement Dumbledore.
– Si je peux me permettre, c'est plutôt avec mes parents que vous devriez parler de tout cela, fit remarquer Sirius dans l'espoir d'écourter la discussion.
– C'est ce que j'ai voulu faire, dans un premier temps... Mais ils n'ont pas daigné répondre à mes sollicitations. J'ai tenté de leur rendre visite comme je le fais parfois avec d'autres familles, mais tu es bien placé pour savoir que votre maison est protégée par de nombreux sortilèges...
De façon presque imperceptible, Sirius frissonna de dégoût à l'évocation de son ancien lieu de vie.
– Évidemment, soupira-t-il. Où avais-je la tête ? Mes parents vous détestent. Ils disent que vous êtes le pire directeur que Poudlard ait jamais eu. Et ils ne seraient pas mécontents que Regulus devienne un Mangemort, si c'est ce que vous vouliez savoir.
– Je te remercie pour toutes ces informations, sourit Dumbledore. Cela explique leur silence... Et cela explique également pourquoi je me tourne vers toi, Sirius.
– Je ne sais rien de plus, répéta Sirius avec impatience.
Il regarda en direction de la porte de sortie, mais Dumbledore n'avait pas l'intention de s'arrêter là.
– Il y a autre chose que j'aimerais te demander, dit-il encore plus doucement. Quelque chose de plus délicat.
Dumbledore marqua une pause, craignant que Sirius ne se mette en colère.
– Tu sais, Sirius... Malgré les apparences, j'ai la conviction que Regulus se sent très seul, ces temps-ci.
– Et que voulez-vous que j'y fasse ?
Dumbledore inclina légèrement la tête pour regarder Sirius par-dessus ses lunettes en demi-lune.
– Je pense que tu pourrais y remédier, dit-il. Je pense que tu pourrais éventuellement aller lui parler.
– Je vous demande pardon ?
– Si tu en avais l'envie et le courage, bien sûr.
– Le courage ? s'indigna Sirius. Tout le monde sait très bien que nous ne nous entendons pas ! Pourquoi n'allez-vous pas lui parler vous-même ?
– Oh, je l'ai reçu plusieurs fois dans ce bureau pour lui proposer mon aide, mais il m'a assuré qu'il n'avait jamais eu l'intention de rejoindre les Mangemorts – ce dont je doute très fortement. J'ai tenté de requérir l'aide du professeur Slughorn, mais ce dernier refuse catégoriquement de questionner ses élèves favoris sur leurs ambitions concernant la guerre. Quant aux amis de ton frère, je dois avouer qu'ils ne m'inspirent pas vraiment confiance.
Sirius resta silencieux. Il semblait stupéfait par le culot de Dumbledore.
– Êtes-vous en froid à ce point ? insista le directeur. Je comprendrais que tu en veuilles à tes parents, mais... ton frère est encore jeune. Pour lui, il n'est peut-être pas trop tard. Et toi qui as eu la force de te détourner de tout ça... Je pensais que tu pourrais lui montrer le chemin.
Le compliment de Dumbledore n'eut aucun effet sur Sirius. Au contraire, il se raidit encore davantage.
– Je n'ai rien à lui dire, déclara-t-il. Je ne fais plus partie de cette famille et je ne veux plus jamais avoir affaire à eux. Je ne peux pas aider Regulus ; et de toute manière, s'il est bel et bien devenu un Mangemort, c'est dommage pour lui, mais il ne peut s'en prendre qu'à lui-même.
Une ombre de déception passa dans les yeux bleus de Dumbledore.
– Je peux partir, maintenant ? demanda Sirius avec une agressivité mal contenue.
– Réfléchis-y, Sirius. Je ne peux pas t'y obliger, bien sûr, mais... Je ne pense pas que Regulus te repousserait.
– Vous n'en savez rien, rétorqua Sirius. Rien du tout ! Regulus sait parfaitement ce qu'il fait. Et d'ailleurs, il est sans doute ravi d'être débarrassé de moi : cela fait de lui l'héritier de notre famille. Il ne pouvait pas rêver mieux, je vous assure.
– C'est vraiment ce que tu crois ?
Sirius secoua la tête, exaspéré.
– J'avoue que je ne vous comprends pas, professeur. Je pensais que vous me souteniez face à mes parents.
– C'est le cas.
– Il y a quelques jours, vous demandiez à James de rester à Poudlard pour organiser la résistance... Et maintenant, vous voulez que j'aille pactiser avec l'ennemi ?
– Dans l'espoir d'en faire un ami, précisa Dumbledore.
– Cela n'arrivera pas, décréta Sirius. Cela n'arrivera jamais.
– Tu sais, Sirius... Parfois, faire partie de la résistance implique de mettre sa fierté de côté.
Sirius serra les poings. La colère qui frémissait en lui venait de se mettre à bouillir.
– Penses-y, conclut Dumbledore, qui avait senti que Sirius était sur le point d'exploser. Bien, j'ai déjà trop abusé de ton temps précieux... Je te remercie d'avoir accepté de discuter de tout cela, Sirius. Je te laisse rejoindre tes amis.
Dumbledore fit un geste de la main et la porte du bureau s'ouvrit enfin. Sirius se leva comme un ressort et sortit en claquant violemment la porte derrière lui.
Puis Dumbledore se redressa, quittant le domaine des souvenirs pour rejoindre celui de la réalité. Pendant de longues minutes, il resta debout près de la Pensine, plongé dans une réflexion intense.
Évidemment, il ne pouvait pas en vouloir à Sirius d'avoir réagi ainsi. Il aurait été injuste de lui faire le moindre reproche, alors même qu'il s'était détourné de sa famille et de ses idées ignobles avec un courage admirable. Dumbledore aurait simplement aimé que Sirius puisse considérer son frère de manière plus nuancée – mais la nuance n'avait jamais été le point fort de Sirius, avec toutes les qualités et les défauts que cela impliquait.
Dumbledore avait beau retourner le problème dans tous les sens, il n'y voyait aucune issue. Après cet échange avec Sirius, il avait de nouveau tenté de convaincre Slughorn d'enquêter sur le sujet, mais le professeur de Potions avait balayé sa demande d'un revers de la main, l'accusant de se faire des idées et de soupçonner abusivement un élève au comportement irréprochable.
Et depuis, la situation n'avait pas évolué d'un pouce. Regulus semblait toujours aussi préoccupé, renfermé et anxieux, et encore davantage à l'approche des vacances, ce qui confortait les soupçons de Dumbledore sur la nature de ses activités extrascolaires ; mais malgré ces nombreuses tentatives, personne n'était parvenu à briser le mur de silence et de solitude qui entourait le jeune garçon.
Dumbledore n'arrivait pas à se résoudre à abandonner, et la situation était d'autant plus frustrante que le dilemme intérieur de Regulus était absolument flagrant. Contrairement à d'autres élèves de Serpentard, Dumbledore sentait qu'il était encore temps de le détourner de cette voie tragique. Il ne pouvait pas admettre qu'il avait définitivement échoué, et que par sa faute, l'un des élèves les plus brillants de l'école – si ce n'était le plus brillant – allait tomber aux mains des Mangemorts, sans qu'il puisse faire quoique ce soit pour l'en empêcher.
Fumseck le tira de ses sombres pensées en chantant quelques notes mélodieuses, anormalement enthousiastes. Dumbledore se retourna et constata que son phénix s'était perché sur le rebord de la fenêtre de son bureau, et regardait au-dehors, où brillait une puissante lueur argentée. Le directeur s'approcha, intrigué ; une fois près de la fenêtre, il plissa les yeux pour distinguer l'origine de cette clarté qui inondait le domaine de Poudlard – et lorsqu'il comprit de quoi il s'agissait, il oublia pendant quelques instants tout ce qui le tourmentait.
– Décidément, mes élèves me surprendront toujours, dit-il avec un sourire malicieux.
***
Par un hasard étrange, au moment où Dumbledore se remémorait cette entrevue houleuse, Sirius rêvait justement de Regulus.
Il était profondément endormi, affalé sur son lit, la joue écrasée sur son oreiller. Son dos se soulevait avec régularité et ses cils tressaillaient de temps à autre. Autour de lui, la chambre qu'il partageait avec ses trois meilleurs amis était envahie par un désordre indescriptible composé de vêtements froissés, de parchemins tachés et d'emballages de confiseries de chez Honeydukes. Au pied du lit de Sirius, son sac était ouvert, laissant échapper quelques grimoires maltraités et un parchemin vierge anormalement soigné – la Carte du Maraudeur.
Il s'était assoupi avant l'heure du dîner, éreinté : depuis que les Détraqueurs avaient encerclé le château, ses nuits étaient sans cesse interrompues par des cauchemars à propos de sa famille, l'empêchant ainsi de se reposer.
En l'occurrence, il rêvait de quelque chose qui avait déjà eu lieu, environ un an auparavant, à peine quelques jours après sa discussion particulièrement désagréable avec Dumbledore. Les mois qui avaient passé n'avaient rien altéré de son souvenir, et celui-ci était si vif que tous les détails lui étaient restés en mémoire : tout ce qu'il avait observé, entendu, jusqu'à la moindre pensée qui l'avait traversé.
Et, sans doute à cause des Détraqueurs qui rôdaient autour du château, il avait l'impression saisissante de revivre la scène comme pour la première fois.
Il faisait nuit ; Sirius et Regulus se trouvaient tous les deux au bord du Lac Noir, sous une pluie battante. Regulus regardait derrière son épaule pour s'assurer qu'il était seul, sans voir que son grand frère se trouvait juste derrière lui, caché sous la Cape d'Invisibilité de James. Sirius était si proche qu'il aurait pu le toucher, et son cœur battait si fort qu'il se demandait par quel miracle Regulus ne l'entendait pas.
Sans imaginer une seule seconde qu'il était ainsi épié, Regulus leva sa baguette et traça autour d'eux un large cercle qui les masquait aux yeux des habitants du château et les isolait de tous les sons qui leur parvenaient de l'extérieur. Puis il s'accroupit, se pencha au-dessus de l'eau, et étendit sa main au-dessus de la surface du lac, qui devint lisse comme un miroir, comme si la pluie avait subitement cessé d'y tomber.
L'espace d'un instant, Sirius se surprit à être vexé de ne pas connaître tous ces sortilèges ; mais ce sentiment fut balayé par la haine indescriptible qui l'envahit lorsqu'il vit un visage familier apparaître juste en-dessous de la surface de l'eau, à l'endroit où aurait dû se trouver le reflet de Regulus.
– Je t'attendais, dit l'image d'Orion Black avec froideur.
Grâce aux sortilèges soignés de Regulus, le visage et la voix nasillarde de leur père étaient parfaitement nets. Sirius devina qu'il se trouvait au 12, square Grimmaurd, et était également penché sur un récipient rempli d'eau.
– J'ai été retenu, répondit Regulus sur le même ton.
– Comment vas-tu ?
– Bien, répondit Regulus, probablement lucide sur le fait que son père n'accordait aucune importance à sa réponse.
– L'été approche, fit remarquer Orion. Tu sais ce que cela signifie.
Regulus pâlit encore davantage, si c'était possible.
– Oui... Oui.
– As-tu lu tous les ouvrages que je t'ai envoyé ?
– Je les ai finis la semaine dernière, répondit Regulus, laconique.
– C'est bien, c'est bien.
– C'est pour me demander ça que tu m'as fait venir ici ?
– Non, pas du tout. C'est à cause de Carla Goyle. Tu sais, la femme de cet imbécile d'Edgar, la belle-fille de Vera et Fergus...
– Je sais qui est Carla Goyle, Papa.
– Eh bien voilà : elle ne cesse de répéter à qui veut l'entendre que tu es de mèche avec Vera ! Elle prétend même que tu lui envoies des lettres ! Elle en aurait trouvé une, en fouillant dans sa chambre...
Regulus fronça les sourcils, visiblement contrarié.
– Carla fouille les affaires de Vera ? demanda-t-il, à la fois inquiet et indigné. Elle n'a pas le droit !
– Évidemment qu'elle en a le droit ! Je te signale que Vera est soupçonnée d'avoir assassiné Piscus Crabbe, d'avoir tenté de faire échouer l'attaque du pensionnat Wimbley, et certains l'accusent même d'orchestrer ces mystérieuses évacuations de Moldus avant les attaques des Mangemorts ! Si le Seigneur des Ténèbres ne l'a pas encore tuée, c'est parce que les Collinards la protègent, mais cela ne va pas durer...
Avec un pincement au cœur, Sirius repensa à la grande dame aux vêtements colorés qui rendait régulièrement visite à sa tante Druella, lorsque celle-ci était encore en vie. À l'époque, il lui arrivait de guetter sa venue pendant des heures, impatient de voir Kreattur et sa mère froncer le nez, d'entendre sa maison résonner d'éclats de rire et se remplir des odeurs alléchantes de ses fantastiques recettes de cuisine.
– C'est faux, affirma Regulus. Vera est de notre côté ! Vous ne pouvez pas vous débarrasser d'elle à cause de simples soupçons !
– Alors, ce qu'on dit est vrai ? siffla Orion. Tu es en contact avec elle ?
– Vera s'est occupée de ma blessure pendant des mois, l'année dernière, protesta Regulus. Elle m'a rendu visite tous les jours ! C'est normal que je prenne de ses nouvelles ! Je m'inquiétais justement de ne pas recevoir de réponse...
– Tu as donc été assez idiot pour faire ça, cracha Orion. Bon sang, tu seras bientôt un Mangemort, mon fils ! As-tu seulement conscience de ce que cela implique ?
Sous sa Cape d'Invisibilité gorgée d'eau de pluie, Sirius tressaillit et son cœur repartit au galop.
C'était donc vrai. Son frère allait devenir un Mangemort. Il s'en doutait, bien évidemment, mais en entendant son père parler machinalement de cet horrible projet, Sirius fut saisi de nausées.
– De quoi lui as-tu parlé ? J'espère que ces lettres ne contiennent rien de compromettant...
– Rien du tout, je t'assure ! Je n'ai fait que lui parler de Poudlard et de l'évolution de ma blessure...
– C'est déjà trop, grogna Orion. Ne t'avais-je pas demandé de te montrer irréprochable ?
– Je ne recommencerai pas, c'est promis, capitula Regulus. Comment va Maman ?
– Mal, justement, répliqua Orion avec colère, comme si Regulus en était responsable. Tu sais bien, depuis que Sirius est parti... Elle est plus en colère que jamais. Et pour arranger le tout, les Malefoy s'évertuent à nous tenir à l'écart de tout ce qu'il se passe au sein des Mangemorts ! Tu es donc notre seul espoir de nous sortir de là... Ce qui est loin de me rassurer, je l'avoue.
– Je réussirai, promit aussitôt Regulus. Je ferai le nécessaire pour démentir les accusations de Carla Goyle, et pour être à la hauteur de ce que le Seigneur des Ténèbres attend de moi. Vous n'aurez plus à souffrir de tout ça, je vous le promets.
Il avait parlé mécaniquement, comme s'il récitait un texte appris par cœur.
– Tant mieux. Regulus... J'espère que tu ne m'en veux pas d'être parfois dur avec toi. Je suis fier de tous les progrès que tu as accompli, mais j'ai parfois le sentiment que tes convictions faiblissent... Et je ne voudrais pas décevoir le Seigneur des Ténèbres à nouveau.
– Mes convictions ne faiblissent pas, affirma Regulus avec fermeté. Au contraire, elles sont plus fortes que jamais.
– C'est bien, c'est bien. Mon fils, je dois te laisser... J'ai beaucoup à faire. À l'avenir, n'envoie de lettre à personne, à moins de m'avoir demandé la permission auparavant. C'est compris ?
– Entendu... Tu embrasses Maman pour moi ?
Il n'obtint aucune réponse. Le visage d'Orion avait déjà disparu, brouillé par la pluie battante qui tombait à nouveau sur la surface du lac.
Les épaules de Regulus s'affaissèrent et il poussa un long soupir. Il ne semblait pas remarquer que sa cape traînait dans la boue, que la pluie détrempait ses cheveux noirs, gouttait dans sa nuque et sur ses joues pâles. Il restait immobile, accroupi, ses yeux gris flottant vers le fond du lac, comme si les réponses à toutes ses questions allaient en émerger. Son assurance s'était évaporée en même temps que le reflet de son père, et il semblait complètement déboussolé. À deux pas de lui, sous sa cape gorgée d'eau glacée, Sirius serrait les dents pour les empêcher de claquer. Il était révolté par tout ce qu'il venait d'entendre, et les paroles de Dumbledore résonnaient en lui, lancinantes : J'ai la conviction que Regulus se sent très seul, ces temps-ci.
À ce moment-là, Sirius fut tenté de retirer la Cape d'Invisibilité. Pour quoi faire ? Il ne savait pas vraiment. Pour faire peur à son frère, pour lui montrer qu'il avait réussi à l'espionner à son insu ? Pour lui crier dessus comme il l'avait fait au pensionnat Wimbley, et comme il brûlait de le faire à présent ? Lui hurler que Bellatrix, les Mangemorts, leurs parents, tous ces adultes étaient des monstres qui le manipulaient, qu'il ne fallait pas les écouter ? Lui dire autre chose – mais quoi donc ?
Il s'efforça d'imaginer la scène à toute vitesse. La surprise, d'abord, puis cette expression apeurée et peinée sur le visage de Regulus, si familière, si exaspérante. Sa colère, peut-être. Sirius ne pouvait pas imaginer une seule seconde que Regulus serait heureux de le voir, qu'il aimerait se confier à lui.
Que pourraient-ils bien se dire ? Avaient-ils jamais discuté ensemble, échangé la moindre parole qui ne soit pas imprégnée de ressentiment et de jalousie ? Et d'ailleurs, au nom de quoi le feraient-ils ? De leur passé commun, de leur ressemblance physique, de leurs liens du sang ? C'étaient autant de choses que Sirius maudissait de tout son être et avait toujours voulu voir disparaître.
Les poings de Sirius se serraient et se desserraient autour de la Cape d'Invisibilité, incapables de se résoudre à la retirer. Il n'avait toujours pas pris de décision quand Regulus retira un de ses gants et remonta pensivement la manche de sa veste.
C'est là que Sirius la vit.
La Marque des Ténèbres était dessinée sur l'avant-bras de son frère, boursouflée, déformée, hideuse. Regulus l'effleurait du bout des doigts en grimaçant de douleur. En voyant ce symbole et en pensant à tout ce qu'il représentait, en mesurant soudain la profondeur du gouffre qui se trouvait entre son frère et lui, Sirius fut saisi de vertige.
Je ne pense pas que Regulus te repousserait, avait dit Dumbledore.
Mais Dumbledore se trompait. Ils seraient tous les deux incapables de surmonter leur rivalité, leur dégoût pour les opinions de l'autre. Non, décidément, Sirius n'était pas la bonne personne pour aider Regulus. Depuis bien trop longtemps, le garçon qui se trouvait là, sous ses yeux, n'était qu'un inconnu. Tous les deux ne pourraient jamais se comprendre, et Sirius ne pouvait rien faire pour lui.
Tout en verrouillant intérieurement toutes ces certitudes, Sirius se détourna silencieusement et s'éloigna dans l'obscurité. Et plus il s'éloignait de son frère, plus il avait l'impression de tomber, tomber...
– Sirius ! Hé, Sirius !
Sirius se réveilla en sursaut. Il mit quelques instants à réaliser qu'il ne se trouvait pas au bord du lac, mais dans son dortoir, et que la personne qui le tenait par l'épaule n'était pas son frère, mais son ami Remus.
– Désolé, s'excusa ce dernier. J'avais l'impression que... Que tu avais du mal à respirer.
Sirius cligna des yeux, un peu hébété, et revint progressivement dans la réalité.
Le souvenir qu'il venait de revivre avait eu lieu un an plus tôt, et la conversation écœurante qu'il avait surprise ce soir-là n'avait fait que confirmer tout ce qu'il pensait déjà : ses parents étaient profondément détestables, ils se servaient de Regulus comme d'une marionnette, et ce dernier était trop idiot pour s'en rendre compte – ou trop lâche pour protester. Mais malgré la colère et l'exaspération que cela engendrait, Sirius avait décidé qu'il n'y pouvait rien. Il avait pris la ferme résolution de ne plus jamais s'en mêler, et de tenter d'oublier son frère pour se consacrer à ceux qu'il considérait désormais comme sa vraie famille – James, Remus et Peter.
Depuis, la situation n'avait pas changé : Sirius continuait d'ignorer son frère, comme il le faisait depuis le début de leur scolarité. Dans des moments d'égarement, il lui arrivait parfois de l'observer en douce, sans parvenir à savoir s'il avait bel et bien intégré les Mangemorts ou non. Remus, James et Peter faisaient semblant d'ignorer l'existence de Regulus, même si son comportement étrange n'échappait à personne.
Sirius s'appuya sur son coude et regarda autour de lui : il n'avait aucune idée de l'heure qu'il était, mais Remus et Peter étaient encore en uniforme, et James était absent.
– On vient de revenir de la bibliothèque, l'informa Remus.
Sirius hocha la tête et se redressa pour s'asseoir sur le bord de son lit. Il était trempé de sueur et tremblait comme une feuille.
– Qu'est-ce qu'il fait froid, marmonna-t-il.
Remus s'assit à côté de lui, lui tendit une couverture et entreprit de lui frictionner le dos.
– Oui, c'est affreux, acquiesça-t-il. Même les professeurs n'arrivent pas à chasser tous ces Détraqueurs... Et leur présence est en train de gâcher nos derniers moments à Poudlard.
À ces mots, un silence pesant s'installa, et Sirius se sentit envahi par une douloureuse bouffée de nostalgie. Il ne leur restait plus qu'un mois avant de quitter Poudlard définitivement. Plus que trente jours avant la fin du monde, de leur monde. Il balaya du regard le dortoir qui avait bercé les sept dernières années de sa vie, et sentit son cœur se serrer. Tout cela – eux quatre, leurs plaisanteries incessantes, leurs escapades nocturnes sous leur forme animale, la Carte du Maraudeur – cela allait donc prendre fin. Bientôt, la guerre allait les engloutir, les séparer, peut-être pour toujours.
En regardant Remus et Peter, il devina qu'ils pensaient exactement à la même chose que lui, mais personne ne pensa à l'exprimer à voix haute.
– Où est James ? demanda Sirius pour faire diversion.
– Je ne l'ai pas vu depuis un long moment...
– Il est sûrement avec Lily, gloussa Peter. Vous croyez qu'il va enfin réussir à l'embrasser ?
Sirius l'ignora. La présence des Détraqueurs le rendait plus irritable qu'à l'accoutumée, et il n'avait plus l'énergie de réagir aux remarques puériles de Peter.
Il se demanda si ses amis se doutaient de quoi – de qui – il avait rêvé. Si James avait été là, il l'aurait deviné immédiatement, car comme il le disait si bien, Regulus était la seule personne qui avait le pouvoir de le mettre dans cet état...
– Tiens, dit Remus en lui tendant un carré de chocolat.
– Merci, soupira Sirius.
Il fit fondre le chocolat dans sa bouche, et se sentit un peu mieux.
– Encore, l'encouragea Remus en lui tendant un autre morceau.
Sirius parvint enfin à sourire et mangea deux autres carrés.
– C'est encore mieux qu'un Patronus, dit-il avec reconnaissance.
– Prends-en autant que tu le souhaites, recommanda Remus en lui mettant la tablette entre les mains.
Face à eux, Peter se dressa d'un bond, les faisant sursauter tous les deux.
– Quoi, encore ? s'agaça Sirius.
– Regardez ! insista Peter. Dehors !
Ils se tournèrent vers la fenêtre et constatèrent que l'obscurité totale qui y régnait quelques instants plus tôt avait été balayée par une puissante lumière argentée. Ils se levèrent d'un bond et s'approchèrent de leur fenêtre, mais ce qui était à l'origine de cette clarté éblouissante était caché par une tourelle du château.
– Allons voir ! décida Remus en se dirigeant vers la porte.
Sirius mit ses chaussures à toute vitesse et s'élança à sa suite. Ils coururent dans les couloirs, jusqu'à arriver sur l'un des balcons de Poudlard qui donnait sur le lac. Là, ils constatèrent que les Détraqueurs avaient complètement disparu, ainsi que la brume glaciale qui les accompagnait. L'air s'était brusquement radouci, et pour la première fois depuis des jours, ils pouvaient admirer l'ensemble du domaine de Poudlard : les collines verdoyantes, le Saule Cogneur, la cabane de Hagrid, la Forêt Interdite, l'immense lac qui brillait comme une grosse opale.
– Comme c'est beau, s'émerveilla Remus.
– Plus beau que jamais, approuva Sirius.
Une brise légère soufflait, ébouriffant leurs cheveux, retournant leurs cravates mal nouées. Sirius inspira l'air du soir à plein poumons, soulagé d'être débarrassé du poids qu'il avait sur la poitrine depuis plusieurs jours. Avec le sentiment d'être de plus en plus léger, il se pencha en avant et plissa les yeux pour mieux distinguer l'origine de cette clarté éblouissante, qui se trouvait au-dessus de la surface du lac et le faisait étinceler de mille feux.
Lorsqu'il comprit de quoi il s'agissait, toutes ses pensées désagréables s'envolèrent complètement et il éclata de rire.
– James ! s'exclama Remus, qui avait compris en même temps que lui.
– C'est un génie, s'extasia Sirius, un grand sourire aux lèvres.
***
Une heure plus tôt, James et Lily étaient en train de discuter tous les deux sur le banc où ils avaient l'habitude de se retrouver pour échanger sur leurs projets de Préfets-en-Chef.
– Je n'en peux plus, râlait Lily à propos des Détraqueurs. Je donnerais tout pour aller me promener tranquillement dans le parc, pour repousser cette atmosphère oppressante et redonner un peu de légèreté aux élèves. Je sais que les professeurs font de leur mieux, avec leurs Patronus, mais ils sont épuisés, eux aussi...
James acquiesça, songeur, tout en observant Lily à la dérobée. Depuis quelques jours, il ne cessait de penser à la manière dont leur relation avait évolué au cours de l'année.
L'été précédent, ses trois amis avaient enfin réussi à le convaincre qu'il fallait impérativement changer de comportement s'il voulait coopérer avec Lily. Finies les crâneries puériles et les plaisanteries douteuses : en temps de guerre, ce comportement tapageur et arrogant n'était plus acceptable. Il fallait être digne de la confiance que Dumbledore lui accordait, et bannir toutes ses mauvaises habitudes.
James s'y était préparé tout l'été : cette septième année était aussi la dernière qu'il passerait à Poudlard, et il se devait d'être exemplaire. Avec la guerre, il était impossible de prédire ce qui se passerait une fois leur scolarité terminée : tout ce qu'il allait faire pendant cette année serait peut-être la dernière empreinte qu'il laisserait dans ce monde. Et l'idée de perdre Lily pour de bon, sans avoir rien essayé d'autre que ces fanfaronnades idiotes et ces déclarations minables lui était soudain apparu comme un immense gâchis.
Dès la rentrée, James avait donc fait de son mieux pour se comporter en adulte. Il avait cessé de se moquer des autres élèves, de se faire remarquer à tout prix, et malgré l'attirance qu'il continuait de ressentir pour Lily, il avait mis fin à ses tentatives de séduction pour se concentrer sur les tâches difficiles qu'ils avaient à réaliser ensemble.
Lily, elle, n'avait fait aucun effort pour cacher son aversion pour James. Elle s'était d'abord montrée froide et distante, parfois acerbe ; puis, voyant que James avait cessé de se comporter comme un goujat et qu'il avait même de bonnes idées pour l'école, elle avait fini par baisser la garde et par apprécier son investissement dans son nouveau rôle de Préfet-en-Chef.
Peu à peu, à force de se côtoyer, ils avaient commencé à parler de la guerre, de leurs familles, puis d'eux-mêmes et de la manière dont ils voyaient le monde. Ainsi, James apprit que Lily avait longtemps nourri un certain ressentiment à l'égard du monde magique pour l'avoir séparée de ses proches et pour l'avoir forcée à évoluer entre deux univers qui ne communiquaient pas. Et Lily découvrit que James et ses parents avaient toujours côtoyé leurs voisins moldus, aussi naturellement qu'ils n'avaient côtoyé des sorciers ; qu'ils étaient abonnés aux journaux moldus au même titre que La Gazette du Sorcier, et qu'ils les trouvaient bien plus intéressants et plus complets ; et que, de ce fait, ils en savaient davantage à propos des Moldus que la plupart de leurs homologues sorciers.
James et Lily découvrirent petit à petit qu'ils étaient d'accord sur beaucoup de choses. Pour eux, la possession de pouvoirs magiques était une grande chance, qui impliquait donc une forte responsabilité, mais n'était en aucun cas un gage de supériorité ; les Moldus n'avaient pas besoin des sorciers pour vivre, comme les prétendaient les partisans de Voldemort ; avoir peur d'un nom était ridicule ; etc., etc.
Quelques jours plus tôt, ils avaient eu une longue discussion à propos du comportement que James avait eu les années précédentes, des raisons qui l'avaient motivé à changer, et il en avait profité pour présenter ses excuses à Lily en bonne et due forme.
Tu sais, je crois que le nouveau James me plaît, avait conclu Lily d'un air détaché. Et j'ai bien envie de lui laisser une chance.
Puis elle lui avait donné une petite tape sur le genou et était partie à grands pas ; et James était resté planté là, stupéfait.
Que diable avait-elle voulu dire ? Parlait-elle d'amitié, ou de quelque chose de plus... engageant ? Même après l'aide de Remus, Sirius et Peter, James n'avait pas réussi à répondre à ces impitoyables questionnements.
Et alors que Lily se plaignait des Détraqueurs, il mourait d'envie de lui proposer quelque chose, mais il craignait qu'elle trouve cela déplacé.
Tant pis, pensa-t-il en se jetant à l'eau.
– Euh, je... Je connais peut-être un moyen, dit James.
– Pardon ?
– J'ai une idée... Qui pourrait nous permettre de nous balader un peu.
Lily plissa les yeux, intriguée.
– Nous balader ? Dumbledore a dit que c'était trop dangereux, et Rusard patrouille sans cesse autour du château pour nous empêcher d'en sortir...
– Rusard n'est pas un problème, assura James. Je connais un moyen d'être discret.
– Il est hors de question d'enfreindre le règlement, James. Nous sommes les Préfets-en-Chefs !
– Justement, protesta-t-il avec vigueur. Avec tout ce que nous faisons pour cette école, nous avons bien le droit de nous détendre un peu...
– Que diraient les autres élèves, à ton avis ? Et les professeurs ? Tout le monde serait furieux de voir que nous avons trahi leur confiance.
– Bon, bon... Comme tu voudras. Mais si tu changes d'avis... Sache que la petite promenade que je te propose ne comporte aucun risque.
Lily eut une moue désapprobatrice, puis essaya de penser à autre chose, mais James avait piqué sa curiosité. Elle commençait à connaître l'étendue de ses talents en matière de magie : s'il y avait bien un seul élève capable de déjouer l'étroite surveillance de Rusard, c'était certainement lui.
Elle se mit à l'observer à son tour : il faisait mine d'être absorbé dans les notes de son dernier cours. Après un an à le côtoyer, Lily savait pertinemment qu'il n'en était rien : premièrement, il ne prenait jamais de notes – le parchemin qu'il tenait appartenait sans doute à quelqu'un d'autre – et deuxièmement, il était suffisamment brillant pour ne jamais avoir besoin de réviser quoique ce soit.
Oh, et puis zut, pensa Lily. La tentation de se promener était bien trop forte. Ou plutôt : la tentation de se promener avec James était bien trop forte.
– Dis, à propos de cette petite promenade...
– Attends une seconde, la coupa James en parcourant rapidement des yeux le bas de son parchemin. Voilà, j'ai terminé... Je t'écoute. Tu disais ?
Lily leva les yeux au ciel.
– Tu es incorrigible, soupira-t-elle. Je sais très bien que ce parchemin appartient à Remus.
– Perdu ! Il est à Peter... Je suis en train de corriger son dernier devoir de Métamorphose. Et crois-moi, ce n'est pas une mince affaire.
James lui adressa un sourire radieux. Lily devait bien l'avouer, il était loin d'être repoussant. Le mot attirant convenait bien mieux. Surtout depuis qu'ils avaient eu cette longue discussion, quelques jours plus tôt...
– Alors ?
– Non, je me demandais simplement... Cette petite promenade... Après tout, nous l'avons bien mérité. Non ?
Le sourire de James s'élargit encore davantage, si c'était possible.
– Suis-moi, dit-il en se levant, frétillant d'excitation. Je vais te montrer.
Il l'entraîna jusqu'à une salle de cours déserte. Là, il s'agenouilla pour fouiller dans son sac et en extirpa un morceau de tissu soyeux et argenté, d'aspect très fluide.
– Qu'est-ce que c'est ? demanda Lily en regardant le tissu et la manière fascinante qu'il avait de refléter la lumière.
James se redressa, et, en voyant Lily se tenir debout devant lui, sans éprouver la moindre gêne ni la moindre méfiance, il réalisa que ses efforts déployés depuis le début de l'année avaient été amplement récompensés. Il n'avait plus besoin de plaire à tout le monde : il se sentait en paix avec lui-même, fier du chemin parcouru et, plus important encore, il se sentait digne de Lily.
– James ? Tu m'entends ?
– Euh... Oui, pardon... C'est une Cape d'Invisibilité. C'est mon père qui me l'a donnée... C'est un très vieil objet.
– Une Cape d'Invisibilité, répéta Lily, fascinée. Elle est sublime !
Lily passa sa main dans le tissu, et sursauta quand celle-ci devint translucide. Puis elle mit la Cape sur ses épaules, et constata avec émerveillement que son corps avait totalement disparu.
– C'est incroyable, murmura-t-elle. Tu as raison, Rusard n'a aucune chance de nous repérer... Alors, on y va ?
James se dandina d'un pied sur l'autre, mal à l'aise.
– C'est comme tu veux, dit-il. Je... Je serais ravi de t'accompagner, mais si jamais tu préfères y aller avec Marlene... Je pourrais vous la prêter, et...
– Ne dis pas de bêtises, le coupa Lily. C'est ta Cape, après tout... Allez, viens !
James se glissa sous la Cape et ainsi, côte à côte, épaule contre épaule, ils sortirent de la salle de cours, cheminèrent dans les couloirs et sortirent dans le parc, tous les deux ravis. L'après-midi touchait à sa fin, mais la nuit avait déjà commencé à tomber ; et avec la brume glaciale qui entourait le domaine, on n'y voyait pas grand-chose.
– C'est incroyable, murmura Lily en admirant le paysage à travers la cape. Je comprends maintenant comment vous arriviez à faire toutes ces plaisanteries sans jamais vous faire attraper...
Elle embrassa du regard la silhouette du château qui se découpait dans le ciel, puis celle du Saule Cogneur et la surface obscure du Lac Noir qui se perdait dans la brume.
– Allons près du lac, décida-t-elle. Ah, ça fait du bien de respirer un peu ! Je n'en pouvais plus d'être cloîtrée à l'intérieur du château.
James ne répondit rien : il était trop heureux pour parler. Et la situation ne s'arrangea pas pendant qu'ils descendaient la pente boueuse, puisque Lily s'agrippa à son bras pour ne pas tomber et y resta cramponnée jusqu'à ce qu'ils atteignent la berge du lac. Là, abrités des regards par un énorme bloc de pierre, ils se débarrassèrent de la Cape, mais Lily resta suspendue au bras de James.
– Il fait de plus en plus froid, fit-elle remarquer en scrutant la brume épaisse qui s'enroulait autour d'eux. On s'approche des limites du domaine... Ces maudits Détraqueurs doivent être nombreux.
Et en effet, James ressentait nettement leur présence. Une boule d'angoisse et de tristesse essayait de se former au creux de son estomac ; mais heureusement, la main de Lily serrée autour de son bras l'en empêchait.
– Regarde ! dit-elle en lui montrant le ciel.
James leva les yeux et fut saisi à son tour par un spectacle d'une grande beauté. Au-dessus du lac, une trouée argentée venait de s'ouvrir dans la brume formée par les Détraqueurs, éclairant d'une puissante lueur leurs silhouettes macabres. À l'origine de ce faisceau de lumière, un grand oiseau argenté virevoltait gracieusement dans les airs, repoussant momentanément les Détraqueurs qui se trouvaient sur son passage.
– Un Patronus, murmura James, émerveillé.
– C'est un phénix, reconnut Lily. Ce doit être celui de Dumbledore... C'est la première fois que je vois un Patronus d'aussi près.
Son visage était éclairé par la lumière argentée qui balayait les environs ; son regard croisa celui de James, et ils eurent la même idée au même instant.
– Tu crois que...
– Dumbledore appréciera sûrement le coup de main, assura James, revigoré par la perspective de s'essayer à un nouveau sortilège.
– Tu penses que nous en sommes capables ?
– Certain ! Allez, tu commences ?
Lily hésita une fraction de seconde, puis sortit sa baguette.
– Ce serait incroyable, murmura-t-elle en la tournant entre ses mains.
Elle réfléchit encore un peu, puis tendit sa baguette devant elle.
– Spero Patronum, articula-t-elle distinctement.
Des volutes argentées jaillirent aussitôt de l'extrémité de sa baguette ; elles tournoyèrent quelques instants dans les airs, puis s'évanouirent dans l'obscurité.
Loin de se décourager, Lily ferma les yeux et recommença. Cette fois-ci, les volutes argentées qui apparurent étaient plus denses, plus vives, presque éblouissantes ; elles tournoyèrent un peu plus longtemps, mais au moment où elles s'agrégeaient entre elles pour prendre la forme d'un animal, une bourrasque les dispersa et elles s'éteignirent à nouveau.
– Tu y es presque, l'encouragea James.
Concentrée, Lily hocha la tête et recommença une troisième fois. Les volutes argentées jaillirent de sa baguette avec force, tourbillonnèrent dans le vent, se rapprochèrent de la surface du lac...
– Allez ! chuchota James.
Il se demanda furtivement quel animal était sur le point d'apparaître – mais cette question fut aussitôt balayée par sa réponse, tout à fait limpide.
– Une biche ! s'exclama-t-il sans pouvoir s'en empêcher.
Et au moment où il prononçait ces mots, le Patronus prit corps. Les volutes se stabilisèrent, s'agrégèrent pour former une forme grossière, puis de plus en plus détaillée et de plus en plus lumineuse. Ils distinguèrent rapidement une tête allongée, un museau, deux grandes oreilles ; puis quatre pattes pourvues de sabots, et un corps gracieux terminé par une petite queue.
– Une biche, répéta Lily. Elle est adorable !
Elle souriait, émerveillée. Devant eux, la biche s'était mise en mouvement : elle fit quelques pas, comme si la surface du lac était solide. Elle regarda autour d'elle, constata que le Patronus de Dumbledore s'était éloigné, et que de nombreux Détraqueurs s'étaient de nouveau rassemblés autour du domaine.
Voyant cela, le Patronus se mit à trotter, puis à galoper au-dessus de l'eau. Les ondes argentées qui émanaient d'elle au rythme de sa foulée repoussaient au loin les Détraqueurs, et faisaient étinceler la surface du lac. La brume glaciale qui les enveloppait s'évapora, laissant place aux senteurs agréables de la nature environnante. Derrière eux, dans le château, plusieurs élèves s'étaient approchés des fenêtres pour admirer ce spectacle réconfortant, et James et Lily durent se rapprocher du gros rocher qui les abritait pour rester hors de vue.
– Alors ?
James ne savait pas quoi dire. Depuis qu'il s'était glissé sous la Cape d'Invisibilité avec Lily, il ne parvenait plus à réfléchir. Il se trouvait dans un rêve, il n'y avait pas d'autre explication possible. Tout cela ne pouvait pas être réel. Le bras de Lily autour du sien, son visage souriant, ses yeux verts qui se plongeaient dans les siens, ce Patronus qui brillait de mille feux... Dans son esprit, différentes voix s'affrontaient, criant des dizaines d'ordres contradictoires – allant d’Embrasse-la ! à Pars en courant ! – formant un brouhaha absolument inintelligible.
Face à lui, Lily attendait visiblement qu'il dise quelque chose.
Allez ! le houspilla l'une des voix qui se chamaillaient dans sa tête. Félicite-la !
– Euh... J'adore les biches, bredouilla James.
Lily eut l'air étonnée, puis éclata de rire.
– Comment as-tu deviné quel animal ce serait ? demanda-t-elle. Je ne savais pas moi-même ce qui allait apparaître.
– C'est parce que... Je sais quel est mon Patronus, et...
– Tu en as déjà réussi un ?
– Non... C'est un peu plus compliqué que ça. Tu verras, dit James en sortant sa baguette.
Il n'eut même pas besoin de réfléchir à un souvenir heureux : il baignait déjà dans une plénitude qu'il n'avait jamais ressentie auparavant. Il avait grandi, changé, muri. Ses amis et ses parents étaient fiers de lui. Lily ne le méprisait plus. Il se sentait apaisé et confiant. Il était prêt.
– Spero Patronum, dit-il à son tour.
Des volutes argentées identiques à celles qui avaient jailli de la baguette de Lily jaillirent de la sienne. De la même manière, elles virevoltèrent gracieusement dans les airs et se rapprochèrent de la surface du lac. Plus loin, le Patronus de Lily avait interrompu sa course pour observer le nouvel animal qui était en train de se former ; rapidement, on distingua quatre pattes reliées à un corps élancé, puis une tête allongée, un museau, deux oreilles...
Pendant un court instant, le deuxième Patronus fut semblable au premier ; puis deux cornes argentées poussèrent sur sa tête et se ramifièrent pour former deux bois majestueux. Ainsi entièrement formé, le cerf s'inclina profondément devant la biche qui le regardait avec intérêt.
– Bien sûr, murmura Lily.
Le cerf se redressa, et les deux Patronus se firent face. Lentement, à petits pas, ils s'avancèrent l'un vers l'autre ; et plus ils se rapprochaient, plus leur scintillement s'intensifiait. Lorsqu'ils se rejoignirent au milieu du lac, leur éclat devint si éblouissant que James dut plisser les yeux pour continuer à les regarder. Les deux Patronus s'inclinèrent jusqu'à ce que leurs fronts se touchent, se frottèrent l'un contre l'autre avec tendresse ; puis ils se détachèrent, s'ébrouèrent un peu et s'élancèrent côte à côte en décrivant de larges cercles dans le ciel, tous deux étincelant de mille feux.
James et Lily entendirent quelques applaudissements provenant du château : les élèves devaient apprécier le spectacle, même s'ils ne savaient pas qui en étaient les auteurs.
Lorsque James se tourna enfin vers Lily, il s'aperçut qu'elle le regardait avec insistance. Elle semblait de nouveau attendre quelque chose – mais quoi donc ?
Voyant qu'il restait perplexe, Lily leva les yeux au ciel.
– James Potter, soupira-t-elle. Tu es l'une des personnes les plus intelligentes que je connaisse, et tu n'es pas capable de comprendre ce que tout cela signifie ?
James sursauta. Sirènes, alarmes, panique à bord. Il avait peut-être une idée, bien sûr, mais... Et s'il se trompait ?
– Euh... Eh bien...
Il n'avait jamais bredouillé de la sorte. Son cœur ne savait plus comment battre correctement et son cerveau devait ressembler à une soupe de magma en fusion – mais bizarrement, c'était plutôt agréable. En face de lui, Lily souriait toujours.
Embrasse-la, triple idiot ! dirent en chœur les voix de Sirius, Remus et Peter en son for intérieur.
James hocha la tête, incapable de prononcer le moindre mot. Et, de peur que Lily ne s'impatiente, il se pencha vers elle et ils s'embrassèrent, avec une maladresse incroyable et un ravissement qui balayait tout le reste. Au moment où ils s'enlacèrent, il leur sembla que la lumière argentée des Patronus s'intensifiait encore davantage ; ou peut-être était-ce leur propre bonheur qui les illuminait de l'intérieur.
Lorsque James et Lily regagnèrent leurs dortoirs, main dans la main, la nuit était tombée depuis plusieurs heures. Ils se séparèrent dans la Salle Commune en essayant de contenir leurs éclats de rire euphoriques, et James remonta vers son dortoir en essayant de maîtriser les tremblements de ses mains.
Lorsqu'il ouvrit la porte, James ne remarqua même pas ses trois amis endormis sur le tapis, rassemblés autour d'une lanterne qui éclairait la Carte du Maraudeur. Au grincement de la porte, Sirius ouvrit un œil et se redressa en passant une main dans ses cheveux bouclés.
– James, dit-il d'une voix ensommeillée. C'est toi ?
Sans répondre, James se débarrassa de sa Cape d'Invisibilité et fit quelques pas à l'intérieur de la chambre en chantonnant, vacillant légèrement sur ses jambes.
– Regardez-moi ça, s'esclaffa Sirius en réveillant Remus et Peter. Il ne tient même pas debout !
– Oh ! sursauta James. Vous êtes là...
Remus et Peter se redressèrent vivement, soudain tout à fait éveillés.
– Alors ? demanda timidement Peter.
– Ces Patronus... Est-ce que ça signifie ce que je pense ?
Face à ses trois amis, James eut un petit rire nerveux.
– Je pourrais faire apparaître mille Patronus, dit-il en s'affalant sur son lit.
Un court silence s'ensuivit, rapidement interrompu par des exclamations surexcitées.
– James ! Oh, James ! aboya Sirius en se jetant sur lui.
– Chhht ! Elle va vous entendre depuis le dortoir des filles !
– Tant pis ! Raconte !
– Demain, dit James en faisant mine de vouloir s'endormir. Je suis épuisé, et...
– Hors de question, répliqua Sirius. On t'attend depuis des heures ! Allez, assieds-toi !
– Très bien, très bien, si vous insistez...
***
La fin de leur septième année se déroula comme dans un rêve. Malgré les nouvelles inquiétantes rapportées chaque jour par La Gazette du Sorcier, la nouvelle relation entre James et Lily apporta un souffle d'espoir et de gaieté sur l'école de Poudlard ; les élèves étaient moins moroses, et nombreux étaient ceux qui promettaient de les rejoindre dans la lutte dès la fin de leur scolarité. Les liens qui unissaient Lily et James se consolidèrent, et leurs actions au sein de l'école n'en furent que plus efficaces.
Ils n'avaient toujours pas réalisé que l'année touchait à sa fin lorsque le dernier jour arriva ; et tous les élèves de septième année durent faire leurs valises pour la dernière fois.
Laissant Lily avancer avec son amie Marlene jusqu'au Poudlard Express, James, Sirius, Remus et Peter s'arrêtèrent tous les quatre sur le chemin qui menait à Pré-au-Lard : de là où ils se trouvaient, ils avaient une vue imprenable sur le château majestueux, sur le lac et sur le reste du domaine.
– Quelle année, mes amis, soupira James.
– Quelles années, tu veux dire, corrigea Sirius.
Tous les autres élèves se trouvaient déjà sur le quai du Poudlard Express, mais ils s'étaient accordé un dernier face-à-face avec le lieu qui avait bercé leurs rêves et leur précieuse amitié.
– À propos de quoi discutiez-vous tout à l'heure, avec Lily ? demanda Remus à James. Votre discussion semblait un peu animée.
– Rien de grave... Elle tenait absolument à offrir un cadeau au professeur Slughorn, marmonna James. Un petit bocal, avec un pétale enchanté. Et je ne supporte pas ce gros plein de soupe opportuniste.
– Moi non plus, renchérit Sirius. Il sait très bien que la plupart des membres du club de Slug sont de futurs Mangemorts, et il continue à les vénérer comme si de rien n'était... Ça me met hors de moi.
Le prénom de Regulus s'imposa dans leurs quatre esprits, mais personne n'osa le prononcer.
– Lily espère que ce cadeau lui rappellera qu'il a encore sa place dans la résistance, expliqua James sans chercher à masquer son scepticisme. Mais si vous voulez mon avis, il n'y a plus aucune miette de courage en lui.
– Ne parlons plus du professeur Slughorn, supplia Peter. Je ne veux pas penser à son énorme ventre.
– Il te fait peur ? Fais attention, tu auras bientôt le même, rit Sirius en lui donnant une tape dans le dos.
Peter lui jeta un regard noir, auquel Sirius ne prêta aucune attention.
– Vous allez me manquer, les amis, déclara Remus.
– On se reverra vite, assura James. Maugrey et Claring ont déjà prévu une première réunion pour les nouvelles recrues, dans quelques jours à peine.
– Tant mieux... Vous n'avez rien oublié ? Qui a la Carte ?
– Rusard nous l'a confisquée la semaine dernière, rappelle-toi, dit Sirius. Quand nous avons voulu déposer un cadeau d'adieu dans son bureau...
– Et vous ne l'avez pas récupérée ?
– Nous n'avons pas eu le temps.
Remus haussa les sourcils, surpris.
– Alors... La Carte reste ici ?
– À vrai dire, je n'en suis pas mécontent, tempéra James. Après tout, c'est à ce lieu qu'elle appartient. Je suis certain que quelqu'un la trouvera ; et croyez-moi, ce sera forcément quelqu'un qui passe beaucoup de temps dans le bureau de Rusard.
Remus finit par approuver, et les quatre garçons prirent quelques instants pour détailler pour la dernière fois la silhouette du château, pour inscrire dans leur mémoire chacune de ses fenêtres et de ses tourelles.
– Vous savez, nous n'avons aucune raison de nous inquiéter, affirma James, comme s'il lisait dans les pensées de ses amis. Tant que nous restons soudés tous les quatre, nous n'avons rien à craindre.
– J'espère que tu dis vrai, soupira Remus.
– On reviendra ici, promit James. Quand le monde sera de nouveau en paix. Remus sera le meilleur des professeurs... Moi, bien évidemment, je serai le directeur... Peter, tu seras le garde-chasse... Et Sirius, je te verrais bien remplacer Rusard. Ça vous dirait ?
– Ce serait incroyable, rit Sirius. Je ferai des copies de la Carte du Maraudeur pour les distribuer aux élèves de Gryffondor... Et je leur donnerai des points pour leurs farces les plus inventives.
Tous les quatre échangèrent des sourires nostalgiques et James les entoura de ses bras en leur ébouriffant les cheveux. Au loin, un bruit mécanique leur indiqua que le Poudlard Express arrivait à quai, prêt à les arracher à ce lieu qu'ils chérissaient tant.
– Allez, dit James. Il est temps.
Sirius approuva et prit doucement Remus par le bras pour l'aider à détacher son regard du château. À regret, ils se détournèrent tous les quatre ; et pour la dernière fois de leur existence, ils parcoururent côte à côte le chemin qui reliait le château de Poudlard au village de Pré-au-Lard.