Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 7 : Un fantôme indiscret

8159 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 17 jours

Un fantôme indiscret




Au cours de ces dernières années scolaires riches en émotions, aucun de ces élèves ne se doutait qu'ils avaient tous été attentivement observés par l'un des nombreux habitants de Poudlard.

C'était une habitante un peu particulière, puisqu'elle avait la faculté de léviter dans les airs et de traverser les murs ; et par ailleurs, elle ne vivait pas vraiment à Poudlard, puisqu'elle était morte depuis longtemps.

Ce fantôme curieux était celui d'une élève de Serdaigle qui avait mystérieusement perdu la vie dans les toilettes du deuxième étage, en essayant de fuir une élève qui se moquait de ses lunettes. Ironiquement, son nom et son sort tragique avaient rapidement été oubliés, et on n'avait retenu que le surnom cruel que ses camarades lui avaient attribué de son vivant : Mimi Geignarde.

Après avoir perdu la vie dans ces maudites toilettes, Mimi, pleine de rancœur, en avait attribué la faute à l'ensemble des élèves de Poudlard et avait décidé de s'en isoler. Elle s'arrangeait pour inonder régulièrement les toilettes où elle se trouvait, décourageant ainsi tous les élèves qui souhaitaient s'y rendre.

Quelques dizaines d'années avaient passé dans cette solitude monotone, jusqu'à ce qu'un élève de Serpentard – bien vivant cette fois-ci – ne se réfugie dans ces mêmes toilettes pour, à son tour, échapper à deux élèves qui ne cessaient de le tourmenter. Prise de pitié pour cet élève malingre et encore plus opprimé qu'elle ne l'avait été, Mimi lui avait permis de se cacher et lui avait même proposé de revenir régulièrement ; et c'est ainsi que Severus Rogue avait trouvé un lieu où s'exercer en Potions, à l'abri de James et de Sirius.

Au début de l'année suivante, à la grande surprise de Mimi, Rogue avait poussé la porte accompagné d'un autre garçon de petite taille, tout penaud, qui venait de faire la connaissance de James Potter aux dépens de ses livres de classe, désormais couverts de taches d'encre. Le garçon en question s'était présenté à Mimi avec beaucoup de sérieux, en lui donnant son nom complet : Regulus Arcturus Black.

Pendant trois ans, Rogue et Regulus s'étaient réunis aussi souvent que possible pour étendre leurs connaissances en matière de Potions. Mimi s'était surprise à apprécier leur compagnie, et surtout celle de Regulus, qui était moins irascible, plus délicat. Rogue lui reprochait parfois à demi-mot d'avoir honte de les fréquenter, mais Mimi refusait d'y croire.

Et puis, après d'épouvantables vacances de Noël pendant lesquelles Mimi avait appris avec consternation la destruction du pensionnat Wimbley, Regulus n'était pas revenu à Poudlard. Comme Rogue, Mimi avait attendu son retour avec impatience ; mais Regulus n'était pas réapparu, et au fur et à mesure que l'espoir de le voir revenir s'amenuisait, Rogue devenait de plus en plus colérique et désagréable.

C'est à cette période que Mimi avait commencé à s'aventurer hors des toilettes pour se promener dans le château. Progressivement, elle avait pris l'habitude d'aller épier les autres élèves en cheminant vers la Salle de Bains des Préfets, l'infirmerie, le bureau du professeur Slughorn, ou bien tout simplement en se cachant dans l'ombre d'une arcade pour écouter tout ce que les élèves se racontaient dans les couloirs.

Ce spectacle s'était avéré bien plus divertissant que la mauvaise compagnie de Rogue ; et évidemment, Mimi avait rapidement remarqué ces quatre garçons bruyants, aux cravates rouges et aux cheveux ébouriffés, qui étaient pratiquement les seuls à résister à la morosité ambiante.

Elle avait identifié Sirius en premier : il ressemblait à Regulus comme deux gouttes d'eau. Mimi avait d'ailleurs du mal à le regarder sans penser à ce dernier, avec l'impression que son cœur – qui ne battait plus depuis longtemps – accélérait la cadence.

Il y avait aussi James, le plus grand et le plus musclé des quatre. Il portait des lunettes rondes, ses cheveux noirs étaient savamment ébouriffés et son sourire charmeur laissait peu de filles indifférentes. Décidément, lui aussi était très agréable à regarder...

Ensuite, il y avait Remus, le seul Préfet qui ne se rendait jamais à la Salle de Bains qui leur était dédiée, qui semblait souvent épuisé – et ces jours-là, ses amis prenaient bien garde à ne pas le bousculer et à marcher à son rythme dans les couloirs.

Et enfin Peter, qui les suivait à petits pas pressés, tentant en vain d'imiter avec application la démarche nonchalante de Sirius, de reproduire la tenue négligée de James, de s'approprier leur humour ravageur – sans jamais y parvenir. C'était celui que Mimi appréciait le moins, peut-être parce qu'il était plus laid, peut-être aussi à cause de cette lueur de ressentiment qu'elle voyait parfois passer dans son regard lorsque ses amis oubliaient de l'attendre, lorsque Sirius se montrait particulièrement méprisant avec lui, lorsque personne ne prenait la peine de lui expliquer la dernière plaisanterie de James.

Malgré cela, Mimi Geignarde s'était donc mise à attendre impatiemment le passage des quatre garçons, dont l'humeur joyeuse semblait à peine affectée par la chape de plomb qui recouvrait Poudlard. Ils riaient et plaisantaient sans cesse, et lorsqu'ils parlaient de la guerre, c'était toujours pour défendre les Moldus et leurs apparentés. Ils citaient tous ceux qu'ils admiraient : Dumbledore, Alastor Maugrey, Adam Claring, Fabian et Gideon Prewett. Sirius recevait des lettres de sa cousine Andromeda, qui était contrainte de se cacher avec son mari et sa fille pour fuir les meurtriers, et tous les quatre s'indignaient de cette situation.

Plusieurs fois, Mimi avait été tentée d'aller leur parler, mais la peur du rejet était si forte qu'elle ne le fit jamais. Pour rien au monde elle n'aurait perdu cette occasion d'observer et d'écouter, même quelques minutes par jour, ces quatre garçons qui incarnaient à ses yeux l'espoir infime que la guerre ait une issue favorable.

L'année suivante, Regulus était revenu à Poudlard ; mais en son absence, Rogue avait nourri une telle rancœur à son égard qu'il lui défendit de revenir le voir. Mimi lui en voulut beaucoup, d'autant plus que certains élèves parlaient de Regulus comme s'il était un partisan de Voldemort : et cela, Mimi refusait catégoriquement d'y croire. Si Regulus avait arrêté de la fréquenter, c'était uniquement à cause de la présence de Rogue, voilà tout. Bientôt, lorsque Rogue quitterait Poudlard, Regulus viendrait de nouveau lui rendre visite, comme avant ; et tout rentrerait dans l'ordre...

Tout en s'accrochant à cet espoir-là, Mimi avait continué d'observer les quatre Maraudeurs. Pendant leur septième année à Poudlard, elle avait parfois passé des journées entières à guetter, dans l'ombre d'une arcade, l'apparition de James et de Lily ; depuis un perchoir, elle avait réussi à surprendre la plupart des conversations qu'ils avaient échangées sur le banc où ils avaient l'habitude de se retrouver. Elle avait donc été une témoin enthousiaste du début de leur histoire d'amour, et avait d'autant plus apprécié le spectacle que Lily était une Née-Moldue, comme elle.

Évidemment, c'était aussi la période où l'irascibilité de Rogue s'était transformée en méchanceté. Incapable de supporter sa solitude, il venait parfois dans les toilettes avec deux de ses amis, Avery et Mulciber, deux brutes qui ne se contentaient pas d'insulter Mimi à tout bout de champ, mais qui prenaient un malin plaisir à lui lancer des objets à la figure – ou plutôt à travers la figure.

Même si Rogue ne se confiait plus à Mimi depuis longtemps, elle savait bien que son affection pour Lily était toujours vive, que sa haine pour James l'était encore plus et que le moindre sourire qu'ils s'échangeaient dans les couloirs lui perforait le cœur. Les jours où il était seul, Mimi parvenait à l'espionner discrètement, et il lui arrivait souvent de pleurer ; mais Mimi n'éprouvait plus aucune sympathie pour lui, ni pour ses chaudrons qui empestaient la moisissure et les racines fermentées. Le jour où il avait appris que James et Lily sortaient ensemble, Rogue était entré dans une colère noire ; il avait renversé tout le contenu de ses chaudrons sur le sol, insulté James de tous les noms, promis d'obtenir sa perte, tout en donnant de violents coups de pieds dans la tuyauterie. Mimi craignait de le voir s'effondrer à tout moment, mais sa rage était si forte qu'il n'avait pas versé une seule larme.

À partir de ce jour, Rogue avait cessé de se morfondre et n'avait plus parlé de Lily. Lorsque Mulciber et Avery se moquaient de lui à propos de cette ancienne amitié, Rogue leur répondait par des propos si méprisants à l'égard des Nés-Moldus que Mimi avait préféré les oublier.

Et à la fin de l'année, Mimi fut partagée entre le soulagement de le voir emporter avec lui ses maudits chaudrons et la tristesse qui l'envahissait à l'idée de ne plus jamais avoir l'occasion d'espionner Lily, James, Sirius et tous les autres. Pendant l'été, elle s'accrocha à l'espoir qu'en l'absence de Rogue, Regulus revienne lui rendre visite à la rentrée, et trompa l'ennui en s'imaginant tout ce qu'ils pourraient se raconter après deux ans et demi de silence.

La rentrée arriva, et Mimi comprit très vite que cette année ne serait pas une bonne année pour Poudlard. Le départ de James et Lily attristait la plupart des élèves et enhardissait ceux qui avaient vu leurs agissements d'un mauvais œil au cours de l'année précédente. Ceux qui leur avaient succédé en tant que Préfets-en-Chef, malgré leur bonne volonté, étaient loin de les égaler en termes d'énergie, de créativité et de popularité. Mimi constatait, dépitée, que les menaces et les agressions à l'égard des Nés-Moldus se multipliaient. Les élèves étaient plus pâles malgré l'été qui venait de passer, leurs joues se creusaient.

Bien que, contrairement à eux, Mimi ne craigne ni pour sa vie ni pour celle de sa famille, elle était au moins aussi désespérée. Le mélange d'exaltation malsaine, d'inquiétude et de révolte qui pesait sur les couloirs du château l'oppressaient, et les agressions envers les Nés-Moldus lui rappelaient douloureusement l'année de sa mort.

Le fait d'apercevoir Regulus de temps en temps ne lui apportait aucun réconfort, car celui-ci semblait l'avoir définitivement oubliée. Il partageait son temps libre entre la bibliothèque, où il semblait lire un nouvel ouvrage chaque jour avec une concentration infatigable, et le bureau de Slughorn, qui continuait d'éprouver pour lui une admiration sans bornes. Lorsque Mimi l'apercevait dans les couloirs, il était toujours accompagné d'Yzalia Fawley et de Lazare Bulstrode, deux élèves de Serpentard dont le nom de famille et les manières méprisantes ne laissaient planer aucun doute sur le clan auquel ils appartenaient. Mimi les détestait d'autant plus qu'Yzalia était ravissante, et ne semblait pas du tout indifférente au charme mystérieux de Regulus.

Lorsqu'elle voyait cela, bien cachée entre les arcades de pierre, les mots désagréables de Rogue lui revenaient à l'esprit : Tu crois vraiment que le noble Regulus nous apprécie ? Ses nouveaux amis sont bien plus intéressants et bien plus purs que nous ! Je t'avais bien dit qu'il nous méprisait !

Pour faire taire cette voix grinçante qui parasitait ses pensées, Mimi apprit par cœur le chemin qui menait au bureau du professeur Slughorn : c'est là qu'elle pouvait se faufiler jusqu'à son cabinet privé, afin d'espionner en douce Regulus et les plus beaux garçons de l'école. Oh, bien sûr, ils n'avaient de cesse de tenir des propos désobligeants sur les Nés-Moldus, surtout depuis que Lily Evans avait quitté Poudlard, mais Mimi Geignarde n'en avait cure. Après tout, ils ne pouvaient plus lui faire de mal, dans l'état où elle se trouvait...

Regulus, lui, ne parlait que lorsque Slughorn lui demandait son avis, et sans jamais dévoiler le moindre indice sur son appartenance aux Mangemorts. Ses camarades semblaient éprouver pour lui une fascination grandissante, mêlée de jalousie et de ressentiment ; quant aux quelques filles qui faisaient partie du Club de Slug, la plupart d'entre elles le couvaient discrètement du regard et approuvaient exagérément toutes ses interventions.

Mimi se persuadait qu'il se sentait seul, et qu'il regrettait l'époque où il pouvait discuter librement avec elle et avec Rogue, à l'abri de tous les regards ; mais vers le milieu de l'année, un triste évènement fit voler en éclats toutes ces vaines espérances.

C'était une froide soirée d'hiver ; les élèves de Poudlard avaient déserté les couloirs, accablés par la température glaciale et la situation catastrophique du pays. Le seul endroit où les élèves étaient de bonne humeur était le bureau du professeur Slughorn, où se tenait une énième réunion du Club de Slug.

Mimi se tenait à sa place habituelle, derrière la porte d'un placard, l'œil collé à la serrure, et les observait avec morosité, avec une attention particulière pour Regulus.

Ils étaient une douzaine d'élèves attablés autour de Slughorn, dont une écrasante majorité de la maison Serpentard. Regulus était assis à côté du professeur, comme ce dernier le réclamait à chaque fois ; Yzalia s'était empressée de s'asseoir près de Regulus, au grand désespoir de Mimi. La pièce était chaleureuse, les visages étaient souriants et confiants, les assiettes et les verres généreusement remplis. La plupart des élèves mangeaient avec entrain, comme si la guerre n'existait pas ; seule l'énergie que déployait le professeur de Potions pour contourner le sujet rappelait à chacun qu'un conflit féroce faisait rage au-dehors. Sur les murs et sur les étagères, d'innombrables photos de Slughorn accompagné d'anciens élèves étaient exposées.

Regulus, lui, restait songeur. Il portait un pull à col roulé qui lui allait à merveille, une veste vert émeraude et d'élégantes bottes de cuir. Depuis sa cachette, Mimi essaya à nouveau d'imaginer ce qui occupait ses pensées, mais le visage de Regulus restait désespérément insondable.

Alors que la réunion s'étirait jusque tard dans la nuit, le professeur Slughorn les laissa quelques minutes pour aller chercher un livre dans sa réserve personnelle ; et c'est à ce moment que la soirée prit un tournant très désagréable.

Dès que Slughorn eut quitté la pièce, Yzalia se leva de table pour se dégourdir les jambes, laissant les autres élèves apprécier sa démarche gracieuse et sa silhouette élancée.

– Cette réunion est passionnante, vous ne trouvez pas ? dit-elle de sa voix haut perchée.

– C'est vrai, dit le garçon prénommé Lazare. Ce professeur est un puits de savoir. Et quel soulagement, d'être enfin débarrassés de cette Sang-de-Bourbe d'Evans...

Plusieurs élèves approuvèrent avec entrain. Mimi observa Regulus avec attention : il haussa brièvement les sourcils, mais il était impossible de savoir si ce dédain était adressé à Lily ou au garçon qui venait de parler.

– Slughorn doit être soulagé, lui aussi, fit remarquer Yzalia en s'asseyant sur une commode ouvragée. Son affection pour elle commençait à lui attirer des ennuis ! Il paraît qu'il a reçu des menaces, l'année dernière.

– Et ça a fonctionné, se réjouit Lazare. Vous remarquerez qu'il n'a recruté que des Sang-Pur, cette année.

Trois élèves de première année, tous cravatés de vert émeraude, échangèrent des sourires complices.

– Courageux mais pas téméraire, gloussa Yzalia en prenant dans ses mains la photo de sa mère qui trônait sur l'étagère. Il sait ce qui l'attend, s'il s'oppose au nouvel ordre des choses...

– Oui, et c'est tant mieux, déclara un autre garçon avec suffisance. Il est toujours préférable de rester entre personnes respectables. Qui sait, peut-être que les Sang-de-Bourbe pourraient nous transmettre leurs sales maladies ?

Quelques rires moqueurs accueillirent ces paroles. Attablés avec eux, deux élèves de Serdaigle fixaient le fond de leur coupe d'hydromel avec intensité.

– Qu'est-ce que tu regardes, Regulus ? minauda soudain Yzalia.

Tous les regards se tournèrent vers lui. De l'autre côté de la table, Regulus s'était levé pour regarder pensivement par la fenêtre du bureau. Derrière la vitre couverte de givre, on pouvait apercevoir la neige qui tourbillonnait sans discontinuer.

– Regulus ? insista Yzalia.

Il haussa les épaules sans daigner se retourner.

– Rien, marmonna-t-il. Simplement... Il se fait tard. Cette réunion est interminable.

Quelques garçons échangèrent des regards exaspérés : visiblement, ils n'appréciaient pas beaucoup leur camarade.

– Viens te rasseoir, proposa Yzalia.

Regulus se retourna avec lassitude et fit quelques pas vers la table, sans se rasseoir pour autant.

– D'ailleurs, je voulais te demander, ajouta Yzalia. Comment as-tu su, tout à l'heure, pour les racines d'asphodèle ? Ce n'est pas dans notre manuel.

– Slughorn m'a autorisé à regarder certains de ses ouvrages, répondit laconiquement Regulus. C'est en les lisant que j'ai appris tout ça.

De nouveau, quelques garçons échangèrent des regards entendus. Regulus ne les remarqua pas – ou fit mine de ne pas les remarquer.

– Et alors, vas-tu accepter sa proposition, oui ou non ? demanda l'un d'entre eux avec une convoitise mal dissimulée. Devenir professeur de Potions, quelle aubaine... Il veut vraiment que tu prennes la relève, on dirait.

– Je ne sais pas encore, répondit Regulus. Je n'ai pas décidé.

– Je comprendrais que tu refuses, dit un autre garçon sur un ton de défi. À l'extérieur, tu auras sans doute l'occasion de te consacrer pleinement à la lutte... Car j'imagine que les Mangemorts t'attendent de pied ferme ?

– Peut-être, murmura Regulus, les yeux dans le vague.

Non loin de lui, un élève reposa son verre sur la table avec brusquerie.

– J'en ai assez, déclara-t-il. Pourquoi tu ne réponds pas, à la fin ? Nous ne sommes pas dignes de ta confiance, c'est ça ?

Malgré l'agressivité de celui qui venait de l'interpeller, Regulus resta impassible.

– Ça n'a rien à voir.

– Tu sais bien que toutes nos familles partagent les mêmes convictions, insista un élève aux cheveux blonds soigneusement peignés. Nous sommes des alliés ! Et justement, mes parents veulent connaître les intentions de la famille Black !

– Mon père ne cesse de me demander quels sont tes projets pour l'année prochaine, avoua un autre. Comme si ton avenir avait plus d'importance que le mien !

Regulus enfouit ses mains dans ses poches et regarda vers la porte, rendu nerveux par tous les regards fixés sur lui. Après un court silence, c'est Lazare qui prit la parole, sur un ton qui se voulait le plus provoquant possible.

– Vous savez, je crois que nos parents se trompent, dit-il en regardant fixement Regulus. Je crois que la puissance de la famille Black est en train de décliner.

Sur le visage de Regulus, le masque d'impassibilité se fissura. Il se redressa légèrement, ses mâchoires se contractèrent, son regard se durcit.

– C'est vrai, nos parents sont attachés à cette famille, poursuivit Lazare. À leur époque, la famille Black était partout : au Ministère, à Gringott’s, sur la Colline d'Émeraude. Mais maintenant, qu'en reste-t-il, à part le souvenir lointain d'une gloire passée ?

– Tu n'en sais rien, répliqua Regulus.

Mais Lazare n'en démordait pas.

– Depuis le début, tu fais comme si tu nous cachais quelque chose, ricana-t-il. Après ta longue absence, tu as laissé les plus folles rumeurs se répandre sur toi, alors qu'elles n'avaient aucun fondement. En nous cachant ton bras en permanence, tu veux nous faire croire que tu portes la Marque des Ténèbres, mais tu essayes simplement de nous cacher la vérité : tu n'en sais pas plus que nous sur les Mangemorts. Tout ce mystère te donne de l'importance, mais en réalité... Tu-Sais-Qui n'a jamais entendu parler de toi. N'est-ce pas ?

– Ne parlons pas de ça ici, coupa sèchement Regulus. Slughorn va revenir d'un instant à l'autre, et je ne tiens pas à ce qu'il...

– AAAAH !

Tout le monde sursauta ; c'était Yzalia qui avait poussé un hurlement aigu. Les yeux écarquillés, elle tendait le doigt vers le placard qui se trouvait au fond de la pièce : une tête fantomatique en dépassait, pourvue d'énormes lunettes.

– C'est qui, celle-là ?

Mimi se redressa, affolée. Absorbée par la conversation, son visage avait traversé la porte du placard où elle se cachait, sans même qu'elle s'en rende compte. Elle se trouvait désormais à la merci d'une dizaine de regards hostiles ; l'idée de s'enfuir lui traversa l'esprit, mais elle était comme paralysée.

En l'apercevant, Regulus s'était lui aussi figé, et ne manifestait pas la moindre volonté de lui venir en aide ; au contraire, son regard la suppliait de quitter la pièce.

– Euh... Je m'appelle Myrtle, bredouilla pourtant Mimi.

Elle se détesta aussitôt d'avoir ouvert la bouche. Après une année entière à espionner les élèves en silence, elle avait oublié à quel point sa voix était risible.

– Je te reconnais, dit le garçon aux cheveux blonds. Tu es Mimi Geignarde ! Ma grand-mère m'a parlé de toi !

– Mais oui, approuva Yzalia. Je ne l'avais jamais vue... C'est vrai qu'elle est affreuse. Vous avez vu ses lunettes ?

Mimi sentit toutes ses années de harcèlement la griffer au visage.

– Qu'est-ce que tu fiches là ? demanda un garçon avec agressivité. Tu nous espionnes, c'est ça ?

– Non, pas du tout ! couina Mimi. C'est... C'est Regulus que je viens voir !

Tous les regards se tournèrent vers Regulus, qui se raidit encore davantage.

– Eh bien, regarde un peu qui t'appelle, ricana Lazare.

– Il se trouve que Regulus et moi sommes amis ! affirma encore Mimi. Allez, dis-leur !

Lazare éclata de rire, ravi.

– Mimi Geignarde... Mais oui, ça me dit quelque chose, dit-il avec un sourire mauvais. Il y avait des rumeurs, il y a quelques années... C'est donc vrai ? Le brillant R.A.B. fait ami-ami avec les fantômes ?

– Regardez-la, renifla Yzalia avec dédain. Il paraît que c'est une Sang-de Bourbe. Enfin, ce qu'il en reste...

– Quand mes parents vont apprendre ça ! s'extasia Lazare. Je savais bien que la famille Black était en pleine décomposition, mais je ne pensais pas que c'était à ce point-là.

– C'est faux ! répliqua vivement Regulus. Ma famille est plus forte que jamais, figure-toi !

– Oh, vraiment ? De mon point de vue, je dois dire que ce n'est pas évident. Après les scandales successifs qu'ont déclenchés Andromeda, puis Sirius...

– Je ne suis pas responsable des erreurs de mon frère, et encore moins de celles de ma cousine, coupa Regulus, de plus en plus tendu. Ils sont tous les deux honnis de ma famille, et c'est tant mieux.

– Eh bien, je te trouve dur, pour quelqu'un qui est ami avec Mimi Geignarde...

Quelques rires approbateurs fusèrent, et Regulus s'empourpra franchement.

– Je ne suis pas ami avec elle, gronda-t-il.

– Ah oui ? Alors pourquoi prétend-elle le contraire ?

Regulus prit une grande inspiration.

– Je lui ai adressé la parole une seule fois, pour lui demander mon chemin, dit-il d'une voix sourde. Je suppose qu'elle s'est... imaginé des choses.

Mimi en resta sans voix. Il parlait d'elle comme si elle n'était pas là. L'idée qu'il puisse la blesser lui importait si peu qu'il ne prit même pas la peine de la regarder.

– Tu as compris ? Fiche-lui la paix, cracha Yzalia. Tu ne devrais même pas poser les yeux sur lui, espèce de sale Sang-de-Bourbe ! Les gens comme toi ne devraient pas avoir le droit de s'approcher de nous !

Elle se retourna pour obtenir l'approbation de Regulus ; Mimi ne vit pas ce qu'il lui répondit, car elle trouva enfin la force de s'enfuir.

Après cet épisode, Mimi se promit de ne plus jamais quitter ses toilettes, et se maudit de toutes ses forces d'avoir laissé Rogue et Regulus y pénétrer, quelques années plus tôt. Elle passa le reste de l'année scolaire à faire déborder les cuvettes, désormais couronnées de stalactites grisâtres, et à regarder la neige et la pluie tomber à travers les carreaux.

Le dernier jour de l'année scolaire, Mimi observa les élèves marcher vers Pré-au-Lard avec plus de ressentiment que jamais. Absorbée par sa colère, elle n'entendit pas les pas qui s'approchaient dans le couloir, et sursauta quand la porte des toilettes s'ouvrit à la volée.

Elle voulut ordonner à son visiteur importun de partir immédiatement, mais ses mots s'évanouirent au moment où elle le reconnut.

Car c'était Regulus qui venait d'entrer.

***

Regulus poussa la porte des toilettes sans vraiment réaliser où il se cachait, sans penser une seule seconde que Mimi pourrait se trouver là.

Il était pris au piège.

Cette idée planait au-dessus de sa tête depuis des mois, mais depuis quelques jours, elle paralysait tout son esprit, l'empêchait de réfléchir.

Je suis pris au piège, se répétait-il en boucle, malgré lui. Je-suis-pris-au-piège.

Aussitôt la porte refermée, il se laissa glisser le long du mur, dans la pénombre, et se recroquevilla sur lui-même. Comment en était-il arrivé là ? Comment avait-il pu se mettre dans une telle situation ?

Il tenta désespérément de se raisonner. Plusieurs fois, il s'était senti piégé, et plusieurs fois, il s'était tiré d'affaire – ou bien Bellatrix l'avait tiré d'affaire. L'été avant sa sixième année, par exemple... Il avait eu seize ans au cours du mois d'août ; après l'échec qu'il avait essuyé au pensionnat Wimbley, c'était l'âge auquel il pouvait de nouveau prétendre au titre de Mangemort. Dès le jour de son anniversaire, son père avait tout fait pour que Voldemort leur accorde une entrevue – mais sans succès. Il en fut de même aux vacances de Noël ; ce n'est que l'été suivant, juste avant que Regulus n’ait dix-sept ans, que Voldemort avait fini par céder aux supplications de Bellatrix et avait accepté de donner une seconde chance à Regulus. À une condition : afin de prouver sa bravoure, il devait tuer un homme – ou plus précisément, un Auror du nom de Marty Fenwick, dont Yaxley venait d'obtenir l'adresse par de sombres manigances. C'est un Auror puissant, l'avait-on prévenu. Nous avons tenté plusieurs fois de le soumettre à l'Imperium, mais il continue de nous résister. Il doit mourir.

En replongeant dans ce souvenir, Regulus se crispa. De cette nuit-là, toutes les sensations étaient restées si vives qu'il lui suffisait de respirer une odeur de brûlé ou d'être surpris par un bruit inattendu pour avoir l'impression de repartir en arrière, de marcher dans la ruelle qui menait au domicile de l'Auror, son capuchon rabattu sur le visage, sa baguette serrée dans sa main... Avec une précision insupportable, les images se mettaient à défiler devant ses yeux sans qu'il puisse les en empêcher : la porte qui volait en éclats devant lui, l'Auror qui levait sa baguette pour se défendre, puis cette lumière verte et cette déflagration assourdissante...

Évidemment, ça n'était pas Regulus qui l'avait tué. Sitôt était-il entré dans la maison que Bellatrix avait transplané dans la pièce, avait tué l'homme en un clin d'œil et avait disparu avant l'arrivée des autres Mangemorts. Par précaution, lui expliquerait-elle plus tard.

Après cela, Regulus ne se souvenait plus de grand-chose. Il y avait seulement quelques bribes, quelques images : les Mangemorts étaient arrivés, on lui avait tapé sur l'épaule pour le féliciter... Ses oreilles sifflaient... On lui avait ordonné de faire apparaître la Marque des Ténèbres au-dessus de la maison, et il s'était exécuté... Assis sur le carrelage, Regulus dut s'ébrouer pour chasser de son esprit l'image obsédante de la monstrueuse tête de mort qu'il avait fait apparaître, de ce sourire cruel qui éclairait la nuit, et du serpent maléfique qui sortait de cette bouche, encore et encore.

 Par la suite, Voldemort l'avait accepté à leur table, mais l'avait superbement ignoré ; et même si Regulus en avait ressenti une humiliation cuisante, même si son père l'avait accablé de reproches, il n'avait plus eu besoin de tuer personne. Il avait dû supplier son père de le laisser repartir à Poudlard pour une septième année, et grâce à sa mère, il avait eu gain de cause.

Désespéré, Regulus enfouit son visage dans ses bras. Cette fois-ci, il n'avait plus d'échappatoire : sa septième année était terminée. Il avait obtenu ses ASPIC, il avait terminé ses études. Tout en essayant de maîtriser la panique qui se dressait en lui, il songea à tous les Mangemorts qui attendaient au-dehors, qui étaient en train de se rassembler, de remarquer son absence...

Il sortit fébrilement un parchemin chiffonné de sa poche intérieure, et tenta de le défroisser sans le déchirer, malgré les tremblements de ses mains. Il tenait une lettre reçue quelques jours plus tôt, écrite sur un morceau de parchemin déchiré, d'une écriture brouillonne et désordonnée.

Sur cette lettre, sa cousine Bellatrix lui avait écrit ceci :

Reggie,

Je sais qu'il nous est défendu de communiquer par courrier, mais après avoir tenté, sans succès, de te contacter par d'autres moyens, je dois m'y résoudre. Je t'envoie donc un hibou que Cissy m'a prêté : il appartient à Abraxas Malefoy et a été férocement dressé, d'une telle manière que rien ni personne ne pourra l'intercepter.

J'ai tant de choses à te dire que je ne sais par où commencer. Si tu savais à quel point je suis impatiente de te revoir ! Je supporte de moins en moins la compagnie des autres Mangemorts. Lucius est de plus en plus hautain ; Cissy ne s'intéresse pas à la guerre, et passe son temps à rêvasser dans son jardin ; et je ne te parle même pas de cet imbécile de Rodolphus, qui continue à me faire des avances. La seule chose qui m'aide à les côtoyer est la pensée que tu seras bientôt de retour parmi nous, et définitivement. Je ne m'explique toujours pas pourquoi tu tenais tant à retourner à Poudlard cette année, mais tant pis : nous allons enfin nous retrouver pour de bon.

À ce propos, j'ai découvert de nouveaux sortilèges que je pourrai t'apprendre dès ton retour. Te connaissant, je suis sûre que tu les trouveras fascinants ; et bien sûr, ils te permettront de briller à nouveau aux yeux du Seigneur des Ténèbres.

Regulus interrompit sa lecture, le cœur serré. Bellatrix se sentait si seule au sein des Mangemorts... Et pas seulement au sein des Mangemorts, d'ailleurs : sa mère, sa seule parente qui lui ait jamais prodigué un peu d'affection, s'était donné la mort quelques années plus tôt en apprenant la fuite d'Andromeda. Depuis, Bellatrix haïssait tout et tout le monde, exceptés sa petite sœur Narcissa, et lui, Regulus.

Malgré leur différence d'âge, Bellatrix avait pour lui des projets ambitieux. Elle connaissait bien le talent de Regulus en matière de magie et sa fascination pour la puissance à laquelle elle permettait d'accéder ; aussi, elle était persuadée que tôt ou tard, elle réussirait à faire de lui un puissant mage noir. Elle les voyait déjà combattre côte à côte, triomphants ; et lorsqu'elle parlait de ce futur qu'elle imaginait proche, Regulus ne pouvait s'empêcher de ressentir, lui aussi, un frisson d'excitation.

Par peur de la décevoir, mais aussi parce qu'il voulait croire qu'il était à la hauteur de telles ambitions, Regulus n'avait jamais confié le moindre de ses doutes à sa cousine, préférant se réfugier à Poudlard. Il espérait qu'avec le temps, la peur qui le tenaillait s'atténuerait, qu'il deviendrait plus fort, plus résistant, moins sensible... Mais voilà : plus le moment de quitter Poudlard se rapprochait, et plus il se sentait envahi par la peur, le dégoût et la culpabilité. Le corps inanimé de Marty Fenwick étendu à ses pieds hantait ses cauchemars – il avait même ensorcelé son lit pour que personne ne l'entende se réveiller en sursaut, plusieurs fois par nuit. Il était épuisé en permanence, tendu, irritable ; et surtout, il se sentait terriblement seul.

Et en effet, à qui pouvait-il bien se confier ? Son père lui avait formellement interdit de contacter Vera Goyle. Il avait déçu Severus Rogue et Mimi Geignarde, les deux seules personnes de Poudlard qui l'appréciaient réellement pour ce qu'il était. Les autres élèves de Serpentard qui lui avaient proposé son amitié l'avaient fait par pur opportunisme. Les seules personnes pour lesquelles Regulus avait encore de la valeur ne comprendraient jamais son hésitation : ils attendaient de lui qu'il devienne un Mangemort puissant, qu'il redonne à la famille Black sa gloire d'autrefois...

Et d'ailleurs, n'était-ce pas ce que lui aussi souhaitait ? Le pouvoir, la puissance magique l'avaient toujours fasciné. Depuis tout petit, il rêvait de devenir l'un de ces mages noirs invincibles et charismatiques que les livres de son père décrivaient avec tant d'emphase. Alors pourquoi ressentait-il autant de réticence, en son for intérieur ? Il avait la chance inespérée de servir le plus grand mage noir de tous les temps, celui que tous ces ancêtres attendaient, depuis des siècles ; et au lieu de redorer le blason familial, au moment où celui-ci en avait le plus besoin, il le faisait tomber en disgrâce par manque de courage ? C'était une honte, véritablement. S'il osait s'en ouvrir à ses parents, ils perdraient sans doute le peu d'estime qu'ils avaient pour leur fils, et Regulus ne pourrait que leur donner raison.

Il tenta à nouveau de se calmer, de penser à une perspective agréable... Ces temps-ci, la seule chose lui permettait d'oublier ses tourments était de se plonger dans les livres que lui prodiguait le professeur Slughorn. Ces livres le distrayaient, ne le jugeaient pas, n'attendaient rien de lui. Il aurait tout donné pour rester éternellement dans l'ambiance calfeutrée de la bibliothèque, avec toutes ces connaissances à portée de main, sans que rien ni personne ne vienne le déranger...

Mais hélas, c'était évidemment impossible. La suite de la lettre de Bellatrix le prouvait bien :

Rassure-toi, même si quelques Mangemorts se doutent encore que c'est moi qui ai tué Fenwick à ta place, je pense avoir réussi à convaincre la plupart d'entre eux de ta bonne foi. Tu m'en veux peut-être encore d'avoir agi ainsi, mais je sentais que tu n'étais pas encore prêt – cela viendra, j'en suis sûre. Tu comprends, je ne voulais pas prendre le risque de te compromettre à nouveau aux yeux du Seigneur des Ténèbres ; j'étais bien trop impatiente de te voir rejoindre les rangs.

De toute manière, dans quelques jours, cela n'aura plus d'importance. J'en viens maintenant à ce qui a motivé l'écriture de cette lettre, et qui ne pouvait pas attendre ton retour.

Évidemment, il va de soi que tout ceci est strictement confidentiel ; tu ne dois en parler à personne à Poudlard, et brûler cette lettre aussitôt que tu l'auras lue. Voilà : le 1er juillet prochain, le jour où toi et tous les autres élèves de Poudlard reviendront à Londres, de nombreux Aurors auront pour mission de surveiller la gare de King's Cross et de s'assurer que les élèves regagnent leurs foyers en sécurité. J'aurais aimé profiter de ce rassemblement pour en tuer quelques-uns, mais tu te doutes bien que ce lâche de Lucius a tout fait pour éviter le combat... Et malheureusement, encore une fois, c'est lui que le Seigneur des Ténèbres a choisi d'écouter.

Nous profiterons donc de cet attroupement à King's Cross pour attaquer un autre endroit, où la surveillance sera relâchée. Je ne préfère pas te donner tous les détails par courrier, mais il s'agit d'un endroit grouillant de Moldus. Nous espérons faire plusieurs centaines de victimes : les dégâts seront de taille, crois-moi.

Si je te dis tout ça, c'est pour que tu puisses nous rejoindre à temps pour y participer. Arrange-toi pour partir de Poudlard un jour plus tôt ; tu en as le droit, maintenant que tu as dix-sept ans. Rejoins-moi au square Grimmaurd : ainsi, nous aurons vingt-quatre heures devant nous pour te préparer.

Je compte sur toi : cette attaque sera l'occasion de convaincre le Seigneur des Ténèbres de ta bravoure, une bonne fois pour toutes.

 

Il me tarde de te voir,

À très bientôt,

Bella.

Regulus froissa de nouveau la lettre, hésita à la jeter loin de lui, mais finit par la replacer dans la poche intérieure de sa veste, de plus en plus nerveux.

On y était. Le Poudlard Express était sur le point de partir. Il avait presque vingt-quatre heures de retard sur le rendez-vous donné par Bellatrix : depuis la veille, sa cousine était sans doute en train de faire les cent pas au square Grimmaurd, de plus en plus déçue, de plus en plus en colère contre lui. Regulus redoutait sa réaction, bien sûr ; mais la peur qu'il avait ressentie à l'idée de participer à une nouvelle attaque avait été encore plus forte. C'était donc le conflit qu'il fuyait ainsi ; c'était la raison pour laquelle il était assis sur le carrelage humide des toilettes du deuxième étage, alors que ses camarades étaient en train de vider l'école.

Il fallait qu'il se cache, à tout prix. Il fallait qu'il reste à Poudlard jusqu'au lendemain, en sécurité ; et pour cela, personne ne devait le trouver avant le départ du Poudlard Express. Pour rien au monde il ne voulait participer à ce massacre sanguinaire qui avait peut-être déjà commencé, quelque part dans le pays. Il trouverait quelque chose, une excuse, n'importe quoi...

– Tu devrais te dépêcher, grinça une voix dans la pièce. Tu vas rater le Poudlard Express.

Regulus se leva d'un bond, le cœur battant, et remarqua la silhouette fantomatique qui était assise au-dessus de la porte des toilettes, et qui devait l'observer depuis une bonne dizaine de minutes depuis son perchoir.

– Mimi ?

Elle ne put s'empêcher de tressaillir en l'entendant prononcer son prénom. Malgré les cernes qu'il avait sous les yeux, Regulus restait beau. Il était très pâle et semblait affolé.

– Ne fais pas de bruit, je t'en prie, supplia Regulus. Excuse-moi, je... Je cherchais juste un endroit pour, euh... me reposer.

– Te reposer ? Tu crois que c'est le moment ?

Regulus remua sa baguette en direction de la porte, afin que personne n'entende la voix aigüe de Mimi ; puis il s'approcha des robinets disposés au centre de la pièce.

– Écoute, c'est un peu compliqué... J'irai voir Slughorn tout à l'heure, mais pour le moment... Il faut que je me cache.

– Hmm, ironisa Mimi. Désolée de t'avoir dérangé, alors... Je ne voulais pas interrompre tes nobles pensées.

– Tu ne me déranges pas, dit précipitamment Regulus.

Mimi poussa un petit rire aigu.

– Bien sûr, bien sûr... Je pensais que ma présence vous importunerait, M. Regulus Arcturus Black... Après tout, il parait que j'ai tendance à m'imaginer des choses.

Regulus blêmit encore davantage. Il semblait avoir espéré que Mimi ait oublié l'épisode qui avait eu lieu dans le bureau de Slughorn, ou au moins qu'elle n'y fasse pas allusion.

– Eh bien, tu pensais que j'aurais oublié ? glapit-elle. Peut-être penses-tu que les Sang-de-Bourbe comme moi ont des capacités cognitives limitées ? Que ma mémoire inférieure n'est pas capable d'intégrer ce que tu as dit de moi devant tout le monde, l'autre jour ?

– Silence, je t'en prie ! supplia encore Regulus en regardant vers la porte. Je... Je ne te méprise pas, je t'assure.

Mimi haussa un sourcil, circonspecte.

– L'autre jour, ce n'était pas si clair, fit-elle remarquer.

– Ça n'a rien à voir, assura Regulus. Ce Lazare... Il m'a rendu fou. Je voulais le faire taire, c'est tout.

– Dans ce cas, pourquoi as-tu arrêté de me rendre visite ? Tu aurais au moins pu venir me saluer de temps en temps.

Regulus eut l'air encore plus embarrassé. Il donna de vagues explications à propos de la présence de Rogue et de son rythme de travail, mais Mimi n'y croyait plus.

– Ne te fatigue pas, dit-elle avec lassitude. J'ai l'habitude que les élèves aient honte de me côtoyer.

Regulus baissa les yeux, mal à l'aise.

– En revanche, tu n'as toujours pas répondu à leurs questions, fit remarquer Mimi. Alors, tu en es un, ou pas ?

– Tu veux dire...

– Un Mangemort, bien sûr.

– Oh, Mimi... Je ne veux pas en parler.

– Tu me dois bien ça, grinça-t-elle. Au début, je ne voulais pas y croire, mais ton attitude commence à me faire douter.

En face d'elle, Regulus jeta un bref regard à son avant-bras gauche ; ce regard et ce silence ne trompaient pas.

– Tu es des leurs, devina Mimi, non sans ressentir un profond dépit. Depuis quand ?

Regulus leva les yeux vers elle, essayant de déceler ses intentions. Allait-elle le dénoncer ? Oh, et puis tant pis : la tentation de se confier enfin était trop forte.

– Presque un an, dit-il si bas que Mimi faillit ne pas l'entendre.

– Un an, répéta-t-elle, furieuse. Et tu oses dire que tu ne détestes pas les Nés-Moldus ?

– C'est le cas !

– Alors pourquoi as-tu décidé d'aider ceux qui nous méprisent ? Qui nous maltraitent, qui nous pourchassent ?

– Je ne les ai pas aidés ! Je te le jure !

– Pas encore ! Mais bientôt, ils t'y obligeront !

– Je sais bien ! s'emporta Regulus. Pourquoi crois-tu que je me cache ici ?

Il tira nerveusement sur son col roulé, et s'appuya sur l'émail de l'évier pour reprendre sa respiration.

– Je n'en peux plus, admit-il. Je ne sais plus quoi faire. Je ne comprends pas ce qui m'arrive... Pourquoi ne suis-je pas capable de me battre comme les autres ?

– La question est plutôt de savoir pourquoi tu devrais te battre, fit remarquer Mimi.

Regulus acquiesça, pensif.

– C'est vrai, tu as raison...

Il tourna le dos à Mimi, et contempla pendant quelques instants son reflet dans le miroir encrassé qui lui faisait face.

– Je devrais penser à la finalité de tout ça, murmura-t-il pour lui-même. À ce que nous pourrons reconstruire, quand la guerre sera terminée...

Derrière ses énormes lunettes, Mimi fronça les sourcils. La voix de Regulus avait changé, comme si quelqu'un d'autre parlait à sa place.

– Au moins, les sorciers dirigeraient enfin le monde, et non les Moldus... Et cela vaudrait mieux, sans aucun doute... Ce serait l'abondance... Nous serons libres, et plus personne ne manquerait de rien...

– Oh, vraiment ?

Regulus se retourna, comme s'il venait de se souvenir que Mimi se trouvait toujours dans la pièce. Il serrait les poings, et son regard s'était obscurci.

– Je veux y croire, insista Regulus. Grâce à la magie, nous pourrons construire un monde meilleur que celui-ci.

– Un monde meilleur ! s'indigna Mimi. Mais meilleur pour qui ?

Regulus haussa les épaules, embarrassé.

– Enfin, regarde autour de toi ! Tous ceux qui s'opposent à Tu-Sais-Qui sont assassinés ! Poudlard est menacé par ces monstres ! Des élèves sont attaqués ! Des gens meurent, Regulus ! Et si personne ne les arrête, ils continueront, encore et encore !

Regulus déglutit, recoiffa ses cheveux ondulés, fourra ses poings serrés dans les poches de sa veste.

– C'est vrai, je n'aime pas cette violence, grimaça-t-il. Mais peut-être... Après tout... Peut-être qu'il faut en passer par là. Faire table rase, pour tout rebâtir... En mieux.

L'air se fit plus lourd. Derrière ses lunettes, Mimi plissa les yeux.

– C'est vraiment ce que tu penses ? Tu en es sûr ?

– Oui... Oui.

Son regard fuyant disait le contraire, mais cela n'avait plus d'importance. C'était un spectacle écœurant de lâcheté.

– Dans ce cas, je préfère que tu partes tout de suite, siffla Mimi.

Regulus ne bougea pas. C'était comme s'il attendait qu'elle l'accable d'injures.

– Va-t'en ! explosa Mimi. Ah, mais quelle idiote je suis ! Quand je pense que je t'ai rassuré en première année ! Que je t'ai aidé à te repérer dans l'école ! À éviter ton frère ! Je n'aurais jamais dû ! Je n'aurais jamais dû t'encourager à quoi que ce soit ! J'aurais dû être du côté de Sirius, depuis le début ! Si j'avais su que tu deviendrais comme ça !

Regulus continuait de la regarder, sans ciller.

– Je n'arrive pas à y croire...

Les secondes passèrent, et Mimi cessa progressivement de geindre. Regulus avait été son ami, autrefois. Il l'avait blessée. Alors elle voulait le blesser aussi. Et pour cela, crier et gémir ne servait à rien.

Attisée par la colère, elle retrouva rapidement ses esprits et descendit près du sol, devant l'entrée d'une cabine de toilettes. À l'endroit précis où elle était morte.

– Oh, tiens, dit-elle soudain. C'est drôle, tu sais à quoi je pense ?

Elle regarda autour d'elle avec une grande lassitude.

– Je pense au garçon qui était là, ce jour-là... Quand je suis morte. Celui qui avait une voix étrange.

Regulus tressaillit, et le peu d'assurance qu'il avait encore fondit comme neige au soleil. Ils avaient déjà parlé de la mort de Mimi. Il lui avait posé la question avec délicatesse, des années auparavant, pendant l'une de ces après-midis où Rogue lui enseignait l'art mystérieux des Potions. Rogue écoutait Mimi d'une oreille distraite, le nez dans ses chaudrons, mais Regulus avait interrompu sa préparation pour lui consacrer toute son attention. Ce jour-là, il avait eu l'air véritablement attristé par son histoire. Il lui avait dit qu'il était désolé. Et comme une idiote, Mimi l'avait cru sincère.

– Je ne l'ai pas vu, mais sa voix venait justement de là, dit-elle en pointant son index sur Regulus. Je pense qu'il se tenait exactement à ta place.

Regulus eut un mouvement de recul, et se heurta à l'évier qui se trouvait derrière lui. Fixé sur Mimi, son regard la suppliait de se taire.

– Il ne devait pas être très différent de toi. Un garçon brillant, sans doute, pour faire apparaître cet horrible animal aux grands yeux jaunes... Il m'avait sûrement suivie dans les toilettes, non ? Il devait être à ma recherche : après tout, j'étais une cible toute désignée. Tu crois qu'il voulait faire un monde meilleur, lui aussi ?

Regulus baissa enfin les yeux vers les flaques d'eau qui inondaient le sol, et les contempla pendant un long moment.

– Je suis désolé, Mimi. Je n'ai... vraiment... Je n'ai pas le choix.

Mimi ne répondit pas. Il n'y avait plus rien à dire. Dans le lointain, un sifflement prolongé indiqua que le Poudlard Express quittait la gare de Pré-au-Lard.

– Eh bien... Adieu, bredouilla Regulus.

Il s'écarta de l'évier sur lequel il était appuyé, passa à côté de Mimi en prenant bien soin de ne pas la regarder, et sortit des toilettes en fermant la porte derrière lui. Le bruit de ses pas résonna longtemps dans le couloir, et bien plus longtemps encore dans les oreilles de Mimi Geignarde.


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