Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts
Mission sauvetage
Au même instant, à plusieurs centaines de kilomètres de là, une voiture de police stationnait aux abords d'un énorme centre commercial – le plus grand de la région, d'après l'affiche criarde qui recouvrait sa façade monumentale. Autour d'eux, un immense parking s'étendait à perte de vue, rempli de voitures et de visiteurs munis de parapluies.
– Encore une journée à attendre sans rien faire, grommela Wallis Silver en suivant du regard les gouttes glacées qui roulaient sur son pare-brise embué.
La jeune policière se renversa sur le dossier de son siège, et tapota son volant du bout des doigts, maussade. Depuis plus de trois ans, et sans aucune explication claire sur la raison de cette mobilisation inédite, elle et ses collègues étaient réquisitionnés nuit et jour pour patrouiller inlassablement dans les environs. Elle en était à son dixième jour de travail d'affilée et commençait à en avoir plus qu'assez.
– Allez, du nerf, répondit vigoureusement son voisin, un dénommé Max. Le Premier Ministre a été clair : avec cette météo catastrophique, un glissement de terrain ou une inondation peuvent survenir à tout moment. Et en plus, cet après-midi, c'est l'ouverture des soldes, tu imagines le monde qu'il y aura dans ce centre commercial ? Il faut rester sur le qui-vive !
Wallis se tourna vers lui, exaspérée. Elle aimait beaucoup son collègue, mais la manière cérémonieuse qu'il avait de parler de ses supérieurs commençait à lui taper sur le système.
– Tu parles, soupira-t-elle. Je suis sûre que ça a un rapport avec les derniers faits divers... Franchement, toutes ces histoires sont louches, tu ne trouves pas ?
Max fronça les sourcils pour manifester son incompréhension.
– Mais si, insista Wallis. Tu ne trouves pas qu'il se passe des choses étranges, en ce moment ? Souviens-toi... Tu sais, ça a commencé avec cet ingénieur, qui s'est rendu compte qu'il avait commis une erreur de calcul et fait évacuer le pont qu'il avait construit dix minutes avant qu'il ne s'écroule... Et puis il y a eu cette école, dont le directeur a décidé sur un coup de tête d'emmener l'intégralité des élèves et des enseignants en vacances sous les tropiques... Et un quart d'heure après leur départ, BOUM ! L'école explose ! Soi-disant à cause d'une infiltration de je-ne-sais-quoi dans le toit, qui aurait produit une réaction chimique avec la nourriture de la cantine... Et ça a continué avec ce fameux concert, dont la chanteuse n'a aucun souvenir ! Non, sérieusement, tu ne vas pas me dire que tu crois à ces sornettes ? À mon avis, il se passe quelque chose de grave, mais le gouvernement ne veut pas nous inquiéter... Tout ça parce que les élections approchent !
– J'en sais rien, répondit Max en haussant les épaules. Mais s'ils nous font travailler autant, il doit bien y avoir une raison, je leur fais confiance...
– Toi, on sent que tu veux monter en grade, fit remarquer Wallis.
Max sourit timidement, et ne prit même pas la peine de se défendre : Wallis avait deviné juste.
– Bon, on va se chercher un truc à manger ? proposa-t-il, dans l'espoir de mettre sa collègue de meilleure humeur. Il fait faim...
Malgré le martèlement de la pluie sur le toit de leur voiture, on entendait l'estomac de Wallis gronder bruyamment depuis une bonne demi-heure.
– C'est pas de refus, dit-elle en esquissant enfin une ébauche de sourire. On peut bien laisser Katie et Owen se débrouiller tout seuls pendant cinq minutes...
Elle s'empara de son talkie-walkie, dit quelques mots à ses collègues qui stationnaient non loin de là, puis démarra la voiture et sortit du parking pour s'aventurer dans la zone industrielle désaffectée qui côtoyait le centre commercial.
– Je connais un bon chinois, pas loin d'ici...
– Par-là, tu es sûre ? demanda Max en considérant avec méfiance la rue déserte dans laquelle ils venaient de s'engager.
– Sûre et certaine. C'est un peu planqué, mais tu verras, leurs nems sont à tomber... Quoi, pourquoi tu rigoles ?
– Tu es vraiment incorrigible, dit Max, hilare. Il n'y a que la nourriture qui te rend aussi enthousiaste.
– En effet, affirma Wallis. Et je n'ai pas honte de ça... Hé ! Qu'est-ce que c'est que ça ?
La voiture venait de tourner derrière un ancien entrepôt, là où était censé se trouver le restaurant préféré de Wallis, mais un énorme camion rose immobilisé au milieu de la chaussée leur barrait la route.
– C'est pas vrai...
Wallis enclencha la marche arrière et se retourna, mais constata qu'une voiture orange vif s'était faufilée derrière eux sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Wallis recula de quelques centimètres pour leur faire comprendre son intention, et klaxonna furieusement.
– Allez, reculez ! Bande d'empotés !
Mais la conductrice de la voiture orange vif, une dame élégante aux longs cheveux cuivrés et au visage couvert de taches de rousseur, se contenta de lui adresser un sourire aimable et un petit signe de la main, sans que son véhicule ne remue d'un pouce.
– Mais c'est pas vrai ! pesta Wallis. C'est cette cruche qui nous a demandé son chemin, tout à l'heure... Quelle poisse !
Au moment où elle s'apprêtait de sortir de la voiture pour insulter copieusement la conductrice de la voiture orange, le talkie-walkie se mit à grésiller.
– Sergent Reynolds, pour Max et Wallis... On me rapporte l'intrusion de deux individus suspects dans Crushfield, à huit cent mètres de votre position. Avec le lancement des soldes, toutes les boutiques sont bondées, je ne veux pas prendre de risque... Vous allez jeter un œil ?
– Il ne manquait plus que ça, soupira Wallis. Adieu, mes petits nems adorés...
Elle s'empara de son talkie-walkie, et l'approcha de ses lèvres. Max essaya de lui arracher afin de l'empêcher de l'utiliser au volant, mais Wallis le maintint hors de sa portée.
– OK, chef, on y va, répondit-elle sèchement.
– Merci, Silver. Et avec le sourire...
Wallis reposa brutalement le talkie-walkie sur son socle.
– Et maintenant, celle-là va m'entendre...
Elle détacha sa ceinture, et ouvrit la portière pour sortir de la voiture, tout en continuant de pester contre les grosses gouttes de pluie qui allaient tremper ses cheveux.
En se retournant, elle sursauta : à un mètre d'elle, accoudée sur le toit de leur voiture de police, se tenait la conductrice de la voiture orange. Elle était plus grande que Wallis ne l'aurait pensé, et elle souriait en la regardant. L'homme qui l'accompagnait était également sorti de la voiture, et s'était mis en travers du chemin de Max. Il était plus petit que la conductrice, avec un ventre proéminent et un air jovial. Tous les deux ne semblaient pas se soucier de la pluie qui tombait sur leurs vêtements, et regardaient les deux policiers comme s'ils étaient à leur recherche depuis longtemps.
– Quoi, encore ? explosa Wallis. Qu'est-ce que vous voulez ?
Face à eux, les deux individus ne leur répondirent pas, se contentant de sourire avec amabilité, et de tendre vers eux deux longs cylindres de bois. Malgré leur allure inoffensive, Wallis commençait à se sentir vraiment mal à l'aise.
– Qui êtes-vous ? demanda Max en tâtonnant à sa ceinture pour chercher son arme à feu.
À ces mots, les deux individus sourirent encore un peu plus largement.
– C'est peut-être ça que vous cherchez, dit le petit homme rondelet et souriant qui lui faisait face en sortant de sa poche le pistolet du policier.
Wallis et Max reculèrent d'un pas, franchement effrayés.
– Rassurez-vous, nous ne vous voulons que du bien, dit la femme avec légèreté.
Wallis saisit son pistolet, et le pointa sur la femme qui lui faisait face ; mais au même instant, deux éclairs blancs jaillirent de leurs baguettes, et les deux policiers tombèrent endormis sur la chaussée, comme deux poupées de chiffon. Les deux sorciers les rattrapèrent avant qu'ils ne se blessent sur l'asphalte, et les allongèrent sur la banquette arrière de la voiture, sans oublier de leur prélever, à chacun, une petite mèche de cheveux, ni de les débarrasser de leur uniforme. Puis ils regardèrent autour d'eux pour s'assurer de l'absence de témoins, revêtirent les deux uniformes et s'installèrent fièrement à l'avant de la voiture de police.
– Wallis et Max vont faire un bon petit somme, rit Vera Goyle en s'asseyant sur le siège conducteur.
– Pardon ? demanda une voix bourrue depuis la radio de la voiture.
Vera poussa un juron à voix basse et éteignit précipitamment la radio qui leur permettait de communiquer avec les forces de police alentours.
– Encore une belle journée qui s'annonce, se réjouit Fergus Goyle.
– En effet, approuva Vera en faisant un appel de phare à l'énorme camion rose qui se trouvait devant eux. Espérons que Carla et Edgar dorment aussi profondément que ces deux policiers... Mais en principe, j'ai mis suffisamment de Potion de Sommeil dans leurs assiettes pour endormir un cerbère enragé.
– Il n'en fallait pas moins pour notre chère Carla, gloussa Fergus.
Au volant du gigantesque véhicule, leur fille, Daisy Goyle, guettait leur signal. Dès qu'elle vit les phares de la voiture clignoter, elle sortit son bras par la fenêtre et leur adressa un petit signe de la main.
Dans la voiture de police, Fergus Goyle sortit un petit miroir rectangulaire, et le cala dans le rétroviseur intérieur. Aussitôt, le visage souriant de Daisy remplaça le reflet des deux policiers endormis sur la banquette arrière.
– On a réussi ! s'exclama Daisy à travers le rétroviseur.
– Ce n'est que la première étape, tempéra Vera. Mais je dois dire que je ne suis pas peu fière de lui avoir administré ce sortilège de Faux Souvenirs en m'arrêtant à côté d'eux, tout à l'heure... En venant dans cette zone désaffectée, cette pauvre petite avait vraiment l'air persuadé qu'elle y trouverait ce restaurant imaginaire.
– Peut-être qu'elle reviendra chercher ces fabuleux... Comment dites-vous... Ces nems ?
– Malheureusement, nous sommes obligés de leur faire oublier tout ça, dit Vera. Y compris le souvenir créé de toute pièce de ces nems parfumés et croustillants...
Fergus se retourna sur son siège, et, avec un petit air de regret, pointa sa baguette sur les deux policiers endormis.
– Oubliettes, dit-il.
Wallis et Max frémirent légèrement dans leur sommeil, puis s'immobilisèrent de nouveau.
– À leur réveil, ils seront peut-être les nouveaux héros de la nation, dit Fergus Goyle avec excitation.
– Avant ça, il faut que notre plan réussisse... Allez, Daisy, en route ! Et n'oubliez pas de mettre vos chapeaux et vos lunettes, afin que personne ne nous reconnaisse...
Dans son énorme camion rose, Daisy tapota son volant du bout de sa baguette pour remettre le véhicule en marche. À côté d'elle, sur le tableau de bord, le ravluk Albert, revêtu d'un petit imperméable pour bébé afin de cacher ses ailes et son pelage vert vif à la vue des moldus, poussa de petites exclamations excitées pour réclamer le volant. Daisy lui céda de bonne grâce, et le petit ravluk s'assit sur ses genoux pour empoigner fermement le volant du camion de plusieurs tonnes.
– À droite... À gauche... Attention, je freine... Voilà, c'est là-bas, dit Daisy, légèrement tendue.
À quelques centaines de mètres devant eux, de l'autre côté d'un immense parking bondé de voitures et de passants pressés, le centre commercial Crushfield dressait son imposante façade vers le ciel, ses parois vitrées brouillées par la pluie battante et par les lambeaux de brume qui s'accumulaient autour de lui. Daisy et ses parents avaient veillé toute la nuit pour se renseigner sur ce bâtiment, sa structure et son contenu : on y trouvait d'innombrables boutiques, de nombreux restaurants et plusieurs salles de cinéma. C'était un lieu agréable, prisé par beaucoup de Moldus, mais également l'un des derniers temples de loisirs et d'insouciance qui n'avait pas encore fermé ses portes. C'était un rempart à la terreur que les Mangemorts souhaitaient instaurer, un symbole de l'indécence moldue qu'ils dénonçaient, et en conséquence, une cible toute désignée.
Comme chaque fois qu'elle et ses parents se promenaient au milieu des Moldus, Daisy avait l'impression de se trouver sur une autre planète. Ce monde si proche, et pourtant étranger, différait tellement du leur... Tout y était plus grand, plus imposant, plus figé ; le sol était recouvert de cette étrange matière grise nommée béton ; les bâtiments étaient rectilignes, sans tourelles ni gargouilles ; aucun objet ne flottait dans les airs, ne scintillait ou ne parlait tout seul.
Et ces Moldus qui étaient si nombreux... Leurs silhouettes étaient semblables aux leurs, leurs expressions et leurs regards également ; mais tout le reste différait. Leur démarche était moins hautaine ; leurs vêtements étaient bien moins extravagants que les capes et les bottes des sorciers ; cependant, les enfants gardaient de petits vêtements colorés tout à fait charmants, à l'âge où les jeunes sorciers portaient déjà des capes sombres et des bottes de cuir. Une nouvelle fois, Daisy regretta de ne rien savoir sur les individus qui l'entouraient. Le monde sorcier et le monde moldu communiquaient si peu...
Elle quitta ses réflexions pour jeter un coup d'œil dans son rétroviseur extérieur, où elle aperçut la voiture de ses parents qui la suivait au pas ; puis elle s'adressa à son rétroviseur intérieur, à travers lequel elle pouvait voir leurs deux visages. Son père regardait les Moldus par la fenêtre avec son invariable expression enjouée, dénuée de toute préoccupation ; sa mère, elle, regardait devant elle avec une légère appréhension.
– Maman, tu es sûre que c'est bien ce bâtiment ? demanda Daisy en désignant le centre commercial qui dominait les environs. Que la date et l'heure sont exactes ?
– Affirmatif, dit Vera. Mes Chuchouris sont formelles.
– Tes Chuchouris, soupira Daisy. Je ne m'habituerai jamais à suivre aveuglément les indications de ces petits animaux...
Vera se détourna un instant du volant pour regarder sa fille à travers le rétroviseur, l'air offensé. Au même instant, deux petites souris violettes au pelage duveteux et coloré, et aux oreilles anormalement grandes, sortirent leurs têtes de la poche de poitrine de Vera et se mirent à couiner avec énergie en direction du rétroviseur. Dans son énorme camion rose, Daisy se boucha vivement les oreilles pour ne plus être importunée par les couinements suraigus.
– Ça va, j'ai compris, dit-elle aussitôt afin d'apaiser les petits mammifères. Je n'ai rien dit.
Daisy devait bien l'admettre, les Chuchouris avaient prouvé leur fiabilité à plusieurs reprises. Douées d'une ouïe remarquable, elles se faufilaient dans tous les recoins du manoir des Malefoy, ainsi qu'au Serpent qui Fume, où Cléopâtre, l'aigle de Vera, les déposait et les reprenait discrètement de temps en temps. Ainsi, les adorables Chuchouris pouvaient alerter leur maîtresse lorsque les Mangemorts préparaient une action de grande ampleur. Elles savaient répéter à la virgule près les conversations qu'elles entendaient, à la manière d'un perroquet, ce qui permettait aux Goyle de savoir de quoi il retournait.
Grâce à leurs espions miniatures, les Goyle avaient réussi à déjouer les plans des Mangemorts à plusieurs reprises, lorsqu'ils avaient voulu détruire un pont, une école, ou encore une salle de concert. Tout portait donc à croire que les Chuchouris étaient dignes de confiance ; mais tout de même, se fier à de vulgaires souris pour des choses aussi importantes...
– Je m'occupe de la mise sur écoute, et tu t'occupes des munitions, rappela Vera. Et nous devons nous faire confiance, sinon, on ne s'en sortira pas... Tout est prêt de ton côté ?
– Bien sûr, assura Daisy en se tournant furtivement vers l'arrière du camion, où la mystérieuse cargaison ronflait paisiblement, recouverte d'immenses bâches roses. J'ai trouvé le contenant parfait dans un magasin de jouets moldus, pendant l'une de mes escapades clandestines... C'était très amusant, et instructif, même si certains jouets étaient franchement effrayants... Regarde, je t'en envoie un échantillon.
Tout en laissant à Albert le soin de conduire dans les embouteillages, elle se contorsionna pour attraper quelque chose à l'arrière du camion, puis se pencha au-dessus du siège passager pour placer l'objet en question dans la boîte à gants.
– Et voilà, dit-elle en fermant le compartiment.
Dans les deux véhicules, on entendit distinctement un léger sifflement. Puis Vera ouvrit la boîte à gants de la voiture de police, et poussa un glapissement horrifié lorsqu'elle en extirpa les deux poupées en plastique, et les laissa tomber sur les genoux de Fergus, qui sursauta, brusquement tiré de ses rêveries.
– Chérie, tu tiens absolument à nous donner des cauchemars ? s'indigna Vera. Tu vas me faire croire que les enfants moldus trouvent amusant de jouer avec des horreurs pareilles ?
Daisy éclata de rire.
– Je t'assure, Maman ! C'est un de leur passe-temps favori... Ils les habillent, et inventent des histoires en les faisant interagir entre eux.
Avec une grimace de dégoût, Vera ramassa les deux poupées, qui prétendaient représenter une femme et un homme, et les tint devant elle pour les examiner plus attentivement.
– Vraiment ? Mais pourquoi les avoir faits aussi affreux ? J'espère que les petits Moldus n'essaient pas de leur ressembler...
Elle secoua vigoureusement les deux poupées dans l'espoir d'effacer leurs sourires d'une blancheur effrayante, et de troubler l'immobilité parfaite de leurs visages cireux – mais sans succès.
– Bigre ! s'exclama Fergus en se penchant sur la poupée. Qu'est-il arrivé à cette pauvre petite femme ? Pourquoi ses pieds sont-ils tordus de la sorte ? Et avec une taille aussi étriquée, elle doit avoir bien de la peine pour respirer... Attendez, Vera chérie, je suis sûr que nous pouvons faire quelque chose pour elle...
– Ne m'en parlez pas, soupira Daisy. Imaginez un mur entier, recouvert de poupées strictement identiques à celle-ci, sans aucune variante ! Comme si les Moldues étaient obligées de s'habiller de cette manière pour être attirantes...
– Je ne veux même pas y penser, frissonna Vera.
Deux passants tournèrent la tête vers la voiture des Goyle, et furent surpris de voir deux policiers parler avec animation en agitant un couple de poupées devant eux, tandis que leurs deux collègues dormaient en sous-vêtements sur la banquette arrière.
Voyant cela, Fergus leur adressa un sourire enthousiaste, et leur fit un signe de salutation, oubliant qu'il tenait toujours une des poupées dans la main.
Dépités de voir un policier à l'air simplet leur agiter une poupée sous le nez, les deux Moldus se détournèrent en secouant la tête, et poursuivirent leur chemin en se lamentant sur la décrépitude qui menaçait leur si beau pays.
– Dommage, commenta Fergus en haussant les épaules. Ils semblaient pourtant fort sympathiques...
Une fois que les deux Moldus eurent disparu, il regarda à nouveau vers l'avant de la voiture, qui évitait avec fluidité les voitures voisines pour progresser au milieu du parking. Ils n'étaient plus qu'à une centaine de mètres de leur cible : la partie du parking réservée aux poids lourds, légèrement surélevée, qui permettait d'avoir une vue imprenable sur le parking des visiteurs et sur le centre commercial. Fergus observa le sommet du bâtiment pendant quelques instants, afin de vérifier que le ciel ne commençait pas déjà à s'obscurcir ; puis lorsqu'il fut assuré que le ciel pluvieux ne représentait pas une menace immédiate, il reporta son attention sur ce qu'il se passait autour de lui. Leur voiture de police passa à côté d'un panneau publicitaire, dont les gros titres attirèrent immédiatement son attention :
– La boutique de Hamleys innove en matière de jouets pour enfants, lut Fergus. Tiens, quelle coïncidence, ils parlent justement de ces poupées maléfiques...
– Je n'ai pas pu me retenir, sourit Daisy. Pendant que les Moldus avaient le dos tourné, j'ai modifié quelques-uns des modèles exposés, pour un peu plus de fantaisie... Je peux vous assurer que mes nouveaux modèles ont tout de suite eu un succès fou ! Bon, je n'ai pas réussi à leur retirer ces horribles chaussures pointues, mais c'est mieux que rien.
– J'aimerais beaucoup voir ça, dit Fergus avec enthousiasme.
– Nous en parlerons plus tard, coupa Vera, soudain tendue. Restons concentrés, et regardez bien autour de vous... Il y a sûrement des Mangemorts dans les environs.
Même si Vera n'avait pas besoin de toucher le volant pour conduire la voiture où elle le souhaitait, ses mains se crispèrent dessus, légèrement moites.
– À quelle heure doivent-ils attaquer ? demanda Daisy d'une voix mal assurée.
– Ceux qui doivent attaquer par surprise quitteront le manoir des Malefoy dans deux heures, répondit Vera en consultant le tableau de bord. Nous avons encore un peu de temps avant d'amorcer l'évacuation... Cela nous permettra de réviser notre stratégie.
Elle baissa la tête pour regarder ses Chuchouris, afin de s'assurer qu'elle avait donné la bonne réponse. Depuis sa poche de poitrine, les Chuchouris poussèrent des petits couinements approbateurs.
Avec l'aide du ravluk Albert, Daisy gara son énorme camion sur une place réservée, avec une vue imprenable sur le centre commercial ; et ses deux parents garèrent la voiture de police juste à côté d'elle.
– Le vent est à l'est, dit Daisy en regardant une bannière qui flottait sur le toit du bâtiment. Il souffle assez fort, cinquante kilomètres/heure, à vue de nez... C'est bon signe, les Mangemorts devront avancer face au vent, cela va les ralentir...
Elle jeta un œil à une carte parcheminée de l'Angleterre, posée sur le siège passager et couverte de traits de crayon autour du Wiltshire.
– Le manoir est à cinquante-quatre kilomètres d'ici, dit Daisy. La voie des Cheminettes est surveillée par les Aurors, et ils ne savent pas tous transplaner : ils emprunteront donc la voie des airs. Ils feront sûrement quelques détours, afin de brouiller les pistes de ceux qui les auraient repérés, et de commettre quelques dégâts sur leur chemin. Ils devraient donc mettre... Je dirais, près de quarante-sept minutes pour arriver jusqu'ici, conclut-elle.
Son étude des balais, de leur aérodynamique et de l'impact des vents lui avait permis d'exceller dans ce genre de calcul.
– Ça ne fait pas beaucoup de temps, soupira-t-elle. Si seulement on pouvait s'y prendre à l'avance, et planifier les évacuations avec les Aurors, ou même prévenir les policiers moldus quelques jours avant...
– Nous en avons déjà parlé, répondit Vera. Voldemort a des espions partout. Si nous commençons à raconter ses projets au Ministère, les Mangemorts en seraient immédiatement avertis, et notre contre-attaque tomberait à l'eau... De toute façon, les autorités moldues et sorcières sont tellement assaillies de fausses alertes et de canulars que notre avertissement serait inutile. Pour qu'ils nous croient, il nous faudrait révéler notre identité, et donc prendre le risque d'être démasqués par les Mangemorts... Non, il faut attendre le dernier moment, comme les autres fois. Nous ne pouvons agir qu'une fois qu'ils sont en route : autrement, quelqu'un pourrait les avertir que nous sommes en train de déjouer leurs plans, et ils pourraient changer de cible à la dernière minute... Ce serait une catastrophe.
– Oui, c'est vrai. Ils ont déjà changé de plan plusieurs fois, dont une il y a seulement deux jours ! Qu'est-ce qui les empêcherait de recommencer ?
– Les Collinards sont trop frileux pour improviser, résuma Vera. Ils exigent de pouvoir repérer les lieux, afin de s'assurer qu'il n'y ait pas d'Auror sur place.
– Et si des Mangemorts nous attendent ici, en embuscade ?
– C'est un risque à prendre, admit Vera.
Daisy tapotait nerveusement son volant, et Vera avait entortillé sa longue tresse cuivrée plusieurs fois autour de ses doigts. Seul Fergus suivait du regard le trajet des gouttes d'eau sur sa vitre avec un sourire béat, en chantonnant discrètement.
– Ce ne sera pas facile, murmura Vera en regardant l'énorme bâtiment qui se dressait devant eux. Il faudra faire vite...
– En effet, dit Fergus. Mais je suis certain que ces charmants Moldus seront coopérants. Et puis, après tout, après les trois exercices précédents, nous sommes parfaitement entraînés...
Vera se tourna vers son mari et lui sourit avec tendresse. Elle était toujours réconfortée par la lueur d'insouciance qui animait invariablement son regard, et par le sourire léger qui ne quittait jamais ses lèvres. Fergus avait cette force-là : aucune peur, aucune angoisse, aucune tristesse ne semblait jamais l'atteindre. Pour cette raison, certains le croyaient fou, mais Vera avait compris depuis longtemps qu'il s'agissait plutôt de la manifestation d'une immense sagesse. Il ressentait bel et bien toutes ces émotions, mais ne les laissait jamais prendre le contrôle de lui-même.
– En tout cas, je suis curieux d'essayer le rôle de policier, se réjouit Fergus. Me transformer en directeur d'école moldue était tout à fait passionnant ! Vous auriez vu la tête des professeurs, quand je leur ai annoncé que nous partions vers les Caraïbes avec tous les élèves... Et quand je me suis transformé en star de la chanson, pour convaincre tous mes fans de poursuivre le concert en forêt ! Vraiment, c'était fort plaisant.
– Je dois avouer que cette robe à paillettes vous allait à ravir, rit Vera.
– Quant à vous, Vera chérie ! poursuivit Fergus. Lorsque nous avons dû évacuer ce fameux pont, au beau milieu de Londres... Vous étiez tout à fait convaincante en ingénieur affolé. Quel jeu d'actrice, par Merlin, je m'en souviendrai longtemps...
– À ce propos, donnez-moi la fiole de Polynectar... C'est bien celle de la policière ? Je ne tiens pas à porter la moustache, même pour quelques heures.
– Pourtant, cela vous irait à ravir, assura Fergus avec une étonnante sincérité.
Vera sourit, un peu crispée, et s'efforça de penser à leurs succès précédents pour se donner du courage. Ils formaient indéniablement une excellente équipe. Malgré les feintes et les fausses pistes que les Mangemorts avaient lancées pour essayer de les identifier et de les neutraliser, les Chuchouris ne leur avaient jamais fait défaut ; et les Mangemorts avaient continué de se ridiculiser. Alors, pourquoi cela serait-il différent cette fois-ci ?
C'est au moment où elle se posait cette question que son cœur fit un bond dans sa poitrine. Grâce aux jumelles magiques qu'elle venait de mettre sur son nez, elle avait remarqué un énorme attroupement de Moldus, regroupés près de l'entrée : une foule d'hommes et de femmes se pressait avec férocité pour entrer dans le bâtiment. En regardant avec ses jumelles à travers les vitres du centre commercial, elle réalisa qu'il était plein à craquer : on pouvait voir des Moldus entassés dans les magasins, en train de s'arracher des vêtements ou des appareils électroniques.
– Par Merlin ! s'exclama-t-elle, alarmée. Pourquoi sont-ils aussi nombreux ? L'affluence était bien moindre, lorsque nous sommes venus hier en repérage...
Daisy, à son tour, se servit de ses jumelles magiques pour déchiffrer les deux affiches qui encadraient l'entrée du centre commercial.
– Les soldes, lut-elle. Qu'est-ce que c'est que ça ?
– Sans doute une sorte de cérémonie importante, supposa Vera. Ils disent que ça commence aujourd'hui, à quatorze heures... C'était il y a dix minutes ! Oh, misère... Nous n'aurons jamais le temps de les mettre tous à l'abri !
Au même instant, Daisy regarda son poignet et pâlit dangereusement.
– Maman, dit-elle avec inquiétude. Ma montre, elle... Elle s'est déclenchée !
Ils savaient tous les trois ce que cela signifiait. La montre de Daisy était ensorcelée pour détecter un mouvement massif des Mangemorts, et le signal était clair : les Mangemorts étaient partis plus tôt que prévu. Au lieu de deux heures et demie, il ne leur restait que trois quarts d'heure pour mettre à l'abri les milliers de Moldus entassés dans le centre commercial.
Vera sentit une bouffée d'angoisse l'envahir. Comment avaient-ils pu ne pas penser à cette éventualité ? Et quelle inconscience, quelle bêtise d'avoir pris le temps de deviser gaiement, sans regarder ce qu'il se passait dans le bâtiment, laissant les Moldus s'y entasser allègrement...
En quelques secondes, ses mains se mirent à trembler, et ses pensées devinrent de plus en plus pessimistes. Comment avaient-ils pu espérer un seul instant défier toute une armée de Mangemorts, à eux trois ? Comment avaient-ils pu croire qu'ils étaient à la hauteur ? Ils avaient eu de la chance pour les premières opérations, mais ils étaient désormais totalement dépassés...
Pendant quelques instants, la panique fut à deux doigts de lui faire perdre ses moyens. Puis Fergus posa sa main sur la sienne, et d'un geste, il mit fin à l'escalade affolée qui avait lieu dans son esprit.
– Les Mangemorts sont encore loin, dit calmement Fergus. Nous avons largement le temps. Nous allons trouver une solution, Vera chérie, j'en suis convaincu.
Comme si Fergus avait été entendu par une mystérieuse force céleste, quelque chose d'étrange se produisit à cet instant précis. Autour du parking et à l'intérieur du centre commercial, les haut-parleurs qui diffusaient les derniers tubes à la mode se turent, et les quelques notes de musique qui précédaient une annonce retentirent.
– Écoutez-moi, dit une voix féminine dans le micro. Écoutez-moi tous...
Vera et Fergus échangèrent un regard inquiet, et un léger frisson leur parcourut l'échine. D'après sa voix hachée et hésitante, la femme qui parlait semblait terrorisée.
– C'est très important, poursuivit-elle, le souffle court. Cet endroit va être attaqué... Il faut absolument que vous alliez vous mettre à l'abri... Partez d'ici, quittez cet endroit, fuyez le plus loin possible... Allez-y vite, sauvez-vous... Sauvez-vous... AAAH !
Il y eut un grand cri, puis le micro fut coupé, et la musique reprit de plus belle. Un vent de panique passa parmi les Moldus qui se trouvaient dehors, puis, d'un mouvement uniforme, ils se précipitèrent vers leur voiture pour s'enfuir ; à l'intérieur du bâtiment, ils abandonnaient leurs sacs de course et toutes leurs acquisitions pour se ruer à l'extérieur.
– Vous connaissez cette voix ? demanda Daisy à ses parents.
– Non, répondit Fergus, stupéfait.
– Je ne l'ai jamais entendue, assura Vera. Mais elle vient de nous faire gagner un temps précieux... Et de toute évidence, elle a besoin d'aide !
– C'est peut-être un piège, fit remarquer Daisy.
– Eh bien, je prends le risque, décida Vera. Buvons le Polynectar, et allons-y ! Il faut aider cette femme, et surtout, évacuer tous ces Moldus...
– Et en vitesse, compléta Fergus avec un sourire impatient.
Alors que Fergus et Vera buvaient le Polynectar d'un trait, la montre de Daisy s'assombrit encore, et se mit à vibrer.
Il n'y avait plus de doute : les Mangemorts se rapprochaient d'eux, et à toute vitesse.
***
Un peu plus tard, Daisy scrutait anxieusement les rideaux de pluie charriés par le vent qui s'abattaient sur le parking désert et sur les parois vitrées du centre commercial. Grâce à l'inconnue qui les avait miraculeusement devancés pour annoncer l'attaque à tous les Moldus qui se trouvaient dans les environs, le parking avait été déserté en un temps record : Daisy était donc seule, encore entourée de quelques véhicules dont les propriétaires avaient sans doute décidé de s'enfuir à pied. Elle avait enclenché le bouton d'Invisibilité de son camion rose et se trouvait ainsi à l'abri de tous les regards.
Aussitôt après avoir bu le Polynectar et accompagnés du ravluk Albert, ses deux parents avaient transplané pour entrer dans le centre commercial et n'avaient pas reparu depuis ; et plus le temps passait, plus Daisy se sentait inquiète. Certes, pour que l'opération se déroule comme prévu, il était capital qu'elle reste dans ce maudit camion ; mais la tentation d'aller vérifier que ses parents se portaient bien était de plus en plus forte.
Afin de se rassurer, Daisy se retourna vers l'arme redoutable qui se trouvait juste derrière elle, cachée à l'arrière du camion, et souleva un coin de l'immense bâche rose qui la recouvrait.
– Lumi ? chuchota-t-elle. Tu n'as pas trop chaud ?
Un gargouillement peu appétissant lui répondit ; un appendice gélatineux lui caressa la main et Daisy se détendit un peu. Élevé dans l'étang de leur jardin, leur Lumimord apprivoisé avait atteint une taille record ; et Daisy était d'autant plus curieuse de le voir en action que c'était la première fois qu'ils avaient recours à ses services en conditions réelles.
Les premières fois, les Goyle s'étaient contentés de mettre à l'abri les Moldus menacés ; mais cette fois-ci, Daisy avait très justement fait remarquer que ces attaques étaient une excellente occasion de riposter, et de s'en prendre aux Mangemorts regroupés...
Daisy se pencha pour voir en-dessous de la bâche et sourit au Lumimord, ignorant s'il pouvait la voir ou non. L'étrange animal ressemblait plus à une montagne de jelly à la menthe qu'à une créature douée d'intelligence : translucide, informe, vert et fluorescent, dépourvu de tout ce qui pouvait ressembler à un visage ou à un squelette, il faisait la taille d'un éléphant et manifestait sa satisfaction ou son mécontentement par de charmants petits gargouillements qui éclaboussaient tout ce qui l'entourait.
– Tiens-toi prêt, dit Daisy à voix basse. Ce sera bientôt à nous de jouer.
Au milieu de la masse gélatineuse et fluorescente, on pouvait voir un amas de projectiles ailés en plastique, tous semblables les uns aux autres. Daisy sourit en pensant à la mixture explosive qu'ils contenaient, et aux dégâts qu'ils allaient causer dans les rangs des Mangemorts : aidée par sa mère, elle avait rassemblé dans la même potion les ingrédients les plus inflammables, les plus aveuglants, les plus corrosifs qu'elle ait pu trouver, du venin de mygale géante aux excréments de Brasipoilu, en passant par de la poudre de pétard du Dr Flibuste... Et bien heureusement, le Lumimord gélatineux était insensible à tous ces produits – il était tout simplement indestructible.
Un peu rassérénée, Daisy lâcha la bâche, et la laissa retomber sur sa cargaison, qui émit un nouveau gargouillement d'impatience. Suspendu à côté d'elle, le petit miroir qui lui permettait de communiquer avec ses parents restait obscur, car son jumeau se trouvait dans la poche de son père.
À travers ce miroir enchanté, Daisy entendait seulement Fergus – ou plutôt, le policier dont il avait emprunté la voix et l'apparence – dialoguer avec les Moldus qu'il guidait vers la sortie :
– À votre service, chère madame... Voilà, c'est tout droit... Non, ne paniquez pas, nous avons encore quelques minutes devant nous ! Oui, oui, les secours vont arriver... Ne vous inquiétez pas, tout ira bien...
Pendant que son père se remettait en quête d'autres Moldus à secourir, Daisy se cramponna à son volant pour se retenir de les rejoindre et de leur prêter main-forte. Même si son rôle était crucial, et même si ses parents avaient catégoriquement refusé qu'elle les remplace, il lui coûtait de rester inoccupée pendant qu'ils allaient au-devant du danger...
Au moment où elle pensait cela, un éclair vert illumina une vitrine au dernier étage du centre commercial, et Daisy sursauta, le cœur battant à tout rompre.
– Hop ! Hop ! disait son père depuis le rétroviseur magique. Attention, messieurs-dames, vous risqueriez de blesser quelqu'un... Et je vous en prie, arrêtez de vociférer de la sorte, je ne comprends pas un mot de ce que vous dites ! Quoi, vous me menacez ? Vous voulez... m'étriper ? Comme c'est charmant !
Le cœur de Daisy fit un bond dans sa poitrine. Elle délogea le rétroviseur de son socle, et le rapprocha anxieusement de son oreille, afin de mieux entendre.
– Voilà, voilà, pas la peine de s'énerver, chantonnait Fergus. Vous savez, je suis un peu dur de la feuille... Quoiqu'il en soit, puis-je vous complimenter sur votre tenue ? Tout ce noir, c'est d'une élégance ! Et vos cagoules, c'est... du cachemire ? Oui, vous avez bien raison, c'est ce qu'il y a de plus chaud, par ce temps glacial...
– ASSEZ ! cria une voix masculine, plus lointaine.
Daisy posa sa main sur sa portière, tremblante.
– Doucement, doucement ! Inutile de... Aïe ! De me secouer comme ça... Ouille !
Daisy jeta un coup d'œil à la montre qu'elle portait à son poignet. Le bracelet était de plus en plus froid, et s'obscurcissait dangereusement. Dans le cadran, un minuscule serpent progressait en spirale jusqu'au centre de la montre, où se trouvait la Marque des Ténèbres : si les calculs de Daisy étaient corrects, les Mangemorts arriveraient lorsque le serpent atteindrait la Marque des Ténèbres. Et à ce moment-là, il fallait absolument que Daisy soit dans le camion, car sinon, les Mangemorts bombarderaient les environs en un rien de temps, et personne n'aurait le temps de réagir, ni de s'éloigner...
– Enfin, disait Fergus, quel manque de courtoisie...
– Endoloris !
Fergus se tut pendant plusieurs secondes, et lorsqu'il parla à nouveau, sa voix n'était plus du tout enjouée, même s'il s'efforçait de donner le change :
– L'endroit est très... joli, vous ne... trouvez pas ? Tous ces... vêtements...
À chaque silence qui entrecoupait ses paroles, Daisy pouvait presque voir son père se crisper sous les assauts de ses adversaires, déployant tous ses efforts pour masquer sa détresse à sa fille, pour la dissuader de venir à son secours. Daisy ouvrit brusquement la portière, prête à enfourcher son balai, mais s'interrompit à nouveau en voyant les deux policiers endormis dans la voiture qui se trouvait à côté de son camion. Et si on les attaquait, pendant son absence ? Et si quelqu'un détruisait leurs véhicules ?
– Alors ! Tu vas parler, maintenant ?
Daisy était toujours figée, un pied sur le bitume, l'autre dans le camion, incapable de se décider. Mais soudain, un grand fracas retentit à travers le petit miroir, et le ton du sorcier qui avait attaqué son père changea du tout au tout :
– AH ! Qu'est-ce que... Aide-moi ! Argh... Saleté ! Viens, on s'en va !
Et au bout de quelques instants, Daisy entendit son père pousser un petit gloussement, puis un bruit de friction lui indiqua qu'il se relevait.
– Formidable, Albert ! Félicitations !
Daisy entendit le ravluk Albert pousser un grognement enthousiaste ; et c'est l'instant que choisit Vera pour réapparaître à côté de Daisy, sous l'apparence de la policière Wallis Silver.
– Maman !
– Tous les Moldus sont à l'abri, dit Vera, le souffle court. J'ai dû secouer un peu les autres policiers, ils étaient toujours sceptiques... Mais le centre commercial est désert, et j'ai renforcé la brume dans les environs pour que les Mangemorts ne se doutent de rien. J'ai aussi convaincu notre commandant de prévenir ses supérieurs, afin que l'attaque arrive jusqu'aux oreilles des Aurors... Où est ton père ?
– Toujours à l'intérieur ! Va vite le chercher, les Mangemorts seront bientôt là !
Vera obtempéra sans discuter et transplana ; elle réapparut quelques instants plus tard à l'arrière du camion, accompagnée par Fergus et Albert.
– Fergus, vous avez été attaqué ! s'indigna Vera en examinant l'entaille que son mari avait sur la joue.
– En effet, répondit joyeusement Fergus. Ils étaient deux, et je dois dire qu'ils n'étaient pas très aimables.
– Qui était-ce ? Des Mangemorts ?
Fergus haussa les sourcils, perplexe.
– Vous allez rire, Vera chérie... Je suis navré, mais dans mon affolement, j'ai oublié de leur poser la question !
Vera secoua la tête, abasourdie. Elle et Fergus allaient bientôt fêter leurs trente ans de mariage, mais elle restait toujours décontenancée par l'insouciance absolue de son mari.
– Mais... Est-ce que nous les connaissons ? À quoi ressemblaient-ils ? Ce n'étaient pas les Carrow ?
– Je ne connaissais pas la voix que j'ai entendue, intervint Daisy.
– En effet, c'était la première fois que nous faisions connaissance, confirma Fergus. Mais tous les deux semblaient bien se connaître, et leurs vêtements étaient brodés du même blason, un scarabée argenté. En leur demandant gentiment, ils m'auraient peut-être renseigné sur leur identité...
– Peut-être des nouvelles recrues, supposa Vera. Habituellement, ce sont les Sang-Pur qui exhibent ces blasons idiots... Comment avez-vous fait pour les neutraliser ?
– Oh, c'est Albert qui les a pris par surprise. Il a détaché un panneau publicitaire qui est tombé sur eux... Puis il a griffé l'homme au visage, et le temps que je reprenne mes esprits, tous les deux avaient pris la fuite. Vraiment, ce ravluk est un petit génie !
Sur l'épaule de Fergus, Albert bombait fièrement le torse.
– Heureusement qu'il est là pour veiller sur vous, soupira Vera en s'épongeant le front.
– Et vous, chère Vera ? Avez-vous retrouvé la femme qui nous a aidés, tout à l'heure ?
– Non, soupira Vera, dépitée. J'ai cherché partout... Je suis allée là où les employés font des annonces au micro : il y avait des traces de lutte, mais aucune trace d'elle.
– Des traces de luttes, répéta Fergus, pensif. Les deux sorciers qui m'ont attaqué semblaient sortir d'un combat, eux aussi...
– Ce sont peut-être eux qui l'ont interrompue, tout à l'heure, frissonna Vera. Je me demande de qui il s'agit... Et j'espère que, comme vous, elle a réussi à s'enfuir...
À côté d'eux, Daisy s'essuya les tempes d'un revers de main et reporta son attention sur ce qu'il se passait autour d'eux. À côté du camion, dans la voiture de police, Wallis et Max dormaient toujours. Sur le parking en contrebas, plusieurs personnes venaient de surgir de nulle part, déguisés en policiers.
– Les Aurors sont là, indiqua-t-elle à ses parents. Votre alerte a fonctionné.
Ils étaient reconnaissables à leur mauvaise utilisation des vêtements moldus : certains portaient leur uniforme à l'envers, et d'autres portaient leur couvre-chef autour du cou.
Mais Daisy fut distraite de ce spectacle amusant par une sensation de froid intense sur son poignet. Elle jeta un coup d'œil à sa montre : au milieu du cadran, la langue fourchue du serpent commençait à effleurer la Marque des Ténèbres. Sous ses mains, le volant du camion vibrait de plus en plus fort. Daisy se retourna, et constata que le Lumimord s'était mis à bouillir d'excitation et à briller avec plus d'intensité. Au-dessus d'eux, le ciel s'obscurcit en quelques secondes, et d'innombrables traînées noires et menaçantes apparurent à l'horizon.
– Ils arrivent, signala Daisy. Vous êtes prêts ?
– Vas-y, ma fille, dit Fergus en s'écartant du Lumimord qui faisait trembler le camion entier. Donne-leur le spectacle qu'ils méritent !
Autour d'eux, l'air devenait plus froid et les environs basculaient dans l'obscurité, comme si la nuit tombait à toute vitesse. En dehors des quelques Aurors inquiets, le parking était désert. Daisy se retourna vers le Lumimord, qui semblait ne vouloir qu'une seule chose : larguer ses munitions et atteindre ses cibles de plein fouet. La nuée de Mangemorts s'approchait : Daisy décida que c'était le bon moment. Elle actionna un levier qui ouvrit le toit du camion, puis tira d'un coup sec sur la bâche, qui se déchira avec un grand bruit.
Aussitôt, le Lumimord se mit en action. Son grand corps gélatineux se mit à bouillonner, puis se contracta avec un gargouillement répugnant ; et les fusées qu'il contenait s'élevèrent dans le ciel à une vitesse remarquable.
– Il les a... crachés ? demanda Fergus.
– Je ne sais pas de quel type d'orifice il s'agit, admit Vera en mettant ses jumelles devant ses yeux. En revanche, nos petites expériences nous ont appris que sa salive était douée d'une volonté propre, et pouvait poursuivre sa cible pendant des kilomètres... N'est-ce pas superbe ?
Comme attirés par de puissants aimants, les projectiles gagnèrent en altitude avec une vitesse croissante et allèrent immédiatement à la rencontre du cortège de Mangemorts – et l'effet de la collision fut encore plus grandiose que prévu. La puissance de la potion explosive outrepassa toutes les espérances des Goyle : dès la première explosion, un rideau de feu barra le passage des Mangemorts. Ceux-ci dévièrent immédiatement leur trajectoire, mais les fusées continuèrent de les pourchasser impitoyablement, et à chaque seconde, d'autres feux d'artifice enflammés explosaient dans le ciel, mêlant leur lumière vive aux traînées noires que laissaient les Mangemorts derrière eux. Depuis leur poste d'observation, les Goyle pouvaient presque entendre les gémissements de douleur des Mangemorts qui battaient en retraite après avoir reçu du venin de mygale géante dans les yeux.
– Bingo, s'enthousiasma Daisy.
De nombreux Mangemorts rebroussaient chemin vers l'horizon ; d'autres tombaient vers le sol en tourbillonnant, aussitôt cueillis par des Aurors. Les plus récalcitrants évitaient avec agilité les projectiles que le Lumimord leur avait lancés et poursuivaient leur route, mais ils étaient trop peu nombreux pour causer de sérieux dommages. De plus, le largage de munitions n'avait duré qu'une fraction de secondes ; et, le camion des Goyle étant toujours invisible, aucun Mangemort n'avait réussi à identifier l'origine des projectiles.
Dans l'habitacle, les trois Goyle se réjouissaient du spectacle. Leurs visages rayonnants étaient éclairés par intermittence par les explosions successives qui illuminaient le ciel au-dessus d'eux.
– Encore une réussite, se réjouit Fergus. Qu'est-ce qu'on s'amuse !
Il fallut encore un quart d'heure pour que les Mangemorts se dispersent complètement ; puis tout redevint calme, et les Goyle se détendirent enfin.
– Bien joué, Lumi, dit Daisy en se tournant vers l'arrière du véhicule. En plein dans le mille !
Le Lumimord avait épuisé toutes ses munitions, et sa taille avait drastiquement diminué : il faisait maintenant la taille d'un petit coussin. Il frétillait de joie en rampant vers les Goyle, tout en laissant derrière lui une traînée de salive phosphorescente.
– Il est temps de rentrer, décida Vera. Je vais éloigner ces deux policiers du champ de bataille, au cas où des Mangemorts auraient la mauvaise idée de revenir un peu plus tard... Je prends Albert avec moi. Quant à vous, rentrez à moto avec Lumi et les Chuchouris... Et faites attention, d'accord ?
– D'accord, dirent en chœur Daisy et Fergus.
– Fergus, vous avez toujours votre miroir ?
Fergus mit sa main dans sa poche, et prit aussitôt un air contrit.
– Vous allez rire, s'excusa-t-il. Je crois bien que je l'ai oublié à l'intérieur, en voulant me recoiffer après ma petite altercation...
– Tant pis, décréta Vera. Ce serait trop risqué de retourner le chercher maintenant, un Auror pourrait vous prendre pour un Mangemort... Je vais les désactiver, afin que personne ne puisse nous retrouver.
Vera pointa sa baguette sur le petit miroir, et désactiva le sortilège qui le reliait au deuxième ; puis elle prit Albert sur son épaule et ouvrit la portière pour sortir du camion, redevenant ainsi visible aux yeux de tous. De son côté, Daisy posa le Lumimord sur ses genoux et appuya sur un gros bouton rose, situé sur son tableau de bord multicolore, en-dessous du bouton d'invisibilité. Aussitôt, sous ses pieds, le camion se métamorphosa. L'arrière commença par se replier, puis se rétracter, jusqu'à atteindre la taille d'une petite boîte ; le siège de Fergus se plaça derrière elle ; les quatre énormes roues se rapprochèrent, fusionnèrent pour n'en former que deux, et glissèrent sur le bitume pour se rassembler près des pieds de Daisy. Entre ses mains, le volant s'amincit pour former un guidon robuste, et le tableau de bord rétrécit pour se placer face à elle.
Une fois que leur moto eut retrouvé sa forme initiale, Daisy vérifia que son père était bien installé, serra ses jambes autour du siège, donna une petite caresse au Lumimord gélatineux, puis mit le contact et s'envola vers la Colline d'Émeraude, toujours invisible.
Vera, quant à elle, monta à l'avant de la voiture de police et prit une grande inspiration. Tout s'était bien passé : aucun Moldu n'avait été tué, les Mangemorts étaient en fuite, sa famille et ses animaux de compagnie seraient bientôt en sécurité. Un peu plus détendue, elle se retourna vers la banquette arrière, où Wallis et Max dormaient paisiblement.
– Vous n'avez pas bougé d'un pouce, remarqua-t-elle avec amusement.
– En effet, dit une voix masculine et brutale dans son dos.
Albert poussa un glapissement terrifié ; Vera fit volte-face, mais il était trop tard. Un sorcier vêtu de noir au visage griffé ouvrit la portière avec fureur. Il empoigna le bras de Vera pour la tirer violemment hors de la voiture et la jeta au sol. Elle sentit le bitume lui érafler les mains, une vive douleur se répandit dans son coude et un objet dur s'enfonça dans ses côtes. Albert essaya de s'attaquer à leur agresseur, mais le sorcier fut plus rapide : un éclair jaillit de sa baguette et frappa Albert de plein fouet. Le petit ravluk tomba à ses pieds, inanimé.
– Albert ! gémit Vera.
– Tu ne m'auras plus, sale bête, rugit l'homme en l'écartant d'un coup de pied. Et pour toi...
Il se tourna vers Vera, écumant de rage, et elle frissonna en réalisant à quel point il était imposant. Vera n'avait jamais vu un sorcier aussi grand, et encore moins avec une musculature aussi développée : il devait mesurer un peu plus de deux mètres, et peser un poids tout aussi impressionnant. Il était vêtu de noir, et Vera était certaine de ne l'avoir jamais rencontré auparavant. Une femme se trouvait avec lui ; tous deux étaient habillés du même tissu sombre et coûteux, brodé du même scarabée argenté.
– Qui êtes-vous ? haleta Vera. Qui vous a engagés ?
– Tais-toi, et donne ta baguette à ma femme, répondit l'homme en désignant sa compagne. Et pas d'embrouille, ou bien je tue immédiatement les deux Moldus dont vous avez pris l'apparence !
Joignant le geste à la parole, il pointa sa baguette sur la voiture où dormaient les deux policiers. Vera regarda autour d'elle, catastrophée ; mais elle ne vit personne d'autre. La plupart des Aurors avaient quitté les lieux, emportant des prisonniers avec eux. Personne ne pouvait lui venir en aide.
Désespérée, elle obtempéra le plus lentement possible et fit rouler sa baguette sur le sol. La femme ne disait rien, mais cela la rendait encore plus effrayante : son visage était hermétiquement fermé, et son regard de fureur pure semblait vouloir transpercer Vera. Sa manche gauche était déchirée ; sur son avant-bras ensanglanté, il n'y avait aucune trace de Marque des Ténèbres.
– Vous n'êtes pas des Mangemorts, remarqua Vera. Mais alors...
– Pas encore ! rugit l'homme, faisant sursauter Vera. Mais ça ne saurait tarder !
Il marcha droit sur elle, hors de lui.
– Quand ils verront que nous t'avons attrapée, ils n'auront pas le choix, siffla-t-il. Et nous, les Warrington, serons enfin considérés comme de véritables Sang-Pur ! Pas vrai, Alamira ?
Vera essaya de rassembler ses pensées, malgré la panique qui menaçait de nouveau de l'envahir. Warrington, cela lui disait bien quelque chose, mais elle n'avait pas le temps de s'y attarder. Il fallait trouver une solution, et au plus vite... Elle pouvait bien transplaner, mais alors les deux policiers seraient en grand danger... Ce dénommé Warrington semblait violent et cruel, il n'hésiterait certainement pas à les tuer... Non, ce n'était pas envisageable de les abandonner ainsi, sans défense...
– Alors ? l'exhorta Warrington en se penchant sur elle. Pour qui te prends-tu, pour croire que tu allais déjouer les plans du Seigneur des Ténèbres en te déguisant en Moldue ? Tu as vraiment cru, sincèrement, que tu allais y arriver ? Tu es comme cette pauvre fille, avec son annonce au micro...
– Où est-elle ? demanda vivement Vera, de plus en plus effrayée.
Warrington éclata de rire.
– C'est sans doute elle que vous cherchiez, tout à l'heure ? dit-il avec un sourire sinistre. Vous n'aviez aucune chance... Je l'ai trouvée avant vous. Elle a à peine eu le temps de finir sa phrase...
Derrière lui, sa femme poussa un ricanement moqueur qui fit frissonner Vera.
– Et maintenant, tu vas me dire qui t'es, poursuivit le sorcier. Sinon... Endoloris !
La douleur que ressentit Vera à ce moment-là dépassait tout ce qui était imaginable. Elle avait l'impression que des milliers d'aiguilles chauffées à blanc lui transperçaient la peau, que l'intérieur de son corps s'était mis à bouillir, qu'une énorme enclume l'écrasait de tout son poids, et tout ceci simultanément. Elle voulut crier, mais le souffle lui manquait.
– Réponds, ordonna l'homme, tout en agitant sa baguette sous son nez. Je vois bien que tu as pris l'apparence de cette saleté de Moldue... Et malheureusement, il n'existe pas d'antidote immédiat... Mais bientôt, la potion cessera de faire effet, et alors je saurai qui tu es... Et j'en déduirai sûrement qui sont tes complices...
– Je m'appelle... Wallis Silver, hoqueta Vera.
– MENTEUSE ! Endoloris !
À nouveau, la douleur indescriptible la cloua au sol. Vera retomba en arrière, et sentit à nouveau un objet dur s'enfoncer dans ses côtes, exactement au même endroit. Sonnée, elle mit quelques instants à comprendre que l'objet en question se trouvait dans la poche de sa veste.
Sans qu'elle ne sache pourquoi, ses pensées la portèrent vers un passé proche, juste avant l'attaque... Elle parlait avec Daisy... Elle était à côté de Fergus, et tous les deux discutaient en riant... Peut-être qu'elle ne les reverrait plus, ni l'un ni l'autre...
Au-dessus d'elle, Warrington continuait de vociférer, mais Vera ne l'entendait plus.
De quoi avaient-ils parlé, déjà ? De ces horribles poupées moldues... La douleur rendait ses pensées difficiles à suivre. Elle voulut fermer les yeux, mais le sorcier la secouait comme un prunier, et la forçait à le regarder, pendant qu'il continuait de crier...
Et avant ça, de quoi d'autre avaient-ils parlé, avec Fergus ? Pour une raison mystérieuse, cela lui semblait être d'une importance capitale... Ils s'étaient moqués de ces policiers naïfs, qui avaient si bien cru au sortilège de Faux Souvenirs qu'elle leur avait lancé... Et qui avaient cru les effrayer, avec l'arme métallique que Wallis avait brandie devant elle...
Vera tressaillit.
L'arme de la policière.
C'était ça qu'il y avait dans sa poche. C'était cet objet dur et froid qui s'était enfoncé dans ses côtes lorsque ce Warrington l'avait jetée au sol. Vera ne savait pas ce que c'était, mais vu comme Wallis Silver avait été confiante en pointant l'arme sur elle, puis surprise lorsque Vera n'avait pas cillé, l'arme devait être puissante...
Au-dessus d'elle, Warrington se leva, de plus en plus furieux. Il revenait vers la voiture, il menaçait de la faire exploser...
Vera mit discrètement la main dans sa poche, mais les deux sorciers n'y prêtèrent aucune attention. C'était là une faiblesse qu'avaient en commun tous les sorciers : la méconnaissance absolue des mœurs moldus, et l'absence totale de considération pour leurs différents équipements. À leurs yeux, elle était dépourvue de baguette, et ne représentait donc plus aucune menace.
Comment Wallis avait-elle tenu son arme ? Oui, comme ceci, exactement... Derrière les deux sorciers, sur une affiche publicitaire, deux personnages se battaient avec une arme qui ressemblait à s'y méprendre à celle de la policière... Par leur manière de les tenir, Vera en déduisit que l'équivalent d'un sortilège devait jaillir par le petit trou rond qui se trouvait à l'extrémité de l'arme ; et ils avaient l'index crispé sur ce qui devait être le déclencheur...
Tout en tâtonnant dans sa poche, Vera serra les poings : si l'arme parvenait à étourdir son adversaire pendant quelques secondes, elle pourrait lui donner l'occasion de le neutraliser, et de s'échapper...
– Tu l'auras voulu, rugit Warrington, sa baguette toujours pointée sur les deux policiers endormis dans la voiture. Avada Ke...
Vera se redressa brusquement, tendit le bras vers le sorcier et appuya sur le déclencheur. Elle laissa aussitôt échapper un cri et lâcha l'arme, surprise par la puissance de la détonation produite par un objet si petit et dépourvu de magie. Elle regarda sa main engourdie, soulagée de la voir indemne ; puis elle leva les yeux vers les deux Warrington – mais il n'y en avait plus qu'un.
Non loin d'elle, Alamira Warrington s'était figée de stupeur. Ses yeux écarquillés d'horreur fixaient son mari étendu sur le sol, la poitrine ensanglantée et le regard vide.
Vera regarda l'arme moldue et comprit qu'elle venait de tuer quelqu'un. Elle hésita un instant entre s'excuser et s'enfuir à toutes jambes, mais elle n'eut pas le temps de se décider : une pluie de sortilèges s'abattit sur Alamira Warrington et elle fut neutralisée à son tour. Vera s'empressa de récupérer sa baguette, qui avait roulé sur le sol ; elle tendit le bras vers Albert et l'attira contre elle, immensément soulagée de constater que son petit ravluk respirait toujours ; puis, usant des dernières forces qui lui restaient, elle rampa sur le sol jusqu'à la voiture la plus proche, afin de se cacher aux yeux des nouveaux arrivants.
En un instant, cinq Aurors atterrirent autour de la voiture de police ; trois d'entre eux se saisirent d'Alamira Warrington et transplanèrent vers une destination inconnue. Deux autres restèrent sur place pour examiner les lieux, baguette en main ; Vera reconnut Alastor Maugrey et l'un de ses collègues, Tiberius Freddles. Adossée à une voiture à quelques mètres de là, elle se fit aussi discrète que possible et dissimula Albert dans sa veste.
Sans la voir, Maugrey marcha à grands pas vers la voiture de police ; il regarda à travers la vitre et constata que les deux policiers ronflaient paisiblement.
– Ces deux-là ont seulement été endormis, signala-t-il.
– En revanche, celui-là est bien mort, dit Freddles en se penchant sur Warrington.
Vera était en train de se demander comment elle allait s'y prendre pour rentrer chez elle avant de s'évanouir quand elle croisa le regard d'Alastor Maugrey. L'Auror examina en un instant sa tenue de policière, son visage identique à celui de la femme moldue qui se trouvait dans la voiture, la baguette qu'elle tenait dans la main, puis l'arme moldue qui se trouvait à ses pieds : et il sembla aussitôt comprendre tout ce qui venait de se passer. À côté de lui, Freddles aperçut Vera à son tour et pointa vivement sa baguette vers elle.
– Baissez ça, idiot, dit Maugrey avec brusquerie. Regardez, c'est elle qui a sauvé les deux Moldus... Et tous les autres avec, je parierais.
Vera lui sourit difficilement, indifférente à la migraine atroce qui lui perforait le crâne.
– On peut dire que vous avez du cran, marmonna Maugrey à l'intention de Vera.
Vera essuya d'un revers de main le sang poisseux qui dégoulinait sous son nez. Maugrey désigna l'uniforme moldu qu'elle portait, maculé de taches rouge sombre.
– On vous emmène faire un tour à Sainte-Mangouste ? En toute discrétion, bien sûr...
Vera secoua la tête. Quelques fourmillements sur son visage et dans le reste de son corps lui indiquaient que l'effet du Polynectar touchait à sa fin. Elle porta une main à son ventre, et constata qu'Albert était toujours blotti contre elle, évanoui dans sa veste. Elle se concentra pour transplaner, mais rien ne se produisit. Elle avait l'impression de vouloir escalader une paroi infranchissable, de se heurter à un mur de béton.
– Allez, vous allez y arriver, l'encouragea l'Auror, tout en restant à distance. Vous avez bien mérité un peu de repos.
Vera hocha la tête, et réussit à se concentrer un peu plus intensément. Elle eut à nouveau l'impression de passer à travers un tuyau de plomb très étroit, impression d'autant plus désagréable qu'elle dura plus longtemps que d'habitude.
Enfin, elle se sentit décoller poussivement du bitume, puis l'étreinte écrasante du transplanage la libéra, et elle atterrit assise sur le lit qu'elle partageait avec Fergus, comme s'il ne s'était rien passé.
Autour d'elle, tout était calme. Dans leur immense chambre aux murs orange, rien n'avait bougé. Une lumière douce filtrait à travers les plantes colorées qui poussaient devant les nombreuses fenêtres. Vera pouvait entendre monter de son jardin la clameur imperturbable et apaisante de tous les animaux qui y habitaient, et le bruissement léger des plantes qui poussaient à toute vitesse sous les pattes de ses ravluks. Cachées dans un coin, une dizaine de Chuchouris grignotaient sagement le morceau de fromage que Vera leur avait laissé.
Elle ouvrit les pans de sa veste, et découvrit Albert, toujours inconscient. Elle palpa chacun de ses membres, ses deux ailes vertes, et constata avec un immense soulagement qu'il n'était pas blessé. Elle l'allongea donc soigneusement sur le lit en luttant contre le tremblement de ses mains, et plia la couverture pour le couvrir.
Ensuite, elle voulut se lever, afin de guetter l'arrivée de Fergus et de Daisy, mais ses jambes étaient vides de toute énergie. Elle parvint à se redresser au bord du lit, mais retomba aussitôt à genoux sur l'herbe mauve qui recouvrait le plancher. Fatiguée de lutter, elle se laissa tomber sur le côté ; puis elle sentit le sol basculer sous elle, et elle perdit connaissance.
***
À plus de cent kilomètres de là, à côté d'Alastor Maugrey, son jeune collègue Freddles était médusé.
– Mr Maugrey ! Vous l'avez laissée partir !
– Comme vous pouvez le voir, Freddles, répondit tranquillement Maugrey.
– Mais... Mr Maugrey ! Elle était là, à notre merci ! Nous aurions pu découvrir son identité !
– Et à quoi bon ? le coupa sèchement l'Auror. Pour que vous la révéliez au premier Mangemort qui vous soumettra au sortilège de l'Imperium ? Ou à tous vos amis, pour vous faire remarquer à la pause déjeuner ?
Freddles se renfrogna, vexé.
– Contentez-vous de la remercier, dit Maugrey.
D'un geste de la main, il désigna les environs.
– Rien qu'aujourd'hui, cet agent double a sauvé bien plus de personnes que vous ne pourrez jamais en rêver...
Dans le ciel, tous les Mangemorts avaient disparu, soit arrêtés, soit grièvement blessés par le savant mélange dont les Goyle les avaient arrosés. Quelques dommages matériels étaient à déplorer, mais il n'y avait aucune victime. Les nuages s'étiolaient lentement, et un rayon de soleil timide éclaira les carrosseries des voitures et la zone industrielle désertée. À l'intérieur de la voiture de police, Wallis Silver et Max Smith émergeaient lentement.
– Qu'est-ce que...
– Oh, misère, gémit Wallis en découvrant le parking désert, et deux voitures qui brûlaient non loin d'eux. Que s'est-il passé ?
– On nous a piqué nos uniformes, gémit son collègue. Le chef va nous tuer...
Alastor Maugrey les considéra d'un œil amusé, et fit quelques pas vers eux.
– Mes pauvres amis, le choc vous a fait perdre la mémoire, leur lança-t-il. Mais croyez-moi sur parole : vous avez été héroïques !