Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 9 : En plein cœur

7481 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 9 jours

En plein cœur




– Maman ! Maman !

Quand Vera refit surface, la première chose qu'elle sentit fut le contact râpeux et humide de la langue d'Albert qui lui léchait le visage. Elle entrouvrit les yeux, et aperçut la tête du petit ravluk penchée au-dessus d'elle, ainsi que deux taches obscures et floues qu'elle identifia immédiatement.

– Elle se réveille, souffla la voix soulagée de Daisy. Maman ? Tu m'entends ?

Vera cligna des yeux, étourdie. Elle avait la nausée ; sa main droite était engourdie ; la douleur se réveillait dans ses côtes, dans son coude, autour de son cou. Avec délicatesse, Fergus l'aida à se redresser, et Daisy lui prit la main avec inquiétude.

– Que vous est-il arrivé, Vera chérie ? demanda Fergus lorsqu'elle sembla en mesure de parler.

Vera eut quelques difficultés à remettre ses souvenirs en ordre, mais parvint tout de même à faire un récit cohérent de la manière dont les Warrington l'avaient agressée.

- J'ai même croisé Maugrey, conclut-elle en essayant de sourire. Mais je n'ai pas eu la force de lui parler...

– Nous n'aurions jamais dû te laisser toute seule, murmura Daisy. Viens, allons jeter un œil à tes blessures.

Aidée par son mari et sa fille, avec d'infinies précautions, Vera parvint à se relever et à faire les quelques pas qui la séparaient de leur salle de bains. La pièce était presque aussi grande que leur chambre, et il était difficile de la distinguer d'un jardin botanique. L'immense baignoire en pierre occupait le fond de la pièce, couverte de lierre et de fleurs orange ; les murs et le plafond étaient recouverts de plantes grimpantes, dont les immenses feuilles ondulaient gracieusement ; et d'autres plantes étonnantes se disputaient l'espace, immense mais néanmoins insuffisant pour tout ce que les Goyle y avaient entreposé – comme d'habitude. Pendant leur absence, près de la baignoire, une vitre avait été brisée par un arbre venu du jardin, dont le tronc était rentré dans la pièce, comme s'il avait voulu voir ce qu'il s'y passait.

– Les ravluks sont en pleine forme, ces temps-ci, constata Fergus avec joie.

– Il faudra tout de même réparer la vitre...

Fergus haussa les épaules, comme si le tronc d'arbre qui traversait la pièce et les quelques ravluks qui en avaient profité pour s'y introduire étaient des éléments tout à fait banals dans une salle de bains.

– Un jour, peut-être, oui...

Des libellules violettes exploraient l'ensemble, tandis que quelques plantes carnivores faisaient claquer leurs mâchoires pour les attraper. Fergus s'approcha d'une immense feuille horizontale, qu'il effleura du bout du doigt ; aussitôt, celle-ci se replia légèrement sur elle-même, formant un grand récipient qui se remplit d'eau claire par le fond. Daisy fit asseoir sa mère sur un tabouret de bois, juste à côté d'une plante aux longues feuilles roses qui ondulaient à la manière d'une anémone.

– Carla nous a volé des feuilles de Baumevigne ? s'inquiéta Daisy en découvrant des tiges sectionnées.

– Non, j'en ai envoyé une bonne quantité à Sainte-Mangouste... de façon anonyme, bien sûr, ajouta Vera en voyant le regard inquiet de Daisy. Avec toutes les agressions provoquées par les Mangemorts, ils en ont plus besoin que nous.

Daisy acquiesça, et Vera offrit ses mains égratignées aux longues feuilles roses du Baumevigne. Les feuilles s'y agrippèrent comme des petites ventouses, puis glissèrent le long de sa peau avec un bruit de succion. Elles passèrent sur toute la surface de ses paumes, puis sur le dos de ses mains, effaçant sur leur passage toutes les entailles et laissant derrière elles une peau lisse, propre et intègre.

– Je déteste ça, grimaça Vera. J'ai l'impression qu'on me suce le sang.

– Pas le choix, répondit fermement Daisy. Papa, fais-le aussi, ta joue est griffée... Imaginez que Carla voie une seule de vos égratignures, le soir où un attentat a été déjoué ? Cela confirmerait tous ses soupçons.

Au moment où il prononçait ces mots, les trois Goyle entendirent un cliquetis métallique, puis des pas excédés dans l'escalier.

– C'est elle ! souffla Daisy, affolée. Maman, reste ici, on s'en occupe !

Vera acquiesça, et émit un sifflement discret en direction de la chambre ; en l'entendant, les Chuchouris qui se trouvaient sur l'herbe mauve abandonnèrent leur morceau de fromage pour se dissimuler sous le lit. Puis Vera retira son uniforme de policière et les donna en pâture aux plantes carnivores les plus proches, qui s'empressèrent de les déchiqueter.

De son côté, Daisy se leva d'un bond et marcha droit vers la chambre, suivie par Fergus qui ferma soigneusement la porte de la salle de bains derrière lui.

– Faisons semblant de discuter, proposa Daisy à voix basse. Eh bien, poursuivit-elle tout haut, décidément, les ravluks sont déchaînés, ces temps-ci...

La porte s'ouvrit à la volée et Daisy et Fergus se retournèrent avec toute la désinvolture dont ils étaient capables. Carla venait de surgir dans la pièce, furieuse ; elle était encore en chemise de nuit et une marque d'oreiller barrait sa joue, bien visible.

– C'est vous, éructa Carla, hors d'elle. C'est vous qui avez fait ça !

– Oh ! s'exclama Fergus sur un ton enjoué. Bien le bonjour, ma chère Carla. Quel bon vent t'amène ?

– Vous m'avez empoisonnée ! s'écria Carla. Vous avez empoisonné Edgar, votre propre fils !

– Quelle drôle d'idée, commenta Fergus avec bonhomie. Pourquoi donc aurions-nous fait une chose pareille ?

Malgré l'animosité flagrante de Carla, la voix de Fergus ne perdait jamais rien de son amabilité, ce qui avait le pouvoir de rendre sa belle-fille folle de rage.

– À chaque attaque de Mangemorts, il se passe quelque chose d'étrange, murmura Carla pour elle-même. La première fois, j'ai été clouée au lit par une maladie inconnue... La deuxième, mon pied s'est coincé dans un piège pour Ronflak...

– C'est un vrai fourre-tout, en bas, compatit Fergus.

– Puis il y a eu ces maudits ravluks, qui m'ont empêchée de sortir de ma chambre...

– Ah ! Ces petits chérubins sont incorrigibles, soupira Fergus.

Daisy se retint de sourire en pensant à ce jour-là et aux hurlements qu'avait poussé Carla lorsque les ravluks avaient encerclé sa porte, ainsi que l'ensemble de ses fenêtres.

– Et voilà qu'aujourd'hui, je me réveille à quatre heures de l'après-midi ! acheva Carla d'une voix suraiguë. Vous ne pouvez pas me faire croire que tout ceci est dû au hasard ! C'est vous qui faites ça, depuis le début ! Vous avez saboté toutes ces attaques, à mon insu !

– Des attaques ? s'étonna Daisy. Mais comment veux-tu que nous sachions ce que les Mangemorts complotent ? Et comment veux-tu que nous soyons responsables de ta grasse matinée, alors que tu nous as enfermés depuis des semaines dans cette partie de la maison ?

Le regard de Carla balayait la pièce à toute vitesse, à la recherche de preuves.

– Où est Vera ? siffla-t-elle, de plus en plus furieuse.

– Elle prend un bain, répondit Daisy du tac au tac.

– Oui ? Qui m'appelle ? demanda Vera depuis la salle de bains, en faisant clapoter du bout des doigts l'eau de la baignoire.

– Bien sûr, grommela Carla. Et pourquoi êtes-vous si sales ? Pourquoi Fergus est-il blessé ?

– Nous faisions du jardinage dans la salle de bain, chantonna Fergus. Figure-toi qu'un arbre a eu la bonne idée de traverser le mur !

– Pourquoi y a-t-il du fromage sur la moquette ? insista Carla.

– C'est là que j'aime prendre mes en-cas, expliqua joyeusement Fergus.

Carla émit alors une sorte de grognement.

– Vous ne perdez rien pour attendre, marmonna-t-elle. J'ignore comment vous vous y prenez, mais je suis certaine que vous vous échappez de temps en temps, et je suis encore plus certaine que vous êtes responsables de toute cette mascarade... Alors tant pis si Edgar vous protège encore, tant pis s'il s'oppose à moi... Je vous dénoncerai au Seigneur des Ténèbres, et il vous punira enfin ! Vous ne pourrez pas vous jouer de moi éternellement !

En entendant ceci, Daisy s'arrêta de sourire. La porte de la chambre se ferma brutalement derrière Carla, bien que personne ne l'ait touchée, et la douce rumeur qui montait du jardin s'évanouit, écrasée par un silence pesant.

– Très bien, gronda Daisy en s'avançant vers Carla. Fais-le, dans ce cas ! Va, et confie tes soupçons à Voldemort ! Dis-lui à quel point tu es persuadée que nous sommes derrière tout ça, depuis le début ! Mais avant, pose-toi une seule question : si nous sommes désignés coupables, s'il nous élimine tous les trois comme tu l'espères... Il sera sans doute en colère, très en colère, de découvrir comment tous ses plans machiavéliques ont été mis en déroute par les mêmes personnes, juste sous son nez... Et à ton avis, quel châtiment réservera-t-il à ceux qui étaient censés nous surveiller ? Que pensera-t-il de toi et d'Edgar, quand il apprendra que vous piquiez un petit somme, au lieu de nous tenir à l'œil ?

Carla recula d'un pas, tout en pâlissant dangereusement.

– Si nous sommes déclarés coupables, alors vous le serez aussi, affirma Daisy. Penses-y avant de mettre en péril toute notre famille.

Depuis la salle de bains, Vera entendit Carla marmonner quelque chose de confus, et sourit en imaginant sa mine dépitée en réalisant que Daisy avait raison.

– À plus tard, Carla, minauda Fergus. Ah, j'oubliais ! Peux-tu donner ce vase à Edgar ? J'ai passé la journée d'hier à le sculpter... Merci, ma chère Carla, tu es bien gentille...

Les pas de Carla s'éloignèrent piteusement ; puis Fergus et Daisy revinrent dans la salle de bains.

– Heureusement qu'elle est aussi bête que méchante, commenta Daisy. J'aurais dû tripler sa dose de Potion de Sommeil, nous aurions eu la paix plus longtemps !

– Elle n'est pas aussi bête que nous aimerions le croire, tempéra Vera. Même si elle n'a pas encore découvert nos petits passages secrets, et même si elle ignore que ses Transplablocs sont en réalité hors d'usage... Elle n'a pas beaucoup de jugeote, mais elle serait tout de même capable de nous attirer de gros ennuis. Elle ne vous a pas vus rentrer, au moins ?

– Non, assura Daisy. J'avais activé le bouton d'invisibilité, et après avoir remis Lumi dans l'étang, j'ai garé la moto dans la grotte. Ensuite... Nous avons emprunté le passage habituel.

– Alors nous sommes tranquilles... jusqu'à la prochaine fois, déclara joyeusement Fergus.

– Il n'y aura pas de prochaine fois, répliqua Daisy.

Fergus et Vera se figèrent, attendant que Daisy revienne sur les paroles qu'elle venait de prononcer. Fergus alla même jusqu'à sourire, croyant à une plaisanterie ; mais Daisy n'avait jamais été aussi sérieuse.

Voyant cela, Vera voulut se lever – mais le regretta aussitôt en sentant une multitude de signaux douloureux contester son geste.

– Daisy... Aïe ! Daisy, tu ne peux pas dire ça !

– Maman, rassieds-toi... Non, regarde-toi ! Avec Papa, vous avez failli y passer ! Encore quelques sauvetages du même genre, et il y aura un drame... Vraiment, ça n'est pas raisonnable de continuer ainsi. Quant à Carla... Tu as raison, il ne faut pas la sous-estimer. À chaque fois, nous avons trouvé un moyen de la tromper, ou de l'effrayer, mais pour combien de temps ? Un jour où l'autre, si nous ne faisons rien, elle décidera de se débarrasser de nous, et même Edgar sera incapable de l'en empêcher.

Vera passa une main sur ses côtes douloureuses, et fit une petite grimace. Daisy avait raison, bien sûr : tout cela ne pouvait plus durer. À chaque fois, les Mangemorts étaient plus ambitieux, plus agressifs, plus nombreux ; au fur et à mesure que les mois passaient, le risque que l'un d'entre eux soit gravement blessé, capturé ou tué était de plus en plus important. Enfin, Carla était de plus en plus suspicieuse et menaçait de passer à l'action – et pourtant, Vera ne pouvait pas envisager d'abandonner.

– Le jeu en vaut largement la chandelle, protesta-t-elle. Que vont devenir les Moldus, si nous cessons d'assurer leur protection ?

– Je n'ai pas dit qu'il fallait s'arrêter là, rebondit Daisy avec gravité. Au contraire...

Fergus et Vera s'entreregardèrent, reprenant espoir.

– Je crois que nos opérations ponctuelles sont insuffisantes. C'est vrai, nous avons sauvé beaucoup de gens, et blessé beaucoup de Mangemorts, mais ils continuent d'étendre leur emprise sur le pays, de poursuivre leurs opposants, d'assassiner au hasard et de détruire des villages quand bon leur semble... Non, au contraire, je crois qu'il faut voir plus grand. Je crois qu'il est temps de frapper les Mangemorts en plein cœur.

Vera frissonna d'excitation.

– Je n'aurais pas dit mieux, ma chérie... C'est d'ailleurs ce que nous souhaitons depuis le début. Dois-je comprendre que tu as enfin une idée ?

– Oui, je crois, dit Daisy. Mais...

Elle s'interrompit, regardant craintivement sa mère.

– Oui ? l'encouragea Vera.

– Maman... Tu risques de ne pas être d'accord.

Vera fronça les sourcils, puis pâlit en comprenant pourquoi Daisy craignait sa réticence.

– C'est notre seule solution, insista Daisy. Je ne vois pas comment nous pouvons faire autrement. Maman, je t'en supplie... Il faut qu'elle nous aide. Il faut parler à Cissy.

***

À l'instant où Daisy prononçait son surnom, Narcissa se prélassait dans l'eau fraîche sous un soleil éclatant.

L'elfe Prunnas avait pourvu le domaine des Malefoy d'un puissant sortilège de Repousse-Nuage, faisant du domaine le seul endroit du pays épargné par la brume grise et lourde qui assombrissait les esprits, embuait les fenêtres et brouillait les repères. Maintenir le sortilège sur une aussi longue période, et contre des nuages bien plus coriaces que les petits cumulus habituels, demandait énormément d'énergie à l'elfe, qui s'affaiblissait de jour en jour ; mais Lucius ne faisait pas grand cas de la santé de leur elfe de maison, surtout si quelques rayons de soleil pouvaient rendre le sourire à son épouse.

Narcissa se trouvait donc aux côtés de Lucius dans le lac qui s'étendait à l'arrière du château. Ils s'y baignaient depuis des heures, admirant le spectacle des innombrables oiseaux qui venaient trouver refuge dans le seul endroit réchauffé par le soleil à des kilomètres à la ronde.

– Regarde ! Là-bas, juste devant le saule...

Ils étaient immergés dans l'eau fraîche jusqu'à la taille, et le soleil faisait scintiller leurs peaux. Lucius montrait quelque chose à Narcissa, et elle collait sa tête contre la sienne pour mieux suivre la direction de son regard, tout en prenant bien soin de ne pas regarder la Marque des Ténèbres qu'il portait sur son bras.

– Un héron, reconnut Narcissa. Qu'il est beau !

Le grand oiseau élégant au port de tête altier marchait au bord de l'eau. Il se rapprochait de l'immense saule pleureur incliné au-dessus du lac, dont les lianes mélancoliques masquaient le rivage sur une vingtaine de mètres. Ravie, Narcissa se tourna vers Lucius, prit son visage entre ses mains, et ils s'embrassèrent tendrement.

Depuis sa longue discussion avec Regulus, lors de cette étrange soirée de Noël, l'humeur de Narcissa oscillait sans cesse, passant par des hauts et des bas imprévisibles ; et même si elle-même n'en avait pas entièrement conscience, cela s'expliquait par les innombrables choses auxquelles elle s'efforçait de ne pas penser.

Bien sûr, il y avait le fait qu'elle ne parvenait toujours pas à avoir d'enfant, et que malgré sa promesse, Regulus n'y ait toujours pas trouvé de remède ni d'explication. Elle craignait aussi de voir les gens qu'elle aimait tués par la guerre ; et enfin, il y avait tout ce que son oncle Orion avait dit, lorsqu'il s'était présenté au manoir pour annoncer le départ définitif de Sirius.

Ce dernier point était celui qui effrayait le plus Narcissa. Par conséquent, elle déployait des efforts considérables pour se persuader que cette discussion n'avait jamais eu lieu et s'interdisait formellement d'y repenser, à tel point qu'elle avait pratiquement réussi à bannir de ses pensées tout ce que son oncle avait raconté à Abraxas : qu'elle était une enfant illégitime, fille d'un Sang-de-Bourbe nommé Thomas Everly – un ancien prétendant de sa mère, soi-disant.

Même si certaines phrases de l'oncle Orion faisaient de temps à autre irruption dans ses pensées – une immonde bâtarde, avait-il dit, une sale petite Sang-Mêlé – la plupart du temps, Narcissa parvenait à oublier ces accusations insultantes, ainsi que ce Thomas Everly dont il avait parlé. En revanche, elle ressentait une étrange frénésie, causée par le sentiment qu'elle pouvait perdre Lucius à tout moment, et qui exacerbait l'affection qu'elle ressentait pour lui. Elle agissait donc comme si un danger imminent menaçait de les séparer : elle avait besoin d'être rassurée en permanence, et se suspendait à son cou, à son bras, à toutes les heures du jour et de la nuit, comme si chaque minute leur était comptée.

Lucius était toujours surpris par cette tendresse pressante et irrésistible, après les mois d'abattement qui avaient suivi la destruction du pensionnat Wimbley ; mais il préférait nettement cet état à l'apathie que Narcissa lui avait opposé pendant des mois, et il n'avait donc pas tenu à connaître plus précisément les raisons de ces effusions de baisers et de caresses.

Bien sûr, il arrivait que Narcissa sombre de nouveau dans la mélancolie pendant plusieurs jours, et plus particulièrement à l'approche de Noël ; mais cela faisait longtemps que Lucius avait renoncé à y remédier. Et lorsque Narcissa se montrait enjouée et aimante, il se gardait bien de parler de ce qui pouvait l'attrister, refusant de laisser le moindre souci jeter une ombre sur ces précieux instants.

– À quoi penses-tu ?

Narcissa avait remarqué l'expression songeuse qu'il avait prise en contemplant le reflet du lac dans les grands yeux bleus de son épouse, et l'eau claire qui ruisselait dans ses cheveux blonds.

– À rien. Tu es belle.

Lucius prit son visage entre ses mains, ils s'embrassèrent à nouveau, et lorsque leurs deux corps se touchèrent, Lucius sentit Narcissa frissonner contre lui.

– Tu as froid ?

– Un peu. Depuis combien de temps sommes-nous dans l'eau ?

– Je serais incapable de le dire, sourit Lucius.

Le soleil commençait à peine à décliner ; il leur restait plusieurs heures avant qu'il n'atteigne la nappe de nuages noirs qui obscurcissait l'horizon, tout autour du domaine.

– Allons nous sécher, proposa Lucius. Nous reviendrons nous baigner plus tard.

Ils sortirent de l'eau main dans la main, montèrent un talus et rejoignirent la petite clairière qui se trouvait juste au-dessus du saule pleureur. L'immense serviette qu'ils avaient étalé sur l'herbe était chaude ; ils s'y enrobèrent tous les deux, se frictionnèrent mutuellement, puis s'étendirent côte à côte, désireux de prolonger éternellement leur douce félicité.

La tête posée sur la poitrine de Lucius, Narcissa somnolait en soupirant d'aise de temps à autre. Au-dessus de leurs corps enlacés, la voûte des arbres, poinçonnée par les rayons du soleil, se balançait paresseusement dans la brise du mois de juillet qui commençait. Les gouttes d'eau s'évaporaient sur leur peau, et leurs deux chevelures séchaient doucement, retrouvant peu à peu toute l'intensité de leur clarté. Narcissa songeait aux beaux jours qui les attendaient : l'été ne faisait que commencer, et grâce à Prunnas, il durerait longtemps... Et puis, après cet été, d'autres suivraient : Narcissa venait d'avoir vingt-quatre ans, et Lucius en avait vingt-cinq. Ils avaient la vie devant eux, une vie qui s'annonçait paisible et ensoleillée, dénuée de tout problème...

– Maître Lucius ! MAÎTRE LUCIUS !

La voix nasonnante de l'elfe Prunnas brisa en mille morceaux la félicité dans laquelle flottaient Lucius et Narcissa. Ils relevèrent la tête, s'extirpant à regret de leur délicieuse torpeur.

– Eh bien, qu'y a-t-il ? demanda Lucius, agacé.

L'elfe surgit des buissons, hors d'haleine. Depuis que Lucius exigeait de lui qu'il étende le Sortilège de Repousse-Nuages sur l'intégralité du domaine, l'elfe paraissait de plus en plus vieilli : sa peau verte était de plus en plus fripée, et son nez aplati comme un bec de canard avait tendance à s'affaisser de jour en jour.

– Alors ? Parle ! le pressa Lucius, sans laisser le vieil elfe reprendre son souffle.

– C'est que... Votre père vous demande, Maître...

– Qu'il attende, répondit Lucius avec un geste de la main.

– Mais, Maître... C'est urgent...

Les petits yeux noirs et perçants de Prunnas glissaient sans arrêt vers Narcissa, comme si sa présence le dérangeait.

– Tout ce que tu as à me dire peut être entendu par Narcissa, dit sèchement Lucius, qui avait lu dans les pensées de l'elfe.

– Mais, Maître... Votre père ne voudrait pas...

– Dans ce cas, je le verrai à l'heure du dîner.

Prunnas poussa un long gémissement suppliant : si Lucius refusait d'obéir, il en subirait lui aussi les conséquences.

– Maître, insista Prunnas. C'est au sujet de... Vous savez... C'était aujourd'hui...

– Je le sais bien. Y a-t-il du nouveau ? Ont-ils réussi à détruire le bâtiment ?

– Oh, euh... Oui, Prunnas a cru entendre que le bâtiment avait été endommagé...

– Dans ce cas, je ne vois pas ce qui peut poser problème à mon père. Nous en parlerons demain, quand le Seigneur des Ténèbres sera présent ; d'ici là, qu'il me laisse en paix.

Et il se rallongea à côté de Narcissa, en caressant ses cheveux blonds pour se faire pardonner cette fâcheuse interruption.

– Mais, Maître... Ils ont recommencé... Je veux dire... L'endroit était vide, Maître ! Il n'y a eu aucune victime ! Ceux qui étaient censés capturer les traîtres se sont fait prendre... Les Mangemorts sont revenus, et ils vous attendent... Beaucoup d'entre eux sont blessés...

Cette fois-ci, Lucius se figea. Ses traits se firent plus durs, plus froids.

– Bien, bien... Je vois.

Il sembla hésiter, et Narcissa lui adressa un regard persuasif dans l'espoir de le convaincre de rester à ses côtés.

– J'arrive tout de suite, soupira finalement Lucius en se redressant. Prunnas, offre-leur du vin, à manger, n'importe quoi... Je serai là dans quelques instants.

Et il se leva d'un bond pour se rhabiller.

– Désolé, dit-il à Narcissa. Tu sais, l'attaque dont je te parlais... C'était aujourd'hui. Apparemment, ça ne s'est pas passé comme prévu...

Narcissa haussa les épaules, et l'imita en passant sa longue robe d'été, bleue et légère. Elle fit un geste pour ramasser leurs affaires, mais Lucius lui fit signe de les laisser en place.

– Laisse ça, dit-il avec mauvaise humeur. Les elfes s'en chargeront.

Narcissa se contenta donc de revêtir sa robe et remonta avec Lucius la douce pente qui traversait le jardin des Malefoy. Lucius semblait de nouveau soucieux, et Narcissa en ressentit une pointe de culpabilité. En effet, elle savait pertinemment qui se cachait derrière ces sauvetages intempestifs – elle surprenait d'ailleurs régulièrement quelques Chuchouris en train de se promener dans son manoir – et n'avait jamais envisagé de dénoncer les Goyle. Au contraire, elle prenait beaucoup de plaisir à voir les mines dépitées des Mangemorts lorsque leurs actions étaient déboutées.

Jusqu'ici, Lucius n'avait aucunement pâti de ces revers successifs : Voldemort le tenait en si haute estime depuis le meurtre d'Eleanor Wimbley qu'il trouvait toujours quelqu'un à blâmer à sa place. En revanche, la jalousie des autres Mangemorts, et surtout des anciens Embrumés, grandissait à chaque faveur que Voldemort lui accordait. Et lorsque le Seigneur des Ténèbres avait annoncé que Lucius ne participerait pas à l'attaque, afin de préserver ses forces pour une autre mission prestigieuse, Narcissa avait vu tous leurs visages se contracter, sans oser protester – il était toujours malvenu de s'opposer à Lucius en présence du Seigneur des Ténèbres.

Lucius ne dit pas un mot jusqu'à leur arrivée au manoir. Il passa par la porte de derrière, qui menait aux cuisines, où les rescapés de l'attaque l'attendaient de pied ferme.

Une quinzaine de Mangemorts étaient présents, et la plupart d'entre eux avaient subi d'horribles blessures. Leurs vêtements étaient en grande partie déchirés, et dévoilait leur chair à vif, couverte de plaies purulentes et de pustules aux couleurs diverses. Narcissa reconnut sur la joue gauche de Dolohov les lésions caractéristiques du venin de tarentules géantes – des bubons tendus à éclater, d'une couleur verdâtre particulièrement repoussante.

Elle repéra également Bellatrix, et constata avec soulagement qu'elle était bien moins endommagée que le reste des Mangemorts. Elle avait simplement été brûlée à l'épaule, et s'était égratigné la joue, mais puisqu'elle volait avec plus d'agilité que ses comparses, elle avait su esquiver les explosifs lancés par les Goyle, et les horribles blessures qui en découlaient.

En entrant dans les cuisines, Narcissa et Lucius furent accueillis par des invectives chargées de ressentiment :

– Ah, voilà les tourtereaux, s'exclama Yaxley, dont la peau était couverte de taches violacées. Alors, la baignade était bonne ?

Lucius passa ses doigts dans ses cheveux fins, encore un peu humides, et sourit avec arrogance aux nouveaux venus.

– Excellente, merci de vous en inquiéter. Que me vaut l'honneur de votre visite ?

Quelques exclamations indignées accueillirent cette réponse désinvolte.

– Tu as oublié ce qu'il se passait aujourd'hui, Malefoy ?

– Non, à l'évidence, puisque c'est moi qui ai tout planifié. En revanche, je m'interroge sur votre présence ici, alors que nous avions justement convenu d'éviter de nous rassembler le jour même, afin de ne pas éveiller les soupçons... Les Aurors doivent être à votre recherche, et si j'étais vous, j'emploierais plutôt le temps qu'il me reste à camoufler ces hideuses blessures.

Cette remarque provoqua un vague flottement parmi les Mangemorts : Lucius avait raison, ils avaient désobéi aux instructions que leur avait données Voldemort. La tentation de se confronter à Lucius en l'absence du Seigneur des Ténèbres était trop grande ; mais contrairement à ce qu'ils espéraient, Lucius ne se laissait pas démonter.

– Nous avons été attaqués juste avant d'atteindre Crushfield, grinça Rabastan Lestrange.

– Ouais, approuva Alecto Carrow. Les lascars nous attendaient là-bas ! Ils connaissaient parfaitement notre plan, même si nous avons changé au dernier moment ! Il y a un traître parmi nous, c'est certain !

Narcissa fronça les sourcils, désappointée, et passa aussitôt dans la pièce voisine. Elle aimait de moins en moins entendre parler de ce qui se passait au-dehors et a fortiori de ce que Lucius ou Bellatrix y faisaient : ces choses-là étaient bien trop affreuses pour être regardées en face.

Lucius, lui, continuait de tenir tête aux Mangemorts furieux, qui lui firent le récit complet de l'attaque.

– C'est intéressant, commenta Lucius lorsque les Mangemorts eurent terminé d'égrener leurs doléances. Avez-vous pu identifier ces objets volants qui vous ont percuté ?

– Oui, absolument ! s'exclama un Mangemort de petite taille.

Gibbon s'avança avec empressement, et posa sur la table un morceau de carcasse en plastique. Il sembla très fier de lui, jusqu'à ce qu'il réalise que tous ses partenaires le fusillaient du regard. Lucius s'empara du morceau de plastique, et l'examina en haussant les sourcils.

– Vous avez donc été attaqués par des jouets moldus, résuma-t-il avec amusement. Des armes redoutables, sans aucun doute...

– Des jouets moldus remplis d'explosifs et de poison, corrigea Rodolphus Lestrange.

– Je ne doute pas que tu aurais su nous en protéger, Malefoy... Si seulement tu nous avais gratifiés de ta divine présence, railla Yaxley.

Un murmure d'assentiment parcourut le petit groupe.

– Si vous souhaitez connaître les raisons pour lesquelles je n'ai pas daigné me joindre aux festivités, vous pourrez vous en référer au Seigneur des Ténèbres, leur proposa Lucius. Il sera sans doute ravi de savoir que mon absence vous empêche de vous battre correctement.

À la mention de Voldemort, les Mangemorts battirent en retraite. Ils savaient pertinemment ce qu'ils risquaient s'ils osaient remettre en cause ses choix stratégiques.

– Laissons tomber, mes amis, déclara Yaxley. Nous avons affaire à un lâche de la pire espèce... Nous n'avons plus qu'à espérer que le Seigneur des Ténèbres finisse par s'en apercevoir. Allons-y !

Antonin Dolohov lui donna une tape sur l'épaule en guise d'approbation, et tous les deux quittèrent la pièce, rapidement suivis par le reste du groupe. Il ne resta plus qu'Abraxas Malefoy, qui se tenait debout dans un coin de la pièce, voûté sur sa canne au pommeau d'argent, ainsi que Bellatrix, qui n'arrivait pas à se résoudre à laisser Lucius s'en tirer à si bon compte. Enfin, Rodolphus Lestrange s'était arrêté dans l'encadrement de la porte, attendant de voir si Bellatrix allait se joindre à eux.

Comme s'il avait oublié leur présence, Lucius s'empara d'une carafe en sifflotant, se servit un grand verre d'eau fraîche, et s'accouda sur la table haute qui occupait le centre de la cuisine pour le boire. Il ne consentit à faire attention à eux que lorsque Bellatrix toussota pour lui rappeler sa présence.

– Ah, tiens, Bellatrix... Eh bien ? Tu as encore quelque chose à me dire avant de partir ?

– J'habite ici, je te le rappelle, lança Bellatrix avec colère.

– Bien sûr. Pardonne-moi de l'oublier, il me semble que tu passes plus de nuits dans le lit de ton jeune cousin que dans la chambre que nous t'avons accordée...

Cette remarque eut un double effet : Rodolphus Lestrange parut sur le point de défaillir de jalousie, et les joues de Bellatrix s'empourprèrent. Cependant, elle ne pouvait le nier : malgré le fait que Narcissa ait mis à sa disponibilité une immense chambre de l'aile Ouest, elle continuait de passer le plus clair de ses nuits au square Grimmaurd, même lorsque Regulus était à Poudlard. Pour une raison que Bellatrix ne parvenait pas à identifier, la chambre de son petit cousin était le seul endroit où elle parvenait à dormir paisiblement, tandis que les nuits qu'elles passait ailleurs étaient peuplées de cauchemars et d'angoisses indéchiffrables.

– Ça n'est pas le sujet, Lucius, répliqua Bellatrix lorsqu'elle eut retrouvé un minimum de contenance. Le Seigneur des Ténèbres t'a choisi pour orchestrer les opérations, alors sois digne de la confiance qu'il t'accorde ! Trouve ceux qui nous ont trahi, et livre-les moi, je les punirai à la hauteur de leur faute !

– Pour une fois, je suis d'accord avec... ahem... avec Bellatrix, dit la voix glaciale d'Abraxas Malefoy.

Il avait prononcé ces mots avec réticence : avouer son adhésion aux propos de Bellatrix semblait lui inspirer le plus profond dégoût.

– Nous devons démasquer les traîtres, et les châtier comme il se doit, poursuivit Abraxas Malefoy.

– Oui, oui, je m'en occupe, dit Lucius en balayant les remarques d'un revers de main. Et maintenant, auriez-vous l'amabilité de me laisser me désaltérer tranquille ?

Bellatrix quitta la pièce, furieuse, talonnée par Rodolphus Lestrange ; mais Abraxas Malefoy ne se résolvait toujours pas à partir.

– Tu es pathétique, persifla-t-il dès que Bellatrix eut claqué la porte. Aller te prélasser au bord du lac avec Narcissa, un jour aussi important que celui-ci ! Où avais-tu la tête ?

– Pensez-vous, Père, que cela aurait changé quelque chose si j'étais resté dans le salon, plutôt que de me trouver à quelques centaines de mètres d'ici ?

Abraxas frémit de fureur. Sentir son fils gagner en assurance, et échapper progressivement à son autorité implacable déclenchait chez lui une rage féroce.

Lucius avança la main vers le milieu de la table, afin de prendre un fruit dans la corbeille. Voyant cela, son père essaya de lui écraser la main avec le pommeau de sa canne ; mais ses gestes étaient devenus moins vifs, et Lucius plus alerte. Celui-ci l'esquiva avec aisance, et attrapa le pommeau d'argent sculpté, faisant dangereusement chanceler son père.

– Lucius ! gronda Abraxas Malefoy.

– Je ne vous comprends pas, Père, dit Lucius avec froideur. Depuis ma naissance, j'ai toujours fait ce que vous attendiez de moi. Vous m'avez envoyé conquérir le Ministère, alors que je n'avais que quinze ans, et je l'ai fait pour vous. Ensuite, vous avez estimé que je ferais mieux de m'attirer les faveurs du clan adverse ; encore une fois, je me suis exécuté – avec brio, je pense pouvoir l'affirmer. Que vous faut-il de plus ?

Abraxas Malefoy tira d'un coup sec sur sa canne, et son fils consentit à la lâcher. Il la reposa sur le sol, et s'appuya dessus pour se redresser au maximum, essayant vainement de retrouver la haute taille qu'il avait autrefois.

– Tu sais, Lucius, je n'ai jamais voulu que ton bien, gronda-t-il. Depuis ton plus jeune âge, je m'évertue à t'enseigner l'excellence et le courage, dans le seul but de te donner les armes nécessaires pour affronter l'impitoyable cruauté du monde. Lorsque je suis tombé malade, j'étais réticent à te laisser manier nos comptes et nos négociations. Je te trouvais trop jeune, trop gracile, mais je dois dire que tu ne te débrouillais pas si mal... Jusqu'à ce que tu fasses la rencontre de Narcissa.

Lucius ouvrit la bouche pour protester, mais Abraxas ne lui en laissa pas le temps.

– Oui, de toute évidence, c'est à ce moment-là que les choses se sont gâtées, grimaça Abraxas Malefoy. Tu es devenu bêtement rêveur, ridiculement mièvre, terriblement vulnérable... Et pourtant, j'ai fait tout mon possible pour empêcher cette tragédie. Je t'ai envoyé à Dumstrang pour un an, en espérant que le froid et la magie noire te raffermiraient l'âme. À ton retour, il était évident que cela n'avait eu aucun effet, puisque les malheurs de cette petite Narcissa occupaient tout ton esprit. J'ai tout de même accepté votre mariage, en pensant que c'était un mal nécessaire – quelle inconscience... J'ai fait en sorte que tu aies peu de temps à lui consacrer, afin de limiter les dégâts. Quand je t'ai envoyé chercher les faveurs de Tu-Sais-Qui, je pensais que côtoyer les Mangemorts t'endurcirait, et quand tu as tué Eleanor Wimbley, j'ai sincèrement cru que mon plan avait enfin réussi. Mais depuis quelques mois, c'est l'inverse qui se produit : à la moindre occasion, tu préfères te vautrer dans la paresse et l'oisiveté. J'ai échoué à faire de toi un homme digne de ce nom, et c'est bien cela qui me désole.

Lucius avait déjà reçu des sermons semblables tout au long de son enfance et de son adolescence ; mais depuis la destruction du pensionnat Wimbley, trois ans et demi auparavant, son père l'avait laissé tranquille, et Lucius pensait naïvement que cette paix serait durable. Le retour de ces reproches si familiers lui donnait l'impression désagréable d'être éternellement condamné à les entendre, quoiqu'il fasse pour s'en défaire.

– Lucius, mon fils, dit Abraxas avec gravité. Si tu continues à batifoler de la sorte avec Narcissa, tu vas droit à ta perte...

– Pensez-vous que Mère aurait été de cet avis ? osa demander Lucius, dans un élan de révolte. Pensez-vous qu'elle aurait désapprouvé ma relation avec Narcissa ?

Abraxas Malefoy haussa un sourcil, surpris par la provocation ; en revanche, il ne manifesta aucune émotion à la mention de sa défunte épouse, morte vingt-cinq ans plus tôt en donnant naissance à Lucius.

– Je n'en sais strictement rien. Si tu veux connaître l'amère vérité, je ne me souviens même plus du son de sa voix. Tu vois... Tu peux être fier de toi.

Lucius se crispa légèrement, mais refusa à nouveau de s'incliner.

– Vous auriez peut-être préféré que je me trouve une autre épouse ? Une épouse comme Juliet Parkinson, une idiote que je n'aurais pas aimée ?

Cette fois-ci, le visage d'Abraxas se durcit.

– En ce qui te concerne, tu sais pertinemment ce que j'aurais préféré, Lucius.

Lucius tressaillit. Il serra les dents et dut inspirer profondément pour empêcher sa voix de trembler.

– Alors... Vous n'avez pas changé d'avis.

– Non, Lucius, en effet.

Deux larmes brillèrent au coin des yeux de Lucius. Il détourna le regard et prit une grande inspiration pour les faire disparaître, mais Abraxas n'était pas dupe.

– Regarde-toi, soupira ce dernier. Quel gâchis, vraiment, c'est lamentable.

Et il sortit de la pièce à grands pas, tout en frappant avec détermination sa canne sur le sol.

***

À l'étage, dans leur immense salle de bains de l'aile Ouest, Narcissa peignait patiemment ses cheveux blonds, assise devant le miroir au cadre ouvragé, envahie par une bouffée de nostalgie. Elle n'était pas inquiète pour les Goyle : elle avait toujours considéré leurs sabotages comme de bonnes plaisanteries destinées à se moquer des Mangemorts. Elle les mettait gentiment en garde, mais tous les trois lui paraissaient si assurés et indestructibles que Narcissa n'avait jamais envisagé qu'ils puissent être blessés ou capturés.

En revanche, Daisy, Vera et Fergus lui manquaient terriblement. Depuis l'attaque du pensionnat Wimbley, Vera était sérieusement soupçonnée – à raison – d'avoir voulu empêcher sa destruction ; Voldemort l'avait alors épargnée pour ne pas effrayer les Mangemorts fraîchement recrutés, mais Vera, son mari et sa fille étaient désormais tenus à l'écart de toutes les réunions, étroitement surveillés par Carla et Edgar, qui avaient tous deux reçu l'ordre de ne pas les laisser sortir de la maison.

Narcissa avait réussi à leur rendre visite quelques fois, mais cela les mettait tous en danger, car Carla pouvait à tout moment l'accuser de leur communiquer des informations sur les projets des Mangemorts. Cela faisait donc plusieurs mois qu'elle n'avait pas entendu le rire joyeux de Vera, écouté Daisy lui parler de balais avec passion, ou regardé Fergus peindre l'un de leurs animaux magiques avec cet air profondément serein qui n'appartenait qu'à lui. Elle parvenait parfois à les oublier pendant plusieurs jours, mais elle devait bien se rendre à l'évidence : l'affection qu'elle ressentait pour les Goyle ne voulait pas faiblir. Elle avait bien conscience de ce qu'ils représentaient pour elle : les derniers liens qui l'unissaient à la Colline d'Émeraude, et surtout à sa mère, dont même Bellatrix ne voulait plus entendre parler.

Narcissa reposa son peigne devant elle et observa son reflet dans le miroir. Avec ses longs cheveux blonds, ses yeux bleus comme l'océan et son teint hâlé, elle n'avait jamais été aussi belle. Personne, dans le pays, n'avait une place aussi protégée qu'elle ; elle pouvait obtenir tout ce qu'elle désirait, et pourtant... Malgré l'amour qu'elle ressentait pour Lucius, il suffisait qu'elle soit seule quelques instants pour qu'une étrange mélancolie vienne la submerger. En fermant les yeux, elle pouvait presque entendre le rire d'Andromeda, sentir la main de sa mère lui caresser la joue... Si seulement elles étaient là, à côté d'elle... Narcissa pourrait se blottir dans leurs bras, leur poser toutes les questions qui se bousculaient dans son esprit...

Un léger tiraillement sur sa robe interrompit ses pensées nostalgiques. Elle baissa les yeux, intriguée : une Chuchouris au pelage multicolore était en train de couiner à ses pieds, afin d'attirer son attention.

– Eh bien... Tu t'es perdue ?

Attendrie, Narcissa se baissa pour la ramasser et la prit au creux de sa main. Là, le petit mammifère se dressa sur ses pattes arrière et pointa son museau vers l'oreille de Narcissa.

– Tu as quelque chose à me dire, devina-t-elle.

Elle approcha la Chuchouris de son oreille, et celle-ci répéta mot pour mot le message que les Goyle lui avaient dicté :

– Viens nous rendre visite, couina la Chuchouris en imitant l'intonation de Daisy. C'est très important.

Sans attendre de réponse, elle sauta sur les genoux de Narcissa, puis sur le sol de marbre rose et disparut dans un petit trou de souris. Narcissa ressentit aussitôt un mélange de soulagement et d'angoisse. Les Goyle ne l'avaient donc pas oubliée... Ils pensaient à elle, comme elle pensait à eux. Mais pourquoi la convoquer ainsi ? C'était la première fois qu'ils prenaient ce risque-là. Et s'il était arrivé malheur à l'un d'eux ?

Elle se leva au moment où Lucius entrait dans la chambre, visiblement troublé.

– Lucius ? Tout va bien ? demanda-t-elle.

– Hmm ? Oh... Oui, oui.

– Alors, que te voulaient-ils ?

Lucius haussa les épaules sans répondre, s'étendit sur le lit et se perdit dans la contemplation du plafond, dont les feuilles de vigne et le ciel bleu peints en trompe-l’œil étaient d'un réalisme saisissant. Toutes les injures que son père lui avaient dites, et toutes celles qu'il aurait aimé répliquer défilaient dans son esprit ; il remarqua à peine que Narcissa s'étendait à ses côtés, et posait sa tête sur son épaule.

– Ce sont eux qui te causent du souci ? demanda-t-elle.

Lucius mit un peu de temps à répondre. Il n'avait aucune envie de s'épancher sur ce que son père lui avait dit. Il s'efforça donc de sortir de ses ruminations, afin d'agir comme si la conversation qui avait suivi la confrontation avec les Mangemorts n'avait jamais eu lieu.

– N'en parlons plus, soupira-t-il. Tu sais ce que les elfes ont préparé pour le dîner ?

– Je ne mangerai pas ici, l'informa Narcissa. Je vais rendre visite aux Goyle.

Lucius se redressa sur le lit, interloqué.

– Les Goyle ? Tu es toujours en lien avec eux ?

– Pas vraiment... Mais cela fait longtemps que je n'y suis pas allée.

– Le Seigneur des Ténèbres ne verrait pas ça d'un bon œil, fit remarquer Lucius. Tu sais aussi bien que moi qu'il se méfie des Goyle...

– Ils ne font rien de mal, répliqua Narcissa. Vous avez déjà essayé de leur tendre plusieurs pièges, de les lancer sur de fausses pistes, et ça n'a rien donné : ils ne s'intéressent plus à la guerre. Ils ne quittent jamais leur maison, et Carla les surveille en permanence... S'ils avaient fait quoique ce soit de suspect, elle les aurait déjà dénoncés. Et puis, de toute manière... le Seigneur des Ténèbres n'est pas obligé de savoir que je leur rends visite.

– Tout de même, insista Lucius. Si on apprenait qu'ils avaient joué le moindre rôle dans tout ça...

– Ça n'arrivera pas, promit Narcissa en l'embrassant. Allez, à plus tard !

Et elle disparut dans le couloir.

Lucius réfléchit encore quelques instants à un moyen de convaincre Narcissa de mettre fin à sa relation avec la famille Goyle, mais les paroles de son père résonnaient encore en lui, absorbant toute autre pensée. Il se rallongea donc en travers du lit et se replongea en soupirant dans la contemplation du plafond de la chambre.

De son côté, Narcissa descendit les escaliers en essayant de paraître calme, et marcha d'un pas vif vers la cheminée. Elle prit une petite poignée dans le sac de poudre de cheminette suspendu à un crochet d'argent, le jeta dans la cheminée, et entra si précipitamment dans l'âtre qu'elle se cogna au superbe manteau de marbre.

– Maison des Goyle, prononça-t-elle à voix basse.

Et lorsque les flammes vertes enflèrent et arrivèrent à hauteur de ses yeux, elle frémit d'impatience à l'idée de pouvoir enfin serrer Vera et Daisy dans ses bras.


Laisser un commentaire ?