Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts
Dans la cave des Malefoy
Lorsque Narcissa s'extirpa de la cheminée mauve et biscornue du salon des Goyle, ni Daisy, ni aucun de ses deux parents n'étaient visibles.
– Daisy ? appela Narcissa. Fergus ? Vera ?
Un silence de mort accueillit sa réponse, et Narcissa sentit l'angoisse la submerger. S'il leur était arrivé quelque chose, Narcissa ne pourrait pas le supporter. Elle qui ne leur avait pas rendu visite depuis des mois...
– Cissy ! Tu es là !
Une exclamation joyeuse interrompit les pensées angoissées de Narcissa, et Daisy apparut à la porte du salon, arborant un sourire éclatant. Un soulagement et une joie intense balayèrent en un instant tout ce que Narcissa avait imaginé : si Daisy rayonnait à ce point, il était totalement exclu que l'un de ses deux parents ait été tué, ou même blessé. Tout allait bien, Narcissa en fut immédiatement persuadée.
Daisy enjamba vivement un cageot rempli d'asticots qui produisaient une épaisse fumée bleue. Narcissa manqua de répandre le contenu d'un bocal sur le sol en se précipitant vers elle, et les deux amies s'étreignirent avec force au milieu du salon.
– Daisy ! J'ai cru que...
– Chhht ! dit précipitamment Daisy en serrant Narcissa dans ses bras.
Elle se détacha légèrement d'elle, et désigna la porte en faisant une grimace. Narcissa comprit qu'elle parlait de Carla et de ses oreilles particulièrement indiscrètes.
– Excuse-moi, j'étais là-haut, lui dit Daisy. Je ne t'ai pas entendue arriver. Je suis tellement contente de te voir !
En voyant Daisy lui sourire et l'embrasser, au milieu des bocaux de salive et des œufs d'animaux magiques qui occupaient l'espace du sol au plafond, Narcissa repensa à toutes les choses qui avaient changé depuis le temps où elles passaient leurs journées toutes les deux, lorsque rien d'autre n'importait en dehors de leurs interminables parties de jeu. Tout était alors possible : jouer à cache-cache dans l'immense maison des Goyle, aller nourrir les Dopsidons et récolter leurs œufs d'or pour Vera dans l'espoir de recevoir quelques bonbons en récompense, dévaler la rue pavée de la Colline d'Émeraude sur la brouette musicale de Fergus... Narcissa ressentit un élan de nostalgie pour cette époque bénie, où aucun compromis ne lui était nécessaire pour être heureuse. En regardant autour d'elle, elle sourit en se souvenant que Daisy et elle arrivaient à peine à attraper les bocaux qui se trouvaient sur les fauteuils, et renversaient toujours une partie de leur contenu lorsqu'elles essayaient de les manipuler. Maintenant, elles étaient toutes les deux assez grandes pour regarder de haut ces récipients qui leur avaient donné tant de fil à retordre...
– On a bien changé, pas vrai ? sourit Daisy en surprenant le regard vague de Narcissa. Allez, viens, on monte... Il faut que je te raconte...
– J'aimerais beaucoup que tu me racontes, à moi aussi, dit une voix perçante derrière Daisy.
Daisy et Narcissa se retrouvèrent face à Carla, qui les observait d'un regard sournois.
– Encore toi ! s'énerva Daisy. Bon sang, mais tu n'as pas mieux à faire que de nous espionner ?
– Je voulais seulement accueillir Narcissa, insista Carla. Et puis, je voulais te prévenir... Hector Crabbe est passé ici, il y a vingt minutes. Il voulait te voir.
– Heureusement que je suis restée là-haut, dans ce cas, répondit Daisy.
– Je pense qu'il veut t'épouser, annonça Carla, l'air de rien.
Daisy haussa les sourcils, amusée, et Narcissa eut un haut-le-cœur.
– Quelle drôle d'idée ! Tu lui as fait comprendre que son projet était voué à l'échec, j'espère ?
– Non, au contraire. Je l'y ai vivement encouragé.
Daisy secoua la tête, et Narcissa frissonna de dégoût en pensant aux aux énormes poings et au cou épais d'Hector Crabbe. Cela faisait bientôt sept ans que sa sœur Andromeda s'était enfuie pour rejoindre Ted Tonks, échappant ainsi à son mariage arrangé avec lui. Narcissa avait suffisamment souffert en imaginant sa sœur prise dans les griffes de cet homme cruel, orgueilleux et violent ; ça n'était certainement pas pour que Daisy prenne sa place...
– Je pensais rendre service, dit Carla avec un sourire qui signifiait l'exact opposé. Ce pauvre Hector, personne n'a voulu de lui... Personne ne souhaitait être comparée à Andromeda, j'imagine. Mais, puisque tu es la dernière de notre génération de Sang-Pur qui n'a pas encore trouvé de mari... Je me suis dit que tu serais moins difficile que les autres.
Daisy et Narcissa échangèrent un regard stupéfait, abasourdies par un tel culot.
– Penses-y quand même, insista Carla. Maintenant que son père et son frère sont morts, tu serais la maîtresse de maison.
– Carla, tout le monde sait pertinemment que c'est toi qui veux être la maîtresse de notre maison, et que tu cherches à nous chasser à tout prix. Ça n'est pas la première ruse que tu emploies... D'ailleurs, je ne serais pas surprise que ce soit toi qui aies convié Hector Crabbe ici pour lui parler de cette idée farfelue. Dois-je comprendre que tu as renoncé à nous dénoncer à Voldemort ?
Carla plissa les yeux.
– Quoiqu'il en soit, tu ferais mieux te dépêcher de trouver quelqu'un, dit-elle. Sinon, tu finiras toute seule...
– Ça m'irait très bien, figure-toi, répliqua Daisy. Bon, viens, Cissy, allons-y !
Daisy saisit la main de Narcissa, et l'entraîna hors de la pièce.
– Elle est infernale, soupira Daisy dans l'escalier biscornu qui montait vers les appartements de ses parents. C'est tous les jours comme ça, je n'en peux plus ! Et Edgar qui ne dit rien... Attention la tête, dit Daisy en désignant un endroit où le toit était déformé.
Narcissa dut se contorsionner plusieurs fois pour atteindre le haut de l'escalier mauve aux marches irrégulières et bancales. Et tout en observant Daisy se mouvoir avec aisance devant elle, elle se demandait comment elle faisait pour ne pas se préoccuper de se trouver un mari. Cette question avait toujours été centrale dans son éducation ; entendre Daisy aborder le sujet avec aussi peu d'intérêt et imaginer son avenir en toute indépendance lui inspirait un mélange d'admiration et d'incompréhension.
– Et voilà ! s'exclama joyeusement Daisy en arrivant en haut de l'escalier.
Elle aida Narcissa à franchir les dernières marches, tellement hautes qu'il fallait les escalader ; puis elle ferma la porte du couloir et entraîna son amie vers la chambre de ses parents.
En ouvrant la porte, Narcissa aperçut Fergus assis dans un coin de la pièce, occupé à dessiner les ravluks sur un carnet. En revanche, en tournant la tête, elle tressaillit à la vue de Vera, qui se reposait dans le lit conjugal. Ses joues étaient anormalement pâles, et elle semblait épuisée. Sa longue tresse était plus lâche que d'habitude ; des mèches de cheveux cuivrés s'en échappaient et s'étalaient sur son oreiller.
Vera n'était qu'endormie, mais cette vision renvoya Narcissa vers de douloureux souvenirs ; elle avait l'impression insupportable de se trouver de nouveau au 12, square Grimmaurd, face à sa mère malade, aussi blême que l'était Vera.
Daisy, qui s'approchait à pas feutrés sa mère, ne se rendit pas compte de la détresse qui venait de submerger Narcissa.
– Maman ? appela Daisy.
Vera ouvrit lentement ses grands yeux verts en battant des cils, désorientée pendant quelques secondes. Elle se redressa en s'appuyant sur ses nombreux oreillers, qui ressemblaient à des mollusques.
– Maman, regarde qui est là, dit Daisy en se tournant vers Narcissa.
Décontenancée, Narcissa tenta de rassembler le peu d'assurance qu'il lui restait, et dut regarder ailleurs pour reprendre ses esprits.
– Cissy, tout va bien ?
Narcissa hocha la tête, les yeux fixés sur le tapis.
– Cissy, dit doucement Vera. Cela fait une éternité que nous ne t'avons pas vue ! Comment vas-tu ?
Pendant plusieurs secondes, Narcissa fut incapable d'articuler le moindre mot. Puis, en voyant que sa marraine avait conservé toute sa vigueur, elle parvint à hocher la tête.
– Je... Oui, ça va, dit-elle. Je suis contente de vous voir.
– Approche-toi, ma chérie. Tu nous as tellement manqué...
Narcissa fit quelques pas vers le lit de Vera, qui lui fit signe de s'asseoir sur le bord du lit. Narcissa obtempéra, et Vera lui prit délicatement la main. Heureusement, sa peau était chaude et douce, et non glaciale comme celle de sa mère l'avait été. À la sollicitude que Narcissa surprit dans le regard de Vera, elle sut que sa marraine avait deviné à quoi elle pensait. Après tout, Vera avait passé encore plus du temps qu'elle au chevet de sa mère...
– Tu as bonne mine, remarqua Vera en lui caressant la joue. Vous vous baignez toujours dans le lac, avec Lucius ?
Narcissa retrouva le sourire à l'évocation de ces agréables moments et acquiesça.
– Tu m'as fait peur, avoua Narcissa. J'ai cru que tu étais malade... Que t'est-il arrivé ?
– Il ne faut pas avoir peur, ma chérie. Nous avons fait quelques acrobaties, tous les trois, mais nous ne sommes pas encore bons à mettre à la casse !
Vera eut un petit rire – mais elle ne put s'empêcher de grimacer de douleur en se tenant les côtes.
– Racontez-moi un peu, réclama Narcissa. J'ai entendu que les Mangemorts étaient bredouilles... Et j'en ai croisé quelques-uns tout à l'heure, vous les avez bien amochés ! Comment avez-vous fait ?
Elle se débarrassa de sa cape et prit place dans le lit, adossée aux oreillers, entre Vera et Daisy. Toutes les deux se firent une joie de raconter à Narcissa l'opération dans ses moindres détails : les deux policiers et leur restaurant chinois imaginaire, les fusées en plastique enduites de bave catapultés par le Lumimord, l'arme moldue qui avait tué l'agresseur de Vera... Elles n'épargnèrent aucun rebondissement, et la nuit était tombée depuis longtemps quand Daisy conclut le récit par leur retour sur la Colline d'Émeraude.
– Eh bien, quelle aventure, conclut Narcissa avec enthousiasme.
– On parle de nous dans la Gazette du Sorcier, se vanta Daisy en exhibant l'exemplaire du jour.
Les gros titres indiquaient Encore un massacre évité : mais qui sont nos mystérieux anges gardiens ?
– Le charmant monsieur qui a tenté de me tuer s'appelait Sparcus Warrington, les informa Vera en lisant l'article. Cissy, ça te dit quelque chose ?
– Warrington ? Oui, je crois bien... Il me semble que c'est une ancienne famille, non ?
– Leur blason était un scarabée. Et d'après ce que j'ai pu observer, ce Sparcus tenait absolument à être considéré comme un véritable Sang-Pur...
– Ah ! Voilà, ça me revient : ils ne figurent pas dans le Registre des Sang-Pur parce qu'il y a trop de Cracmols parmi eux. C'est mon père qui avait pris cette décision, à l'époque où nous vivions au square Grimmaurd...
– Et depuis ? Tu les as déjà aperçus, au manoir ?
– Sûrement pas ! Ce devait être des habitués de l'Allée des Embrumes. Sans doute recrutés par les Lestrange, ou par Dolohov...
– Qu'il repose en paix, soupira Daisy. Quant à sa femme, elle va probablement croupir à Azkaban pour le restant de ses jours... Enfin, n'en parlons plus. Tiens, Cissy, jette un œil à la presse moldue, c'est à mourir de rire...
Daisy lui mit entre les mains quelques magazines qui scintillaient de façon inquiétante. Narcissa les prit du bout des doigts, comme s'il s'agissait d'objets particulièrement dangereux : et pour cause, la régularité brillante du papier glacé et la fixité des visages sur les photos moldues avait quelque chose d'effrayant. Malgré tout, elle parcourut quelques pages, et attrapa des bribes de phrases au passage, toutes plus amusantes les unes que les autres :
Plusieurs centaines de personnes évacuées du centre commercial en raison d'une fuite de gaz...
Nous pensons très sérieusement que cela a provoqué la perte de mémoire de tous les témoins ayant assisté à la scène...
Les policiers Wallis Silver et Max Smith décorés par la reine d'Angleterre...
Les étranges projectiles retrouvés autour du bâtiment n'ont pas encore été identifiés...
– Les Oubliators ont été rapides, sourit Narcissa.
– Ils ont dû recruter davantage de personnel depuis que nous avons commencé à secourir des Moldus, l'informa Vera en tournant avec délice d'autres pages du magazine. Et là, regarde... Un policier en état de choc en oublie la manière de porter son uniforme... Encore un Auror qui a mis sa veste à l'envers, regardez-moi ça !
Narcissa éclata de rire en voyant la photographie, rapidement imitée par Daisy. Elle et Vera avaient un rire semblable, lumineux, inimitable et contagieux. Tout en riant avec elles, Narcissa ne put s'empêcher de leur envier, l'espace de quelques minutes, leurs aventures palpitantes ; et Vera et Daisy ne manquèrent pas de s'en apercevoir.
Elles échangèrent un regard discret, puis ce fut Daisy qui mit les pieds dans le plat.
– Bon, Cissy, dit-elle. Tu nous aideras, pour la prochaine ?
– Hmm ?
Narcissa leva à peine la tête du magazine.
– Tu nous donneras un coup de main, la prochaine fois ? répéta Daisy.
Narcissa fronça les sourcils, incrédule.
– Tu m'as très bien comprise, Cissy.
Vera et Daisy l'observaient maintenant avec le plus grand sérieux. Narcissa se redressa, piquée au vif, et réarrangea nerveusement sa robe froissée sur ses genoux.
– Vous savez très bien que je ne peux pas faire ça, dit-elle.
– Ce n'est pas pour ça que tu es venue ? demanda Vera, candide.
– Non, se défendit Narcissa. Non, pas du tout ! Je venais simplement vérifier que vous alliez bien !
– Parce que, quelque part, tu espères que nous allons continuer nos agissements, répliqua Daisy. Cissy, tu es forcément un peu de notre côté...
– Non, certainement pas ! J'admire ce que vous faites, mais...
– Tu ne veux pas vous aider ?
– Je ne veux pas trahir Lucius ! Vous ne comprenez donc pas ?
Daisy et Vera échangèrent un regard.
– Cissy, on a juste besoin d'un tout petit service, dit Daisy avec un geste d'apaisement. Je peux t'expliquer...
– Non ! Ce n'est pas la peine !
Elle voulut s'extirper du lit, mais Daisy la retint par le bras.
– Cissy, arrête, s'énerva son amie. Tu sais très bien ce que font les Mangemorts ! Tu l'as vu de tes propres yeux, au pensionnat Wimbley ! Ils tuent, ils brûlent, ils massacrent, ils...
– Arrête !
– Et tout ça, sur les ordres de ton mari !
– Tais-toi !
Narcissa ferma les yeux, et plaqua brusquement ses mains sur ses oreilles, comme l'enfant qu'elle avait été à l'époque qu'elle regrettait tant. Les yeux fermés, elle sentit Vera et Daisy remuer sur le lit pour s'approcher d'elle, et elle sentit leurs mains rassurantes se poser sur ses épaules. Elle ouvrit lentement les yeux, et croisa leurs regards soucieux, dénués de toute malveillance. Alors seulement, elle consentit à écarter lentement ses paumes de ses oreilles, et les reposa sur ses genoux, piteuse.
– Cissy, dit gravement Daisy. Je suis désolée de te brusquer ainsi, mais tu dois arrêter de marchander avec ta conscience. Tu ne peux pas continuer à nous rendre visite comme si de rien n'était, tout en soutenant les agissements cruels de Lucius...
Narcissa referma les yeux, et posa une paume sur son front. La tête lui tournait, et elle n'avait ni l'envie, ni l'énergie de se mettre en colère contre Daisy. En réalité, elle avait parfaitement raison, Narcissa en avait bien conscience : en se ralliant à Voldemort, elle avait trahi les Goyle, tout comme elle avait trahi ses parents, qui avaient toujours respecté l'ordre et condamné toute forme de barbarie, malgré le mépris de son père pour les Moldus, et comme elle avait trahi Andromeda, qu'elle ne reverrait peut-être plus jamais...
– Je sais très bien ce qu'ils font, admit Narcissa. Je sais que ce sont des barbares sanguinaires... Je sais que Lucius a de mauvais penchants, de très mauvais penchants, même... Je sais qu'il prend du plaisir à savoir qu'on tue des gens sur ses ordres, je sais qu'il peut être froid et cruel, et je sais, oui, je sais que je devrais être de votre côté, et non du sien... Et pourtant...
Elle joignit ses mains sur ses genoux, en les tordant avec nervosité.
– Pourtant, quand je suis avec Lucius... Je me sens... Je me sens bien, résuma-t-elle d'une voix plaintive. Il m'apaise, il me soutient... Et je n'arrive pas à m'imaginer sans lui.
– Cissy... Tu es sûre de toi ? Tu es sûre de l'aimer ? Et tu es sûre qu'un homme comme lui est capable de t'aimer ?
– Bien sûr que oui !
Daisy avait du mal à la comprendre, Narcissa le voyait dans son regard – tout comme Narcissa avait du mal à entendre comment son amie faisait pour imaginer sa vie en toute indépendance, sans mari ni enfants.
– Je suis dans une impasse, conclut Narcissa. Je ne sais pas quoi faire.
Vera caressa délicatement ses cheveux blonds.
– Cissy, lui dit-elle doucement. Nous comprenons tous que tu te trouves dans une situation difficile, et que tu as traversé bien plus d'épreuves que nous trois réunis. Saches que nous le prenons en compte, et que nous serons toujours là pour toi, quoique tu décides de faire.
Narcissa hocha faiblement la tête.
– Maintenant, est-ce que tu veux bien écouter ce que nous avons à te proposer ? Cela ne t'engage à rien, après tout... Et cela pourrait mettre fin à cette situation inconfortable.
Narcissa ne protesta pas et Daisy se lança dans ses explications.
– Bon, allons-y, dit-elle posément. C'est bien simple : la situation actuelle n'est plus tenable. Les Mangemorts sont déchaînés, et si nous ne sommes pas tués lors d'une de nos missions, Carla trouvera bientôt un moyen de nous éliminer, d'une manière ou d'une autre...
– Attendez, objecta Narcissa. Vera, tu me parlais l'autre jour de cette malédiction que ta mère avait lancée sur la Colline d'Émeraude pour vous protéger...
Mais à ces mots, Vera s'assombrit.
– Ma mère est tombée malade il y a quelques mois, dit-elle. Carla ne le sait pas encore, mais elle finira sans doute par l'apprendre, et lorsque ma mère ne sera plus de ce monde... Eh bien, cette malédiction ne fera plus effet, et arrêtera définitivement de nous protéger.
Narcissa acquiesça avec tristesse.
– Je suis désolée pour ta mère, dit-elle. Dans ce cas... Vous allez quitter le pays, n'est-ce pas ?
– Pas forcément, tempéra Daisy. Nous pourrions... Nous pourrions mettre fin à la guerre. Avec ton aide.
À la grande surprise de Daisy, Narcissa ne l'interrompit pas. Elle se contenta de demander d'une voix faible comment elles comptaient s'y prendre.
– Tu te souviens de la fois où on a écouté la conversation d'Abraxas, Piscus et Orion, depuis ta salle de bains ?
Narcissa acquiesça à nouveau.
– Tu te souviens aussi, j'imagine, qu'ils parlaient d'une cachette dans le salon... Et que, quand Abraxas est parti dans la pièce voisine avec Piscus Crabbe, il a emporté avec lui une fiole d'un liquide noir et épais, posée sur la commode ?
– Oui, sans doute, dit Narcissa d'une voix éteinte.
– Eh bien, j'ai découvert la fonction de cette potion, l'autre jour : l'une de nos Chuchouris en avait sur les pattes, après avoir espionné les Mangemorts au Serpent qui Fume. Ça s'appelle du Trapouvert, et c'est ce qu'ils utilisent pour cacher l'entrée de leur repère, là-bas.
– Mais, alors...
– Alors, ça veut dire qu'il y a une cave, cachée sous le plancher de ton salon, et qui contient tous les objets de magie noire qu'Orion et Piscus Crabbe trafiquaient, et qu'Abraxas avait récupéré au procès de ton père, dit Daisy.
– Mmh, fit Narcissa.
Pour l'instant, elle ne voyait absolument pas où Daisy voulait en venir.
– Grâce à nos Chuchouris, je connais quelques-uns des objets qui s'y cachent, enchaîna Vera. Il y a notamment le Collier d'Opale qui est à l'origine du procès de ton père ; il y a une Main de la Gloire, quelques Cravates Étrangleuses, une Baignoire-sans-Fond. Mais ce n'est pas un objet que nous voulons... Ce sont des baies. Des Baies Funèbres.
Narcissa déglutit avec difficulté. Elle sentait le piège se refermer progressivement sur elle. Elle se fit violence pour écouter les explications jusqu'au bout, mais elle sentait que ce que Daisy et Vera allaient lui demander requérait beaucoup plus de courage qu'elle n'en possédait.
– Les Baies Funèbres contiennent un poison tout à fait intéressant, qui permet d'empoisonner quelqu'un a posteriori. C'est-à-dire que la victime n'a pas besoin d'ingérer le poison : il suffit de poser la baie dans son verre après qu'il ait bu, dans les deux heures après l'ingestion... De cette manière, l'empoisonnement peut avoir lieu après le repas, lorsque la vigilance est relâchée, et que plus personne ne soupçonne quoique ce soit...
Narcissa fronça les sourcils : elle n'imaginait pas Abraxas Malefoy en possession d'un poison si redoutable sans l'utiliser à tort et à travers.
– Pourquoi Abraxas ne s'en sert pas ?
– Parce qu'Abraxas ne sait pas de quoi il s'agit. Quand il les a récupérées il y a des années, il m'a demandé de les identifier, et crois-moi, je me suis bien gardée de lui dire la vérité.
– Et donc... Que comptez-vous faire avec ces... Baies Funèbres ?
– Eh bien, pour commencer, nous en emparer. Enfin, il faudrait que tu t'en empares... Tu es la mieux placée pour ça, tu comprends ?
Narcissa refusa de leur donner trop d'espoir quant à la probabilité qu'elle accepte cette mission.
– Continuez, dit-elle simplement.
– Tiens, un dessin des baies, pour que tu les reconnaisses, dit Daisy en fourrant un morceau de parchemin dans sa main.
Vera et Daisy attendirent un instant, pour être sûres que Narcissa ne déchirerait pas le papier en mille morceaux, puis continuèrent leurs explications.
– Ensuite, après ça... Il faudra les mettre dans les verres des Mangemorts. Demain.
– Demain ? répéta Narcissa. Comment allez-vous faire ?
Vera et Daisy échangèrent un regard embarrassé, et Narcissa réalisa qu'elles comptaient également sur elle pour cette étape du plan.
– Les Mangemorts seront tous chez toi, demain soir, fit remarquer Daisy. Ce sera le moment idéal. Je peux venir t'aider, mais ce sera encore moins discret...
– Vous êtes complètement folles, protesta soudain Narcissa. Vous pensez que je vais faire ça, moi ? Même si j'en avais l'envie, j'en serais incapable ! Imaginez qu'on me découvre ? Imaginez que...
– Chhht, Cissy, dit Vera en la forçant à se rasseoir. Tout va bien se passer. Voilà ce que tu vas faire : ce soir même, en rentrant chez toi, pendant que tout le monde dort, tu vas récupérer les baies, dans la cave. Fais-le, je t'en prie, dit Vera en voyant la mine sceptique de Narcissa. Demain soir, tu vas assister à la réunion que Voldemort a prévue, et tu t'assureras que tout le monde boive du vin. Tu vas repérer le verre de Lucius, celui d'Edgar, et peut-être celui de Bellatrix, si tu le souhaites...
– Bien sûr que je le souhaite ! s'indigna Narcissa.
– ...Tu mettras donc vos quatre verres de côté, indiqua Vera. Et ensuite... Il ne te restera plus qu'à mettre les baies dans les verres restants. C'est tout. Après, tout sera fini.
– Tout sera fini ? Et combien de temps met le poison pour agir ?
– Quelques heures. Les Mangemorts les plus coriaces mourront quelques jours plus tard.
– Quelques jours ? Vous plaisantez ? Et pendant tout ce temps, vous croyez vraiment que les soupçons ne vont pas se tourner vers moi ? Et Voldemort ? Il ne boit jamais, lui, nous ne pourrons pas l'empoisonner...
– Nous te mettrons à l'abri, assura Vera. Demain soir, Carla sera chez Juliet Parkinson, Daisy l'a entendue en parler tout à l'heure. Donc, une fois que tu auras fait ça, tu pourras venir chez nous, avec Lucius, et nous partirons pendant quelque temps... En attendant que tout rentre dans l'ordre.
– Vous voulez dire... Qu'il faudra que je raconte tout à Lucius ? Et que je le convainque de s'enfuir ?
– Oui. Temporairement, bien sûr... Une fois que Voldemort sera isolé, sans partisans, le Ministère n'en fera qu'une bouchée. Et lorsqu'il aura disparu, plus rien ne vous empêchera de revenir. Vous serez accueillis en héros, Cissy.
Narcissa avait le tournis. Elle ne supportait pas de sentir autant de poids reposer sur ses épaules. Elle sentait qu'elle pouvait faire prendre à l'histoire un tournant décisif, mais il y avait bien trop d'incertitudes dans ce projet. Tout d'abord, on pouvait la surprendre à tout moment : lorsqu'elle irait chercher les Baies, dans la cave ; ou bien, lorsqu'elle les mettrait dans les verres des Mangemorts... Et puis, si elle se trompait de verre ? Si elle empoisonnait par inadvertance Lucius, ou Bellatrix ? À cette pensée, elle fut saisie de nausées. Et Lucius, que dirait-il en apprenant ce qu'elle avait fait ? Et s'il se mettait en colère ? Et s'il décidait de la rejeter, de la dénoncer ?
– Cissy, réfléchis bien. C'est l'occasion ou jamais d'empêcher ce monde de sombrer dans le chaos. Voldemort recherche sans cesse de nouvelles armes, de nouveaux alliés... Si nous restons sans rien faire, la situation sera bientôt incontrôlable.
Narcissa secoua la tête. Elle se sentait de plus en plus triste.
– Je pensais que vous vouliez me voir parce que je vous manquais, dit-elle avec amertume. J'étais tellement heureuse de vous retrouver... Si j'avais su que c'était pour vous servir de moi, je ne serais pas venue !
– Tu n'as pas le droit de dire ça, Cissy, coupa sèchement Daisy. Tu sais très bien que si tu n'étais pas mariée avec Lucius, nous aurions déjà essayé de tuer l'ensemble des Mangemorts plusieurs fois : mais ta présence nous en empêchait. En agissant ainsi, nous sommes certains de vous épargner tous les deux ! C'est une manière de vous protéger !
– Je vois, répondit froidement Narcissa. C'est une menace ?
– Oh, Cissy ! s'énerva Daisy. Ne fais pas semblant de ne pas comprendre ! Toi, tu es intouchable, mais ce n'est pas le cas de tout le monde ! Tu aimerais que Voldemort nous exécute tous les trois ? Quel genre de châtiment nous réservera-t-il, à ton avis ?
– Assez, coupa Narcissa sans l'écouter. Je m'en vais.
– Avant de partir, écoute au moins ce que Maman doit te dire, ordonna Daisy en la retenant par le bras. C'est important.
Toutes les deux se tournèrent vers Vera, qui tressaillit, décontenancée.
– Oh, euh...
Elle ouvrit la bouche, la referma, puis adressa un regard désolé à Daisy avant de se tourner vers Narcissa.
– Cissy, ma chérie... Malheureusement, Daisy a raison. Il est plus que temps de prendre parti ; ou bien tu devras choisir entre Lucius et nous. Si la situation ne s'arrange pas, nous serons obligés de quitter le pays, et...
Narcissa ne pouvait en entendre davantage. Elle se leva brusquement et défroissa sa robe sans dire un mot.
– Cissy...
– Adieu, dit-elle en sortant de la chambre à toute vitesse. Je ne reviendrai plus.
– Cissy ! s'écria Daisy en se lançant à sa poursuite dans le couloir.
Mais les pas de Narcissa s'éloignèrent précipitamment, retentirent de façon désordonnée dans l'escalier biscornu, puis s'évanouirent.
– C'est sans espoir, maugréa Daisy en revenant dans la chambre. Elle ne le fera jamais.
– C'est peu probable, en effet, admit tristement Vera.
En face d'elles, Fergus dessinait toujours sereinement ; il ne semblait pas avoir remarqué le passage de Narcissa. Daisy regarda sa mère avec sévérité, et Vera évita soigneusement son regard.
– Ne me regarde pas comme ça, s'agaça Vera. Je sais parfaitement ce que tu penses, mais... Ce n'était pas le bon moment.
– Maman ! C'était l'occasion ou jamais pour tout lui révéler ! Cela aurait pu la faire changer d'avis !
Vera regardait dans le vague, perdue dans de lointains souvenirs.
– Ou bien, l'anéantir...
Vera frissonna, et Daisy sut immédiatement qu'elle pensait à la manière dont Druella s'était donné la mort, des années plus tôt. Bien sûr, elle craignait qu'un choc émotionnel ne pousse Narcissa à faire de même.
– On ne peut pas laisser Cissy entre les griffes de ces brigands, insista Daisy en prenant la main de sa mère pour la reconduire dans la réalité. Maman, il faut la convaincre de s'en détacher ! Et nous avons la solution sous les yeux ! Il faut que tu lui dises. Il faut que tu lui racontes tout ce qui s'est passé. C'est toi qui étais là.
Vera poussa un long soupir, et finit par hocher la tête, résolue.
– Tu as raison, ma chérie. Je trouverai un moyen de le faire, je te le promets.
***
Quand Narcissa réapparut dans la cheminée des Malefoy, elle resta immobile pendant de longues minutes, debout dans l'âtre, de nouveau envahie par la tristesse.
Devant elle, dans le grand salon baigné par le clair de lune, tout était immobile et silencieux. Sur les fresques grandioses, dans lesquelles se dissimulaient un peu partout le blason des Malefoy, les visages peints semblaient grimaçants ; surplombant la pièce, le lustre de cristaux clairs et raffinés prenait une allure menaçante, presque fantomatique.
Elle se décida enfin à faire quelques pas sur le tapis précieux, mais s'arrêta au milieu de la pièce et tendit l'oreille. Dans le manoir, aucun bruit n'était audible, excepté le bruissement nocturne de la forêt environnante. Narcissa baissa les yeux vers les pans de sa robe légère qui frissonnaient dans un courant d'air, et se crispa légèrement en pensant à tous les objets maléfiques qui étaient entreposés sous ses pieds.
Elle en voulait aux Goyle de lui avoir dit tout cela, car elle savait que cette idée ne la laisserait plus jamais tranquille. Elle savait depuis longtemps que ces objets se trouvaient sous son toit, mais connaître leur localisation et le moyen d'y accéder rendait sa curiosité difficile à maîtriser.
Par ailleurs, laisser ces baies empoisonnées entre les mains d'Abraxas Malefoy ne lui semblait pas prudent. Après tout, s'il finissait par prendre connaissance de leurs véritables propriétés, ne risquait-il pas de s'en servir contre des gens que Narcissa aimait ? Bellatrix, par exemple, dont il avait en horreur le comportement provocateur, et qu'il répugnait à l'idée d'héberger pour un temps indéfini ? Ou bien... elle-même, dont il déplorait l'influence désastreuse qu'elle avait eu sur Lucius ? Non, décidément, il était plus raisonnable de le délester de ce dangereux poison, même dans le cas où Narcissa ne s'en servirait pas...
Elle leva la tête, inspira profondément en regardant le superbe lustre qui miroitait dans le clair de lune, serra les poings, et prit sa décision.
Elle irait s'emparer des Baies Funèbres. Et elle les placerait dans un endroit sûr. Pour ce qui était d'empoisonner les Mangemorts, elle y réfléchirait plus tard : sa journée avait déjà été suffisamment éprouvante.
Elle sortit d'abord du manoir et en fit le tour, afin de vérifier que toutes les lumières étaient éteintes – dans l'aile Nord pour Abraxas, l'aile Ouest pour Lucius et pour Bellatrix, même si la présence de cette dernière était peu probable, au rez-de-chaussée pour les elfes. Toutes les pièces étant plongées dans l'obscurité, Narcissa revint dans le manoir, et se rendit dans la bibliothèque d'Abraxas Malefoy, où la vision du portrait carbonisé de Prisca Malefoy renforça sa détermination. Là, elle s'empara de la fiole de liquide noir et épais, et revint dans le salon.
Elle agit vite, sans laisser de place à l'hésitation : elle déboucha la fiole, l'inclina au-dessus du plancher, et en versa quelques gouttes sur le sol. Le liquide noir et épais s'y répandit, se déplaça vers un coin de la pièce, prit la forme d'un immense rectangle et se mit à bouillonner. Puis le liquide s'évapora progressivement en larges volutes noires, qui se dispersèrent dans les courants d'air.
Lorsque les volutes se dissipèrent complètement, Narcissa sentit un frisson lui parcourir l'échine : une énorme trappe, pourvue d'un anneau massif en fonte, venait de se découper dans le sol de pierre. Elle posa la fiole sur le bord de la fenêtre, sortit sa baguette et la pointa sur la trappe, en essayant de ne pas trembler.
– Alohomora, dit-elle dans un souffle.
Avec un léger grincement, la trappe se souleva, découvrant un escalier obscur qui descendait sous terre, et dont Narcissa ne pouvait distinguer que quelques marches.
Malgré la sueur froide qui gouttait le long de sa nuque et de sa colonne vertébrale, elle descendit les marches en se tenant au mur, se soustrayant ainsi au clair de lune. Une fois arrivée au bas de l'escalier, elle étendit le bras vers l'obscurité impénétrable, et murmura avec appréhension :
– Lumos.
Une trouée de lumière apparut à l'extrémité de sa baguette et éclaira la cave. Narcissa recula brusquement à la vue de ce qui l'entourait : la cave était immense, à tel point qu'il était impossible d'en percevoir les extrémités – mais ça n'était pas cela qui effrayait Narcissa. Non, ce qui faisait trembler ses mains et tambouriner son cœur, c'était plutôt tout ce qui remplissait l'espace.
Partout, à perte de vue, du sol au plafond, des crânes, des cordes de pendu, des instruments tranchants, ensanglantés, pointus, rouillés, des chaînes, des cages, des enclumes, des mains squelettiques et griffues qui semblaient se tendre vers elle, des peaux de serpent, des fioles de liquides sombres, des bocaux remplis de mâchoires humaines. Même les objets d'apparence anodine portaient des étiquettes effrayantes : on y trouvait des Cordes Étrangleuses, des Chaussures Cuisantes, des Horloges Funestes, des Pierres du Désespoir...
Narcissa frissonna de nouveau, et essuya d'un revers de main la sueur qui perlait sur son front. Depuis qu'elle était toute petite, les objets relatifs à la magie noire produisaient sur elle des effets extrêmement désagréables. En effet, au square Grimmaurd, les objets et amulettes que collectionnaient Orion et Walburga dégageaient tous une aura inquiétante, plus ou moins agressive ; lorsqu'elle s'en approchait pendant trop longtemps, elle pouvait avoir de terribles migraines ou des pensées malveillantes qui ne lui ressemblaient pas. Étonnamment, ni ses cousins, ni ses deux sœurs n'avaient jamais ressenti le moindre inconfort à l'approche de ces mêmes objets. Ils s'étaient souvent interrogés sur les raisons d'un tel malaise, mais aucun d'entre eux n'avait trouvé d'explication à cet étrange phénomène.
Lorsqu'elle avait emménagé au manoir des Malefoy, Narcissa n'avait plus été exposée à de tels objets, sans doute entreposés dans l'aile Nord par Abraxas Malefoy. Du moins, c'était jusqu'à ce que Voldemort ne leur confie un étrange objet, que Lucius gardait précieusement dans l'aile Est ; car depuis, il était impossible pour Narcissa de s'y rendre sans se sentir atrocement mal. Elle n'avait jamais rien ressenti de semblable, même face aux objets les plus obscurs du square Grimmaurd. Une fois où elle avait tenté de braver son effroi, et avait osé s'approcher de la pièce où se trouvait le mystérieux colis, elle avait été terrifiée par d'étranges visions – notamment celle d'un serpent gigantesque – et avait été retrouvée évanouie sur le sol par son elfe de maison. Perplexe, Lucius s'était contenté de renforcer la protection de l'objet confié par Voldemort, sans pouvoir fournir d'explication à Narcissa. Récemment, elle avait interrogé Regulus sur la nature inquiétante de ce malaise, et son cousin avait promis de questionner le professeur Slughorn de manière détournée pour en savoir plus, mais Narcissa n'avait toujours pas obtenu de réponse.
Effrayée par le nombre d'objets qui se trouvaient devant elle, Narcissa hésita à rebrousser chemin, mais la tentation de dérober quelque chose à Abraxas était trop forte. Elle s'approcha donc de nouveau, même s'il était difficile de garder son sang-froid face à tous ces objets. Ainsi exposée aux ondes destructrices qui se mélangeaient, elle se sentait assaillie par d'innombrables signaux menaçants ; malgré le silence qui régnait autour d'elle, elle avait l'impression d'entendre des gémissements, des grincements, des ricanements, des murmures inintelligibles ; une sensation de froid et des fourmillements désagréables parcouraient sa peau, de plus en plus intenses, comme si quelque chose essayait de l'attraper, de la traverser, de s'insinuer en elle...
Tremblante, en nage, elle faillit renoncer à sa recherche, mais au moment où elle se retournait, un objet enveloppé dans du papier kraft, posé sur une cage rouillée, attira son attention.
– A... Asiento, bredouilla-t-elle pour écarter les bords du papier kraft.
La lumière qui se trouvait au bout de sa baguette vacilla légèrement lorsque l'emballage s'ouvrit sur un collier, dont les pierres délicatement taillées renvoyaient des reflets multicolores. Une étiquette portait la mise en garde suivante :
COLLIER D'OPALE
Cet objet a provoqué la mort de dix-neuf Moldus
Ne pas toucher
Narcissa pinça les lèvres en pensant à la manière dont Orion et Piscus Crabbe s'étaient arrangés pour chasser son père du Magenmagot, grâce à ce collier.
Elle s'égara un instant dans les souvenirs de cette année maudite, puis se remémora ce qui l'avait amenée à descendre dans cette cave sinistre, et sortit de sa cape le morceau de parchemin que Daisy y avait glissé.
BAIES FUNEBRES
Pour les utiliser, humectez-les de salive sans les avaler, ni percer l'enveloppe et déposez-les au fond du verre dans lequel la victime a bu au cours des deux dernières heures
Le texte était assorti d'un dessin très précis, représentant des baies noires et blanches, accouplées par paires complémentaires. Tout en essayant d'ignorer les sifflements et les murmures malveillants qui lui vrillaient les oreilles, et de lutter contre la sensation d'engourdissement qui l'envahissait, Narcissa déambula dans la cave, entre les objets ensanglantés qui lui frôlaient les joues ou menaçaient de s'écrouler sur elle. Elle finit par dénicher, entre un crâne et un fouet, un petit bocal à l'allure plus solide que les autres, sur lequel était inscrit : Bocal anti-secousses. À l'intérieur, Narcissa trouva des baies tout à fait semblables à celles dessinées sur le parchemin. Tout en pressant le récipient contre sa poitrine, elle sortit de la cave, mais alors qu'elle refaisait surface, elle sursauta si violemment que le bocal de baies empoisonnées faillit lui échapper des mains.
La lumière de la cuisine était allumée, et quelqu'un était en train de s'y affairer.
Le cœur battant à tout rompre, Narcissa referma la trappe, qui se fondit de nouveau avec le sol de pierre et disparut. Puis, les yeux fixés sur la porte de la cuisine, elle marcha de biais jusqu'au hall d'entrée.
Si elle arrivait jusque-là, et si elle parvenait au double escalier qui menait vers l'aile Ouest, elle pourrait monter dans sa chambre sans être vue...
En passant près de la cuisine, elle entendit des bruits de couverts, des froissements d'étoffe, sans pouvoir identifier la personne qui se trouvait dans la pièce. Elle pouvait seulement dire qu'il ne s'agissait pas d'un elfe – le remue-ménage était bien trop important.
Elle passa dans le hall, et alla droit vers l'escalier. Ses pas ne produisirent aucun bruit, étouffés par le tapis précieux qui recouvrait le sol ; en revanche, les marches de l'escalier grinçaient horriblement. Narcissa se concentra intensément, essayant de poser le pied là où les marches grinçaient le moins. À droite, à gauche, près du bord... Celles qui étaient devant la fenêtre grinçaient encore plus...
Alors qu'il se restait plus qu'une volée de marches, la lumière inonda le hall d'entrée et Narcissa se crut perdue.
– Cissy ? Qu'est-ce que tu fabriques ?
Narcissa crut s'évanouir de soulagement en reconnaissant la voix de sa sœur aînée.
– Bella, soupira-t-elle, hors d'haleine. Je... Je viens de rentrer de chez les Goyle !
Bellatrix fit une grimace méprisante.
– Encore eux ! Quand je pense que le Seigneur des Ténèbres a accepté de les laisser en paix...
– Mais... Toi, qu'est-ce que tu fais ici ? Et à cette heure ?
Bellatrix haussa les épaules. Narcissa remarqua alors qu'elle avait une égratignure sur la joue, et des marques autour du cou.
– Bella ! Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?
– Rien du tout, répondit Bellatrix avec mauvaise humeur.
Narcissa posa discrètement le bocal sur le rebord de la fenêtre, derrière un rideau, et descendit précipitamment les escaliers.
– Ce n'est rien, je te dis ! dit Bellatrix en s'éloignant.
– Bella !
Narcissa la rattrapa, et lui attrapa l'épaule pour la serrer dans ses bras. Bellatrix résista un instant, puis finit par s'y blottir.
– Dis-moi, dit doucement Narcissa.
– C'était juste une petite altercation avec Rodolphus, voilà tout, dit Bellatrix en essayant de masquer la trace bleutée qu'elle avait sur le bras. La plupart du temps, j'arrive à le garder à distance, mais quand il boit un verre de trop... Enfin, ne t'en fais pas, je lui ai donné la correction qu'il mérite...
Narcissa était révoltée.
– Bella, ça recommence ! Je t'avais dit de ne plus aller au Serpent qui Fume !
– Je sais, mais je m'ennuyais, grommela Bellatrix. Je me sens seule... Mais ne t'en fais pas, Cissy. Regulus nous a envoyé un hibou : il a été retenu à Poudlard par le professeur Slughorn, mais il reviendra dès demain. Je vais rester avec lui au square Grimmaurd, et tout ira bien. Justement, j'étais venue chercher quelques affaires... Et chiper quelques flavirs argentés, confessa-t-elle.
Après lui avoir fait promettre de ne plus jamais retourner au Serpent qui Fume sans Regulus, Narcissa embrassa tendrement Bellatrix, et la laissa retourner au square Grimmaurd, en espérant que leur cousin saurait bientôt lui apporter l'apaisement dont elle avait besoin.
Puis elle monta dans sa chambre, sans oublier de récupérer le bocal de Baies Funèbres derrière le rideau. Dans la chambre, Lucius s'était endormi en travers du lit, tout habillé, allongé sur le dos – dans la position exacte dans laquelle Narcissa l'avait quitté.
Résistant à l'envie de se blottir immédiatement contre lui, Narcissa se rendit dans la salle de bains, où elle souleva une dalle du carrelage ; elle plaça le bocal juste en-dessous et remit tout en place.
Elle épousseta sa robe et son manteau, puis retourna dans leur grande chambre, où elle se débarrassa de ses vêtements trempés de sueur pour revêtir sa chemise de nuit.
Elle se pencha sur Lucius, qui était profondément endormi. Machinalement, elle lui caressa la joue ; dans son sommeil, il soupira, et tourna la tête pour lui embrasser la main.
– Lucius, le réprimanda-t-elle gentiment. Il faut te coucher...
Sans parvenir à l'extirper complètement du sommeil, elle réussit à le faire asseoir, et à le faire retirer ses chaussures et ses vêtements inconfortables. Ainsi ensommeillé, ses gestes engourdis le faisaient ressembler à un enfant.
– Tu t'es endormi sans dîner ? s'inquiéta Narcissa.
– Ce n'est pas ça qui m'a le plus manqué, chuchota Lucius en l'attirant contre lui.
Narcissa s'allongea à ses côtés, et sentit les légers frémissements de son mari pendant qu'il se rendormait paisiblement. En se tournant vers lui, elle pouvait voir le tressaillement de ses cils et le rythme lent de sa respiration ; et elle se demanda comment un meurtrier pouvait être aussi attendrissant.
Au-dessus d'eux, le plafond avait pris l'aspect de la voûte étoilée, traversée par la voie lactée. En dehors de quelques hululements dans le lointain et du clapotis de l'eau qui montait du lac, la nuit était silencieuse. Les mains de Narcissa, posées sur la poitrine de Lucius, se réchauffaient progressivement. Son souffle se fit plus lent, et elle se sentit glisser progressivement vers le sommeil.
Les rayons de lune qui filtraient à travers leurs immenses fenêtres donnaient à leurs deux chevelures blondes un aspect presque irréel. Quelques étages plus bas, ces mêmes rayons de lune se reflétaient également sur le sol de pierre du salon, puis sur la fiole de Trapouvert oubliée sur le rebord de la fenêtre, qui luisait faiblement, exposée à tous les regards.