Secrets de Serpentard (III) : Les Mangemorts

Chapitre 11 : Triste présage

8488 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 4 jours

Triste présage




Le lendemain, à son réveil, Narcissa n'avait toujours pas pris de décision ferme quant à l'empoisonnement des Mangemorts – même si la peur qui lui tenaillait le ventre la faisait plutôt pencher pour le renoncement.

Elle s'efforça d'adopter un comportement habituel : elle resta dans son lit jusqu'en milieu de matinée, en essayant d'ignorer son cœur qui battait la chamade dans sa poitrine, puis descendit au salon, où Lidelys lui servit un petit-déjeuner qui lui resta sur l'estomac toute la journée.

Après avoir entendu des hurlements furieux provenir de la bibliothèque d'Abraxas Malefoy, Narcissa en déduisit que Lucius s'y trouvait avec lui, et qu'il n'en sortirait pas de sitôt. Elle décida donc de faire semblant d'être occupée, et passa sa journée dans le grand salon, assise au coin du feu, en tenant sur ses genoux un livre trouvé dans l'une des quatre bibliothèques du manoir. Ses pensées étaient trop confuses pour lire le moindre mot, mais le contact des feuilles parcheminées et de la couverture en cuir usé l'apaisait.

Elle essaya d'imaginer ce que deviendrait sa vie si elle mettait les Baies Funèbres dans les verres des Mangemorts, comme Vera et Daisy le lui avaient demandé. Il faudrait fuir, quitter le manoir et son splendide domaine, au moins quelque temps... Et Lucius, comment réagirait-il ? Et même s'il acceptait la situation, que deviendrait-il ? Ne serait-il pas anéanti de voir tout ce pour quoi il avait œuvré ces dernières années partir en fumée ? Et Bellatrix ? Elle ne la suivrait pas, Narcissa en était certaine, elle serait incapable de se réinventer si Voldemort disparaissait, elle lui serait fidèle jusqu'à la fin, jusqu'à ce que tout espoir soit réduit en fumée... À moins que... À moins que Regulus n'arrive à la convaincre. C'était le seul à pouvoir lui faire entendre raison de temps en temps. Alors, peut-être qu'il fallait le prévenir, lui aussi ? Bellatrix était sans doute avec lui, en ce moment ; ils discutaient sans doute de puissants sortilèges, ou des derniers ouvrages qu'ils avaient lus, tous les deux allongés sur le lit de Regulus, comme ils avaient l'habitude de le faire...

– Ah, te voilà, dit une voix derrière elle.

Narcissa sursauta quand Lucius entra dans le salon. Un pli soucieux barrait son front, et son visage était fermé.

– Où étais-tu ? demanda Narcissa.

– Dans la bibliothèque, avec mon père.

– Quelque chose ne va pas ?

– Non, en effet, répondit sèchement Lucius. Quelqu'un s'est introduit chez nous pour nous voler quelque chose, cette nuit, dans les affaires de mon père.

Il désigna la table du salon.

– Apparemment, le voleur a oublié quelque chose sur la table... Quelque chose qui permettait d'ouvrir la cachette... Il n'a pas voulu m'en dire plus.

Tout en faisant de son mieux pour mimer l'étonnement, Narcissa se maudit de toutes ses forces. En regardant la petite table en bois verni, près de la fenêtre, elle se revoyait en train d'y poser la fiole de Trapouvert, avant de descendre dans la cave. En remontant l'escalier, elle avait été effrayée par l'arrivée de Bellatrix, et en avait oublié la fiole sur la table...

– Tu n'as rien vu hier soir, en rentrant de chez les Goyle ?

– Pardon ? Euh... Non, je n'ai rien vu. Il n'y avait rien sur la table, j'en suis sûre.

– Ça ne m'étonne pas. Le voleur a dû venir après ton passage.

Lucius tendit un morceau de parchemin à Narcissa, sans voir que son teint venait de virer au verdâtre.

– On lui a volé ça, dit-il.

Narcissa regarda, hébétée, la page de livre de magie noire que Lucius lui tendait, où étaient dessinés les couples de baies noires et blanches que Narcissa avait pu observer de près la nuit précédente.

– Des Baies Funèbres, dit Lucius. Mon père pensait que c'était quelque chose d'inoffensif, mais quand il a vu que c'était la seule chose qui avait disparu, il a trouvé ça louche... Nous étions occupés à effectuer quelques recherches dans les grimoires, voilà pourquoi nous avons passé la journée dans la bibliothèque. Enfin, maintenant, nous savons qu'il y a un empoisonneur parmi nous – puisque seuls les Mangemorts peuvent franchir les Sortilèges de Protection qui entourent le domaine.

– Oh, dit Narcissa.

Lucius sembla enfin remarquer que son épouse était livide. Il dut croire qu'elle était effrayée par la nouvelle, car il s'assit à côté d'elle et lui prit délicatement la main.

– Ne t'en fais pas, nous l'arrêterons et nous le tuerons, dit Lucius avec un sourire enthousiaste. Mon père a déjà une petite idée du coupable, mais il refuse de m'en faire part pour le moment... Hélas, nous sommes un peu fâchés.

– Ah, dit Narcissa, qui se sentait déjà perdue.

Lucius mit le dessin des baies dans sa poche, et se mit à contempler le feu qui brûlait dans leur cheminée de marbre.

– Je me demande qui cela peut-il bien être, dit-il pour lui-même.

Narcissa était écrasée dans le canapé de cuir, catastrophée. Si on la découvrait... Elle imaginait la scène, devant tous les Mangemorts... Abraxas triomphant, Lucius catastrophé... Orion serait là, lui aussi, il serait ravi de la voir ainsi dénoncée...

Narcissa regarda Lucius en pensant que c'était peut-être la dernière fois qu'ils se parlaient.

– Cette histoire de baies, ça me fait penser aux cours de Potions que je te donnais, à Poudlard, sourit Lucius en regardant le morceau de parchemin.

Narcissa répondit par une espèce de bruit étouffé, mais Lucius ne sembla pas l'entendre. Elle le regardait fixement, essayant de graver chacune de ses expressions dans sa mémoire.

– Narcissa ? Tout va bien ?

Narcissa regardait ailleurs. Derrière Lucius, près de la table, quelque chose d'étrange était en train de se produire : l'air semblait se compresser autour d'un point fixe, flottant au milieu du salon, sous le splendide lustre de cristal.

Lucius se retourna pour suivre le regard de Narcissa. Un point obscur apparut, et se mit à grandir, comme s'il aspirait toute la lumière autour de lui. La forme obscure s'allongea, s'étira vers le lustre, puis vers le sol, ses contours dessinèrent une silhouette humaine, un sifflement sinistre devint audible, et Lord Voldemort apparut. Comme d'habitude, il embrassa du regard l'ensemble de la pièce avec avidité, et Lucius se leva paisiblement, habitué à ce genre d'entrée.

– Lucius, mon ami, dit Voldemort avec un sourire satisfait.

– Je vous souhaite la bienvenue, Maître, dit Lucius en s'inclinant légèrement.

Voldemort répondit par un petit signe de tête.

– As-tu prévenu les autres, pour ce soir ?

– Bien sûr.

– Parfait. Appelons-les, dans ce cas. Nous avons beaucoup de choses à leur dire... Viens, Lucius, approche-toi.

Lucius marcha jusqu'à lui et dévoila son avant-bras gauche.

– Très bien, très bien, commenta Voldemort en serrant autour de son poignet ses longs doigts effilés, pâles et luisants comme de la nacre. Quand je pense que c'est la première Marque... Oui, celle-là est particulièrement réussie.

Lucius regarda Voldemort poser le bout de sa baguette sur son avant-bras avec un sourire triomphant. Il ressentit d'abord un léger tiraillement, puis une brûlure vive, mais il n'en laissa rien paraître. La Marque des Ténèbres s'obscurcit sur son avant-bras ; elle devint plus profonde, plus nette. Et en quelques instants, plusieurs silhouettes encapuchonnées apparurent dans le jardin et convergèrent vers le manoir.

L'accueil que Voldemort réservait à ses autres partisans n'avait rien à voir avec l'amabilité dont il avait gratifié Lucius. Il s'assit en bout de table et désigna un siège à chaque nouvel arrivant, sans prononcer un seul mot. Lucius prit place vers le milieu de la table, juste à côté du grand siège en ébène qui était réservé à son père ; et Narcissa vint timidement s'asseoir à côté de lui.

– Narcissa, dit Voldemort d'une voix doucereuse. Tu nous fais donc l'honneur de ta présence, aujourd'hui ?

Narcissa répondit par un bref hochement de tête. Elle sentit Lucius lui prendre la main, puis exercer une légère pression sur son poignet. Elle se tourna vers lui, et vit qu'il lui signifiait de ne pas s'inquiéter – s'il savait...

Les Mangemorts prirent progressivement place dans le silence. Ils étaient un peu moins nombreux que d'habitude, et leurs blessures, même si elles étaient moins sanguinolentes que la veille, étaient toujours enflées de façon impressionnante, et en rendaient quelques-uns méconnaissables. Certains jetaient des coups d'œil autour d'eux, mais la plupart regardaient avec intensité la table en chêne massif qui se trouvaient devant eux : le Seigneur des Ténèbres semblait mécontent, et ils savaient que le moindre geste malencontreux pouvait faire d'eux une cible potentielle.

Voldemort ne semblait pas décidé à prendre la parole, et Narcissa se demanda pendant combien de temps les Mangemorts comptaient observer ce silence recueilli.

La réponse lui parvint par la porte du corridor qui menait à la bibliothèque. Abraxas Malefoy entra dans le grand salon, vêtu de son habit noir brodé d'argent, appuyé sur sa canne au pommeau sculpté. Il marcha avec lenteur jusqu'à son grand siège en ébène, qui s'écarta de la table à son approche, et revint se placer docilement près de la table lorsqu'il s'assit.

Il prit le temps de s'installer confortablement, sous l'œil courroucé ou envieux de quelques Mangemorts. Puis il se redressa, tourna la tête vers la droite, puis vers la gauche, vers le Maître des Ténèbres, et tous les deux échangèrent un petit signe de tête.

– Nous n'attendions plus que toi, Abraxas, déclara Voldemort. Nous pouvons commencer.

Narcissa fut étonnée que Voldemort agisse de la sorte, mais elle comprit qu'il s'agissait plus d'une sorte de rituel, d'une habitude qui s'était instituée progressivement lors des précédentes réunions.

– Bellatrix n'est pas là, protesta aussitôt Rodolphus Lestrange. Attendons encore un peu.

– Je ne crois pas que ce soit nécessaire, dit Abraxas.

Il n'eut pas besoin d'argumenter, car Voldemort venait de faire un geste pour approuver cette décision.

– En effet, nous avons beaucoup de choses à nous dire, déclara Voldemort. Bellatrix nous rejoindra en cours de route. Orion, je vois que ton fils n'est pas là non plus...

– Il est probablement avec Bellatrix, les informa Orion. Ils ne sauraient tarder, Maître.

On entendit un grincement de dents du côté de Rodolphus Lestrange, mais personne n'y prêta attention.

– Bien, dit Voldemort. Peut-être pouvons-nous commencer par le sujet le plus préoccupant... J'imagine que vous devinez de quoi il s'agit.

Narcissa vit quelques visages se crisper.

– Une opération prévue depuis des semaines, énonça Voldemort. Lucius y a mis toute son énergie, toute son ingéniosité. Vous aviez pour mission de faire un carnage, de tuer tous ces immondes Moldus au plus fort de leur indécence. Et qu'avez-vous fait de cette occasion, offerte sur un plateau ?

Il fit une courte pause, comme s'il espérait que quelqu'un lui réponde.

– Un gâchis lamentable, poursuivit-il, toujours inexpressif. Pas une seule victime du côté des Moldus. À nouveau, vous avez été mis en déroute, par ces ennemis qui prennent beaucoup de plaisir à se moquer de vous en vous attaquant avec de misérables jouets moldus. Croyez-vous, mes amis, que nous puissions inspirer de la crainte en agissant de la sorte ?

Une colère sourde commençait à transparaître dans sa voix. Le silence était si pesant que Narcissa avait du mal à respirer. Voldemort posait son regard sur chacun des Mangemorts, et elle était persuadée qu'il était en train de choisir sur qui il allait pouvoir déverser sa colère.

– Yaxley, siffla finalement Voldemort. Ne t'étais-tu pas engagé à trouver des hommes pour surveiller le bâtiment que nous avions pour cible, et pour capturer les traîtres qui cherchaient à en évacuer les Moldus ?

Yaxley fit la moue, tandis que des regards compatissants se tournaient vers lui.

– Hélas, les deux personnes en qui j'avais placé ma confiance ont échoué, admit-il en serrant les poings.

– Eh bien, la prochaine fois, tu te chargeras de cette mission toi-même, décida Voldemort.

Alors que Yaxley s'apprêtait à protester, un tintement retentit près de la cuisine, et quelques Mangemorts osèrent tourner la tête : Prunnas venait vers eux, poussant devant lui un chariot étincelant, sur lequel étaient alignés une vingtaine de verres en cristal et quelques carafes de vin.

– Les boissons ne seront pas utiles ce soir, Prunnas, l'arrêta pourtant Abraxas.

Un murmure de déception parcourut la tablée : les vins servis par Abraxas Malefoy, dont ils se délectaient à chacune de leurs réunions dans le manoir, étaient, pour la plupart d'entre eux, les meilleurs qu'ils aient jamais goûtés.

– Je ne crois pas que ce soit très prudent, à moins que vous ne teniez à mourir dans d'atroces souffrances, dit Abraxas en réponse aux murmures.

Le silence redevint pesant. Abraxas consulta Voldemort du regard : celui-ci semblait l'encourager à s'expliquer.

– Nous avons bien vu que ceux qui sabotent nos attaques connaissaient nos projets dans les moindres détails ; il y a donc fort à penser que les traîtres dont nous parlons font eux-mêmes partie des Mangemorts. Or, après un certain évènement ayant eu lieu cette nuit, je pense pouvoir affirmer qu'ils sont, au moins en partie, assis à cette table en ce moment même.

Il fut pris d'une quinte de toux, et présenta mollement ses excuses – mais Narcissa était persuadée qu'il faisait exprès de dispenser ses paroles avec lenteur, afin de mieux distiller la peur dans les esprits.

– Cette nuit, quelqu'un s'est introduit dans ma propriété, afin de me dérober un puissant poison, poursuivit Abraxas. Un poison dont j'ignorais la nature jusqu'à aujourd'hui.

Chacun des Mangemorts prit bien soin de rester impassible, afin de ne pas éveiller les soupçons. En face d'Abraxas, Orion plissa les yeux de façon presque imperceptible.

– Dans d'autres circonstances, j'aurais suspecté d'autres personnes de faire preuve de traîtrise, dit Abraxas Malefoy – et Narcissa fut persuadée qu'il la regardait en disant cela. Mais le poison en question se trouvait dans une cachette connue de moi seul... Ou presque. En réalité, une seule autre personne savait où trouver ce poison. Et cette personne, c'est toi, Orion.

Narcissa vit le regard de Voldemort se poser sur Orion, et d'autres regards le suivirent. La voix d'Abraxas Malefoy était chargée de haine et de ressentiment : les deux hommes ne s'étaient pas réconciliés depuis la dispute que Narcissa avait surprise, trois ans plus tôt.

– Moi ? s'esclaffa Orion. Tu crois qu'avec ma jambe raide, je me suis introduit chez toi, j'ai descendu cet escalier de pierre pour te dérober quelque chose ? Crois-tu que j'aie la moindre chance de les placer dans vos verres sans me faire prendre, moi qui peine à faire le moindre pas ?

– Je ne pensais pas seulement à toi, à vrai dire, dit Abraxas. Je sais que tu avais la mauvaise habitude de parler de nos affaires dans ton salon avec Piscus Crabbe. Peut-être que d'autres oreilles indiscrètes auraient pu t'entendre, au sein de ton foyer...

– Qu'est-ce que tu sous-entends là, Abraxas ? Qui essaies-tu d'accuser ?

– Oh, je n'en sais rien, dit Abraxas sur un ton léger. Peut-être, par exemple... Ton fils ?

Un frisson parcourut la tablée, se répandant comme une onde autour d'Abraxas Malefoy.

– Nous savons tous que sa loyauté envers le Seigneur des Ténèbres est fragile, appuya Abraxas. Bien qu'un tel acte de témérité puisse sembler étonnant venant de sa part, je le placerais en haut de la liste des suspects.

– Regulus était à Poudlard jusqu'à aujourd'hui ! s'insurgea Orion. Il n'a pas pu s'introduire chez toi cette nuit !

 – À Poudlard, vraiment ? sourit Abraxas. Pourtant, les élèves sont tous rentrés hier.

Le visage d'Orion se décomposa brutalement.

– Il a raison, affirma Liam Avery.

– Nous sommes bel et bien rentrés hier, en début d'après-midi, renchérit Robin Mulciber.

Les deux garçons avaient rejoint les rangs des Mangemorts au cours de l'année, et même s'ils avaient côtoyé Regulus au début de leur scolarité, ils ne ressentaient plus aucune sympathie pour lui, le jugeant bien trop intellectuel et trop précieux à leur goût.

– Es-tu vraiment sûr de savoir ce que ton fils a fait cette nuit, Orion ? susurra Abraxas, triomphant.

Et soudain, un grand bruit attira l'attention de toute l'assemblée vers la porte qui les séparait du hall d'entrée. Les éclats d'une violente dispute provenaient de la pièce voisine, sans que l'on puisse en distinguer la substance.

Voldemort se retourna vers l'imposante porte en chêne, les pupilles flamboyantes. Il fit un geste souple de la main, comme s'il voulait attirer quelque chose vers lui, et les doubles battants s'ouvrirent majestueusement.

Derrière la porte, Regulus tenait Bellatrix par les épaules et l'empêchait d'aller vers le salon. Les joues de Bellatrix étaient griffées, et on voyait qu'elle avait pleuré ; Regulus, lui, semblait affolé par son état, et n'avait pas vu que la porte venait de s'ouvrir. Comme si tout avait été savamment orchestré, toute la tablée l'entendit distinctement crier :

– BELLA, RÉVEILLE-TOI ! C'EST UN MONSTRE, IL FAUT ARRÊTER CETTE FOLIE !

***

Un peu plus tôt dans la journée, Regulus était rentré chez lui, en proie à la plus grande confusion. Il était parvenu à rester à Poudlard une nuit de plus que les autres élèves, prétextant un besoin urgent de s'entretenir avec le professeur Slughorn. Ce dernier avait accepté en réitérant sa proposition – à savoir l'assister pendant quelques années dans ses cours de Potions, avant de prendre définitivement sa place – et Regulus avait promis d'y réfléchir sérieusement. Slughorn lui avait donné une dizaine de jours pour réfléchir, puis lui avait donné l'autorisation de passer la nuit à Poudlard, sans lui poser de questions.

Regulus savait qu'il était l'élève favori de Slughorn, et lui-même tenait le professeur en très haute estime. Bien sûr, il n'était pas dupe : il savait pertinemment qu'en lui proposant ce poste, le professeur Slughorn souhaitait avant tout perpétuer l'influence qu'il avait sur les élèves de Poudlard – car Regulus y inviterait fréquemment son tuteur, Slughorn y comptait bien...

Mais malgré les bénéfices évidents que Slughorn retirait de cette proposition, Regulus ne pouvait s'empêcher de se réjouir. Regulus Arcturus Black, professeur de Potions à Poudlard... Il se voyait déjà assis aux côtés de McGonagall et du professeur Flitwick, au banquet de début d'année, présenté par le professeur Dumbledore et applaudi par les élèves impressionnés par son jeune âge...

Au-delà d'être flatteuse, la proposition était extrêmement tentante. Regulus avait fini par s'habituer à l'environnement de Poudlard, et même s'il ne s'y était pas fait de véritable ami après sa dispute avec Rogue, cette école représentait pour lui un véritable refuge. Il appréciait également la compagnie des professeurs, qui étaient pour la plupart des personnes brillantes, avec qui il était agréable de discuter, et qui savaient reconnaître l'intelligence que possédait Regulus. Enfin, même s'il était dangereux de le penser, Regulus devait bien avouer qu'il était fasciné par Dumbledore, autant par sa lucidité que par sa bonté, et qu'il ne pouvait s'empêcher de l'envier et de l'admirer. Il se surprenait même, parfois, à rêver de prendre sa place, et de succéder à son ancêtre, Phineas Black, qui avait été directeur, en son temps...

Voilà ce que pensait Regulus en arrivant chez lui, au 12, square Grimmaurd. Lorsqu'il se fut assuré que personne ne regardait dans sa direction, il regarda avec intensité le mur qui séparait le 11 du 13, square Grimmaurd ; les deux immeubles se mirent à s'éloigner l'un de l'autre, et la haute maison des Black apparut, sans que personne ne s'en rende compte.

Regulus monta les escaliers du perron, son énorme malle de voyage flottant dans les airs derrière lui. Lorsqu'il tendit la main vers la poignée d'argent, sculptée en forme de tête de serpent, un tiraillement au niveau de son épaule lui rappela l'existence des cicatrices noirâtres qui recouvraient son bras, et le léger sourire qui flottait sur ses lèvres s'évanouit.

Où s'égarait-il ? La proposition alléchante du professeur Slughorn lui avait presque fait oublier son statut de Mangemort. Son avenir n'était pas à Poudlard, mais aux côtés de Voldemort : c'était sur cela qu'il fallait se concentrer, au lieu de rêvasser bêtement.

Dire qu'il était devenu un Mangemort contre son gré aurait été un mensonge : une part de lui était fière d'appartenir à ce groupe mystérieux et puissant, qui alimentait toutes les conversations des élèves de Poudlard. Quant aux idées que les Mangemorts défendaient, Regulus y était sensible, bien sûr... Sortir les sorciers de la clandestinité, leur redonner la gloire et le statut qu'ils méritaient, n'était-ce pas ce que sa famille souhaitait depuis toujours ? N'était-ce pas l'occasion rêvée pour Regulus de briller aux yeux de ses parents, de tous ses ancêtres et bien sûr, de tous ses descendants à venir ? Accepter la proposition de Slughorn l'obligerait à renoncer à tout cela, ce qui était tout simplement impensable. Tout comme il était impensable d'abandonner ses parents et sa cousine Bellatrix au square Grimmaurd pour aller se pavaner à Poudlard...

Tout en accrochant sa cape à une patère dans le hall d'entrée, Regulus poussa un long soupir. Il n'avait plus qu'à espérer qu'il s'habituerait à la violence, et qu'en faisant quelques efforts, il s'approprierait leur cruauté...

– M. Regulus !

Regulus sursauta : à l'autre extrémité du hall d'entrée, Kreattur, son elfe de maison, le regardait avec adoration. Il était dans un piteux état : le chiffon qui lui servait de vêtement était plus crasseux que jamais, et ses bras étaient couverts d'hématomes et de brûlures. Pourtant, derrière son nez en forme de groin, ses yeux immenses larmoyaient de bonheur.

Regulus retrouva furtivement le sourire : la fidélité et l'admiration que Kreattur lui portait étaient une source inépuisable de réconfort. Regulus s'approcha et lui tendit une main que l'elfe n'osa pas prendre.

– Bonjour, Kreattur, sourit Regulus en posant sa main sur la tête de l'elfe de maison. Je suis content de te voir.

En entendant cela, les oreilles de l'elfe frémirent de reconnaissance.

– Maître Regulus est rentré, constata-t-il d'une voix aiguë et grinçante. Oh, Kreattur aussi est bien content de revoir son jeune maître, qui est toujours si bon avec son serviteur...

– Tu t'es encore puni, remarqua Regulus en s'agenouillant pour examiner les mains blessées de Kreattur. Tu te punis beaucoup trop, Kreattur. Tu ne mérites pas ça, je te l'ai déjà dit des centaines de fois.

Perplexe, Kreattur regarda ses bras amaigris, couverts de coupures et d'ecchymoses.

– Le maître est trop indulgent avec son serviteur, croassa-t-il. Malgré les efforts de Kreattur, la maîtresse ne va pas mieux, ce qui veut dire que Kreattur ne fait pas assez bien...

– Ce n'est pas ta faute, insista Regulus. Tu sais bien que tu n'y peux rien.

– Kreattur espère que la situation va s'arranger, poursuivit l'elfe sans l'écouter. Peut-être que le retour de M. Regulus rendra le sourire à la maîtresse... Kreattur, lui, est très heureux de revoir M. Regulus, il a préparé la maison pour lui, ciré le parquet, nettoyé les rideaux... Il a aussi préparé un bon repas pour lui, à la cuisine... Kreattur espère que M. Regulus l'appréciera.

Regulus se releva et suivit Kreattur à la cuisine, embarrassé. Des effluves alléchants montaient de la marmite en fonte, mais il avait l'estomac noué et n'avait pas faim du tout. Malgré tout, il se força à avaler une assiette de ragoût pour faire plaisir à son elfe de maison, en assurant à plusieurs reprises que c'était succulent.

– Maman est dans sa chambre, je suppose ? demanda-t-il après avoir terminé son assiette à grand-peine.

– Oui, comme d'habitude. La maîtresse sort rarement de son lit, ces derniers temps... Tout ça à cause de Sirius, ce maudit chenapan, qui lui a brisé le cœur ! Enfin, elle sera très heureuse de savoir que M. Regulus est revenu, ajouta précipitamment Kreattur.

– Je monte la voir, décida Regulus en se levant.

– Kreattur va porter la valise de maître Regulus, dit l'elfe en approchant ses mains meurtries de l'énorme malle.

– Ne te fatigue pas, Kreattur, elle est ensorcelée...

Malgré ses immenses oreilles, l'elfe fit mine de ne pas avoir entendu, et, tout en continuant de marmonner, il poussa la malle en lévitation vers l'escalier, afin de précéder son maître.

– Le maître, Mr Black, n'est pas souvent là, mais il sera sans doute très content de voir M. Regulus aussi, poursuivit l'elfe. Il souhaite que M. Regulus vienne à la réunion de ce soir, au manoir des Malefoy. Tous les Mangemorts seront là...

Regulus monta les escaliers d'un pas de plomb, et tout en gravissant les marches, il mesurait l'ampleur de tout ce qui lui incomberait de faire, au cours des prochains mois. Il devrait participer aux actions menées par les Mangemorts, en redoublant d'efforts pour se faire remarquer par le Seigneur des Ténèbres ; et passer le reste de son temps au square Grimmaurd, à tenter d'extirper sa mère de la rancœur dans laquelle elle s'était enfermée depuis que Sirius était parti...

Il se sentit soudain abattu par ces perspectives si peu réjouissantes. La mine sombre, il se remémora le visage avenant de Vera Goyle, et les paroles qu'elle avait prononcées lors de leur dernière entrevue, trois ans auparavant...

Tu ne peux pas, et tu ne dois pas porter toutes ces responsabilités sur tes épaules, avait-elle dit. Tes parents ont placé trop de choses entre tes mains, bien trop de choses...

– Mrs Goyle, si seulement vous étiez là, murmura-t-il pour lui-même.

– Que dis-tu, Regulus ?

Il leva la tête : sa mère se tenait debout sur le palier du dernier étage. Walburga Black était encore plus pâle que d'habitude et ses longs cheveux noirs étaient relâchés, ce qui lui donnait un air fantomatique.

– Maman, dit Regulus en montant précipitamment les dernières marches. Tout va bien ?

Walburga plissa les yeux sans répondre. Il se tinrent quelques instants face à face, vaguement gênés. Regulus avait encore grandi, et sa mère s'était légèrement affaissée.

– Tu as maigri, remarqua Walburga.

– Toi aussi, répliqua Regulus. Kreattur a cuisiné quelque chose, en bas... Tu devrais aller en prendre un peu.

– Je veux bien te croire, soupira Walburga. Depuis des semaines, il ne parle que de ton retour et de ce qu'il allait te cuisiner... Ton père aussi t'attend avec impatience, et sans parler de ta cousine.

– Bella ? Où est-elle ?

– À en juger par le silence, elle n'est pas ici, grinça Walburga. Tu disais dans ta lettre que tu serais là vers cinq heures, et elle souhaitait t'accueillir... Elle ne devrait donc pas tarder, à mon grand regret.

Regulus décida d'ignorer ses commentaires désobligeants et se força à sourire aimablement.

– Je suis content d'être de retour aussi, mentit Regulus. Nous sommes enfin au complet.

Walburga eut un petit rire amer, et son regard devint vague.

– Oui, au complet...

Il y eut un long silence, et Regulus sut que sa mère pensait à Sirius – comme d'habitude.

– Tu ne me demandes même pas si j'ai réussi mes ASPIC, fit remarquer Regulus.

– Hmm ? Ah, oui... Oh, tu sais, Regulus... Je ne me suis jamais fait de souci pour tes résultats.

– J'ai eu la note maximale à toutes les épreuves, l'informa tout de même Regulus. D'après le professeur Slughorn, c'est un record.

– Rien que ça, réagit Walburga avec un air pincé. Tu as donc surpassé ton frère...

Les sourire forcé de Regulus se figea. Malgré tous ses efforts pour chasser Sirius de la conversation, il finissait toujours par en être question.

– Bien, je descends, dit Walburga en passant à côté de lui. Je vais voir si Cygnus va bien : il ne sort plus beaucoup de sa chambre, lui non plus. À plus tard, Regulus.

Et ses pas s'évanouirent dans l'escalier. Quand Regulus se retourna vers la porte de sa chambre, Kreattur se tenait dans l'encadrement, les yeux toujours brillants d'admiration.

– Kreattur a rangé les affaires de M. Regulus, signala l'elfe. Les livres sont rangés par ordre alphabétique, comme le maître en a l'habitude. Kreattur se permet aussi de féliciter M. Regulus pour ses brillants résultats... même si Kreattur n'avait aucun doute sur le fait que son maître réussirait haut la main. M. Regulus peut être très fier de lui.

– Merci, Kreattur... Heureusement que tu es là.

– Kreattur est honoré de servir son jeune maître, assura Kreattur avec déférence.

L'elfe s'inclina profondément et descendit à la suite de Walburga dans l'escalier. Regulus le regarda descendre, attendri ; puis il se dirigea vers sa chambre, mais un grand vacarme venu du rez-de-chaussée attira de nouveau son attention.

– Alors ? Il est arrivé ? Reggie ! Je suis là !

Regulus ne put s'empêcher de sourire en entendant la voix tonitruante de Bellatrix, puis ses pas précipités dans l'escalier.

– Reggie ! s'écria-t-elle en arrivant sur le palier.

– Bella, dit Regulus avec joie.

Bellatrix poursuivit sa course et l'enlaça avec force.

– Tu es enfin là, soupira-t-elle.

Elle souriait, mais son teint était anormalement pâle en-dessous de ses boucles noires, et son visage était de plus en plus marqué par la fatigue.

– Tu m'as manqué, dit Regulus avec sincérité en la suivant dans la chambre.

– Et moi donc ! Sans compter que je pensais te retrouver avant-hier, dit-elle sur un ton de reproche.

– Oui, excuse-moi... Le professeur Slughorn tenait absolument à me garder jusqu'à aujourd'hui. Si j'avais décliné, cela aurait pu être suspect.

– Et alors ? Ce que pense cet ivrogne ne devrait plus avoir d'importance pour toi, Reggie. Tu n'as plus de comptes à rendre à cette école minable.

Tout en parlant, ils s'étaient assis côte à côte sur le grand lit à baldaquin de Regulus, adossés aux oreillers de plume, comme ils en avaient l'habitude dès qu'ils se retrouvaient ; mais malgré ce rituel familier et réconfortant, Regulus hésitait à parler sincèrement. Pendant longtemps, il avait toujours tout confié à sa cousine, même si elle avait accueilli d'un œil moqueur son amitié avec Severus Rogue ; mais depuis qu'il avait des états d'âme concernant les agissements des Mangemorts, ce qu'il avait sur le cœur ne parvenait plus à franchir ses lèvres.

– Bon, peu importe, s'impatienta Bellatrix. Alors, ces ASPIC ?

Regulus sentit sa gorge se desserrer légèrement.

– Hmm... Ça va.

– Allez, raconte ! Et pas de fausse modestie !

Regulus sourit un peu plus franchement en pensant à la remise des résultats, et au regard plein de fierté que lui avait adressé le professeur Slughorn.

– J'ai tout réussi, lâcha Regulus. Ils m'ont donné des Optimal dans toutes les matières.

– Félicitations, le complimenta Bellatrix en lui donnant un coup de coude. Et les épreuves ? La Défense contre les Forces du Mal, qu'est-ce que c'était ?

– La théorie n'était pas facile, il y avait beaucoup de questions sur les Inferi. J'étais un des seuls à savoir que le feu était le seul moyen d'en venir à bout.

– Ah, ils ont parlé des Inferi ? Ces incapables ont donc fini par comprendre que nous avions recours à leur service ! Et la pratique ?

Regulus médita un instant sur l'absurdité de sa situation : pendant un an, il s'était évertué à apprendre comment combattre le camp de Voldemort, alors qu'il savait pertinemment que tous ses proches attendaient de lui qu'il le rejoigne dès sa sortie de Poudlard. Chaque fois que le professeur Heatbock émettait une supposition sur les moyens employés par les Mangemorts, Regulus piquait du nez : lui-même en savait beaucoup plus que tous les professeurs et tous les Aurors réunis. Chaque jour, quand un professeur qu'il appréciait s'interrogeait sur le mystère qui planait autour de l'identité des Mangemorts, et surtout quand un élève apprenait l'assassinat d'un de ses proches, Regulus ne pouvait s'empêcher de songer aux vies qu'il pourrait sauver en dévoilant les secrets dont il avait connaissance.

– Hé, Reggie ! Tu rêves ? Et la pratique ?

Regulus s'ébroua brièvement pour s'extraire de ses pensées.

– Euh, oui... Eh bien, grâce à toi, je m'en suis très bien sorti. Il y avait des sortilèges informulés, bien sûr... De l’Occlumancie...

– Ah ! triompha Bellatrix. Alors, tu progresses ?

– Je n'ai pas flanché, en tout cas. Et je me suis beaucoup entraîné, cette année. Tes conseils m'ont été utiles.

– Tu me montres ?

Regulus hésita. Si Bellatrix découvrait la proposition de Slughorn, ou encore la discussion qu'il avait eue la veille avec Mimi... Mais d'un autre côté, refuser serait suspect : ils avaient toujours eu l'habitude de s'entraîner ensemble, y déroger ne manquerait pas d'éveiller les soupçons de Bellatrix.

– Vas-y, décida Regulus avec une légère appréhension.

Bellatrix le regarda avec intensité, afin de s'insinuer dans ses pensées ; et aussitôt, Regulus fit le vide dans sa tête. Son esprit se figea, devint une muraille infranchissable qu'aucune émotion ne pouvait ébranler. C'était un exercice qu'il avait reproduit des centaines de fois, effrayé par l'idée qu'un élève ou qu'un professeur s'infiltre dans son esprit et tombe sur l'un de ses nombreux souvenirs embarrassants.

Lorsqu'il sentit Bellatrix cesser son assaut, il ne put résister à la tentation de lui montrer ses progrès et riposta. En essayant de pénétrer son esprit, il se heurta à une résistance solide, mais parvint à y trouver une petite faille que sa cousine n'eut pas le temps de combler.

C'était la première fois qu'il réussissait à accéder à l'esprit de Bellatrix. Il fut d'abord déconcerté par l'agitation qui y régnait : les pensées et les souvenirs y tournoyaient à une vitesse vertigineuse, si bien que, dans un premier temps, Regulus n'en tira aucune information. Puis il aperçut furtivement Burton, au Serpent qui Fume ; le souvenir était altéré, mais on devinait son expression préoccupée. Derrière lui, les tonneaux fendillés de Bigoliard et de Décroche-Panse s'alignaient, et il tenait devant lui une chope d'un liquide vert et phosphorescent. Fais attention, ma jolie, disait-il de sa voix rocailleuse, celui-là essaie de te mettre le grappin dessus, et j'ai entendu dire que le Seigneur des Ténèbres allait l'y aider...

Regulus n'eut pas le temps de voir autre chose : il se sentit brutalement repoussé, et revint dans le moment présent.

– Reggie ! s'indigna Bellatrix. Tu m'as prise par surprise !

– Excuse-moi, répondit Regulus, embarrassé. Je... Je ne pensais même pas y parvenir.

– Ce doit être la fatigue, marmonna Bellatrix. Je suis épuisée, en ce moment... Bon, n'en parlons plus. Raconte-moi plutôt la suite ! Il y avait d'autres épreuves ?

– Oui... Il y avait un duel avec un Auror.

– Un Auror ! s'exclama Bellatrix avec un mélange d'intérêt et d'indignation. Lequel ?

– Alastor Maugrey...

À nouveau, la situation était absurde : Alastor Maugrey était traqué par l'ensemble des Mangemorts. N'importe lequel d'entre eux rêvait de se mesurer à lui, et Regulus s'était retrouvé dans la même pièce que lui pendant plus d'une heure, sans rien pouvoir faire contre lui.

– Et alors ? Quels sorts as-tu utilisé ?

De l'envie était perceptible dans ses questions. Regulus devina que, malgré son mépris pour l'autorité et pour Poudlard, une part d'elle aurait aimé que son talent extraordinaire soit reconnu par l'ensemble de l'école et de ses professeurs.

– Rien de bien compliqué. Tu n'en aurais fait qu'une bouchée, si tu avais été à ma place, assura Regulus.

– Je n'en doute pas, mais ces crétins en ont décidé autrement, râla-t-elle en haussant les épaules.

Ses pensées dérivèrent quelques instants dans le lointain, puis elle retrouva un semblant de gaieté.

– En tout cas, maintenant, tu es enfin libéré de cette école minable ! s'exclama-t-elle avec enthousiasme. Nous allons pouvoir rester ensemble ! Je suis tellement contente, si tu savais... Les réunions de Mangemorts sont tellement ennuyeuses, quand tu n'es pas là !

Son sourire s'élargit, et Regulus se sentit submergé par la culpabilité. Et soudain, en détournant le regard, il remarqua qu'elle avait une marque bleutée sur le bras.

– Bella... Tu t'es blessée ? Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

– Ce n'est rien, assura Bellatrix en attrapant sa baguette pour effacer l'ecchymose. Regarde, ça part tout seul !

En la voyant effacer la marque qu'elle avait sur le bras en feignant la désinvolture, Regulus songea que Bellatrix n'avait absolument aucune conscience de sa propre fragilité. Pour elle, les seules blessures qui comptaient étaient celles qui entamaient sa chair : elle n'entendait certainement pas que quoique ce soit d'autre puisse avoir la moindre répercussion sur elle, et engendrer des blessures secrètes, invisibles, qui ne pouvaient pas s'effacer d'un coup de baguette magique. Elle avait bâti sa force sur sa maîtrise stupéfiante de la magie, mais par orgueil, elle avait bâillonné tout le reste ; et en effet, Regulus n'avait jamais entendu sa cousine admettre qu'elle était triste, qu'elle avait peur, qu'elle avait besoin de réconfort – chaque fois, il n'avait fait que le deviner.

– Dis-moi ce qu'il s'est passé, dit-il doucement.

– Rien, je te dis !

– Bella !

Elle prit un air coupable.

– Oh, non, c'est idiot... C'était hier soir, au Serpent qui Fume... Le Seigneur des Ténèbres nous a convoqués, Rodolphus et moi... Nous nous étions disputés juste avant l'attaque.

Regulus jura intérieurement. Bien sûr, il aurait dû s'en douter... Malgré le comportement infâme de Rodolphus Lestrange à l'égard de Bellatrix, Voldemort n'avait de cesse de vouloir les rapprocher, en faisait des remarques lourdes de sous-entendus, ou bien en leur donnant des missions à accomplir ensemble.

– Le Maître a exigé que je me réconcilie avec lui, et... Quand il est parti... Rodolphus avait bu... Il est devenu complètement fou... Il a essayé de... de...

Sa respiration était devenue saccadée. Regulus, lui, sentait une rage inexprimable monter en lui, prête à exploser.

– Tu ne t'es pas enfuie ?

Bellatrix fronça les sourcils : elle semblait éprouver la plus grande difficulté à remettre ses souvenirs en place.

– Nous avions bu beaucoup de Bigoliard, se souvint-elle brusquement.

Regulus prit une grande inspiration, et serra les poings pour masquer le sentiment de révolte qui lui soulevait le cœur.

– Mais, ne t'en fais pas, au bout d'un moment, j'ai réussi à prendre la baguette de Rodolphus...

– Tu n'avais pas ta baguette ?

– Non, je...

Bellatrix sembla à nouveau perdue.

– Je crois que... Il me l'avait prise. Le Seigneur des Ténèbres me l'avait empruntée, je ne sais plus pourquoi... Mais, il me l'a rendue, un peu plus tard.

Regulus était sidéré. À Noël, déjà, il avait mis sa cousine en garde sur le comportement ambigu de Voldemort ; il avait remarqué les regards appuyés que celui-ci échangeait avec Rodolphus Lestrange lorsque Bellatrix parlait, ou des sous-entendus suspects à propos de mariage – mais visiblement, la situation était encore pire que ce qu'il avait imaginé.

– Bella... Je crois vraiment que tu devrais écouter un peu moins ce que dit le Seigneur des Ténèbres, dit-il, en peinant à maîtriser sa voix.

– Je te demande pardon ?

– Oui, ça... Ça te fait du mal, insista Regulus.

Bellatrix le regarda sans comprendre.

– Pourquoi est-ce qu'il te fait ça, Bella ? Ça n'a aucun sens ! Pourquoi te demande-t-il de passer autant de temps avec Rodolphus ? Pourquoi t'a-t-il laissée dans cet horrible endroit avec lui, sans défense ?

Bellatrix tritura sa robe entre ses doigts. Regulus savait qu'elle refusait d'admettre que cette situation était inacceptable.

– Bella, il faut que tu prennes tes distances, dit Regulus. Je ne sais pas pourquoi il fait ça, mais ça n'est pas bon pour toi, pas bien du tout...

– Il veut me rendre plus forte, protesta-t-elle. Il me met à l'épreuve, et je ne veux pas le décevoir. Et il veut que ses serviteurs soient soudés entre eux, voilà tout...

Regulus se sentait de plus en plus mal à l'aise. Il commençait à prendre conscience de quelque chose que, jusqu'ici, il avait refusé de voir entièrement... Tous les moments où Voldemort s'était montré mal intentionné à l'égard de Bellatrix lui revenaient à l'esprit – celles dont il avait été témoin, bien sûr, mais surtout les indices qu'il avait décelés dans les éléments que sa cousine lui rapportait...

– Non... Non, Bella, c'est faux... C'est ce qu'il te fait croire, mais c'est faux ! Tu vois bien... Il... Il te manipule, tu ne crois pas ?

Lorsque Regulus employa le terme de manipulation, Bellatrix parut se raviver. Elle se redressa nettement et plissa les yeux avec méfiance.

– Tu es d'accord avec Cissy, constata Bellatrix avec amertume. Tu sous-entends que je me trompe à son sujet ? Moi, qui le connais mieux que quiconque, moi qui lui suis fidèle depuis la première heure ?

– Bella...

– De toute manière, comment le sais-tu ? Tu n'es jamais là ! Tu ne penses qu'à tes fichues BUSE, à ces maudits ASPIC... Pourquoi essaies-tu de me faire douter du Seigneur des Ténèbres ? C'est à cause de toi que je ne suis plus aussi puissante qu'avant ! Toi, qui essaies de me détourner de lui ! Il m'avait mise en garde, il m'avait bien dit qu'il faudrait me détacher de toi... Et comme une idiote, je ne l'ai pas écouté, mais maintenant, je le vois bien : c'est lui qui avait raison !

Au moment où elle disait cela, une douleur fulgurante se répandit dans le bras gauche de Regulus, de son poignet jusqu'à la racine de son cou. Il poussa un cri, et il tomba à genoux sur le sol, aveuglé. Il regarda son bras, et constata que les cicatrices noirâtres qui le recouvraient s'étaient assombries, et que le motif flou de la marque des Ténèbres était plus reconnaissable que d'habitude.

– Il nous appelle, constata Bellatrix avec sévérité.

Elle s'était levée, et ne paraissait plus du tout vulnérable. Ses yeux gris étaient devenus ombrageux, sa mâchoire forte était serrée par la détermination, et sur la peau diaphane de son avant-bras, la Marque des Ténèbres ressortait avec tellement de précision et d'intensité qu'elle paraissait être en relief.

– Allons le rejoindre immédiatement, décréta Bellatrix. Je ne lui dirai rien sur les ignobles soupçons que tu as proféré à son égard, mais ne recommence plus jamais cela.

Dans le bras de Regulus, la douleur s'intensifia. Ses dents étaient tellement serrées qu'il avait du mal à parler.

– Bella, attends ! Écoute-moi...

– J'y vais, déclara Bellatrix, inflexible. Rejoins-nous quand tu auras cessé de tenir des propos aussi indignes.

Regulus lui attrapa le poignet juste à temps. Il ressentit une pression insupportable sur tout son corps, et ses genoux retombèrent brutalement sur un tapis précieux. En levant les yeux, il reconnut le splendide hall d'entrée des Malefoy, et vit qu'il tenait toujours le poignet de Bellatrix.

– Lâche-moi, ordonna Bellatrix en se dégageant sèchement pour marcher vers le salon.

– Bella, j'ai un mauvais pressentiment, la supplia Regulus en se relevant, son bras gauche replié contre lui. Attends, je t'en prie... Écoute-moi ! J'ai peur pour toi, Bella ! C'est parce que je tiens à toi, tu comprends ?

Bellatrix parut troublée par cette déclaration, car elle ralentit le pas, et hésita à regarder en arrière.

 Regulus en profita pour enchaîner :

– Bella, souviens-toi !

Il venait d'être frappé par un souvenir, par une anecdote qu'il avait jugée sans importance, mais qui, pourtant, laissait présager de terribles choses...

– À Noël, il y a quelques mois ! Il a sous-entendu que tu devrais te marier !

Cette fois-ci, Bellatrix se retourna vers lui, les yeux flamboyants de colère.

– Tu l'as mal compris ! Le Seigneur des Ténèbres ne voudrait jamais cela. Il sait très bien ce que je pense du mariage... Il ne voudrait pas cela, répéta-t-elle avec froideur.

– C'est pourtant ce qu'il a dit ! Maintenant que j'y repense, j'en suis sûr ! insista Regulus. Quand Juliet lui a présenté son enfant... C'était ici même, à Noël, souviens-toi ! Il a dit que « même ses plus fidèles serviteurs ne lui avaient jamais fait d'aussi beau cadeau » !

– Mais il ne pensait pas à moi ! dit Bellatrix, qui perdait progressivement en assurance. Il n'attend pas ça de moi !

– Il te regardait en disant cela, rétorqua Regulus en s'approchant d'elle. Je m'en souviens très bien. Et le souvenir que je viens de voir ? De qui parlait Burton ? Réponds-moi !

Mais Bellatrix resta muette.

– Il parlait de Rodolphus, n'est-ce pas ? Il te mettait en garde ! Parce que lui aussi commence à comprendre à quel point Voldemort est malfaisant... Lui qui passe son temps au Serpent qui Fume, il entend toutes ses conversations... Ah, si seulement j'avais compris plus tôt ! J'aurais dû t'avertir dès le début, dès que j'ai eu ce pressentiment...

– Non ! protesta Bellatrix. Non, Reggie, tu te trompes, et Burton se trompe aussi ! Le Seigneur des Ténèbres est bon avec moi... Il sait que le mariage me révulse... Il sait que je ne veux jamais avoir d'enfants, il sait que je ne suis qu'à lui, et à personne d'autre... Il ne voudrait pas ça...

Tout en disant cela, Bellatrix commença à se tirer les cheveux, et à se griffer les joues, et Regulus dut la prendre par les poignets pour l'en empêcher.

– Ah, mais arrête ça ! Je t'en prie !

– Lâche-moi ! cria Bellatrix en essayant de se dégager.

– Bella ! Tu vois bien qu'il te rend folle ! Qu'il essaie de détruire la personne que tu étais, pour que tu lui appartiennes complètement ! Mais il est profondément mauvais, Bellatrix ! Et il ne fera pas d'exception pour toi ! Pour lui, tu n'es qu'un jouet, un instrument pour exercer sa puissance !

Bellatrix tressaillit, comme si Regulus venait de lui décocher une flèche en plein cœur. Quant à Regulus, il prit conscience des paroles qu'il venait de prononcer, et de tout ce qu'elles impliquaient. D'autres souvenirs affluaient, venant de l'époque où, tout jeune, il écoutait Bellatrix lui raconter ses leçons, allongés tous les deux dans son grand lit à baldaquin...

– Souviens-toi, quand il t'a forcée à détruire ta baguette ! Dès le commencement, il t'a obligée à détruire ce à quoi tu accordais le plus de valeur !

Dans l'esprit de Regulus, tout prenait sens, tout devenait atrocement clair.

– Et maintenant, il va t'obliger à faire ce qui te révulse le plus ! s'écria-t-il, à l'instant même où cette révélation s'imposait à lui. Et ça n'est pas pour ton bien, Bella, c'est simplement parce que ça l'amuse de te voir souffrir !

– NON ! rugit-elle. Non, le Seigneur des Ténèbres... Il tient à moi, je le sais... Et tu essaies de m'écarter de lui... Tu essaies...

Cette idée sembla s'insérer dans son esprit avec une rapidité stupéfiante, et en un instant, elle fut absolument persuadée de ce qu'elle venait de supposer.

– C'est ça, dit-elle en roulant des yeux fous. Tu essaies de m'évincer, n'est-ce pas ? Tu comptes bien continuer à le servir, mais tu veux m'éloigner de lui, et prendre ma place à ses côtés ?

Regulus écarquilla les yeux, pétrifié.

– Mais tu n'y arriveras pas, murmura Bellatrix en penchant sa tête sur le côté. Oh, non, non...

– Bella, arrête !

– Je le servirai toujours, toujours...

Au fur et à mesure que les secondes s'égrenaient, Bellatrix semblait de plus en plus folle. Elle regardait dans le vague, et sa tête semblait sur le point de se détacher de ses épaules pour tomber sur le sol. Désemparé, Regulus ne trouva rien de mieux que de la prendre par les épaules, et de la serrer de toutes ses forces. Il voulait qu'elle se réveille, il voulait retrouver la cousine qui le protégeait des moqueries de Sirius et lui donnait des conseils pour épater le professeur Slughorn... Mais malgré ses efforts, Bellatrix regardait toujours dans le vide, comme si son esprit se trouvait ailleurs, hermétique à toute tentative de raisonnement.

Impuissant, effrayé, Regulus la secoua brutalement, et hurla :

– BELLA, RÉVEILLE-TOI ! C'EST UN MONSTRE, IL FAUT ARRÊTER CETTE FOLIE !

Le silence qui suivit fut bien plus pesant que celui qu'attendait Regulus. Dans ses bras, Bellatrix se figea, le regard fixé derrière son épaule. Quand Regulus se retourna, la porte du salon était ouverte, tous les Mangemorts le regardaient avec de grands yeux ronds, et Voldemort les fixait tous les deux, ses pupilles verticales plus incandescentes que jamais.


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