Chroniques désespérées d’un casque-micro

Chapitre 28 : Comment Garantie Privée s’est fait fumer par ses propres "héros"

1778 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 26 jours

Comment Garantie Privée s’est fait fumer par ses propres "héros"

voila le pitch


maintenant voila la version longue :


Ils étaient six. Six golden boys, six promesses marketing, six produits premium du bullshit managérial. On les appelait les As, comme dans “As du casque”, “As de la rétention”, “As des performances”… et bientôt “As de l’arnaque”.

Les chefs les aimaient comme des fils (ou comme des boucliers anti-réformes). Ils avaient droit aux meilleures places, aux félicitations, aux croissants en briefing. Et nous ? Les vétérans, les grognards de la voix, les héros fatigués de mille scripts ? On nous disait de “prendre exemple”. Mais nous, les anciens, on a de l’intuition. Une vraie. Celle qui sent quand un poisson pue sous la moquette.

Ils faisaient cinq rétentions sur le même client.

Cinq. C’est plus du travail, c’est du charcutage.

Le client voulait annuler ? Pas de souci ! On lui recasait le même pack qu’il venait de refuser, avec une voix plus suave et un "vous allez voir c’est cadeau". Un vrai travail de pickpocket avec badge d’entreprise.

Et pendant qu’on crevait à maintenir un taux honnête, eux jouaient les intouchables. Les bonus tombaient comme des primes de ministres. À force, même le client final a commencé à se demander si on ne lui faisait pas payer des assurances-vie pour ses petits-enfants qui n’étaient pas encore nés.

Le drame est arrivé quand le client donneur d’ordre a lui-même tendu l’oreille. Une écoute directe. Brutale. Il tombe sur un "Allez-y madame, je vous mets le pack, on s’en fout si vous en voulez pas, vous le testez, et si vous rappelez dans 3 mois on vous dira que c’est trop tard."

💣 ALERTE À LA FRAUDE.

Déflagration. Panic room. Réunion d’urgence. Le Titanic entre en collision avec l’iceberg de la réalité.

Et c’est là que nos chefs, nos sups, nos génies du PowerPoint, se décident enfin à faire leur boulot.

Ils tombent de leur piédestal. Le vernis craque. Les As ne sont plus que des Ratés, des mouches à merde maquillées en héros.

Et nous, les anciens, les gars sans cape mais avec conscience, on a sauvé le projet. Sans magouille. Sans triche. Juste avec de la loyauté et une envie d’en finir proprement.


Ils sont venus.

Pas pour s'excuser. Pas pour nous remercier. Pas même pour nous demander comment on avait tenu bon si longtemps.

Non.

Ils sont venus nous interroger. Comme des suspects. Comme des gêneurs.

Autour de moi, c'était les anciens. Pas les plus vieux en âge, mais les plus rodés. Ceux qui connaissaient l’odeur d’un projet qui pue à des kilomètres. Ceux qui avaient résisté à toutes les vagues, qui avaient tenu la barre pendant que les moussaillons faisaient des saltos sur le pont pour impressionner la hiérarchie. On les appelait parfois les baroudeurs, d’autres les grognards. Nous, on savait ce qu’on valait. Eux ? Ils découvraient seulement qu’ils ne savaient rien.

Le petit chef est arrivé, notes à la main, air sérieux vissé au visage comme un collier de chien trop serré.

— « Dites-moi… vous avez remarqué quelque chose d’étrange chez les As ? »

Je le regarde. Longuement. Je le regarde comme on regarde une sandale en plastique dans un musée d’art contemporain.

— « Toi t’es sérieux là ? Tu crois que j’ai que ça à foutre, mener ton enquête pendant mes pauses clope ? »

Il bafouille un peu.

— « Non c’est juste que… on vous a vu discuter entre vous, un peu à l’écart, on avait l’impression que vous saviez… des choses… »

Là, je m’étouffe presque.

— « Ah ouais ? Donc maintenant parce qu’on réfléchit entre nous, on est suspect ? Parce qu’on parle pas comme des enfants dans une cour d’école, on est devenus tes Colombo ? »

Et je balance le clou du cercueil :

— « Le jour où l’un de tes Power Rangers est venu nous dire, sourire de fouine au coin des lèvres : “J’ai eu une prime de 200 000 DA !”, j’ai compris. Une prime de ministre dans un projet d’appel rentrant ? Le gars a fait une rétention à Jésus-Christ en personne ou quoi ? Et toi, tu trouves ça normal ? T’as rien capté jusqu’à ce que le client donneur d’ordre te sonne les cloches, et maintenant tu viens me demander si j’ai eu des soupçons ? Bah non, Einstein. Je m’occupe de mon taf. Parce que moi, je l’ai gardé, mon job. Grâce à quoi ? Grâce au fait que j’ai PAS fait ce que tu m’as conseillé de faire. J’ai PAS pris tes ados en exemple. »

La pièce est silencieuse. Le chef de projet tente de ravaler sa dignité, mais elle a fui plus vite qu’un bonus en fin de mois.

Et là, elle parle. La Tatouée.

Elle fumait dans le coin, silencieuse comme un chat noir dans un cimetière, mais elle écoutait.

Elle lâche ça, sans même tourner la tête :

— « Et surtout, n’oubliez pas de les prendre en photo pendant leur passage en conseil disciplinaire. Ce sont les meilleurs, non ? Faut toujours immortaliser les meilleurs. »

Rideau.

Fin de l’acte.

La vérité ?

Les anciens n’avaient pas besoin d’enquête.

Ils avaient déjà compris.

Et c’est justement pour ça qu’on a tous gardé nos postes. Parce qu’on n’avait pas besoin d’être des héros. Juste… pas des imbéciles.


On aurait cru à un film. Les meilleurs agents du projet, ceux qu’on brandissait comme des trophées vivants en début de brief, sont passés un à un au conseil de discipline. Finis les Power Rangers. Finis les applaudissements. Finis les primes indécentes.

Silence radio.

Même leur coach avait disparu du Slack, comme si le serveur l’avait banni de lui-même pour cause de honte.

Ils avaient triché, bien sûr. Cinq rétentions pour le même client. Dupliquer les appels. Ajouter le pack dans le dos du client. Forcer la main à la voix douce, mentir à celle qui hésitait. Mais le plus grand mensonge ? Ce n’était pas à nous qu’ils l’avaient fait.

C’était au système.

Et c’est là que la machine a paniqué.

Ce n’est pas la fraude morale qui dérange un centre d’appel. C’est la fraude visible. Tant que ça passe sous le radar, tout va bien. Mais là, le donneur d’ordre — ce vieux daron parano de "Garantie Privée" — a mis le nez dans la compta. Et ce qu’il a trouvé, c’était pas du chiffre : c’était une arnaque à ciel ouvert. Le genre de truc qui te fait rompre un contrat sans verser d’indemnités.

Et que font les sup quand ils sentent la fin venir ?

Ils paniquent.

Ils changent de ton.

Ceux qui hier disaient "prenez-les en exemple", aujourd’hui murmurent "nous aussi, on avait des doutes".

Ceux qui hier voulaient des guerriers, aujourd’hui cherchent des boucs émissaires.

Mais trop tard. Le ver était dans le fruit.

Et ce fruit, c’était pas les As.

C’était le système. Le système qui pousse à performer toujours plus, sans jamais poser de limites, sans jamais mettre un vrai cadre, sans jamais écouter ceux qui bossent vraiment.

Et c’est là qu’une autre vérité se révèle.

Pas tout de suite. Pas dans l’instant.

Mais toi, lecteur, écoute bien ce qui va suivre, parce que c’est peut-être la chose la plus importante qu’on te dira sur les centres d’appel :

Dans un centre d’appel, la vraie hiérarchie n’est pas dans l’organigramme. La vraie autorité, ce ne sont pas les chefs de projet, ni les superviseurs. La vraie structure, c’est l’équipe officieuse des anciens. Les discrets. Les solides. Les silencieux. Les gens fatigués mais lucides. Ceux qui voient tout, qui comprennent vite, mais qui parlent peu. Et quand eux se mettent à parler... c’est que le projet est déjà en train de mourir.

Ce jour-là, nous, les anciens, on a compris que ce projet était foutu. Pas parce qu’on avait triché. Mais parce que ceux qu’on nous forçait à imiter n’avaient jamais été des collègues. C’étaient des appâts. Et le piège, c’était nous.

Mais la suite…

La suite, c’est une autre histoire.

Celle d’une grande vérité encore plus sale.

Celle qu’on garde pour plus tard.

Parce que tout ne se dit pas en un seul chapitre.


Après cette mésaventure, j’ai compris une chose : que faut-il pour avoir une bonne prime ? Trimer comme un Ben-Hur enchaîné à sa galère ? Se battre comme un Spartacus lâché dans l’arène, à mains nues contre des lions ? Ou faut-il, comme la team Gold, tricher pour enfin recevoir ce qu’on mérite ?

C’est là que le diable perché sur ton épaule commence à te murmurer que tu devrais le faire. Parce qu’au fond, c’est peut-être la seule option. Un centre d’appel, c’est comme un casino : tant que tu joues selon les règles, c’est toujours la maison qui gagne. Pour espérer t’en sortir, il faut tricher — soit aux cartes, soit à la machine. Alors, est-ce que la team Gold était vraiment composée des méchants ? Ou ont-ils simplement osé ce que nous, les anciens, avons refusé de faire ? Eux, ils avaient compris qu’on ne leur offrirait jamais cette prime. Ils ont décidé d’arnaquer le système avant qu’il ne les écrase.

Mais dans leur audace, ils ont commis une faute. Une faute grave. Une faute qu’on espère rédemptrice. Parce qu’on apprend à résister à l’envie de tricher comme on apprend à ne pas insulter un client : on peut déraper à tout moment, mais on doit savoir revenir sur le droit chemin.

Comme le dit Rocky à son fils : « Tu ne frapperas jamais aussi fort que la vie. Mais ce qui compte, c’est de savoir encaisser, encaisser encore, et toujours te relever. »

C’est comme ça qu’on gagne. Dignement. La tête haute.

ils ont gagné des primes, mais ils ont perdu leurs emplois, nous avons gardés nos emplois mais n'avons jamais gagné ces primes, et c'est là toute la différence. 

Laisser un commentaire ?