Chroniques désespérées d’un casque-micro

Chapitre 19 : Garantie Privée : Immunité Diplomatique

706 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 27 jours

Il y avait quelque chose dans l’air ce jour-là. Un mélange d’exaspération, de fatigue nerveuse… et ce cynisme tranquille qu’on développe à force d’encaisser.

Encore une journée chez IPM, sur la campagne Garantie Privée, cette arnaque en costard-cravate vendue avec des PC à la FNAC.

Depuis des mois, les appels se ressemblaient :

Clients furieux, assurés sans le savoir, débités en douce.

Pourquoi ? Parce que des vendeurs — qu’on surnommait les bouffeurs de nouilles sans sauce — profitaient de l’instant magique où un client sortait sa carte bleue pour ajouter discrètement une assurance à son panier.

Pas d’accord signé. Pas d’explication.

Juste une charge mensuelle en douce, comme un coup de poignard fiscal.

Et quand ces clients découvraient la supercherie, qui devait gérer la fureur, les insultes, les menaces de procès et les soupirs exaspérés ?

Nous.

Avec nos scripts, nos souris qui buguaient, nos tickets à remplir, et nos managers qui nous demandaient de “sourire avec la voix”.

Mais le pire, c’est que certains vendeurs allaient plus loin :

Ils prévenaient les clients de comment résilier dans le mois, leur avouaient que c’était “de la daube”, leur donnaient nos numéros comme on file l’adresse d’une casse.

Et malgré tout ça, l’entreprise nous répondait :

“Restez focus. Donnez le mail de résiliation. Rédigez la lettre. Suivez le process.”

On signalait, on alertait. Rien.

Le point rouge restait rouge.

Le Titanic avançait, musette pleine, droit vers l’iceberg.

Et puis, un jour, le Client Donneur d’Ordre est arrivé.

On aurait dit un croisement entre un contrôleur de gestion frustré et un touriste en safari d’entreprise.

Il venait “voir ce qui clochait”.

Mais on l’a vite compris : ce qui l'intéressait vraiment, c'était les fesses généreuses de la N2, pas la vérité.

Quand il nous a demandé ce qui n’allait pas, j’ai pris la parole, comme un soldat désigné par le hasard.

Je lui ai dit les choses :

“Monsieur, ce sont les vendeurs. Ils souscrivent dans le dos des clients. Certains leur conseillent même de nous appeler pour résilier…”

Et là, il m’a coupé net.

Un sourire crispé. Une voix qui voulait faire autorité.

“Tout, sauf les vendeurs.”

Un blanc.

Le genre de silence lourd, humide, qui fait transpirer même les plus calmes.

Et puis, le T1000 a parlé.

Calme. Sûr. Glacial.

“Navré, monsieur. C’est le vendeur le problème. Et si tout va bien pour vous malgré cela, malgré la chute des résultats, alors tout va bien tout court. Le problème n’est pas le vendeur ? Ok. Tout va bien. Mais ne nous demandez pas ce qui ne va pas à l’avenir. Car tout va bien.”

Clac.

Cette phrase.

Un sabre lent, froid et sans appel.

Ni colère, ni émotion. Juste un constat, offert sur un plateau d’ironie brûlante.

Un adieu à l’hypocrisie.

Le Client Donneur d’Ordre a tourné les talons, la mine fermée, incapable de répondre.

Et nous, on savait.

On savait qu’on venait de vivre un moment rare :

Un agent qui refusait de mentir, même enrobé de courbettes.

Un T1000 qui, dans une entreprise de théâtre, avait choisi de garder son humanité.

Depuis ce jour, la phrase du T1000 résonne parfois dans ma tête.

Pas comme une plainte. Pas comme un cri.

Mais comme un repère. Une borne.

Le moment où quelqu’un a osé dire la vérité, sans trembler, dans un monde qui nous demandait sans cesse de mentir avec le sourire.

Je pense à lui parfois, quand je croise ces gens qui maquillent les chiffres, qui étouffent les alertes, qui évitent les vrais problèmes.

Je me dis alors que, même dans le vacarme des scripts et des tickets à clôturer, il y a eu un instant de vérité.

Un instant où quelqu’un a dit :

"Alors tout va bien. Car vous refusez de voir ce qui va mal."

Et parfois, il suffit de ça.

D’un seul qui reste droit pendant que tout se tord.

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