Chroniques désespérées d’un casque-micro

Chapitre 17 : Les Défis de l'Impossible

800 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 27 jours

Les défis au centre d'appel, c'est un peu comme une blague que l'on répète tellement souvent qu'on finit par oublier que ce n'est même plus drôle. Chaque matin, on arrive avec l'espoir de passer une journée tranquille, de régler quelques problèmes simples, de faire un travail digne de ce nom. Et puis, tout à coup, on est frappé par l’annonce du défi du jour, qui, à chaque fois, pousse les limites de l'absurde un peu plus loin.

Le Défi du « C’est Pas Possible » :

Chaque semaine, une nouvelle mission quasi-impossible est annoncée. On commence avec des objectifs réalistes, du genre "Réaliser 50 appels en une journée". Et là, d’un coup, un défi surgit comme une étoile filante : "Réduire le temps d’appel moyen de 30 secondes" ou "Faire signer 75% des contrats dans les 15 premières minutes". Cela ne fait pas sens, bien sûr. Qui dans un centre d'appel peut convaincre quelqu’un de signer un contrat en moins de 15 minutes, quand la personne est déjà en train de se demander si elle peut annuler son assurance dans les deux minutes qui suivent ?

On peut imaginer le regard déconcerté des agents. Le défi devient un code non écrit : il faut faire semblant que tout va bien. Si vous vous demandez pourquoi, la réponse est simple : on ne vous demande pas de résoudre un problème. On vous demande d’en imaginer un. Peu importe que ce soit réaliste ou pas.

La récompense : une boîte de Ferrero Rocher...

Oh, la cerise sur le gâteau. Ou plutôt, la boîte de Ferrero Rocher. Voilà ce que l'on gagne après avoir « relevé » le défi du mois. Des semaines à courir après des objectifs impossibles, à jouer à cache-cache avec des fichiers qui ne s'ouvrent jamais, à tenter de convaincre des gens qui ne veulent rien savoir, et pour finir, on reçoit... une petite boîte de chocolats. Bien sûr, on pourrait se dire que c’est un geste symbolique, un petit "merci" pour les efforts fournis. Mais non, c'est le prix. Pas une augmentation, pas un week-end payé, mais des chocolats. Vous avez l’impression d’avoir remporté la médaille d’or, mais en réalité, c’est juste un petit réconfort pour vous faire oublier que vous avez sacrifié votre santé mentale et vos relations sociales pour un objectif qui n’avait aucune chance d’être atteint.

Les super-héros invisibles :

Mais attendez, l’absurdité ne s’arrête pas là. Une fois que vous avez réussi à remplir l'objectif du défi, vous devenez presque un héros local, même si vous avez eu la chance de parler à des clients qui n’étaient pas en train de vous hurluler dessus. Et là, sous l’éclat du défi réussi, une question subsiste : mais pourquoi diable cette société a-t-elle encore besoin de défis aussi absurdes ? La réponse, bien sûr, est qu’il ne s’agit pas vraiment de vous évaluer en tant que professionnel. Il s’agit de faire briller les KPI (indicateurs de performance) comme des trophées, tout en faisant croire aux managers qu’ils sont sur la bonne voie. Après tout, qu’est-ce que 5% d’augmentation de la productivité sur une équipe qui se déchire sous la pression ?

L’illusion de la progression :

Au fil des mois, vous finissez par comprendre un truc. Le défi n’est pas fait pour vous faire progresser. Il est là pour faire croire à la direction qu’ils vous offrent un cadre motivant, que vous avez une chance d’évoluer, que vous pouvez améliorer votre performance. En réalité, chaque défi est une excuse pour vous mettre une pression supplémentaire et maintenir l'illusion que l’on travaille dans un environnement compétitif et stimulant. En fait, vous finissez par vous demander si vous êtes dans un centre d'appel ou dans une salle de jeux vidéo géante où les missions sont fixées par un algorithme complètement déconnecté de la réalité.

Les conséquences du défi…

Alors que les managers applaudissent les efforts acharnés de ceux qui réussissent à atteindre ces objectifs irréalistes, le reste de l’équipe, épuisé et démoralisé, commence à se désengager. Au lieu d’une ambiance positive où l’on se pousse mutuellement vers le succès, on entre dans un cercle vicieux où les « gagnants » sont ceux qui arrivent à faire semblant de tenir le coup. On vous félicite pour votre performance, mais en réalité, tout ce que vous gagnez, c'est une boîte de Ferrero Rocher et une migraine lancinante.

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