Chroniques désespérées d’un casque-micro
Tu veux de l’humain, mais tu veux aussi du chiffre.
Tu veux qu’on dise "bonjour monsieur" avec le ton d’un serveur 3 étoiles, mais que ça ne dure pas plus de 12 secondes.
Tu veux de l’écoute active… sauf quand elle bouffe du temps de traitement.
Bienvenue dans la tête d’un superviseur de centre d’appel :
un être écartelé entre le discours corporate du bien-être salarié, et la tyrannie statistique du donneur d’ordre.
Dans cette jungle d’open-space et de badge magnétique,
le manager typique ressemble à une sorte de prêtre stressé, coincé entre deux évangiles contradictoires :
- Évangile 1 : "Le client est roi, soyez aimables et à l’écoute."
- Évangile 2 : "Vous êtes à 4 secondes de trop sur l’AHT. Si ça continue, on coupe votre prime."
Le mec veut des conseillers humains, mais il les évalue comme des lignes de production.
Il parle de "cohésion d’équipe", mais il envoie des mails à 22h pour rappeler que le taux de décroché est "en alerte rouge".
Il organise un petit-déjeuner avec croissants industriels, puis enchaîne sur une remontée de bretelles collective parce que le client Bouygues est "pas content du NPS".
Mais le summum du comique, c’est quand le manager tente le coaching.
Ah, le coaching… cette parodie de développement personnel adaptée à l’usine à écouteurs.
Tu sais, cette scène surréaliste où il s’assied à côté de toi, casque sur les oreilles, et t’écoute gérer un client furibard comme si c’était une performance de théâtre :
— "Tu vois, là, tu dis ‘je comprends votre frustration’, mais il manque un sourire dans ta voix."Et toi t’as envie de lui hurler :
« Frérot, je viens de me faire traiter de rat de service par un type qui s’est fait arnaquer sur un grille-pain, et toi tu veux un sourire ?! »Ces chefs schizophrènes ne sont pas des monstres.
Ils sont simplement les VRP du non-sens, piégés entre la logique humaine de la relation client…
et la logique inhumaine d’un fichier Excel.
Leur mission : te faire croire qu’on peut faire du social avec des chiffres,
que l’écoute peut se mesurer,
et que le respect du client passe par l’effacement de ta propre dignité.
Et le plus triste ?
Parfois, ils y croient vraiment.