Chroniques désespérées d’un casque-micro

Chapitre 11 : Les Formateurs improvisés

610 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 27 jours

Dans le monde fabuleux des centres d’appels, il existe une espèce rare, précieuse, presque mythologique : le formateur.

Mais attention, pas le formateur certifié, diplômé, pédagogue.

Non.

Chez Webhelp, le formateur, c’est souvent… le collègue qui a tenu 6 mois sans craquer.

Un vétéran du stress chronique, repéré pour sa capacité à :

  • Lire les scripts sans bafouiller.
  • Ne pas pleurer devant les KPI.
  • Boire 4 cafés sans convulser.

Et donc, un matin, sans prévenir, un manager débarque et annonce :

“Bravo Sofiane ! À partir d’aujourd’hui, tu formes les nouveaux.” “Hein ? Mais j’ai jamais formé personne…” “T’inquiète, t’es bon. Tu leur expliques comme tu fais, voilà.”

Et le voilà, Sofiane, bombardé formateur de fortune, sans formation, sans augmentation, sans support.

Il doit expliquer un projet bancal, un logiciel buggué, et un script kafkaïen… à 12 recrues à moitié réveillées qui le regardent comme Moïse descendant du Sinaï.

Le hic ?

Sofiane, lui-même, ne comprend pas pourquoi on lui demande de cliquer sur F7 pour annuler un abonnement, puis F12 pour valider, puis Alt+Tab+Entrée pour envoyer une insulte indirecte au client.

Alors il improvise, il sourit, il dit :

“Bon, moi j’fais comme ça… mais après faut voir avec le chef de plateau…”

Et pendant ce temps-là, le vrai formateur – celui qu’on ne voit jamais – passe… en salle détente, sirote un café, et prépare un PowerPoint sur le “mindset positif en entreprise”.


Le nôtre, de formateur, ce n’était pas un Sofiane gentil et débrouillard.

Non.

Nous, on avait le chouchou de la N+2.

Une sorte de mini-tyran sous caféine, coincé entre une ambition malade et une diction de GPS détraqué.

Tu sais, le genre de type qui a retenu qu’une seule règle dans sa vie :

“Le conseiller client a toujours tort. Le client donneur d’ordre, lui, est Dieu le Père en cravate.”

Il n’expliquait pas, il déclamait. Avec un ton sec, robotique, comme s’il récitaient les dix commandements d’un Dieu capricieux du Call Center.

Et encore, les dix commandements, eux, avaient du sens.

Lui ? C’était une avalanche de :

  • “Si le client insulte ta mère, c’est normal, tu comprends, il est stressé.”
  • “Faut rester professionnel, même si on te dit que t’es une erreur de la nature.”
  • “Tu t’excuses. Toujours. Même si le livreur a roulé sur son chien.”

Et surtout cette perle, dite les yeux dans les yeux :

“Le client n’a pas besoin d’avoir raison, il est la raison.”

Un moment de pure soumission vocale qui aurait mérité une standing ovation… dans un camp d'entraînement à la servilité.

Mais il ne s’arrêtait pas là. Oh non.

Il jouait au client donneur d’ordre. Littéralement.

Il prenait une voix plus grave, tapait du poing sur la table, lançait des :

“JE SUIS BOUYGUES MOI MONSIEUR ! Vous ne me parlez pas sur ce ton !”

Un jour, un collègue a osé lui dire :

“Tu veux pas jouer à être nous, pour voir ce que ça fait ?”

Silence.

Il n’a pas compris.

Parce que ce genre de personnage ne comprend pas ce qu’il fait subir.

Il pense qu’il est “professionnel”.

Qu’il incarne la qualité, alors qu’il respire la peur.

En vrai, il faisait partie de ces créatures créées dans les bureaux RH pour discipliner les foules, pas pour les former.

Un pisse-froid de compétition, avec le cœur d’un tableur Excel et l’humanité d’un ticket de caisse.

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