Chroniques désespérées d’un casque-micro

Chapitre 12 : Le Bouclier de la N+2

319 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 28 jours

Car voilà. Dans un monde normal, ce genre de formateur aurait été écarté, envoyé en “auto-coaching”, ou recyclé en mobilier de salle de pause.

Mais pas chez nous.

Non. Lui, il avait un totem. Une immunité. Un passe-droit de niveau divin.

Son secret ?

Il était le chouchou d’elle.

La N+2.

La dame des hauteurs.

Celle qui flottait au-dessus des open-spaces sans jamais y poser le pied.

On disait qu’elle avait été une “ancienne”, qu’elle avait connu le temps des fiches papier et du téléphone à fil.

Mais maintenant, elle était reine de l’abstrait, grande prêtresse des “retours d’expérience”, oracle des “revues de performance”.

Et lui, notre formateur, c’était son projet personnel.

“Il a un bon fond”, disait-elle. “Il est brut… mais loyal.” “Il suit les consignes.” “Et surtout, il ne fait pas de vagues.”

Alors même quand il débitait des absurdités plus absurdes que les scripts du projet Bouygues, elle le couvrait.

Mieux : elle l’invitait en réunion stratégique, le laissait animer des PowerPoints pendant 30 minutes sans interruption.

On aurait dit un gourou PowerPoint, possédé par les KPI.

Et nous, simples mortels, devions l’écouter répéter les phrases suivantes :

  • “Le client n’achète pas un service, il achète une expérience.”
  • “Un conseiller ne fait pas du relationnel, il fait du ressenti calibré.”
  • “On ne vend pas du journal, on vend de l’instant client. Le reste, c’est du bruit.”

Et personne ne rigolait.

Parce qu’on avait tous compris :

Ce gars-là pouvait survivre à un tremblement de terre RH.

Il pouvait former des conseillers à l’envers, insulter la logique, gifler la sémantique…

Tant que la N+2 lui disait “bravo”, il était intouchable.

Et pendant ce temps-là…

Le projet IPM s’effondrait.

Les anciens partaient, les nouveaux fuyaient.

Et lui ? Il continuait à former.

À former des absents.

À former le vide.

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