Chroniques désespérées d’un casque-micro
Chez Webhelp-Concentrix, un bon salarié, c’est un salarié qui se tait avec le sourire.
Et surtout, un salarié neuf.
Tu sais, le type qui vient de débarquer, qui ne sait pas encore que "KPI" est un mot magique qui t’étrangle à petit feu. Le type qui croit encore que le client donneur d’ordre est une entité raisonnable, et pas un tyran capricieux qui change les règles du jeu tous les deux jours parce qu’il s’ennuie dans son bureau à Dubaï.
Le manager — pardon, le "coach" — t’explique alors, très sérieusement, que les anciens posent problème.
Pas parce qu’ils sont mauvais, oh non. Au contraire.
Ils sont juste trop conscients.
Ils savent que :
- le système est truqué,
- les objectifs sont conçus pour ne pas être atteints,
- les outils plantent quand on a le plus besoin d’eux,
- et que les “nouveaux projets” sont des rebrandings de vieilles humiliations.
Alors forcément, ils “chouinent”.
C’est-à-dire : ils osent ouvrir la bouche autrement que pour respirer ou dire “bienvenue chez XXX, comment puis-je vous aider aujourd’hui ?”
Et là, le chef sort son discours d’exorciste :
“Franchement, je préfère mille fois bosser avec des nouveaux motivés qu’avec des anciens qui me cassent la tête.”Traduction : "j’aime les gens qui ne me contredisent pas, qui obéissent vite et meurent lentement".
Ce qu’il ne dit pas, c’est que le nouveau motivé, dans six mois, c’est un ancien cassé.
Mais entre-temps, on l’aura rincé. Et remplacé. Car le turn-over, ici, ce n’est pas une tragédie. C’est un business model.
“Chouiner”, ce mot qui cache le mépris
Tu t’indignes du traitement ? Tu chouines.
Tu expliques que tu n’as pas le temps de respirer entre deux appels ? Tu chouines.
Tu dis que tu n’en peux plus de jouer au punching-ball pour clients frustrés et managers frustrants ? Tu chouines.
Dans ce lexique interne, revendiquer devient une pathologie.
Et celui qui parle de ses conditions de travail est vu comme un virus :
- dangereux,
- contaminant,
- et surtout… remplaçable.
Mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que ceux qui “chouinent” sont ceux qui ont tenu le plus longtemps.
Ce sont les vétérans d’un champ de bataille invisible, les survivants du grand jeu des KPI mouvants et des primes fantômes.
Alors non, on ne “chouine” pas.
On dénonce. On s’épuise. On constate l’absurde.
Et surtout, on refuse de jouer à l’optimisme forcé avec des chefs qui confondent motivation et soumission.