Chroniques désespérées d’un casque-micro
Dans les coulisses aseptisées de Webhelp-Concentrix, un mot est plus tabou que Voldemort dans Harry Potter : "augmentation".
Tu peux parler de stress, de scripts absurdes, de clients agressifs, de chaises cassées, ou même du distributeur qui vend des madeleines rances — pas de souci. Mais si tu oses prononcer le mot "salaire", tout le monde se crispe comme si tu venais d’invoquer Belzébuth dans la salle de pause.
Et là, le refrain tombe, froid et automatique, comme un script bien appris :
“Tout sauf le salaire.”
Un classique du répertoire managérial, juste après “On comprend votre frustration” et “On prend note pour remonter à la direction” (c’est-à-dire : à la corbeille).
Les primes ? Un mirage fiscal
Tu espères une prime ? Tu crois encore au Père Noël, camarade. Les primes, ce sont des leurres statistiques : affichées dans les offres d’emploi, agitées comme des carottes devant des ânes, elles sont presque impossibles à obtenir. Parce que, surprise ! Les objectifs sont conçus pour être atteignables uniquement par des cyborgs sans vessie, sans émotions, et sans syndicat.
Et si par miracle tu les touches, tu ferais mieux de ne pas t’y habituer. Car à la moindre réclamation — du type “j’ai eu 99% au lieu de 100% de satisfaction client” — on te la sucre. Avec un sourire bienveillant et un "tu feras mieux le mois prochain, hein ?".
Vous avez signé, maintenant taisez-vous
Mais le sommet de la violence patronale, c’est quand tu évoques (en tremblant presque) une possible revalorisation salariale, et qu’on te répond :
“Vous avez signé pour ça.”Traduction : Tu es payé au lance-pierre pour un boulot qui te bouffe la santé mentale, mais tu as dit oui une fois, donc tu es coupable à vie.
C’est la version RH du "tu l’as bien cherché". On t’enferme dans un contrat comme dans un piège à loup, et si tu cries, on te rappelle gentiment que tu n’es pas indispensable. Ce qui est faux, bien sûr. Tu es essentiel à la chaîne, mais interchangeable comme une cartouche d’encre.
Le message est clair :
- Tu veux te plaindre ? Va voir ailleurs.
- Tu veux un salaire digne ? Tu rêves.
- Tu veux de la reconnaissance ? Achète-toi un miroir.
Recruter pour remplacer : sport national
Ah, et ce chantage affectif à peine voilé :
“On peut toujours recruter.” Comme si former un nouvel agent allait miraculeusement régler les vrais problèmes : surcharge, mépris, exploitation.Mais dans ce monde-là, remplacer les humains est plus facile que réparer les chaises. On recrute, on use, on jette. Le turnover n’est pas une conséquence : c’est une stratégie. Moins tu restes longtemps, moins tu prends confiance, moins tu réclames. Et surtout : tu ne demandes jamais d’augmentation.
Conclusion : un salaire enchaîné, une dignité bradée
Chez Webhelp devenu Concentrix, demander une augmentation, c’est comme lancer une révolution en pyjama : tu sais que tu vas perdre, mais tu ne peux plus faire semblant de dormir.
Et à force d’entendre “tout sauf le salaire”, tu finis par comprendre que le plus gros mensonge des centres d’appel, c’est de faire croire que la précarité est normale, méritée, et même temporaire.
Mais la vérité, c’est que cette précarité est fabriquée, organisée, entretenue — pour que personne n’ose relever la tête. Parce qu’un salarié qui demande un vrai salaire, c’est un salarié qui pense. Et un salarié qui pense... ça dérange.