Chroniques désespérées d’un casque-micro

Chapitre 2 : Surveillance

790 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour il y a 30 jours

Ah, la surveillance. Ce doux parfum de liberté qui flotte dans l’air dans un centre d’appel. Loin des grands espaces, des plages ensoleillées et de la nature sauvage, ici, tu as la liberté… de répondre à 300 appels par jour, tout en étant observé en permanence. Tu ne sais pas si tu es dans une salle de pause ou un zoo, mais tout est fait pour te rappeler que tu es un élément mesurable, un petit pion dans un gigantesque tableau Excel.

Les écrans des managers sont branchés sur chaque station de travail. Tu es une webcam vivante, et ils t'observent, te notent, te scrutent comme un acteur qui essaie de sortir d’un mauvais film. Et si tu as le malheur de prendre une pause non autorisée ou de cliquer un peu trop lentement, sache que le superviseur virtuel interviendra comme un personnage sorti d’un mauvais film de science-fiction :

“M. X, vous avez pris 10 secondes de plus que prévu pour rédiger une note. Merci de rectifier cela immédiatement.”

On croirait presque que l’on va te demander un test de QI sur chaque pause café. À ce rythme, tu finis par avoir l’impression que ton espace personnel est une simple illusion, une mince couche de vernis entre ta conscience et un système de surveillance Orwellien où tu n’as jamais eu de pouvoir réel.

Les coachings : bienvenue dans l’usine à robots

Et quand tu crois que ça ne pourrait pas être pire, il y a les coachings. Ces fameuses sessions où on te dit : “On va vous aider à mieux gérer vos appels. On va améliorer votre performance.”

Performance ? Est-ce qu’on parle de l’être humain qui se trouve derrière ces appels, ou du robot que tu deviens à force de suivre des consignes absurdes ? Parce qu’on te parle de performance comme si tes émotions et ta santé mentale étaient des options facultatives dans ce job.

Pendant ces coachings, tu es pris dans un tourbillon de jargon :

  • “Il faut ajuster votre tonalité pour maximiser l’empathie !”
  • “Faites attention au ‘temps de traitement’ — un client content c’est un client qui ne vous occupe pas trop longtemps.”
  • “Soyez plus concis. Plus. Concis.”
  • “Votre voix doit avoir l’intonation d’un confident, mais sans paraître trop amical, ni trop distant. Vous êtes un robot, mais un robot qui s'intéresse.”

Et si tu réussis à sortir de cette séance sans te remettre en question, félicitations. Mais, au fond, tu sais que tu n’es plus qu’une version optimisée de toi-même, écrasée sous la pression du temps, du volume d’appels, et de ces "petits détails" qui te font perdre ton identité, mais pas ta productivité.

Le burn-out, ou comment sacrifier ton âme pour un job qui te broie

Et au bout de tout ça, quand tu vois le "coaching" comme une remise en question de ta valeur humaine, tu te rends compte que tu ne vas plus au boulot, tu y vas pour être annihilé. Petit à petit, ton énergie, ton humeur, et même ta capacité à être un humain normal se dégradent. Tu deviens la machine que l’on attend de toi.

Le burn-out n’est pas un concept lointain : c’est un ticket pour un voyage en enfer. Et tout ça pour un salaire de misère qui te laisse juste assez d’argent pour rêver d’un weekend où tu pourrais juste… ne rien faire. Mais, bien sûr, tu n’as pas le temps pour ça, tu as encore des appels à honorer.

Conclusion : la machine a gagné

Le centre d’appel n’est pas juste une usine à stress, c’est une machine qui broie les individus pour maximiser le profit, dans une parfaite logique de productivité où l’humain est une variable de plus à ajuster. Là où la hiérarchie te fait croire que tu fais partie d’une grande famille, il te suffit de regarder tes collègues épuisés pour comprendre que la seule famille qui compte, c’est celle de la rentabilité.

La vérité ? Les centres d’appel sont des usines à obéir. Obéir à un script, obéir à des objectifs, obéir à une hiérarchie qui ne connaît rien de la réalité du terrain, et surtout : obéir à l’idée que ton travail n’a de valeur que s’il est mesuré et optimisé.

Mais, comme toujours, une fois que tu es dehors, que tu as respiré un peu d’air frais, tu te rappelles qu'il y a une vie après les scripts et les coachings. Une vie où, espérons-le, tu retrouveras un peu de sens.

Laisser un commentaire ?