Ceux qui m’ont appris à sourire (The Dark Love - Cyk version)

Chapitre 7 : Un garçon qui aime les garçons.

3282 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/11/2023 00:31

Chapitre 7

ooOoo Un garçon qui aime les garçons ooOoo


L’infirmière scolaire examina Théo. Cyril n’évoqua pas ses propres blessures. Il s’était pris un coup de coude dans les côtes quand il avait tenté d’éloigner Eden la première fois, et était tombé sur le coccyx à l’arrivée de la surveillante. Sans doute aurait-il quelques bleus, mais il s’en fichait.

Intérieurement, il fulminait. Il voulait parler à son ami, seul à seul, et la soignante n’en finissait pas avec son protocole et ses questions. Elle avait tiré le rideau séparant sa table d’examen des fauteuils de repos, où Cyk était assis. Les ombres chinoises étaient de piètres qualités, mais il devinait que Théo s’était dévêtu pour qu’elle puisse vérifier son torse.

Il donnait des petits coups de pieds d’impatience dans son sac à dos, au rythme de London Calling. Stoïquement énervé, il arrivait à distinguer la colère qui s’était mélangée à l’autre sentiment – le truc inconnu. S’il croisait Eden dans les heures à venir, il lui fracasserait la tête. Cette fois, il ne resterait pas immobile. Il revoyait en flash les gouttes d’hémoglobine giclant du nez de Théo, et la colère redoublait.

Qu’est-ce qu’il avait besoin de se mêler de ça aussi ?

Il sursauta quand l’infirmière tira le rideau. Il vit Théo assit sur le lit spartiate. Un hématome était en train de se former sur ses zygomatiques. En dehors de ça, il avait l’air d’aller bien.

— Tu peux rester ici jusqu’à ce que tes parents arrivent, si te le souhaite.

— Merci… baragouina Théo avant de tourner les yeux vers Cyril.

Ce long échange de regards silencieux lui rappela la fois où Cyk était intervenu dans les vestiaires, l’air de rien, pour arrêter Eden. Il le cernait un peu mieux, désormais.

— On peut aller sur la terrasse ? demanda Théo à l’infirmière scolaire.

— Si vous voulez.

— Merci.

 

La terrasse en question correspondait au toit de l’école. Seul le corps enseignant y avait accès normalement. Ils s’en servaient comme coin fumeur, et selon la rumeur, pour s’enfiler discrètement de l’alcool pendant la pause déjeuner. Des grilles protégeaient les rebords des murs pour éviter les chutes létales, accidentelles ou volontaires.

— Pourquoi t’es intervenu ? aboya Cyril, la porte en métal à peine refermée derrière eux.

— Tu défends tes amis, je fais pareil.

— Je n’ai pas besoin qu’on me défende, fallait me laisser gérer tout seul, rétorqua Cyk, plus orgueilleux qu’à l’ordinaire.

— Je ne t’ai jamais demandé ton aide non plus, pourtant tu as arrêté Eden et d’autres une paire de fois. Tu ne peux pas me reprocher de t’avoir rendu la pareille.

Cyril passa ses mains dans ses cheveux, il en avait marre de ce collège et des abrutis qui le peuplaient. Il ne voulait pas être redevable envers qui que ce soit. Il aidait les autres spontanément, parce que ça lui semblait plus juste ainsi, mais il ne souhaitait pas qu’on l’aide en retour. En outre, il ne supportait pas l’idée d’être responsable des boursoufflures sur le visage de Théo. Il estimait que c’était de sa faute, entièrement sa faute.

Théo poussa un long soupir las, avant de s’asseoir sur une bouche d’aération. Il faisait la gueule depuis qu’ils avaient quitté la cour de récréation – normal, songeait Cyk. Alors qu’il fixait le parapet d’un air absent, un petit sourire tristounet refit lentement surface.

— Je sais pourquoi Alexandre ne veut pas que je traine avec vous… Il a raison, tu sais ? J’ai pas envie qu’on t’insulte de… de pédé ou je n’sais pas quoi, parce que tu es ami avec moi.

Cyk haussa les épaules avec fatalisme, puis se laissa choir à ses côtés.

— En quoi c’est grave ? T’as pas l’air de trop mal le vivre, toi.

— Cyril, j’aime les garçons. Je suis pédé, même si le mot n’est pas très joli et qu’il faudrait le dégager du dictionnaire… fit Théo d’une voix attendrie par la candeur de son camarade. Peu importe ce que disent ou pensent tous ces connards homophobes, je ne peux pas nier ce que je suis. Mais toi, tu n’as pas besoin d’une mauvaise pub.

Une mauvaise pub ?

Cyril repensa à ce que lui disait Alex, sur le fait qu’il n’avait pas envie que les filles pensent qu’il était gay. Cyril se fichait royalement de ce que les filles pensaient de lui, surtout qu’elles avaient déjà peur de lui depuis des années et l’appelaient Chewbacca derrière son dos. Il n’avait plus rien à perdre de ce côté-là. Il se fichait aussi de ce que les garçons pensaient de lui, ou du moins la plupart des garçons. L’opinion d’Alexandre lui importait, l’opinion des membres du club de musique lui importait, l’opinion de son père lui importait, l’opinion de Théo lui importait.

Cyril planta son regard ténébreux dans celui de Théo, beaucoup plus clair, incisif comme des aiguilles de pin. Il trouvait son corps immonde, gras et difforme. Il savait qu’il terminerait aussi pelu que tous les hommes de sa lignée, avec des poils bruns drus sur tout le corps. Il admirait l’esthétique du corps de Théo, girond et svelte, un peu dégingandé à cause de sa croissance en cours, tellement plus fin que le sien… La délicatesse et la grâce d’une fille dans un beau corps masculin aux lignes directes et nettes. Sur le plan scolaire, Cyril aimait la géométrie et la chimie, il avait bien été obligé de se rendre à l’évidence : il aimait les formes mâles, et il n’avait d’atomes crochus qu’avec les garçons.

— Ce n’est pas une mauvaise pub…

Théo n’était pas sûr d’avoir bien entendu, encore moins d’avoir bien compris le sens de cette réplique.

Cyril se mit à trembler comme une feuille sous la tempête. Il ne savait pas comment expliquer à Théo ce que lui-même venait tout juste de réaliser. Il ne savait pas non plus s’il était prudent de faire cette révélation. Il était terrifié, mais prit son courage à deux mains en saisissant celle de Théo. Ce geste se voulait courtois, affectueux, délicat… Dans les faits, il était en train de lui broyer les phalanges.

Le jeune androgyne porta son attention sur ses doigts prisonniers. Les deux premières secondes, il n’eut pas l’air de saisir ce qui était en train de se produire. Il agença toutes les pièces du puzzle et son culot légendaire s’évapora. Théo était méconnaissable en cet instant, intimidé, dévoré par la nervosité et l’incertitude. Il peinait à retenir le regard de Cyril. Ses pupilles jouaient les ascenseurs, partagées entre son désir de le contempler et son trouble envahissant.

Cyril aurait aimé que Théo prenne le relai et décide de la suite, lui qui était toujours si extraverti, si audacieux. Il se dit que, peut-être, probablement, sans doute, Théo partageait le même émoi qui le tétanisait, leur cœur à l’unisson au bord de l’implosion.

Il savait qu’il ne pouvait pas rester bloqué indécis indéfiniment, il fallait poursuivre l’échange. Les mots n’étaient plus nécessaires, ils communiquaient avec les gestes désormais. Fuir n’était pas une option raisonnable. Main dans la main, yeux dans les yeux, la prochaine étape, ils la connaissaient tous les deux. Ils avaient vu des films et des séries, comme tous les ados de leur âge. Ils avaient vu leurs ainés, il fallait juste se décider… et passer le cap.

— Tu veux m’embrasser ? demanda finalement Théo, retrouvant une infime fraction de hardiesse.

Cyril hocha discrètement la tête dans l’affirmative.

Il essaya de prendre une profonde inspiration, et n’y parvint pas. Son souffle coupé ne le découragea pas pour autant. Il approcha le buste et tenta d’embrasser Théo. Trop perturbé par la soudaineté de la chose, il colla maladroitement ses lèvres sur son philtrum. Son baiser loupé chatouilla Théo qui remua un peu la tête. Sous l’effet de ce mouvement saccadé, leurs bouches glissèrent finalement l’une vers l’autre. La sensation était terriblement moelleuse et frémissante, sèche aussi, ils n’avaient pas humecté leurs lippes. Cyk était encore bloqué, il ne voulait pas reculer, mais il ne savait pas quoi faire d’autre que de rester accroché au museau si attractif de Théo.

Au bout d’un moment, il sentit que quelque chose léchouillait son arc de cupidon. Il finit par comprendre que cette mystérieuse créature explorant sa chair était la pointe de la langue de Théo cherchant à pénétrer dans sa cavité buccale. Il desserra les dents pour accueillir cette curieuse exploratrice.

Caresser des lèvres avec les siennes était agréable, une sensation tendre, titillant les nerfs de manière douce et satinée, mais l’association de deux langues faisait appel à de toutes autres perceptions. C’était gluant et répugnant, mais en même temps électrisant, excitant… Pour la toute première fois de sa vie, son corps réagit dans une tension consciemment sexuelle et cohérente avec son environnement.

Malgré toute l’exaltation amoureuse qui se dégageait de ce baiser pionnier, leur maladresse mutuelle ne leur échappait guère. Un filet de bave coulait de la commissure des lèvres de Cyk et commença à lui démanger le menton. Il ne pensa même pas à l’essuyer, trop absorbé par son désir pubère envahissant. Il préféra bouger la tête pour que cesse cet écoulement mal venu, mais en déplaçant son visage, sa pommette protubérante appuya par inadvertance sous l’œil au beurre noir de Théo. Le garçon s’extirpa soudainement du baiser.

— Aïe ! J’ai mal…

— Pardon !

Cyril fut brusquement rappelé à la réalité par un début de panique : il avait fait mal à son ami. Il fixait la joue bleuie de Théo avec une profonde affliction, totalement contradictoire avec ses idées fleurs bleues, il avait encore envie de l’embrasser.

Comme s’il avait deviné son conflit intérieur, Théo se remit à sourire, ses joues empourprées par le bonheur simple d’avoir échangé son premier baiser. Cyril aurait voulu dire quelque chose, mais son smartphone vibra bruyamment dans sa poche. Il était tellement proche de Théo, que le blondinet ressentit chaque micro-secousse de l’appareil. Cyk libéra la main de Théo, et extirpa maladroitement le téléphone de sa poche. Ce nouvel interlude chassa son engouement romantique pour le plonger dans une gêne confuse, quand il réalisa ce qu’il venait de faire.

— C’est… C’est mon père, je dois y aller. Euh…                                                         

— Je ne viendrai pas au collège demain.

— Ah ? Pourquoi ?

Question con, tu ne veux pas que les autres voient tes blessures.

— Tu viendras me voir ? Pour m’apporter mes livres ? glapit Théo.

— Euh… Oui. Oui, si tu veux.

Cyril se leva précipitamment. Il trépigna quelques secondes devant Théo, se demandant de quelle manière il pouvait lui dire au revoir. L’embrasser à nouveau ? Il n’osa pas, mais ses joues carmin trahissaient sa pensée.

— Euh… À … À demain.


oOo


Comme il l’avait annoncé, Théo ne vint pas en cours. Eden non plus n’était pas là. La rumeur courait qu’il avait été exclu pour une durée indéterminée. Cyril avait reçu un texto peu avant l’heure du premier cours. Il contenait l’adresse de Théo et rien d’autre, ce fut bien assez pour le perturber.

— Il s’est passé quoi hier ? demanda vivement Alex, dévoré par la curiosité, sans prendre la peine de dire bonjour.

— Rien !

Niveau grondement mal-aimable, Cyril avait dépassé le stade du tigre enragé. Le buste d’Alex y réagit dans un demi-sursaut.

— Ah bon ? Les autres disent que tu t’es battu avec Eden et que Théo a fini à l’hosto.

— Quoi ? Non. Eden a frappé Théo. J’ai juste essayé de l’arrêter. Théo est chez lui.

— Ce type est un malade. Avec un peu de chance, ils vont le virer définitivement.

— Ouais. J’sais pas.

Cyril se renfrogna aussitôt. La seule chose qui le préoccupait, c’était qu’il allait rejoindre Théo chez lui. Il l’avait embrassé. Il avait embrassé Théo. Il y avait pensé toute la nuit… Il avait embrassé quelqu’un. Il avait embrassé un garçon. Il avait embrassé un garçon qui l’attirait. Attiré par un garçon. Un garçon qui aime les garçons…

Alex lui parlait. Il lui racontait un truc dont il n’écoutait rien. Il avait l’impression de l’entendre à nouveau balancer : « Pourquoi, tu préfères les garçons ? » Cyril se tassa sur son siège.

En fait, ouais. Visiblement, je préfère les garçons…

 

Il ne vit pas la journée s’écouler, aussi rapide qu’interminable. Il avait prévenu son père qu’il devait faire un détour pour apporter des documents à un copain avant de rentrer. Le quartier de Théo était voisin du sien, et encore plus chic. Cyk resta figé devant le pavillon des Rivoli. Toute la rue se composait de maisons individuelles avec cours et jardins, des biens rares et très chers dans leur métropole. Cyril savait que sa famille était plutôt aisée, sans vraiment savoir s’il s’agissait comme ses parents de membres de la classe moyenne supérieure ou s’ils étaient clairement nantis. Il avait un début de réponse sous les yeux.

Putain, ils font quoi ses parents ?

Son étonnement eut le mérite de lui faire oublier un bref moment qu’il allait bientôt avoir la discussion la plus intime de toute sa jeune vie.

D’une main hésitante, il appuya sur la sonnette. Il croisait les doigts pour ne pas se retrouver face à un des parents de Théo, et ce fut en effet le garçon qui lui ouvrit la porte. Ce ne fut guère préférable, son cœur opéra un triple salto. En vingt-quatre heures, Cyril avait presque oublié à quel point Théo était mignon. Les dégâts sur son visage étaient moindres que prévus. Ses joues avaient désenflées, seule restait une barre cramoisie oblongue piquetée de bleu sous ses yeux, chevauchant l’arête de son nez. Il ne s’attendait pas non plus à ce que sa prise de conscience lui fasse un tel effet. À force de refouler ses sentiments, le tout venait lui exploser à la figure, comme le poing d’Eden dans celle de Théo.

— Je... Je t’ai apporté tes livres, baragouina Cyril.

— Merci. Tu veux bien qu’on aille se promener ? Il y a un square derrière la maison.

Cyk hocha positivement la tête en mordillant sa lèvre inférieure de nervosité. Théo posa ses livres sur un buffet près de l’entrée et attrapa sa veste dans un geste malhabile. Il l’enfila tout aussi maladroitement et s’immobilisa un instant sur le seuil de la porte en attendant que Cyril se décale du paillasson, il bloquait le passage. Le grand brun mit quelques secondes avant de comprendre ce qu’il devait faire et il se précipita hors du perron, en tournant sur lui-même, son orientation corporelle aussi perturbée que son esprit.

Les poings fermement serrés enfoncés dans ses poches Cyk, accompagna Théo au parc de son quartier. Aucun d’eux ne parla sur le chemin. Il y avait surtout des enfants autour de l’aire de jeux, les autres coins étaient calmes et ombragés. Cyril et Théo s’assirent l’un à côté de l’autre sur un banc. Pendant d’interminables secondes qui s’écoulèrent presque en minutes, ils continuèrent de se murer dans le silence, évitant soigneusement de se regarder. Cyk se concentrait sur la terre battue parsemée de brins d’herbes rachitiques devant ses chaussures, et Théo fixait un point invisible devant eux, approximativement entre la roseraie et un vieux hêtre.

— On fait quoi maintenant ? finit par demander Théo.

— On fait quoi pour quoi ?

— De manière générale. Genre on sort ensemble ? T’es mon petit ami, ou ça se passe comment ?

— Tu veux que je sois ton petit ami ? marmonna Cyril, aussi sceptique qu’embarrassé.

— Je ne savais même pas que tu étais gay, Cyk !

L’intonation de Théo traduisait sa confusion.

— En fait, je pensais que j’étais le seul de tout le bahut...

Les deux garçons s’interrompirent un instant. Comme la veille, Cyk unit sa main à celle de son ami, ou plutôt de son petit-ami, et la serra fort. Après un long moment d’hésitation, Théo glissa sur le banc pour se rapprocher de Cyk, puis posa sa tête sur son épaule.

— Tu veux vraiment sortir avec moi ? redemanda Cyril.

— Oui, je veux avoir un petit-ami. Je veux voir comment ça fait.

— Je... Je ne veux pas que les autres le sachent. Je ne suis pas prêt…

— Mauvaise pub... soupira Théo, avant de proposer : on pourrait se voir après les cours, comme aujourd’hui.

Cyril souffla un "oui" à peine audible et n’ajouta rien d’autre, honteux de sa propre lâcheté.

Je devrais lui dire je t’aime, non ? Ou bien c’est trop tôt ?

Il avait trop mal à la gorge pour parler, de toute façon. Il se contenta donc de blottir sa joue contre la chevelure blonde de Théo. L’un comme l’autre aimaient la tendresse innocente de ce câlin rempli d’appréhension. Cyril observait les alentours en animal aux abois. Est-ce que leur affection pudique attirait les regards ? Le parc était presque désert, on les ignorait royalement. Dans cette sensation d’être seuls au monde, Théo finit par trouver le courage de chercher les lèvres de Cyril pour un deuxième baiser.

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