Ceux qui m’ont appris à sourire (The Dark Love - Cyk version)

Chapitre 6 : Instinct primate

2984 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/11/2023 12:33

Chapitre 6

ooOoo Instinct primate ooOoo


À leur entrée en quatrième, Cyril, Théo et Alexandre étaient toujours dans la même classe, et leur rythme de vie fut maintenu. En deux mois, Cyk avait pris quatre centimètres, alors qu’Alex restait désespérément petit. En dehors d’Anju et d’une seconde fillette chétive, n’ayant pas encore entamée sa puberté, toutes les autres filles de la classe étaient désormais plus grandes que lui. Ses complexes se renforçaient devant cet affront aux statistiques. Cyril le sentait. Il aurait voulu l’aider à les dépasser, l’aider à se sentir mieux dans sa peau, mais il ne parvenait déjà pas à exorciser ses propres démons, comment aurait-il pu aider son ami ?

Tous les matins, devant le miroir de sa salle de bain, Cyril fixait son menton en se demandant s’il devait ou non commencer à le raser. Son duvet facial noircissait et s’épaississait un peu plus chaque semaine, il en allait de même pour ses bras et ses jambes. Son torse était épargné, mais pour combien de temps encore ? Sous son caleçon, il avait bien remarqué que son aine ressemblait de plus en plus à une forêt noire, devant comme derrière, et la toundra remontait jusqu’au nombril. Il se trouvait moche. Moche et poilu. La plupart de ses camarades évitaient de l’appeler Chewbacca devant lui, de peur de se prendre une mandale par ses mains immenses, seuls Théo et Alex lui avaient fait remarquer qu’il grommelait au lieu de parler, renforçant sa ressemblance avec le chasseur de primes wookiee.

 

Une chose, cependant, différenciait les deux copains mal dans leur peau. Un peu dépassé par les évènements de leur âge, Cyril évitait autant que faire se peut de se questionner sur l’amour, les attirances et les choses intimes. Il trouvait ces pensées sales, et surtout, il était convaincu de ne jamais pouvoir plaire à qui que ce soit. Alexandre, en revanche, guidé par ses hormones, ne pouvait s’empêcher de reluquer les filles, et plus simplement Anju, dont le corps tardait à changer, contrairement à certaines élèves aux décolletés mieux fournis.

Cette manie plaçait Cyk dans une situation très inconfortable. Le binôme passait pour un duo de gros pervers, alors que Cyril évitait au maximum de regarder ses camarades du sexe opposé. Il ne voyait aucun intérêt à les regarder, de base, mais il s’efforçait, en plus, de n’avoir pas le moindre contact visuel et de rester discret – difficilement vu sa taille – pensant que cela suffirait à convaincre la gente féminine de sa totale indifférence à leur égard et de son caractère inoffensif.

Hélas, ses actes avaient peu d’importance par rapport à son allure générale, toujours effrayante, et au pouvoir des bruits de couloir, trouvant leur écho dans les corridors infinis d’internet et ses réseaux sociaux, toujours plus nombreux. Alex et Cyk étaient perçus comme un seul être mutant répugnant. Une sorte de créature de Frankenstein : l’esprit vicieux d’Alexandre dans le corps monstrueux et gigantesque de Cyril. Théo avait beau se faire l’avocat de Cyk, sa parole ne valait pas grand-chose par rapport au regard lubrique d’Alex et à l’agitation des autres mâles autour.

 

Niveau discrétion, Cyk aurait pu comparer Alexandre et ses gros sabots au plus subtil des agents secrets par rapport aux autres garçons. Yuri allait jusqu’à dégrafer le soutien-gorge des filles lorsqu’il était assis derrière elles, en cours. Les enseignants préféraient minimiser l’affaire, plutôt que d’affronter des parents hurlant au harcèlement sexuel. Le halshtag « metoo » n’était pas encore passé par là. Les gonadotrophines menaient la danse, et la plèbe collégienne devenait une provocation massive à tout ce que la lutte pour l’égalité des sexes essayait d’instaurer depuis un demi-siècle. L’obsession des filles se portait sur les relations interpersonnelles, en particulier les relations amoureuses, quant aux mecs, ils roulaient des mécaniques, jouant à qui serait le plus viril et le plus audacieux.

Le plus téméraire de tous était Eden. Voir Cyril servir de bouclier à Alexandre et Théo contre ses offensives avait nourri sa rancœur à son encontre. Il ne pouvait pas jouer les caïds à son aise avec ce grand golem inquiétant dans les parages. Remuer sa batte de baseball n’était plus un exutoire suffisant. Dans sa quête futile de preuves de masculinisme, Eden rêvait de lui défoncer la gueule. S’imaginant chasseur de monstre dans un shônen, s’il arrivait à abattre la bête et à exhiber son scalp comme un trophée, il serait le roi de la cours de récré. Eden attendait le moment propice pour passer à l’action. Il fallait trouver le bon angle d’attaque, frapper Cyk là où, non seulement il lui ferait mal, mais surtout là où il obtiendrait le soutien de la majorité des autres élèves. Il avait déjà tenté quelques piques verbales légères, pour voir, mais sa cible avait répliqué avec des grognements roques d’ursidé. Il avait fallu du temps pour qu’Eden prenne confiance et s’enhardisse.

 

La séance de sport consacrée au badminton venait de débuter. Eden toisait avec dégoût Théo en train de courir comme une midinette d’un bout à l’autre du filet. Il ne jouait contre une de ses amies, visiblement encore plus nulle que lui. La gamine réussit pourtant à renvoyer le volant, avec une force phénoménale... sur le terrain d’à côté. Le petit accessoire en plastique bas de gamme à moitié dépouillé atterrit aux pieds de Cyk. Déconcentré, il loupa son revers.

— Désolé... maugréa-t-il à l’intention de son adversaire blasé.

Au lieu de ramasser son propre volant, il prit celui de Théo et fit quelques mètres pour aller lui donner.

Le temps renforçait les mimiques féminines Théo, inspirées par ses amies apprenant peu à peu le jeu de la séduction, à travers les séries teenagers du moment et les tutos de beauté des Youtubeuses, bien que son corps, au contraire, ait initié sa transformation en jeune homme. Son visage, toujours mince, devenait carré, et ses pieds dépassaient d’au moins trois pointures ceux de toutes ses copines.

En saisissant le volant des mains de Cyril, il le remercia avec un sourire radieux et un gloussement d’autodérision pour lui et sa partenaire mal habiles. Une risette à peine visible égaya le visage moribond de Cyril. Eden ne le lâchait pas du regard, macérant dans sa haine. La voix de Yuri l’extirpa de son obsession belliqueuse. Son voisin de filet aussi regardait la scène avec un certain mépris.

— Mais quelle grosse tapette celui-là... Et puis Chewie qui lui obéit comme un toutou. Nan mais franchement, ces mecs n’ont pas de couilles…

Eden haussa un sourcil, perplexe. Il n’y avait jamais songé de lui-même. Alexandre était petit et malingre, sa misère était physique, or il ne risquait pas de traiter Cyril de minable ou de nain. L’autre rital était visiblement une « grosse tapette », selon le jargon en vigueur dans la tête d’Eden et Yuri, et il se comportait « comme une gonzesse », toujours selon leur propre terminologie. Cyril était certes très viril, mais il pouvait quand même être homosexuel, après tout.

La petite racaille était ravie : il avait enfin trouvé son arme…


oOo


Cyk avait bien remarqué qu’Eden le suivait du regard depuis un bon quart d’heure dans le laboratoire de sciences et vie de la terre. Il pensait qu’il en avait encore après Alexandre, qu’il attendait que sa proie soit seule pour se jeter dessus. Il ressemblait plus à une hyène qu’à un être humain par moment.

Cyril n’avait pas envie d’abandonner son camarade, mais la fin des cours approchait. Lui rejoindrait le club de musique et Alexandre rentrerait chez lui, seul. Il se tâtait pour l’accompagner au moins jusqu’à la grille, histoire de se rassurer, ou au contraire d’augmenter de quelques degrés son stress si Eden les suivait toujours.

 

La sonnerie retentit, hurlante. Normalement, Cyril était ravi de quitter l’établissement ou de se rendre à son club, mais cette fois il y avait trop de méfiance en lui. Il jeta un rapide coup d’œil à Eden, il sentait encore la tension qui rayonnait de la petite brute. Quoi qu’il ait en tête, il n’allait pas lâcher l’affaire facilement. Alex ne semblait rien avoir remarqué, en innocent petit lapereau sur le point d’être dévoré par le fauve. Il rangeait ses affaires avec le soulagement divin des élèves d’un niveau moyen, asociaux, pressés de retrouver le précieux cocon familial protecteur, leurs comics et leurs jeux-vidéos.

Cyril trainait des pieds dans le couloir, ne sachant quoi faire. Cela commençait à déranger Alex, pressé, qui lui lança :

— Je vais me rentrer. Tu vas au club de musique ce soir ?

— Ouais.

— Ok. Alors, à demain !

Cyril le regarda s’éloigner, alors qu’ils venaient de sortir du bâtiment des sciences. Dans la cohue de la fin des cours, il avait perdu Eden de vue. À défaut, il suivit le mouvement d’Alex à travers la foule, son pote se dirigeait vers la grille ouverte. Toujours pas d’Eden. Il soupira de soulagement.

— Reste pas planté là, Cyk ! Tu vas prendre racine !

Théo lui donna une tape sur l’omoplate en passant à sa hauteur, joignant à son geste un clin d’œil complice. Il suivait deux de ses amies qui s’apprêtaient elles aussi à quitter le collège. Il lui arrivait parfois de rester quelques minutes de plus dans la cour pour bavarder avec elles avant de partir. Cyril le salua rapidement de la main, sans dire mot. Il allait enfin retourner à l’intérieur pour rejoindre la salle de musique, quand une clameur de haro dans son dos le figea sur place.

— Eh Cheewie ! C’est vrai que tu aimes les pédales ?

Eden se tenait derrière lui et le jaugeait d’un sourire narquois. Il l’attaquait frontalement pour la première fois.

D’accord, c’est mon tour... Bon, reste zen Cyk, sors les crocs et trouve un truc un dire. Un truc bien cinglant, bien agressif. Il ne faut pas lui laisser croire qu’il a le dessus.

— Non, je fais rarement du vélo.

Putain, c’est nul. T’es trop con Cyk.

— Oh ! Le pédé poilu a mangé un clown ce matin ?

— Eh, oh, c’est moi que tu traites de pédé ? reprit Cyril en fronçant les sourcils.

Une demi-douzaine d’élèves s’éloigna de plusieurs mètres, pour éviter de se trouver trop près d’Eden et de Cyril quand ils allaient déraper, car ils savaient qu’ils allaient physiquement déraper. D’autres, au contraire, se rapprochèrent. Ça flairait bon la baston. Eden jubilait. Il sentait la peur derrière le masque de colère de Cyk, et désormais, il était quasiment de sa taille. Seule la différence de poids restait potentiellement problématique, mais il savait qu’il était un sportif aguerri, contrairement au gros Cyril.

— Bah ouais. À part ta chérie Théo Je-suce-des-macaronis, j’en vois pas d’autres des tarlouzes. Y a que vous deux.

— Je ne sais pas quelle mouche t’as piquée aujourd’hui, mais tu vas fermer ta gueule et me foutre la paix.

— Sinon quoi gros ? T’es gaulé comme Chewbacca, mais t’as la force d’un ewok qui prépare la Gay Pride.

Le bras de Cyk tremblait, mais le reste de son corps restait paralysé par l’hésitation. Il sentait une féroce envie de cogner monter en lui. Son subconscient lui dictait de frapper. Il ne s’était jamais battu auparavant, il ne savait pas comment faire. Il était persuadé qu’il n’aurait jamais le dessus, malgré son gabarit. L’autre avait l’habitude de se bagarrer, c’était une petite teigne hargneuse et surentrainée, tandis que lui n’était qu’une masse molle, pacifiste dans l’âme.

Le monde retenait son souffle, quand Théo surgit de nulle part et se glissa entre Cyril et Eden. Personne ne l’avait vu venir.

— Tu sais Eden, Cyk n’est pas trop mon genre de mec… Toi par contre, t’es tout à fait à mon goût. Tu n’voudrais pas me retrouver derrière le gymnase ? On pourrait échanger nos salives et nos WhatsApp ?

Théo ferme là ! T’es devenu fou ?

— J’vais t’exploser ta sale tronche !

Eden se rua sur Théo et lui colla un poing dans la figure, avant de le plaquer au sol. En une demi-seconde, la foule des élèves se transforma en un troupeau de singes hystériques, il y aurait eu des barreaux sur lesquels s’agripper, ils serraient grimpés dessus pour s’y suspendre en poussant des piaillements.

Figé dans la consternation, il fallut bien trois ou quatre secondes à Cyril pour qu’il retrouve l’usage de ses membres et qu’il se décide à attraper les épaules d’Eden, afin de le tirer en arrière. Comme il le redoutait, il sentit les deltoïdes fermes et tendus sous ses doigts. Eden était tout en muscle. Il tira dessus, mais l’autre ne sentit rien.

La vision de Théo recroquevillé par terre avec un filet de sang coulant de son nez réactiva son corps déboussolé par l’écart des forces. Il rassembla toute son énergie et tira à nouveau, beaucoup plus violemment. Cette fois, il réussit à faire reculer Eden de quelques centimètres. Cyril était surpris par sa propre puissance, mais il ne savait pas s’il pouvait avoir le dessus. De toute façon, le brutal ne lui accordait pas la moindre attention, la seule pulsion qui l’animait désormais était de détruire celui qui avait osé remettre en cause sa sexualité.

— Putain mais arrête ! beugla Cyril dans les tympans d’Eden.

Après une longue hésitation pendant laquelle il se délecta du spectacle, Yuri finit par agripper lui aussi une épaule d’Eden et tenta de l’éloigner de Théo. Il avait aperçu la pionne en train de s’approcher d’un pas pressé, il voulait limiter la punition infligée à son pote, et par la même occasion se faire bien voir de la surveillante. La fourberie restait un investissement rentable.

— Stop ! Cessez immédiatement !

Eden se redressa rapidement après avoir lâché Théo, surprenant Yuri et Cyk qui ne s’attendaient pas à ce qu’il cède aussi vite. Sa rage s’était apaisée, il restait déçu de n’avoir eu que Théo à se mettre sous les poings, alors qu’il rêvait d’un adversaire balèze.

Cyril chercha frénétiquement Théo des yeux. Il le trouva allongé sur le bitume, écorché et grimaçant de douleur. À la vue de son camarade blessé, son cœur battait si fort qu’il provoquait des acouphènes. Il ne comprenait pas ce qu’il ressentait. Une émotion forte, pesante et envahissante… Ça ne ressemblait ni à de la peur, ni à de l’angoisse, ni à de la colère, ni à de la culpabilité, et aussi inconnue soit-elle, il ne pouvait en faire abstraction.

Les deux copines de Théo étaient agenouillées près de lui et un enseignant s’était mêlé à l’affaire. Yuri était intervenu trop tardivement, la surveillante avait tout vu et faisait son rapport à son collègue. Eden n’en étant pas à son coup d’essai, il risquait gros, surtout qu’il était le seul belligérant : Théo n’avait pas riposté.

— Que quelqu’un l’emmène à l’infirmerie, ordonna la pionne.

— Je m’en occupe…

— Je viens avec vous, intervint Cyril.

Une des amies de Théo avait réagi avant lui. Elle le dévisageait de la tête aux pieds, surprise de voir le taciturne Chewbacca si avenant, brusquement. Mal à l’aise, Cyk s’efforça d’ignorer son regard interrogateur, il était bien décidé à accompagner Théo, coute que coute. Il se sentait responsable de la situation, et n’était de toute façon mentalement pas en état pour se rendre à son club de musique.

— Merci Maddie, souffla doucement Théo en touchant délicatement le poignet menu de sa bienveillante camarade. Ça ira, je vais y aller avec Cyk.

— Tu es sûr ?

— Oui. Lui aussi il faut qu’il voie l’infirmière. Pas vrai ?

Maintenant qu’il le dit, c’est vrai que j’ai mal aux côtes.

— Euh… Ouais.

Théo se releva avec l’aide de ses amies. Ses mimiques tordues trahissaient d’autres douleurs que celles évidentes en train de barioler son visage en nuances de mauve.

— Tu as besoin d’aide ?

Théo s’appuya d’abord sur l’épaule de Maddie, avant que Cyril ne prenne le relai. Il passa son bras sous les aisselles de son camarade pour le soutenir. Il ne savait pas s’il s’y prenait correctement, il voulait simplement l’aider à marcher. Les deux garçons se trainèrent ainsi jusqu’à l’infirmerie.

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