Ceux qui m’ont appris à sourire (The Dark Love - Cyk version)

Chapitre 8 : Tout le monde a un secret...

1884 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/11/2023 22:22

Chapitre 8

ooOoo Tout le monde a un secret... ooOoo


Plongé dans la pénombre du crépuscule hivernal, le couloir sud du rez-de-chaussée du collège était désert et silencieux… Presque silencieux. Un bruit de succion étouffé perçait l’obscurité. Un bruit diffus, occasionnellement remplacé par un souffle pantelant. Un bruit impudique, de ceux qui vous font rougir instantanément. Un bruit semblable à une créature visqueuse et invisible. Invisible, jusqu’à ce que l’œil parvienne à transpercer les ténèbres du renfoncement sous l’escalier secondaire du bâtiment B. S’y trouvaient deux corps enlacés en pleine puberté. Le plus grand avait posé ses larges mains sur les hanches du plus petit. Le plus petit avait noué ses doigts autour de la nuque du plus grand. Le bruit s’interrompit encore, une scission s’opéra au sein de la paire de bouches, jusque-là fusionnées.

— Je n’aime pas qu’on s’embrasse ici… On va finir par se faire gauler… haleta Cyk.

Il fronçait ses sourcils contrariés par-dessus son regard déjà dur. Théo lui répondit avec un air provoquant :

— Arrête de psychoter mon Chewie, ça m’excite, moi, d’être ici…

Il avança la tête et enfourna goulument sa langue dans le goulot entrouvert de Cyk qui voulait parler.

Il m’agace… C’est génial, j’adore, mais il m’agace…

Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis leur premier baiser, et Cyril se faisait toujours dominer par ce petit bout de bonhomme efflanqué, comme à chaque début de baiser. Il tentait ensuite de prendre le dessus. Il tournait sa langue en suivant les mouvements aléatoirement hardis de son petit-ami. Ensemble, ils testaient leurs sensations. Théo s’abandonnait, lascif, entre les bras d’un Cyril maladroit mais amoureux, tenant fermement ses lombaires pour le maintenir serré contre lui.

Je ne peux plus respirer à force…

Ce fut justement une respiration, très audible bien que légère, qui vint interrompre leur étreinte. Ils l’avaient entendu tous les deux. En se décrochant des lèvres de son petit-ami, Cyril perçut la présence tout près d’eux. Il frissonna, redoutant le pire. Il tourna brusquement la tête vers la gauche, et Théo l’imita en miroir. Un garçon de leur âge était planté là, au pied de l’escalier, les bras ballant, la sangle de son sac à dos glissant lentement le long de son épaule, comme si l’objet était aussi sidéré que son propriétaire. Les néons blafards du couloir éclairaient son visage figé dans leur direction et créaient un reflet scintillant dans ses iris noisette écarquillés. Elles trahissaient sa surprise, bien plus encore que les yeux exorbités de Cyril découvrant ce témoin gênant. Stressé, Théo enfonça profondément ses ongles dans la chair de son copain. Combien de secondes s’écoulèrent dans cette stupeur collective ? Cyril n’aurait su le dire.

Le troisième larron s’anima soudainement.

— Désolé… baragouina-t-il avant de disparaître derrière les marches en béton.

Le gars était en train de s’enfuir, littéralement. Une cascade d’eau glacée  traversa l’échine de Cyril : quelqu’un savait. Quelqu’un savait que Théo et lui sortaient ensemble. En début de panique, il se tourna vers son petit ami et le courant froid retraversa son corps dans l’autre sens. Théo était toujours si sûr de lui, si téméraire, sauf en cet instant. Cyk lisait très clairement la terreur dans ses yeux. Tout le monde disait qu’il était homosexuel, tout le monde s’en doutait, mais il n’y avait aucune preuve. Son dernier rempart face au risque de harcèlement imminent venait de s’écrouler. Désormais, il y avait une preuve. Il devrait assumer d’être gay et, pire encore, il devrait assumer de sortir avec Chewbacca. Les jambes de Cyk réagirent sans qu’il ne les contrôle réellement. Son instinct guida ses membres et sa langue.

— Rentre chez toi, je m’en occupe ! affirma-t-il de sa voix grave.

Il s’engouffra dans le couloir à la recherche du témoin. Il ne s’arrêterait de courir que lorsqu’il l’aurait retrouvé et rattrapé. Il était convaincu qu’il l’avait reconnu, qu’il s’agissait d’un membre de son club de musique.

Qu’est-ce que je lui dis ? Il faut que je le menace ? Putain de merde, qu’est-ce que je lui dis ?!?

L’autre gamin partait vers le nord, il allait sans doute quitter le collège. Cyril devinait sa direction, il espérait simplement avoir emprunté le même couloir. Comme un animal aux aguets, il laissait son ouïe le guider, il n’y avait presque plus personne dans l’établissement, les pas qu’il entendait devaient être les siens. Il tourna à l’angle du corridor dans la précipitation et...

Bingo.

— Eh ! Euh… Matthieu c’est ça ?

L’adolescent se retourna en entendant son prénom. Ça n’avait duré qu’une demi-seconde, mais avant qu’il n’affiche son sourire angélique, Cyril entraperçut son regard confus.

— Ouais, et toi c’est Cyril je crois ?

— Ouais…

Aller Cyk, c’est le moment de jouer les gros durs. Tu fais peur à tout le monde, pour une fois il faut que ça serve !

— Ce serait bien que tu ne parles pas de… ce que tu as vu. Je suis sérieux, dit Cyril sur un ton ferme.

— Oui, j’ai bien compris. J’te promets que je ne dirai rien. T’as pas à t’en faire.

Cyk frissonnait sous son pull, partagé entre sa crainte d’être découvert par tous ses autres camarades, et sa surprise émue face à ce sourire extrêmement chaleureux. Jamais personne ne lui avait souri de la sorte, pas même Théo. Matt, le beau gosse. Même dans une situation gênante, il maintenait son expression rassurante et positive.

Ça signifie quoi ce sourire ? Il est sincère ou pas ? Il va me vendre une assurance vie ou un aspirateur ? Il va se foutre de ma gueule dès que j’aurais le dos tourné ?

— Il faut que je rentre, mes parents vont gueuler sinon. On se voit au club !

Incapable de répondre quoi que ce soit, Cyk laissa son camarade reprendre sa marche en direction de la sortie, le pas beaucoup plus tranquille. Il n’était qu’à moitié rassuré.


oOo


— Ne te retournes pas, mais il est encore en train de nous mater, marmonna Théo.

Cyk attrapa au vol la balle lancée par son petit-ami, il prit quelques secondes pour analyser ce qu’il venait de lui dire, puis il se tourna vers le bord du terrain. Une autre classe de quatrième arrivait au compte-goutte dans le gymnase, et les élèves venaient s’agglutiner devant la porte des vestiaires. Les mains dans les poches, d’un air nonchalant, Matthieu Paris faisait partie du lot. Il regardait fixement dans leur direction.

Eh merde, c’est vrai.

— Ça suffit pour aujourd’hui ! Vous pouvez aller vous changer ! cria le prof.

Après avoir déposé le ballon dans le grand sac en toile mis à disposition par leur enseignant, Cyril suivit le cortège de ses camarades jusqu’aux vestiaires. Il détourna le regard pour ne pas avoir à croiser celui de Matthieu qui persistait à le suivre.

Isolés dans l’angle des vestiaires, Cyril et Théo se changeaient côte à côte. D’habitude, Cyk s’émoustillait en lorgnant discrètement le corps dénudé de Théo à sa droite. Une discrétion relative, Théo l’avait grillé, pour son plus grand plaisir. Il aimait se savoir désiré. Tant que les autres, eux, ne remarquaient rien, Cyk pouvait continuer de se rincer l’œil. Il n’y avait malheureusement pas de place pour le flirt ce jour-là. Ils parlaient à voix basse, sans tomber dans le chuchotement qui aurait paru suspect.

— Il t’a dit quelque chose depuis la dernière fois ? s’enquit Théo.

— Non, enfin rien d’autre que des banalités.             

— Il est trop chelou, sérieux. Maintenant il me dit bonjour le matin.

— Ah ouais, un mec poli, ça, c’est sûr que c’est chelou.

— Ne fais pas de mauvais esprit, Cyk ! Je sais qu’il te fout mal à l’aise aussi.

Cyril vérifia en deux secondes par-dessus son épaule qu’aucun de leurs camarades n’écoutait, avant de soupirer sa réponse.

— Il est homophobe, c’est tout. Il n’y a pas à chercher plus loin.

En refermant son sac, il songeait à Alexandre qu’il allait retrouver d’ici quelques minutes. Ils avaient eu des séances d’éducation civique dédiées à la prévention contre les formes de harcèlement. Pour tout le monde, l’homophobie à l’instar du racisme par exemple, se traduisait par des agressions physiques ou verbales. Or, en dehors des petits cons du genre Eden et Yuri, la plupart des gens savaient se tenir. Mais au contact de Théo, Cyril découvrait d’autres choses beaucoup plus insidieuses. Le rejet des autres ne passait pas uniquement par la haine ou les moqueries, le mépris et l’isolement étaient des phénomènes extrêmement cruels. Il y avait aussi le dégoût, à peine voilé derrière une intonation polie. Alex était comme ça avec Théo. Aucune agressivité, aucune hostilité, mais on sentait bien toute la répugnance qu’il ressentait pour son camarade. En fait, Cyk avait réalisé qu’Alex regardait Théo comme les filles le regardaient lui.

 

Pendant les séances au club de musique, aussi, Cyril se sentait épié. Régulièrement, il captait le regard de Matt posé – ou plutôt peser – sur lui. Cette situation devenait oppressante, son secret risquait d’être révélé, son camarade était beaucoup trop curieux.

Un midi, alors qu’ils venaient de terminer leur répétition sous l’égide de Monsieur Koffler, Matthieu s’était approché de lui, avec son sourire chaleureux habituel. Il parlait toujours avec gentillesse, mais sa voix était étonnamment basse quand il lui demanda :

— Je voudrais te parler en privé. Tu veux bien m’accompagner au parc ce soir ?

Putain, c’est quoi ce plan foireux encore ?

En début de crise anxieuse, Cyril s’imaginait le pire. Pris au dépourvu, il ne réussit pas à décliner l’invitation, ce qui aurait été plus prudent. Il se contenta d’hocher la tête, ne pouvant verbaliser sa réponse, trop paniqué qu’il était par cette invitation inattendue.

— C’est le parc de l’orchestre départemental, tu vois où c’est ?

Deuxième hochement de tête.

C’est carrément dans un autre quartier, ça pue le piège !

— Super. J’y serai vers dix-huit heures. Je t’attendrai.

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