Ceux qui m’ont appris à sourire (The Dark Love - Cyk version)

Chapitre 9 : Le secret de Matthieu Paris

1680 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2023 11:10

Chapitre 9

ooOoo Le secret de Matthieu Paris ooOoo


Cyril ne savait pas pourquoi il était monté dans le bus en direction du parc. Il avait beau avoir approuvé l’invitation de Matt, il aurait aussi bien pu rentrer chez lui, comme si de rien n’était. Lui poser un lapin et inventer un pipo par la suite. S’excuser platement en prétendant avoir oublié le rendez-vous, avoir eu un contretemps ou y aller plus frontalement avec un : « je ne te suivrai pas, avant que tu ne me dises ce que tu me veux ». Il se demandait s’il pouvait contacter Matt via les réseaux sociaux, avec son pseudo anonyme, pour annuler leur entrevue. Clairement, non, trop risqué. Il ne voulait pas que quelqu’un d’autre qu’Alex et Théo connaisse son identifiant. Une précaution basique pour se préserver du cyber-harcèlement. Il n’avait pas averti Théo non plus. Il ne voulait pas l’inquiéter inutilement, Théo avait un don pour exagérer et dramatiser les choses, il aurait cédé à la psychose. Il lui aurait sans doute envoyé une énième vidéo-témoignage de gay pris dans un guet-apens homophobe.

Sur le chemin, Cyk vérifiait qu’il n’était pas suivi par d’autres personnes du collège. Ses méninges cogitaient à toute allure, si ce n’était pas un piège pour se faire molester, qu’est-ce qu’il pouvait bien avoir à lui demander, qui nécessitait de se rendre à cinq kilomètres du bahut ? L’hypothèse d’un passage à tabac ou d’une humiliation ne correspondait pas au profil de Matthieu. Il avait la réputation d’être un type cool et super sympa. De l’avis de Cyril, il n’avait pas l’air complètement franc du collier. Il était trop parfait pour être honnête : beau, intelligent, drôle, agréable… Il ne se disputait jamais avec personne, il parlait toujours en souriant et il jouait divinement bien, de la guitare comme du piano. De l’avis de tous, élèves comme professeurs, c’était le meilleur élément du club de musique. Un véritable prodige.

La nature est injuste.

Cyril était partagé entre l’idée que Matt était son exact opposé, et le fait qu’une telle perfection ne pouvait être réelle, il y avait forcément une couille dans le pâté. Il craignait que ce soit une facette sombre et dangereuse. Peut-être qu’il existait une version « Dark Matthieu » ? Cyk trouvait qu’il ressemblait un peu à Light Yagami physiquement. C’était un signe.

Si ça se trouve, lui aussi il écrit des noms dans un carnet de la mort.

Toutes ces hypothèses sordides ne collaient pas avec les éléments dont il avait connaissance à propos de Matt, mais alors qu’ils allaient se retrouver en tête à tête, cette idée saugrenue l’obsédait.

Il déglutit avec difficulté quand il l’aperçut à l’entrée du parc, les mains dans les poches, regardant avec un sourire absent les vitres du deuxième étage de l’orchestre. Quelques notes de musique s’échappaient des fenêtres entrouvertes. Matthieu avait presque l’air ingénu dans cette position, cela rassura très brièvement Cyril lorsqu’il parcourut les derniers mètres le séparant de son camarade.

— Ah, salut ! lança Matt de sa voix joyeuse en l’apercevant.

Cyril répondit par un grognement, rattrapé par la méfiance.

Ils marchèrent un peu sur le petit sentier de gravier, dans un silence de plus en plus pesant. Ils finirent par s’arrêter, spontanément, comme si leur esprit communiquait par des ondes invisibles. Ils étaient au bon endroit. Aucun d’eux ne ferait un pas de plus dans cette atmosphère au suspense insoutenable.

Cyril dissimula son angoisse derrière son intonation abrupte.

— Alors ? Tu voulais quoi ?

Le sourcil droit de Matt tremblota furtivement, sa mine chaleureuse ne s’ébranlait toujours pas, sa voix était à peine teintée d’une petite gêne.

— Désolé pour la question indiscrète : quand et comment t’as su que tu préférais les mecs aux nanas ?

Le regard de Cyril se noircit en quelques secondes.

C’est quoi ton plan ? T’as une curiosité malsaine ? T’es un pervers ? Tu comptes m’enregistrer ou me filmer ?

— C’est quoi cette question ? gronda Cyk en s’efforçant d’avoir l’air assez menaçant pour décourager Matthieu dans ses mauvaises intentions.

— J’crois que je suis comme toi et Théo.

La phrase lancée sur le ton de la conversation claqua aux oreilles de Cyril avec la violence d’un coup de fouet. Il ne s’attendait pas à ça.

Sans déconner, il est sérieux ? Sans déconner ?

Cyril était plus que surpris. Les yeux écarquillés, il dévisageait Matthieu de la tête aux pieds avec circonspection pour analyser la situation. L’autre adolescent souriait à peine, il avait fourré ses mains dans ses poches arrière de pantalon. Il avait toujours sa dégaine de beau gosse, mais son attitude générale était différente de celle qu’il adoptait au collège. Il y avait une sorte de pudeur dans ses gestes, de la réserve, il n’était vraisemblablement pas aussi à l’aise que d’habitude. Cyril peinait à reconnaître le jeune musicien bourré d’assurance qu’il côtoyait quotidiennement.

J’y crois pas… Sans déconner…

Cyril ne put retenir son sourire – un sourire tordu, grimaçant, faussement railleur – il n’était que l’expression spontanée de son profond soulagement. En se rendant à ce rendez-vous, il s’était persuadé que Matthieu allait lui faire du chantage ou une sale blague, et pourtant, l’explication la plus logique était celle qu’il avait sous les yeux.

— Ah, c’est ça... J’me disais bien que t’étais bizarre.

— Comment ça bizarre ?

— Tu te comportes de manière chelou avec Théo et moi, t’as pas remarqué ?

— Euh… Non, pardon. Je vous ai vexé ?

— Non, c’est juste qu’on a pensé que t’étais qu’un gros homophobe.

Cyril avait envie d’éclater de rire, tellement il était soulagé. Il se retint tant bien que mal, il n’avait pas envie de vexer son camarade, ça aurait été la pire chose pour un gamin de quatorze ans en train de faire son coming-out. En voyant son visage doux, si humble, radicalement différent du sourire bellâtre et confiant que Matthieu arborait fièrement chaque jour, il fut convaincu de sa sincérité. Cyril était enfin détendu, mais il restait sur ses gardes.

Du calme Cyk, c’est pas le moment de te mettre à rigoler, il n’est pas net pour autant. Si ça se trouve, c’est quand même un guet-apens.

— Quand tu dis "tu crois" : t’en es convaincu, tu y penses sérieusement ou tu as juste un petit doute parce que t’as réalisé qu’on existait ?

— Franchement ?

— Ouais.

— Depuis que je t’ai vu dans cette cage d’escalier, je meurs d’envie de t’embrasser aussi.

Cyk aurait pu pénétrer dans la quatrième dimension, ça lui aurait fait le même effet.

Il a dit quoi, là ?

Cyril observa en détail la posture de Matthieu, il ressemblait globalement à un chevreuil paumé dans une clairière. C’était impossible… Irrationnel, illogique. Ce devait être une farce…

Matthieu n’avait jamais fait de crasse à qui que ce soit, pourquoi commencerait-il aujourd’hui ? Il n’avait rien dit à personne pour lui et Théo. S’il l’avait fait, ils en auraient immédiatement payé les conséquences. Il n’avait pas menti, il avait gardé leur secret. Et là, ils étaient seuls, vraiment seuls, dans ce parc loin du collège, loin de tout. Cyril n’avait vu personne les suivre. Tout le monde ignorait où ils étaient. Il avait beau chercher, il n’y avait absolument rien de louche. Personne pour les espionner ou les photographier en cachette, pas de bande de racailles venue casser du pédé.

Mais, le plus invraisemblable, restait ce regard vibrant qu’il lui lançait. Suppliant, déroutant et, pour Cyk, les plus beaux yeux de la terre.

Il attend quoi au juste ? Une réponse ? Il n’attend quand même pas...

Cyk rembobina le fil de la conversation. Les subtilités des relations sociales ne lui échappaient guère, mais il manquait de pratique. Il devait faire un léger effort intellectuel pour analyser l’implicite. Les mots « envie » et « t’embrasser » avaient du mal à se connecter entre eux. Il y avait au collège peu de garçons aussi séduisants que Matthieu, et sans doute personne d’aussi populaire. Un dieu vivant. Un fantasme totalement inaccessible, sauf en cet instant.

J’ai envie de t’embrasser aussi...

Il fallait dire ou faire quelque chose, or Cyril était indécis. Il avait peur de sur-interpréter tout ce bazar. Il craignait de commettre une erreur, redoutait ses propres pulsions. Il pensait à Théo, il essayait de penser très fort à Théo. Ce n’était pas suffisant.

Ce n’était pas Théo qui était en face de lui. Ce n’était pas Théo qui lui lançait ce regard langoureux plus explicite que tout ce qu’il avait vu jusqu’alors. Ce n’était pas Théo qu’il admirait dans une aura romantique surréaliste, vaporeuse et rose bonbon, comme dans le plus improbable des mangas homo-érotiques.

— Tu promets de ne pas en parler à Théo ? demanda timidement Cyril. 

L’autre lui répondit d’un hochement de tête. Il attendait, immobile, patient. Il attendait un baiser.

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